Un jour de plus : la guerre en Irak bat la 2ème
guerre mondiale
GABRIEL KOLKO
En Irak, le gouvernement étasunien est en train
d’assister à la faillite de toute sa politique sur le Moyen-Orient,
projet ambitieux pour lequel les Israéliens nourrissent un profond intérêt.
Il est aussi en train de réaliser les limites de son effrayante force
militaire. Bush et sa clique le dénient, mais les USA sont en train de
prendre la même route que celle qui les a conduits à la défaite
en Corée et au Vietnam, tandis que leur armée est de plus en plus
crispée et démoralisée. Ils ont fondé leur politique
extérieure sur des fantasmes et dangers inexistants, des rêves
et des désirs néo-cons, pour ne satisfaire que partiellement l’objectif
israélien, tout aussi illusoire, de transformer tout le Moyen-Orient
de façon à ce qu' il accepte Israël sous n’importe
quelle forme proposée par le volubile électorat israélien.
Depuis 1945, la politique extérieure Us a toujours été
lourde de dangers, mais ce groupe ci est le pire groupe d’incompétents
qui ait jamais détenu le pouvoir à Washington, qui a « choqué
et effrayé », pour employer l’expression de l’ex-secrétaire
à la défense Rumsfeld, lui-même. Pour les guerriers conservateurs
les choses sont désastreuses. Le président Bush a fait des
élections de mi-mandat un référendum sur la guerre ;
pour son parti ça a été une défaite. Désorientation,
dépression et sentiment de défaite ont laissé le président
et ses néo-cons entre deux eaux. Ils ont le pouvoir pour deux années
encore ; de ce fait nous sommes à la merci de personnes irresponsables
et dangereuses dont la rhétorique s’est révélée
une recette désastreuse en Afghanistan et en Irak – un cauchemar
surréaliste.
L’opinion publique étasunienne est en grande majorité
opposée à la guerre (55% des votants désapprouvent la guerre,
et presque tous énergiquement). L’électorat s’est
exprimé contre la guerre et de façon seulement périphérique
pour les Démocrates, dont la majeure partie avait vaguement laissé
entendre qu' ils allaient faire quelque chose à propos de la guerre
en Irak ; mais ils ont immédiatement fait marche arrière
sans la moindre honte. Les gens, et en particulier ceux qui se rendent aux urnes,
réagissent face à la réalité plus rapidement que
par le passé, ce qui signifie que les politiciens traditionnels doivent
les trahir très rapidement. Les gens posent des bornes que les politiciens
ambitieux ignorent, courant cependant un risque plus grand que jamais, parce
que la population a montré qu' elle était prête à
renvoyer chez eux les canailles : qu' ils soient Démocrates,
comme en 1952 et en 1968, ou Républicains, comme en ce mois de novembre.
Le public étasunien est plus que jamais opposé
à la guerre, et personne ne peut plus prévoir ce que l’avenir
réserve ; certains Républicains pourraient doubler des Démocrates
à gauche, en prenant des positions opposées à la guerre,
en conservant ainsi leurs propres positions de pouvoir, ou même en en
gagnant de nouvelles. Que la population soit par conséquent, préjudiciablement,
cyniquement ignorée – tout comme elle l’a été
immédiatement après les dernières élections étasuniennes-
est un fait aussi, mais son rôle ne peut pas être surévalué
ni ignoré. L’expérience montre que les politiciens, quelle
que soit la manière dont ils se définissent et sous toutes les
latitudes, ne sont jamais fiables. Jamais. Il est très difficile de prévoir
ce que fera cette administration, même si les désastres de ces
six dernières années ont rendu bien moins praticables certaines
options. En un certain sens, ceci est positif, même si le coût en
termes de vies sacrifiées et de richesses dilapidées a été
immense.
La commission bipartisane Baker-Hamilton est profondément
divisée et même si – avec un accent sur le « si »-
elle proposait une alternative claire, le président serait libre de l’ignorer.
Le Pentagone a formulé différentes alternatives, synthétisées
dans les formules go big, go long (toutes les deux requérant 5 à
10 ans pour « irakiser » la guerre), ou même go
home, mais lui aussi est divisé.
Une chose est certaine en tout cas : il n’a ni les
hommes, ni le matériel, ni la liberté politique pour commettre
les mêmes erreurs qui avaient été commises au Vietnam, comme
les deux premières hypothèses le nécessiteraient. En Irak
il n’y a pas d’options parce que les USA ont traumatisé le
pays tout entier en créant des problèmes immenses qu' ils
ne savent pas comment résoudre.
Personne ne peut prévoir ce que feront les USA en Irak
parce que l’administration Bush espère préserver l’illusion
du succès, et qu' elle est vraiment confuse sur la façon
de procéder. Elle a créé un chaos. Très probablement,
dans les années à venir, l’Irak restera une tragédie,
un pays brisé par la violence. Bush a causé un énorme désastre
en mettant en péril la vie de millions de personnes.
Beaucoup de choses dépendent du président, dont
la politique a totalement échoué en Irak, et échoue aussi
au Liban. Une des options est l’escalade : la guerre avec l’Iran.
Israël pourrait attaquer l’Iran pour entraîner avec lui les
Etats-Unis, mais, seul, il ne peut être qu' un catalyseur et il le
sait, au moins à certains niveaux. Et Ehud Olmert et Bush ont la même
approche de ces questions.
Quoi qu' il en soit, Bush n’a pas exclu la guerre
avec l’Iran, malgré les avertissements de nombreux représentants
de l’armée : un tel conflit aurait de vastes répercussions,
il durerait vraisemblablement des années et les Usa le perdraient après
avoir généré une Apocalypse. Même s’ils utilisaient
des armes nucléaires. Mais cette éventualité devient moins
probable parce que le Pentagone y est de plus en plus opposé, et, de
plus, il n’a pas de ressources suffisantes pour mener ce genre de guerre,
qui pourrait durer des années : à moins que ne soit utilisée
immédiatement une force nucléaire écrasante, chose improbable.
Une série de théoriciens néo-cons se sont
repentis de l’aventure irakienne, et aussi de certaines des prémisses
fondamentales qui l’avaient causée, mais ce serait une erreur de
donner pour escompté que cette administration ait un contact avec la
réalité, et qu' elle puisse tirer un enseignement de l’électorat
ou d’intellectuels néo-cons isolés. Il y a encore énormément
de gens à Washington qui poussent pour risquer le tout pour le tout,
et cultivent encore des illusions. Reste le facteur impondérable, l’attitude
semi religieuse de Bush : fantasme et illusions mêlées à
des désirs. La victoire est-elle au tournant si nous augmentons nos hommes ?
Les troupes irakiennes entraînées par les étasuniens pourront-elles
gagner sur des ennemis qui ont eu le dessus sur les forces armées Usa ?
Une telle stratégie avait été adoptée au Vietnam,
et elle échoua. De nombreux présidents décisivement plus
sages que Bush ont eu recours à des illusions de ce genre. Pourquoi pas
Bush, aussi ? La situation sur le terrain, beaucoup plus problématique
pour la puissance étasunienne qu' il n’était prévisible
il y a six ans, est un facteur crucial. Mais cela pourrait ne pas suffire à
empêcher un comportement irrationnel. Nous, tout simplement, nous ne pouvons
pas le savoir. C’est un moment périlleux pour le monde entier.
* Gabriel Kolko est historien canadien, auteur de « Le
livre noir de la guerre ».
Edition de dimanche 26 novembre 2006 de il manifesto http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/26-Novembre
-2006/art31.html
Traduit de la version italienne par Marie-Ange Patrizio
sommaire