Pour mettre en valeur le super-héros du Bien, George
W. Bush, la propagande états-unienne a créé des super-héros
du Mal : d’abord ben Laden, puis Zarkaoui. Dans les deux cas, fait observer
le jounaliste roumain Vladimir Alexe, le démon est un ange déchu :
un agent de la CIA qui se serait retourné contre son créateur.
Une fois le mythe constitué, on lui fait endosser la responsabilité
des évènements les plus disparates pour exorciser la barbarie
de la Coalition.
19 JUILLET 2005
Au cours des quatre dernières années,
le terrorisme a connu une croissance exponentielle au niveau planétaire.
D’un phénomène périphérique, il est devenu
rapidement un risque pour la sécurité collective, le cauchemar
de toutes les sociétés, démocratiques ou non. Dans ce contexte
sont apparues aussi des super-stars du terrorisme. Le « premier mauvais
génie » du fondamentalisme islamique fut Ossama ben Laden. Or,
à présent, ce dernier risque d’être détrôné
par un nouveau personnage, considéré comme aussi malfaisant,
mais bien plus mystérieux : Abou Moussab al-Zarkaoui (ou Abu Mussab Al-Zaqawi,
selon la transcription orthographique anglaise). Personnage dont le nom était
totalement inconnu voici encore trois ans, mais auquel, désormais, on
attribue le rôle de leader de l’insurrection irakienne, de maître
d’¦uvre des opérations terroristes contre les États-Unis
et l’Europe. On en dit tant sur des évènements si complexes
qu' au bout du compte il semble plutôt être le héros
de contes populaires qu' un homme fait de chair et de sang. Des analystes
soutiennent qu' il s’agit d’un mystérieux jordanien
d’origine palestinienne : une légende dont on verra qu' elle
semble créée à des fins propagandistes.
La « guerre contre le terrorisme », caractérisée par
le président Bush Jr. comme la « guerre du droit », définit
le « Bien » et le « Mal » sur la Terre, ce qui fait
des chefs mondiaux du terrorisme les incarnations immédiates du « Mal ».
Les campagnes de propagande ont donc pour rôle de maintenir vivant
dans l’esprit des citoyens états-uniens la « menace terroriste ».
La création de certains personnages, de certains mythes du terrorisme
universel comme Ossama ben Laden (ancien agent de la CIA) ou, présentement,
celle d’Abou Moussab al-Zarkaoui, sans cesse poursuivis, mais jamais pris
par le Pentagone, ont pour rôle d’authentifier, de « personnaliser »
une guerre qui a permis, au bout du compte, d’élargir considérablement
la sphère d’influence directe des États-Unis.
Afghanistan : les débuts
Michel Chossudovsky écrit dans un article intitulé, « The
Pentagon’s New Terrorist Mastermind », que les agences d’information
et de contre-espionnage états-uniennes ont constitué depuis lontemps
leurs propres organisations terroristes. Une série d’organisations
« islamistes » ont agi et agissent toujours conformément
à un plan secret, pour créer les occasions et justifier au meilleur
moment l’intervention de l’armée des États-Unis. Toujours
selon Chossudovsky, cette organisation fonctionnerait exactement comme les deux
bras d’un corps humain, où le gauche crée les conditions
de l’intervention du droit. Il existe donc un « cerveau »
qui coordonne le tout. Et l’auteur de rappeler que le mouvement « islamico-terroriste »
que chasse présentement Washington a été, à ses
débuts, une pure création états-unienne !
Comment les États-Unis ont-ils donc inventé le mouvement « islamico-terroriste ?
C’est justement Zbigniew Brzezinski qui nous le dit dans une interview
donnée dans la livraison du 15-21 janvier 1998 du Nouvel Observateur
. L’ancien conseiller pour les problèmes de défense nationale
du président Jimmy Carter y dévoile - et c’était
un scoop - que l’intervention de la CIA en Afghanistan a précédé
l’invasion soviétique de 1979. Il dit : « Selon la version
officielle de l’histoire, la CIA aurait soutenu le mouvement des Moudjahiddines
à partir de 1980, c’est-à-dire après l’intervention
armée soviétique qui envahit l’Afghanistan le 24 décembre
1979. En réalité, c’était un secret gardé
jusqu' à présent, mais les choses se sont déroulées
de manière totalement différente. Le 3 juillet 1979, le président
Carter a signé la première directive secrète pour aider
les opposants au régime prosoviétique de Kaboul » . Le but
était de créer un « Vietnam » pour l’armée
et l’économie soviétique. Dans le cadre de ce plan secret,
les États-Unis financèrent, entraînèrent et armèrent
substantiellement des milliers d’islamistes amenés de divers pays
et de divers continents au Pakistan voisin. La prestigieuse revue Covert Action
Quaterly , qui a publié dans ses dernières livraisons le sommaire
des événements du 11 septembre 2001 et l’évolution
du phénomène du terrorisme, fait un bilan inquiétant :
l’administration Carter a créé les « islamistes »
en Afghanistan et en Iran ; l’administration Reagan a étendu cette
sinistre collaboration avec les « islamistes » du Soudan ; l’administration
Bush senior a intensifié la collaboration avec les « islamistes »
d’Afghanistan et du Soudan ; tandis que l’administration Clinton
a soutenu les « islamistes » d’Albanie, d’Algérie,
de Bosnie, de Tchétchénie, d’Irak et de Libye.
D’un point de vue géostratégique, Ossama ben Laden est le
meilleur « ami » du président Bush. qu' aurait fait
Bush sans ben Laden se demande Michael C. Ruppert, avec derrière lui
trente ans d’expérience de missions « secrètes »,
dans son ouvrage Crossing the Rubicon ? [ 1] Les conclusions de l’auteurs
vont très loin : « Je crois, dit-il, que ben Laden a été
et demeure toujours un agent de la CIA, du gouvernement des États-Unis
et de Wall Street. » Cela expliquerait pourquoi le terroriste le plus
pourchassé de la planète n’a jamais été pris.
Mais, depuis janvier 2003, un autre mythe du terrorisme international est apparu
sur la scène mondiale : celui du prétendu Abu Musab Al-Zarqawsi,
que personne n’avait connu jusqu' à cette date-là.
Qui est donc ce Zarkaoui ?
Biographie brouillée d’un terroriste obscur
Jusqu' au mois de janvier 2003, on entendait très peu parler d’Abou
Moussab al-Zarkaoui. Illustre inconnu, il est devenu en un laps de temps très
court, le terroriste le plus célèbre de la planète. Cependant
sa biographie est entourée d’un mystère d’où
il est très difficile de séparer l’aspect légendaire
de la réalité. La légende pourrait être attribuée
à l’imaginaire populaire, mais aussi à la propagande gouvernementale.
Avec les réserves de rigueur, voilà à peu près les
principaux évènements qui, dit-on, auraient marqué jusqu' à
aujourd’hui l’existence de Abou Moussab al-Zarkaoui.
Il est né voici trente-huit ans dans la localité de Zarka, en
Jordanie, d’une famille pauvre de neuf enfants. Sa famille appartient
à la tribu bédouine Bam Hassan, la plus grande et la plus religieuse
des tribus hachémites du royaume de Jordanie. A sa naissance, il porte
le nom de Ahmed Fadil Hamdan Khalaila, qu' il change plus tard en Abou
Moussab al-Zarkaoui, d’ après le nom du village natal de son père.
À l’âge de douze ans, Abou Moussab est mis à la porte
de l’école et trouve refuge dans les camps palestiniens à
la périphérie d’Amman. Il a environ vingt ans quand il part
lutter en Afghanistan contre l’occupant soviétique. Là-bàs
il invente une manière de faire des bombes artisanales. Il part ensuite
s’entraîner dans un camp de moudjahiddines venus de divers pays
musulmans, et c’est en 1990 que Zarkaoui revient en Jordanie. Au mois
de décembre 1999, le nom de Zarkaoui est prononcé lors de l’attaque
de l’Hôtel « Padisson Sas » d’Amman. Le complot
ayant été déjoué par la police hachémite,
Zarkaoui est incarcéré, puis gracié. Au sortir de prison
il s’enfuit au Pakistan, puis retourne en Afghanistan. En 2002, Zarkaoui
lutte avec les Talibans contre les forces états-uniennes. On dit que
pendant une embuscade il est gravement blessé à un pied, ce qui
ne l’empêche pas de fuir jusqu' en Irak où , dans un
hôpital de Bagdad, on l’ampute de son pied blessé. Par la
suite, et selon toutes les probabilités, l’invasion anglo-états-unienne
trouve Abou Moussab al-Zarkaoui au Nord de l’Irak, dans la zone kurde,
lieu idéal pour continuer la « guerre sainte » à la
tête de son groupe de combattants, « Ansar al-Islam », composé
d’environ 400 fondamentalistes. Enfin, en avril 2003, après la
chute de Bagdad devant l’offensive des forces des États-Unis, Zarkaoui
et son groupe sont signalés au centre de l’Irak, dans la zone nommée
le « triangle sunnite ».
Naissance d’une légende
Zarkaoui est donc catapulté spectaculairement sur la scène internationale
en février 2003, à peine six semaines avant l’invasion états-unienne
de l’Irak sous le prétexte de la présence d’armes
de « destruction massive » fabriquées par le régime
de Saddam Hussein, selon le discours tenu par le secrétaire d’État
Colin Powel devant le Conseil de sécurité de l’ONU . Powell
y déclarait : « Ce que je veux porter à votre attention
aujourd’hui, c’est la connexion, éventuellement bien plus
sinistre, qui existe entre l’Irak et le réseau terroriste al-Qaïda,
connexion qui allie les organisations terroristes classiques aux méthodes
modernes d’assassinat. L’Irak héberge aujourd’hui un
réseau terroriste meurtrier dirigé par Abou Moussab Zarkaoui,
partenaire et collaborateur d’Ossama ben Laden et de ses lieutenants d’al-Qaïda. »
Dans son allocution Powell emploie le nom de Zarkaoui pour faire la liaison
entre Saddam Hussein, le parti Baas (socialiste-national) et ce que Washington
nommera le « réseau de la terreur islamique » . En d’autres
termes, inconnu jusque-là, le terroriste d’origine jordanienne
est présenté comme la véritable preuve que l’Irak
de Saddam Hussein (totalitaire et laïque), entretient des relations avec
al-Qaida. Une fois établie cette relation l’administration Bush
Jr., peut prétendre que le régime de Bagdad constituait une menace
pour les États-Unis. Au centre de cette argumentation, un homme, le mystérieux
Abou Moussab Zarkaoui, brusquement propulsé au statut de super-terroriste.
À ce moment son nom est totalement inconnu, tant et si bien que le secrétaire
d’État se sent obligé d’en faire une courte présentation :
« Palestinien natif de Jordanie, Abou Zarkaoui avait combattu lors de
la guerre d’Afghanistan il y a plus de dix ans. À son retour en
Afghanistan, en 2000, il a dirigé un camp d’entraînement
de terroristes. L’une de ses spécialités, et l’une
des spécialités de ce camp, est le poison. Lorsque notre coalition
a chassé les talibans, le réseau d’Abou Zarkaoui a aidé
à établir un autre camp de formation des spécialistes du
poison et des explosifs et ce camp est situé dans le nord-est de l’Irak.
Ce réseau apprend à ses membres à produire du ricin et
d’autres poisons [...] De son réseau terroriste en Irak, Abou Zarkaoui
peut diriger les activités de ce réseau au Proche-Orient et au-delà
[...] Abou Zarkaoui et son réseau ont préparé des actes
de terrorisme contre des pays tels que la France, la Grande-Bretagne, l’Espagne,
l’Italie, l’Allemagne et la Russie. »
De petit moudjahidine anonyme, Al-Zarkaoui devient en un jour une star du terrorisme
international. La consécration arrive quelques semaines plus tard, quand
le président Bush Jr. lui-même mentionne Al-Zarkaoui, le qualifiant
directement d’« homme le plus dangereux de la planète, après
Ossama ben Laden ».
Terreur aux États-Unis
après le discours de Colin Powell devant le Conseil de sécurité,
l’opinion publique n’oublie plus le nom d’Al-Zarkaoui. Le
terroriste dont elle n’a jamais entendu parlé, devient brusquement
omniprésent sur tous les fronts. Le 8 février 2003, une « alerte
anti-ricin » est déclenchée aux États-Unis. Dans
une lettre expédiée à l’adresse de Bill Frist, le
leader de la majorité républicaine au Sénat, on découvre
une « poudre blanche suspecte ». Immédiatement, les autorités
avancent le nom de Zarkaoui, l’identifiant comme le « possible cerveau »
de l’opération. La National Rewiew du 18 février 2003, fournit
les arguments suivants : « Il est bien connu que Zarkaoui, ingénieur
biochimiste de son métier, et chef de l’organisation Al-Qaïda,
se cachait en Afghanistan, où fut trouvé des traces de ricin ainsi
que d’autres poisons. »
L’hystérie du ricin de Zarkaoui est ensuite remplacée par
autre chose. Le 13 février 2003, la chaîne de télévision
ABC diffuse la nouvelle que le terroriste-fantôme réfugié
en Irak y prépare une attaque à la bombe radioactive sur les États-Unis.
Ceci a lieu une semaine exactement après le discours de Colin Powell
devant le Conseil de sécurité.
Aux États-Unis les autorités déclanchent l’« alerte
orange » ! Powell déclare alors à la chaîne ABC :
« Il est facile pour un terroriste de nous griller tous avec une bombe
radioactive fabriquée aux États-Unis. Je crois qu' il est
sage que le peuple américain sache que cette possibilité existe »
. Pendant ce temps, la chaîne de télévision états-unienne
alerte les hôtels, les boutiques, inonde les adresses de courriel, etc.
après cette annonce, des dizaines de milliers d’États-uniens
se précipitent pour acheter des masques à gaz, des couverture
de plastique, des bandes adhésives, etc., afin de se préparer
à une éventuelle attaque.
Il est inutile de dire, qu' après l’occupation de l’Irak,
les troupes de la Coalition n’ont jamais trouvé une seule bombe
radioactive, ni du ricin, ni même une seule arme chimique de quelque type
que ce soit.
La filière espagnole
Le « mythe Al-Zarkaoui » est renforcé par le Premier ministre
espagnol, José Maria Aznar. Pendant que Colin Powell présente
le « dossier Zarkaoui » à l’ONU, Aznar déclare
le 5 février 2003 au Parlement espagnol qu' il existe des informations
selon lesquelles l’Espagne pourrait être la cible d’attaques
chimiques.
Selon Aznar et relaté par El Pais le 6 février 2003, Al-Zarkaoui
aurait entretenu des liens avec Merouane Ben-Ahmed, un « expert en armes
chimiques et en explosifs, auquel il rendit visite peu de temps auparavant à
Barcelone » . Plus encore, Aznar soutient devant la Chambre des députés
que seize suspects d’Al-Qaïda détenant des armes chimiques
et des explosifs, avaient des relations avec le terroriste-fantôme, Al-Zarkaoui.
L’information en sa totalité était fausse. Le ministre espagnol
de la Défense nationale reconnut plus tard que les « armes chimiques
n’étaient, en fin de compte, que de banals détergents »
(cf. Irish News , 27 février 2003).
Le 11 mars 2004, les attentats de Madrid surviennent. Bien que les investigations
de la presse espagnole excluent l’implication d’Al-Zarkaoui, la
CIA le désigne sans détour comme le principal suspect. L’hypothèse
est présentée sur CNN le 13 mars 2004. C’est-à-dire
deux jours après l’attentat, quand l’enquête de la
police espagnole commence à peine. Un invité de CNN explique ce
sur quoi il s’appuie lorsqu' il accuse Al-Zarkaoui : « J’ai
intercepté son dernier mémorandum, le mois dernier, qui indiquait
la continuation des actions contre les États-Unis » . Plus tard,
l’argument est repris, mais de manière plus nuancée. Selon
la CIA, un « groupe de Marocains » serait impliqué dans les
attentats de Madrid. Ces Marocains auraient été en relation avec
Al-Zarkaoui selon la découverte du journal The Australian du 24 mai 2004.
Période irakienne d’Al-Zarkaoui
Le mystérieux Al-Zarkaoui semble donc être un homme fort occupé.
Regardez-y de plus près, regardez ce qu' il a fait au printemps
2003. Depuis sa cachette irakienne - protégé du regard des équipes
des inspecteurs de l’ONU qui quadrillent le pays en long et en large -
notre super terroriste préparait du ricin pour sa correspondance états-unienne,
se donnait du mal pour enterrer quelques bombes radiologiques, organisait et
coordonnait son réseau criminel nouvellement étendu dans quatre
pays européens et, pour couronner le tout, faisait l’intermédiaire
entre Al-Qaida et le régime de Saddam Hussein. Pas même l’invasion
états-unienne de l’Irak ne réussit à freiner cette
activité frénétique. Bien au contraire ! Depuis, les faits
qu' on attribue à Al-Zarkaoui sont immenses, en premier lieu par
leur nombre. Son nom est en effet prononcé avec à peu près
toutes les actions terroristes !
The Weekly Standard , revue proche des cercles néoconservateurs du groupe
PNAC, écrivait le 24 mai 2004 : « El-Zarkaoui a commandé
non seulement l’assassinat de Nick Berg, mais encore le carnage de Madrid
le 11 mars, le bombardement des Shiites en Irak le même mois, l’attentat
kamikaze du port de Basrah le 24 avril. Avant le 11 septembre 2001, il complotait
afin de tuer des touristes israéliens et américains en Jordanie ».
Abou Moussab al-Zarkaoui est devenu le nouveau « génie du mal »
de l’islamisme, pendant que peu à peu on oubliait Ossama ben Laden.
La CIA a augmenté la récompense pour la capture de Zarkaoui de
dix à trente millions de dollars. Une somme en accord avec son rang de
super-terroriste.
De manière étrange et malgré son implication dans de si
nombreuses activités criminelles données comme assurées,
Zarkaoui demeure un personnage fantomatique. Les informations qui le concernent
continuent d’être très sommaires. Les responsables de la
CIA ont reconnu dans la même livraison du Weekly Standard , que l’Agence
ne dispose que d’une seule photographie dont elle suppose que c’est
celle de Zarkaoui, et elle ne connait ni sa taille ni son poids !
La videocassette de l’exécution de Nicolas Berg
Au mois de mai 2004, Al-Zarkaoui est accusé d’avoir fait décapiter
Nicolas Berg [ 2] après l’avoir pris en otage. Certains commentateurs
ne peuvent s’abstenir de remarquer que cette exécution - surmédiatisée
- tombe à point nommé pour Donald Rumsfeld. Au milieu du
scandale de la prison d’Abu Ghraib , nombre de sénateurs états-uniens
demandent la démission du secrétaire à la Défense
qu' ils considérent comme responsable (au moins moralement) des
horreurs qui se pratiquaient dans cette prison.
L’enregistrement vidéo de l’exécution de Nick Berg
crée dans l’opinion publique un courant d’indignation anti-irakienne
qui distrait l’attention de deux questions importante. Le 11 mai 2004,
CNN présente un rapport mystérieux découvert sur un site
islamique, dans lequel on accuse Zarkaoui d’avoir décapité
Berg. après deux jours, CNN annonce : « La CIA confirme que l’assassin
de Nicholas Berg a bien été Abou Al-Zarkaoui ».
La preuve : une videocassette intitulé, « Abou Moussab al-Zarkaoui
présente l’exécution d’un Américain ».
Dans l’enregistrement on voit un individu masqué qui parle l’anglais
et dont les experts de la CIA disent à l’unisson : « C’est
Zarkaoui ! »
Sirajin Sattayev dans « Was Nick Berg killed by US intelligence ? »
signale une série d’absences de concordances dans la vidéocassette.
Sattayev remarque ainsi : « Zarkaoui est jordanien. Or l’homme
dans la vidéocassette ne parle pas avec l’accent jordanien ! Zarkaoui
est amputé d’un pied, or, pas un seul des deux pieds de l’homme
présent sur la cassette ne présente cette anomalie. De plus, l’homme
que l’on prétend être Zarkaoui porte une alliance jaune,
probablement en or ; or voilà ce qu' aucun islamiste fondamentaliste
ne ferait parce que sa foi ne le lui interdit. »
Immédiatement après la médiatisation de cette véritable
bombe - un Zarkaoui avec ses deux pieds, une alliance en or à l’annulaire,
et qui parle l’anglais - la revue News and World Report du 24 mai 2004
affirme : « Les personnalités officielles et autorisées
de l’information états-unienne, qui croyaient que Zarkaoui avait
perdu un pied en Afghanistan, ont modifié récemment leur opinion,
ils affirment maintenant que Zarkaoui possède ses deux pieds. »
Voilà qui change la situation.
Le mystère des otages en Irak
À la différence de ben Laden, Zarkaoui n’a jamais fait une
seule déclaration appelant à la « guerre sainte »
contre les juifs ou les chrétiens (les « croisés »).
Lors de sa déclaration devant le Conseil de sécurité de
l’ONU, Colin Powell a « oublié » de mentionner deux
faits importants : d’une part que Zarkaoui et son organisation « Ansar
al-Islam » étaient opposés à Saddam Hussein, et d’autre
part, que les États-Unis n’ont manifesté aucun intérêt
(alors qu' ils l’auraient pu) pour détruire sa base du Nord
de l’Irak, dans une zone majoritairement habitée par les Kurdes.
Pourquoi cela ?
Depuis quand, en Irak, les prises d’otages apparaissent-elles comme moyens
stratégiques ? Environ six mois après que la Coalition dirigée
par les États-Unis ait occupé le pays. En mai 2004 ( après
environ un an d’occupation) Nick Berg est décapité. Suivent
Eugène Armstrong et Jack Hensley au mois de septembre 2004, puis le britannique
Ken Bigley en octobre 2004.
Ce qui est frappant, c’est le fait que parmi les otages de Zarkaoui on
compte des personnages particulièrement déplaisants pour la Coalition.
Il est question d’hommes d’affaires suspectés de faire de
l’espionnage, de journalistes de « gauche » ou indépendants
qui relataient des faits allant à l’encontre des intérêts
des forces d’occupation et qui n’avaient cure de la censure militaire,
ou, enfin d’activistes d’organisations humanitaires indépendantes.
Par exemple, Nick Berg a été enlevé au moment où
il était suspecté par la Coalition de se déplacer clandestinement
d’Irak en Iran. Selon les dires de son père, le FBI menait une
enquête sur toute la famille Berg au États-Unis, cherchant des
informations sur les voyages de Nick en Iran. Les reportages de Giuliana Segrena,
la journaliste du Manifesto (journal communiste italien), n’étaient
pas du tout favorables aux troupes d’occupation, rappelant sans cesse
le « génocide de Fallujah » .
Les États-Unis n’encouragent la venue en Irak que les journalistes
nommés « correspondants de guerre », accrédités
auprès des forces de la Coalition. À ceux-là, l’armée
états-unienne fournit un uniforme, ainsi qu' une protection militaire ;
dans le casier de leur chambre d’hôtel, ils reçoivent notes
et vidéocassettes contrôlées par la censure militaire. Comme
pendant la guerre avec l’ex-Yougoslavie, ces très nombreux « correspondants
de guerre » ne quittent guère leur hôtel pour envoyer à
leur journaux les dépêches que leur fournit toutes prêtes
l’armée des États-Unis.
Les autres journalistes, ceux qui font leur travail sans passer par la censure
militaire, risquent de tomber dans les mains de « Zarkaoui » et
d’être soit décapités, soit l’objet d’une
demande de rançon. L’idée n’est-elle pas d’instiller
la peur chez les journalistes et les travailleurs des ONG indépendantes
(cf. le programme du Pentagone « P2OG »), afin de les inciter à
demeurer éloignés des zones « sensibles » ?
Quelque soit le degré d’imprévisibilité de la situation
en Irak, on ne peut qu' être étonné par la manière
plus que bizarre employée par Al-Zarkaoui pour atteindre ses cibles !
Nombre de victimes des actions de son organisation n’avaient pas, a priori
et de manière explicite, à se garder d’être pris pour
cible par les terroristes islamiques.
10 000 dollars pour une accréditer la fiction « Zarkaoui »
Le nom de Al-Zarkaoui a été invoqué, en 2003, afin de justifier
la guerre en Irak. Aujourd’hui, il est présenté comme le
fer de lance de l’insurrection, motif avancé pour affirmer que
la paix n’est pas pour le moment possible, et qu' ainsi les troupes
de la Coalition doivent repousser leur retrait et demeurer sur place. On attribue
à l’organisation de Zarkaoui toutes sortes d’actions terroristes :
des attentats à la voiture piégée, des enlèvements,
des prises d’otage et des exécutions. Tant d’actions diverses
et si complexes qu' il semble difficile de croire qu' elles aient
été dirigées par un seul homme. Le quotidien australien,
The Age , a avancé une hypothèse intéressante : « Al-Zarkaoui
n’existe pas » . Ou, à tout le moins, le personnage flamboyant
et hyperactif décrit par les services secrets états-uniens n’existe
pas. C’est un personnage de fiction. The Age rapporte, sous couvert
d’anonymat, le témoignage d’un officier des opérations
psychologiques de l’armée états-unienne. Celui-ci aurait
déclaré au quotidien australien : « J’ai payé
jusqu' à 10 000 dollars des opportunistes et des criminels de droits
commun pour qu' ils affirment ici et là, interrogés par des
journalistes, le fait que Zarkaoui existe, faisant ainsi de lui le héros
de chaque action terroriste en Irak. »
où donc est le vrai et où est le mensonge derrière la légende
des nouveaux personnages du terrorisme ? Ce personnage est-il fabriqué
en totalité dans un laboratoire de la désinformation, ou, partant
d’une base réelle, lui a-t-on grossi quelque peu les « traits » ?
Quoi qu' il en soit pour ce qui concerne ses débuts dans la lutte
islamique, la CIA devrait en savoir beaucoup.
Les médias évitent de rappeler un fait extrêmement important :
« Al-Qaïda » est née en 1987, dans les camps islamistes
du Pakistan comme mouvance soutenue par la CIA et l’ISI (service de contre
espionnage de l’armée pakistanaise) qui luttait en Afghanistan
contre l’occupant soviétique. C’est pendant cette période
que la CIA recrute ben Laden. Lui, comme le jeune Zarkaoui, servaient les intérêts
des États-Unis contre l’ennemi de l’époque, l’Union
soviétique. Ce fait a été même reconnu par l’ancien
secrétaire d’État Colin Powell, le 5 février 2003
dans sa présentation des faits irakiens devant le Conseil de sécurité.
Il existe une très riche documentation, systématiquement ignorée
des grands quotidiens et des chaînes de télévisions, quant
à l’aide et au soutien accordé par la CIA durant ces années
à « Al-Qaïda ». Des personnages politiques de première
grandeur comme Colin Powell et Richard Armitage se sont alors directement impliqués
afin de canaliser les efforts des insurgés islamistes en Afghanistan.
De ce fait, il faut conclure que tant Ossama ben Laden qu' Abou Moussab
al-Zarkaoui ont été de pures « créations »
de la CIA.
Un nouvel argument se fait jour présentement chez les néo-conservateurs,
à savoir qu' Al-Zarkaoui serait financé par l’Iran !
C’est pourquoi on insiste sur le fait que ce pays serait dès lors
placé par Washington sur la liste des pays de l’« axe du
Mal ». Ainsi l’« époque d’Al-Zarkaoui »
ne semble pas prête de s’achever. Il se pourrait donc que le terroriste-fantôme
soit utilisé aussi contre l’Iran.
Vladimir Alexe
Journaliste au quotidien Ziua (Le Jour) à Bucarest, auteur d’ouvrages
d’histoire contemporaine, en particulier une biographie très critique
de l’ancien président Ion Iliescu.
Article paru dans Ziua du 9 juillet 2005. Traduit du roumain pour
Réseau Voltaire par Alexandre Pondu.
[1]Crossing the Rubicon, The Decline of the American Empire at the End of
the Age of Oil par Michael C. Ruppert, New Society Publishers 2004.
[2] « L’affaire Nicholas Berg », Voltaire , 18 mai
2004.