Babel le révolutionnaire misérécordieux

j'ai décidé de vous parler d'Isaac babel . Pourquoi essentiellement pour deux raisons, l'une conjoncturelle. Il s'avère que l'actualité nous a ramenés à Katyn et, par la même, moi, elle m'a ramenée à la «cavalerie rouge», mais vous allez comprendre. La seconde est structurelle, il s'avère qu'il y a de moins en moins de gens qui connaissent Isaac Babel. C'est selon moi un manque terrible. Cela fait partie de tous ces repères dont on vous a privés et qui me fait parfois pleurer de pitié devant une jeunesse qui doit repartir à zéro, sans aide et avec dieu seul sait quelles erreurs, quels drames Je suis en ce temps où je tente de distribuer «l'héritage» à qui, le veut    La contradiction de la Révolution, et comment des révolutionnaires en meurent Voilà quelques extraits de la préface de «cavalerie rouge» par Maurice Parijanine

«Comme Sherwood Anderson est un romancier russe, parce qu'il aime la soupe aux choux, Isaac Babel ne serait-il pas un novelist californien, tel qu'il surgit dans l'histoire, à cheval, botté, culotté de peau, le mauser au flanc, coureur de grandes aventures? Malheureusement, il aime à rire et il porte lunettes, ce qui gâte le tableau.
Son rire à lui ne ressemble à rien que je connaisse, et je ne le crois pas d'un genre américain. C' est un rire trés ouvert, mais non bruyant, ou bien si vous voulez, c'est un sourire aussi joyeusement épanoui que possible sur un fond de pudeur, de naïveté, de tristesse, de confiance. C'est le rire charitable d'un homme qui a beaucoup souffert et vécu des choses terribles. C'est la gaité bienveillante de celui qui a perdu toutes ses illusion, sans doute en les distribuant autour de lui.C'est un rire calmant et sain. Ne croyez pas que, faute d'illusions, soit un désanchanté. Au contraire, il s'enchante prodigieusement de réalités et de rêves - qui sont bien n'est-ce pas? des réalités aussi- depuis qu'il a détruit kles mirages de sa jeunesse. il est normal, il est fort, il y a même en lui de la violence, et une violence mesurée consciemment dirigée, donc efficace. Il a une croyance raisonnable et poétique, celle d'un monde nouveau, auquel il s'est uni, pour lequel il travaille à sa manière, lentement, de tout son coeur.

Il a des lunettes. Ses yeux rient, s'étonnent, admirent à travers le cristal, et les coins de ses paupières se plissent, se rapprochent, se dilatent, s'évasent Que va-t-il encore apprendre de la vie? Quelle pourrait être la leçon de plaisir et de bonté ?»

Isaac Babel est né à Odessa, en 1894. Comment ce jeune homme myope, issu d'une langue lignée de rabins malchanceux et même parfois escrocs dans la Russie tsariste s'est-il retrouvé combattant dans la «cavalerie rouge» ? Je ne vous raconterai pas tout mais sachez que pour lui tout est un combat, faire des études alors que le numérus clausus est imposé aux juifs, venir à Petrograd en 1916, les juifs n'y ont droit de séjour que sous certaines conditions qu'il ne remplit pas, il doit se cacher comme un clandestin aujourd'hui en France, se mettre en péril non seulement lui, mais ceux qui l'hébergent. Il fallait vivre comme partout mais en outre un juif avait la nécessité de ne pas être pris dans ce qui était pourtant son pays. Mais Babel voulait écrire, admirateur de TolstoÏ mais aussi de Maupassant, il s'adresse à Gorki qui l'aide.

Le contexte est celui d'un régime qui se décompose dans les folies de la superstition «Parmi tant d'autres qui, dans les préparatifs et dans le corps à corps ont engagé leur liberté et leur vie, et qui ont glorieusement travaillé à l'affranchissement de cent cinquante millions d'âmes, Gorki se trouvait aux avant-postes. ( ) Dans la grande joie et le trouble des foules, Babel suivit les destinées du peuple russe. Il cassa sa plume. Il ne fut qu'un entre tous. Mais en cet immense remous, le courant qui le saisit fut le plus persevérant, le plus fort, le plus ardent, et le seul qui savait se conduire lui même: celui du prolétariat. En octobre Babel s'engagea, il allait explorer largement cette vie que Gorki lui rerochait d'ignorer.

En 1920, il entra dans l'armée. On l'expédia à la cavalerie de Boudienny. Il n'était pourtant pas un cavalier. pour sa première journée, il fit une traite de quatre-vingt kilomètres Et s'en remit «

C'est à ce moment du récit que pour contextualiser Katyn, il faut lire Babel

«Sur la frontière polonaise, en Volkynie, il participa à la campagne que menaient de rudes pandours, promus auxc fonctions de généralat: sous officiers de l'ancienne armée, matelots, metallurgistes, vachers, laboureurs Eléments hétéroclites, cependant unis, solides et dévoués; ignorants ou même illetrés qui sortent du feu de valmy, des barricades de belleville, des fauboutrgs, des cours de Poutilov et de krasnaïa Presuia, des aouls sauvages, de la Circassie, des puits du Donetz, des steppes aux longues odeurs de miel, de bouse et de fumée: redoutables improvisations des peuples, résolus à mourir plutôt qu'à subir davantage, et où la foi tient lieu de science, la volonté de sagesse, qui déconcefrtent par des folies, des bourrades furieuses les calculs des stratèges de métier. La bourgeoisie déjà dégoûtée des jeux révolutionnaires - Eta pour cause!- disait assez: «Attendez un peu! Les Allemands leur apprendront Attendez un peu! Les alliés! Attendez encore nos généraux, nos volontaires, nos écoles militaires sont là, à droite, à gauche, en Sibérie, en Crimée, en Pologne, dans le centre même »

( ) «Dans cette guerre, chacun, du plus modeste voiturier au plus grand chef, savait qu'il n'y a pas de merci pour les vaincus. Les «blancs» fusillaient leurs prisonniers, hommes et enfants, dressaient des potences pour les paysans ou les ouvriers soupçonnés de bolchevisme, massazcraient les juifs selon l'antique usage. A ces violences, représailles inévitables. Les leçons de mai 1871 ont porté loin. En vain, Trotsky, dans ses circulaires, enjoignait-il aux chefs de n'exécuter personne sans nécessité et sans jugement. Quand on artrive dans un pays qui n'est plus peuplé que de cadavres branchés ou de femmes éventrées après le viol traditionnel, il est difficile de prévenir des sursauts de colère et de sauver les innocents confondus avec les coupables. C'est presque toujours impossible». ( ) Elle (une armée) promène au hasard des plan de guerre, et de leur imprévisible transformations, ses amours, ses pitiés, ses haines, ses exigences. Elle blesse frequemment à contre-coeur, comme elle s'élance vers la mort sans espoir de retour. Elle comprend parfois, et ignore alors, volontairement. Comme toute collectivité, elle donne dans de grandes erreurs, s'en repent et s'en repent trop tard. Elle passe, laissant des morts sur ses chemins, et les pleure; elle est impure, et en souffre; elle n'arrête pas d'avancer, parce qu'elle ne peut pas s'arrêter, sous peine de mort»

VOILA LA MATIERE DE CAVALERIE ROUGE LE LIVRE DE BABEL

Ce que l'on peut retenir de ces histoires de guerre c'est la tendresse humaine qui y pénètre, et ce n'est pas de la sentimentalité; c'est devant des nécessités implacables, le respect des valeurs et de vertus sans lesquelles les civilisations, les travailleurs, ne pourraient s'unir enfin; et c'est l'absence d'hypocrisie dans le tableau de la lutte engagée par un peuple renaissant dans le vieux monde».

Isaac babel fut un écrivain révolutionnaire victime de cette contradiction révolutionnaire qu'il ne cesse de décrire, condamné par elle à la manière d'un Maïakovski, même s'il fut exécuté et non suicidé Je voudrais que vous lisiez cavalerie rouge qui dans le fond est la lutte contre les blancs à la frontière polonaise (tout empreinte de cette haine de l'ennemi polonais qui porte la contre-révolution) mais également plein de compréhension ce qui l'achève, lui Babel qui n'a pas d'autre voie que ce chemin là. Lisez Cavalerie rouge et après on reparlera de tout ça

Danielle Bleitrach

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