L’Iran doit se tenir prêt à contrer une attaque
nucléaire
Léonid Ivashov
http://www.voltairenet.org:80/article145295.html
Dans l’ensemble des informations en provenance du Moyen-Orient,
on trouve un nombre croissant d’écrits affirmant que d’ici
à quelques mois les États-Unis mèneront des frappes nucléaires
contre l’Iran. À titre d’exemple le Kuwaiti Arab Times, citant
des sources bien informées mais anonymes, rapporte que les États-Unis
projettent de lancer une attaque à l’aide de missiles et de bombes
sur le territoire iranien avant la fin du mois d’avril 2007. La campagne
débutera depuis la mer et sera appuyée par le système de
défense anti-missile Patriot de manière à épargner
aux troupes états-uniennes une opération terrestre et réduire
l’efficacité d’une riposte en provenance de « n’importe
quel pays du Golfe persique ». « N’importe quel pays »
fait essentiellement référence à l’Iran. La source
ayant communiqué l’information au journal koweïtien croit
que les forces états-uniennes en Irak ainsi que les autres pays de la
région seront protégés de toute frappe de missile iranien
par les Patriot aux frontières.
Ainsi, les préparatifs d’une nouvelle agression
états-unienne ont atteint leur phase de finalisation [1]..
Les exécutions de Saddam Hussein et ses associés les plus proches
constituaient une partie de ces préparatifs. Leur but était de
servir d’ « opération déguisée » pour
les efforts des stratèges états-uniens visant à envenimer
délibérément la situation à la fois en Iran et dans
tout le Moyen-Orient.
Évaluant les conséquences du geste, les
États-Unis ont effectivement ordonné la pendaison de l’ancien
dirigeant irakien et de ses associés. Cela démontre que les États-Unis
ont irréversiblement adopté le plan de partition de l’Irak
en trois pseudo-États : chiite, sunnite et kurde. Washington considère
qu' une situation de chaos contrôlé l’aidera à
dominer l’approvisionnement en pétrole du Golfe persique ainsi
que d’autres voies de transport de pétrole stratégiquement
importantes. L’aspect de plus important de la question est qu' une
zone de conflit sanglant sans fin sera créée au cœur du Moyen-Orient,
dans laquelle les pays voisins de l’Irak, à savoir l’Iran,
la Syrie et la Turquie (via le Kurdistan) seront inévitablement aspirés.
Cela résoudra le problème de la complète déstabilisation
de la région, une tâche de prime importance pour les États-Unis
et particulièrement Israël. La guerre en Irak n’était
qu' un pas dans une série d’étapes du processus de
déstabilisation régionale. Ce n’était qu' une
phase du processus les rapprochant d’un règlement de comptes avec
l’Iran et d’autres pays que les États-Unis ont ou vont stigmatiser.
Néanmoins il n’est pas aisé pour les États-Unis
de se lancer dans une campagne militaire de plus alors que l’Irak et l’Afghanistan
ne sont pas « pacifiés » (les États-Unis manquent
des ressources nécessaires pour le faire). En outre, les protestations
contre la politique des néo-conservateurs de Washington s’intensifient
partout dans le monde. En raison de tout ce qui précède, les États-Unis
feront usage de l’arme nucléaire contre l’Iran. Il s’agira
du second cas d’utilisation d’armes nucléaires au combat
après l’attaque états-unienne de 1945 contre le Japon.
Les cercles militaires et politiques israéliens font
ouvertement des déclarations sur la possibilité de frappes de
missiles nucléaires sur l’Iran depuis octobre 2006, quand l’idée
fut appuyée par George W. Bush. Actuellement on parle d’une «
nécessité » de frappes nucléaires. On pousse l’opinion
à croire que cette éventualité n’a rien de monstrueux
et que, bien au contraire, une frappe nucléaire est relativement faisable.
Il n’y a prétendument pas d’autre moyen d’« arrêter
» l’Iran.
Comment les autres puissances nucléaires vont-elles
réagir ? En ce qui concerne la Russie, dans le meilleur des cas son gouvernement
se contentera de condamner les frappes, et au pire il déclarera que «
même si les États-Unis ont fait une erreur, le pays-cible a lui-même
provoqué l’attaque » - comme lors des frappes qu' a
subi la Yougoslavie.
L’Europe réagira sensiblement de la même
façon. Cependant, il est possible que les protestations de la Chine et
d’autres pays vis-à-vis des attaques nucléaires soient plus
importantes. Dans tous les cas, il n’y aura pas de représailles
nucléaires à l’encontre des forces états-uniennes
- l’administration Bush en est totalement sûre. Les Nations Unies
n’ont aucun poids dans ce contexte géopolitique. En ne condamnant
pas l’attaque subie par la Yougoslavie, le Conseil de sécurité
des Nations Unies en a partagé la responsabilité. Cette institution
se contente d’adopter des résolutions que les Russes et les Français
interprètent comme étant une renonciation à l’usage
de la force, mais que les États-uniens et les Britanniques comprennent
comme un « cautionnement » de leurs agressions.
Quant à Israël, il sera de façon certaine
la cible des attaques de missiles iraniens ; il est alors possible que la résistance
du Hezbollah et des Palestiniens devienne plus active. Les Israéliens
se poseront en victimes, auront recours à des provocations pour justifier
une agression, souffriront de dommages raisonnables et les États-Unis
indignés finiront par déstabiliser l’Iran, en présentant
cela comme un châtiment bien mérité.
Certaines personnes semblent croire que les protestations
de l’opinion publique pourront arrêter les États-Unis. Je
ne pense pas. Il ne faut pas exagérer l’importance de ce facteur.
Par le passé, j’ai essayé pendant des heures de convaincre
Milosevic que l’OTAN se préparait à attaquer la Yougoslavie.
Pendant longtemps, il a refusé de l’envisager et me disait sans
cesse : « Lisez donc la Charte de l’ONU. Pour quelles raisons pourraient-ils
faire ça ? ». Mais ils l’ont fait. Ils ont délibérément
ignoré la législation internationale, et ils l’ont fait.
Et quel est le résultat ? Bien sûr, l’opinion publique a
été choquée et indignée. Mais les agresseurs ont
obtenu exactement ce qu' ils voulaient : Milosevic est mort, la Yougoslavie
est divisée et la Serbie est colonisée - les officiers de l’OTAN
ont établi leur quartier général dans les bureaux du ministère
de la Défense du pays.
Il est arrivé la même chose en Irak. L’opinion
publique a été choquée et indignée. Or ce qui intéresse
les États-Unis n’est pas l’ampleur de l’indignation,
mais l’étendue des revenus de leur complexe militaro-industriel.
L’information selon laquelle un deuxième porte-avions états-unien
devrait arriver dans le Golfe persique d’ici la fin du mois de janvier
permet de faire une analyse de l’évolution possible du conflit.
Pour attaquer l’Iran, les États-Unis emploieraient essentiellement
la force nucléaire aérienne. Des missiles de croisière
(transportés par des avions, des sous-marins et des bâtiments de
surface) et, éventuellement, des missiles balistiques seraient utilisés.
Selon toutes probabilités, les frappes nucléaires seraient suivies
de raids aériens lancés depuis les porte-avions, ainsi que d’autres
types d’attaques. L’Iran possède une armée puissante
et les forces US pourraient souffrir des pertes importantes. C’est inacceptable
pour G. W. Bush, qui se trouve déjà en position délicate.
Il n’est pas nécessaire de lancer une attaque terrestre pour détruire
les infrastructures en Iran, inverser le développement du pays, engendrer
la panique et créer un chaos politique, économique et militaire.
C’est un objectif réalisable d’abord par le nucléaire,
puis par les moyens de guerre conventionnels. Voilà l’utilité
du déploiement de la flotte de porte-avions à proximité
des côtes iraniennes. Quels sont les moyens de défense de l’Iran
? Ils sont considérables, mais restent largement inférieurs aux
forces . L’Iran possède 29 systèmes russes de missiles anti-aériens
« Tor ». Ils constituent incontestablement un renforcement de la
défense aérienne iranienne. Cependant, à l’heure
actuelle, l’Iran n’a aucune protection assurée contre les
raids aériens. La tactique sera la même que d’habitude :
d’abord, neutraliser la défense aérienne et les radars,
ensuite attaquer l‘armée de l’air dans le ciel, puis à
terre les installations de contrôle et les infrastructures, sans prendre
de risques. D’ici quelques semaines, nous verrons la machine de guerre
informationnelle se mettre en mouvement. L’opinion publique est déjà
sous pression. Nous allons assister à une sorte de montée hystérique
anti-iranienne, de nouvelles « fuites » dans les médias,
de la désinformation, etc. Simultanément, tout cela envoie un
message à l’opposition « pro-occidentale » et à
une fraction de l’élite de Mahmoud Ahmadinejad pour qu' ils
se préparent aux évènements à venir. Les États-Unis
tablent sur le fait qu' une attaque de l’Iran engendre inévitablement
le chaos dans le pays, pour ensuite corrompre quelques généraux
iraniens et dès lors créer une « cinquième colonne
» dans le pays. Bien entendu, l’Iran et l’Irak sont des pays
très différents. Cependant, si l’agresseur réussit
à provoquer un conflit entre les deux branches des forces armées
iraniennes, le Corps des gardes de la Révolution islamique et l’armée,
le pays se retrouvera en situation critique, particulièrement dans l’hypothèse
où , au tout début de la campagne, les États-Unis parviendraient
à atteindre le dirigeant iranien et à mener une frappe nucléaire,
ou une frappe conventionnelle massive par des moyens conventionnels, contre
l’état-major du pays. À ce jour, la probabilité d’une
attaque des États-Unis contre l’Iran est extrêmement élevée.
Que le Congrès états-unien donne l’autorisation pour cette
guerre reste un fait encore incertain. Le recours à une provocation pourrait
éliminer cet obstacle (une attaque sur Israël ou bien des cibles
états-uniennes dont les bases militaires). L’ampleur de la provocation
pourrait être de l’ordre des attentats du 11 septembre 2001 à
New-York. Alors le Congrès dira certainement « oui » au président
états-unien. Léonid Ivashov Le général Léonid
Ivashov est ancien chef d’état-major interarmes de la Fédération
de Russie. Il est aujourd’hui vice-président de l’Académie
russe de géopolitique et membre de la conférence axéis for Peace.
N.B. Cet article a été rédigé par le général
Leonid Ivashov avant la déposition au Congrès du secrétaire
états-unien à la Défense Robert Gates (6 février
2007) indiquant que Washington devait se préparer à une confrontation
militaire avec la Russie et avant le discours du président Vladimir V.
Poutine devant la Conférence sur la sécurité de Munich
(10 février 2007) affirmant que Moscou ne laisserait pas les États-Unis
décider seuls de la guerre ou de la paix [en Iran].
1 « Le général
Eberhart étudie un scénario de bombardement nucléaire de
l’Iran », Réseau Voltaire, 3 août 2005.
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