Fidel Castro, Cuba et les Etats-Unis
Salim Lamrani
La Guerre froide, responsable du conflit entre Cuba
et les Etats-Unis ?
Salim Lamrani : M.
le Président, l’historiographie conventionnelle analyse les tensions
entre Cuba et les Etats-Unis à l’aune du cadre de la Guerre froide.
Il est vrai que Cuba, en se rapprochant de l’Union soviétique,
allait logiquement déclencher l’animosité de Washington.
Quel est votre point de vue à ce propos ?
Ricardo Alarcón de Quesada : Il
faudra un jour sérieusement interroger l’histoire conventionnelle,
car il s’agit de la version qui a été prédominante
dans la propagande nord-américaine. Mais en réalité, les
documents et les preuves qui contredisent cette version devraient être
connus de tout historien digne de ce nom, tout historien un tant soit peu sérieux.
En tout cas, au moins depuis 1991, je crois savoir que les documents officiels
des autorités étasuniennes concernant l’époque précédant
le triomphe de la Révolution ont été déclassifiés.
Evoquons le volume correspondant à la période 1958-1960, en l’occurrence
la dernière année du gouvernement de Batista, et les deux premières
années de la Révolution. A cette époque, on ne pouvait
pas parler d’alliance avec l’Union soviétique, ni même
de relations formelles avec l’Union soviétique. Cependant, ces
documents démontrent que dès l’époque de Batista,
l’administration d’Eisenhower a essayé d’empêcher
« la victoire de Castro ». Je vous cite le document textuellement.
Il s’agit d’un rapport du Conseil national de sécurité
des Etats-Unis.
Salim Lamrani : Donc
selon vous, la réalité est toute différente.
Ricardo Alarcón de Quesada : Les
faits historiques se sont déroulés de manière complètement
différente de ce que raconte l’histoire conventionnelle. Avant
même le triomphe de la Révolution, les Etats-Unis ont essayé
d’empêcher la victoire des barbudos, et depuis la victoire du 1er
janvier 1959, Washington essaye de renverser le gouvernement révolutionnaire.
Le soutien de l’Union soviétique, ce que l’on pourrait appeler
l’alliance avec l’Union soviétique, n’est qu' une
réponse de Cuba aux agressions des Etats-Unis. La conséquence
de cette hostilité immédiate a été le rapprochement
avec les Soviétiques.
Influence des Etats-Unis avant la Révolution
Salim Lamrani : Quel
degré de contrôle ou d’influence exerçaient les Etats-Unis
aux niveaux politique, économique et social lors du triomphe de la Révolution
en 1959 ?
Ricardo Alarcón de Quesada : Les
Etats-Unis avaient une très grande influence politique à Cuba.
Je crois que le terme d’« influence » est plus juste. Dans
les années 1950, l’amendement Platt, que Washington avait imposé
au début du XXe siècle, n’existait plus légalement.
Rappelez-vous que cet amendement autorisait les Etats-Unis à intervenir
militairement à Cuba.
Salim Lamrani : Et
pour ce qui est de l’influence économique ?
Ricardo Alarcón de Quesada : L’influence
économique était énorme. L’économie cubaine
était presque partie intégrante du marché étasunien
car elle dépendait de manière vitale des exportations de sucre
vers les Etats-Unis.
L’influence d’ordre culturel était également très
importante pour des raisons historiques et géographiques : Cuba a été
pour ainsi dire administrée par les Etats-Unis. Il y avait une sorte
de fatalisme géographique dans le subconscient collectif de Cuba, un
fatalisme intentionnellement alimenté par l’idée selon laquelle
il n’était pas possible de se développer sans l’aval
des Etats-Unis, disons indépendamment des Etats-Unis. Cette idée
était fondée, car chaque fois qu' il y a eu des velléités
d’indépendance à Cuba, et cela remonte à la guerre
contre l’Espagne, les Etats-Unis sont intervenus militairement, que ce
soit en 1898, en 1907 ou lors de la Révolution de 1933.
En 1933, l’armée n’a pas occupé militairement le pays,
mais le peuple tout entier redoutait une intervention de la flotte nord-américaine,
rassemblée en masse dans la baie de La Havane. L’ambassadeur étasunien
à Cuba agissait en tant que superpouvoir et était l’homme
politique le plus important de l’île.
Ainsi, le sentiment selon lequel il n’était pas possible de vivre
indépendamment des Etats-Unis était bien réel. Pour les
Cubains de l’époque, tout ce que pouvait entreprendre le pays pour
secouer le joug nord-américain était vain, voué à
l’échec, car il en était allé ainsi précédemment.
Guantanamo
Salim Lamrani : Pourquoi
le gouvernement cubain accepte-t-il la présence militaire étasunienne
à Guantanamo ?
Ricardo Alarcón de Quesada
: Nous ne l’acceptons pas du tout. Nous avons maintes fois déclaré
que l’occupation militaire d’une partie de notre territoire était
illégale et illégitime. Cela fait plus de 45 ans que nous dénonçons
cette présence délictueuse auprès des instances internationales
et de la communauté internationale. Nous menons une grande bataille politique
et diplomatique en ce sens, mais pacifiquement. Il serait absurde de prétendre
déloger les Etats-Unis de Guantanamo par la force, car cela signifierait
la guerre.
Salim Lamrani : Au
niveau juridique, quel accord a abouti à la cession de Guantanamo ?
Ricardo Alarcón de Quesada : L’origine
de cet accord remonte à l’intervention nord-américaine dans
la guerre hispano-cubaine. Les Etats-Unis sont intervenus en 1898 et ont remplacé
l’Espagne en tant que puissance coloniale régnant sur Cuba.
Pour retirer leurs troupes et mettre ainsi un terme à l’occupation
militaire de l’île, les Etats-Unis ont imposé le célèbre
amendement Platt à l’Assemblée constituante qui était
censée élaborer la Constitution de l’an I – cela fait
partie de l’Histoire de Cuba, histoire que connaît n’importe
quel enfant de ce pays – pour organiser la République indépendante
de Cuba.
Il s’agissait d’un accord voté par le Congrès étasunien
et qui fut ajouté par la coercition à la nouvelle Constitution.
Si les membres de l’Assemblée constituante refusaient d’inclure
l’amendement Platt, les troupes militaires étasuniennes ne se retireraient
pas et le gouvernement envahisseur continuerait d’administrer Cuba.
Cela a provoqué un débat houleux au sein de l’Assemblée,
et suite à cette pression, les membres ont admis cette clause ; elle
fut partie intégrante de la Constitution cubaine jusqu' en 1934.
Salim Lamrani : En
quoi consistait exactement l’amendement Platt ?
Ricardo Alarcón de Quesada : L’amendement
Platt avait deux composantes fondamentales : d’une part, il obligeait
la République de Cuba à reconnaître aux Etats-Unis le droit
d’intervenir dans les affaires intérieures cubaines à n’importe
quel moment.
D’autre part, la République de Cuba était contrainte de
céder plusieurs espaces territoriaux pour l’installation de bases
navales nord-américaines et de mines de charbon. Leur usage était
exclusivement réservé à la marine étasunienne.
Salim Lamrani : Cependant,
l’amendement Platt a été abrogé en 1934.
Ricardo Alarcón de Quesada : Effectivement,
en 1934, ce texte contraignant a été abrogé et éliminé.
Cependant, il a été remplacé par un document très
concis intitulé « Traité de réciprocité entre
Cuba et les Etats-Unis ».
Ce texte abrogeait l’amendement Platt, mais stipulait que la base navale
de la baie de Guantanamo resterait sous le contrôle et la domination des
Etats-Unis jusqu' à ce que les deux parties – La Havane et
Washington – décident d’un commun accord d’y mettre
un terme.
Voilà l’essence de cet accord.
Salim Lamrani : C’est
un accord pour le moins étrange.
Ricardo Alarcón de Quesada : Absolument
! D’un côté, les Etats-Unis renonçaient à leur
« droit » d’intervention dans la vie politique et économique
de Cuba, mais de l’autre, ils annexaient de facto la base navale de Guantanamo
pour une durée indéterminée, afin de pouvoir garder la
base navale à perpétuité.
En effet, le départ des Etats-Unis de Guantanamo ne dépend pas
d’un calendrier précis, d’un bail déterminé
par les deux parties, mais uniquement du bon vouloir des autorités étasuniennes.
En d’autres termes, selon ce texte, tant que les Etats-Unis souhaiteront
avoir une présence à Guantanamo, ils pourront y rester sans aucun
problème. C’est cela que l’on peut qualifier, avec beaucoup
de réserves, de « cadre juridique » à propos de Guantanamo.
Ce livre est disponible auprès : www.amazon.fr, www.fnac.fr
et de l’auteur pour dédicace : lamranisalim@yahoo.fr
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