Butin de guerre
Stefano Chiarini
« Glissant silencieusement dans la nuit du Golfe
persique, les Navy Seals – écrivait un reporter excité du
« New York Times » le 23 mars 2003-
ont occupé deux terminaux pétroliers off shore par une série
d’attaques hardies qui se sont terminées ce matin à l’aube,
et sont arrivés à s’imposer face aux armes légères
des gardes irakiens, obtenant une victoire sans effusion de sang dans la bataille
pour le vaste empire pétrolier de l’Irak ». Une victoire
qui fut immédiatement suivie, comme cela avait été programmée
en plans détaillés par le Pentagone, par l’occupation des
principales installations pétrolières du pays et celle, à
Bagdad, du très surveillé ministère du pétrole par
les troupes Usa alors que ces mêmes militaires étasuniens ouvraient
les portes des autres ministères ou en abattaient les murs pour inviter
la foule au saccage de l’histoire et de la mémoire de l’Irak.
Dans les prochains jours, voire prochaines heures, selon ce
qu' a écrit dimanche l’hebdomadaire britannique « The
Independent of Sunday », l’Administration Bush et le cartel des
principales compagnies pétrolières, seraient sur le point de mettre
définitivement la main sur le pétrole de ce que Paul Wolfowitz
avait défini comme « un pays qui navigue sur le pétrole
».Un pays considéré comme le troisième au monde pour
les réserves pétrolifères, après l’Arabie
Saoudite et l’Iran, mais qui, en réalité, pourrait être
le second, si ce n’est le premier. Officiellement l’Irak a des réserves
pour 115 milliards de barils de pétrole, 10% du total mondial, mais il
y aurait en fait dans son désert occidental des quantités de pétrole
encore inconnues. Il s’agit d’un pétrole d’excellente
qualité et très facile à extraire, au point que dans certaines
zones, les autorités ont du couler du ciment pour éviter que les
citoyens, en creusant, ne fassent jaillir du sol l’or noir. Un pétrole
qui coûte donc très peu à l’extraction.
Ce jardin des délices sera de nouveau là pour
les pétroliers, à plus de trente ans de la nationalisation du
secteur conduite par le président de l’époque, Hassan al
Bakr et son vice président Saddam Hussein, en 1972 : prêt à
être exploité dans des conditions très favorables par les
grandes multinationales comme Bp et Shell, britanniques, et les étasuniennes
Exxon et Chevron. Peut-être quelques miettes relatives aux gisements de
Nassiriya pourraient-elles être laissées par les compagnies Us
à l’Eni (Ente nazionale idrocarburi, la société nationale
des hydrocarbures, italienne, fondée par Enrico Mattei, NDT). Quelque
chose d’assez différent de ce qu' il aurait pu advenir si
Enrico Mattei n’avait pas été tué dans son avion
le 26 octobre 1962 aux environs de Linate (aéroport de Milan ; l’enquête
sur l’explosion en vol de l’avion personnel de Mattei, n’a
toujours pas déterminé les causes de cet accident, NDT). Quelques
jours plus tard le président de l’Eni aurait du mettre au point
un accord avec le gouvernement irakien d’Abel Karim Kassem qui avait annoncé
le 30 septembre la formation de la Société nationale irakienne
pour le pétrole, avec une production annuelle de 20 millions de tonnes
de pétrole. Un véritable défi aux sept sœurs.
La nouvelle loi qui sera discutée par le gouvernement
de Bagdad pro-étasunien et pro-iranien et approuvée par le petit
parlement issu des élections-farce de l’année dernière,
s’écarte totalement de celles qui sont appliquées normalement
dans la région et dans les pays en voie de développement : en
effet, sous un système appelé « Production-Sharing Agreements
», ou Psa, elle permet aux sociétés pétrolières
de s’approprier 75 % des profits tant qu' elles n’auront pas
récupéré les coûts supportés, pour ensuite
descendre à 20%, à supposer que ce jour arrive jamais. Le double
exactement de ce que le gouvernement de Saddam Hussein avait offert à
la veille de la seconde guerre du Golfe à Total, pour le développement
d’un grand gisement pétrolifère, et de ce qui est normalement
pratiqué. De plus, les contrats auront une durée trentenaire et
si quelque gouvernement irakien à venir voulait changer de perspective
et revendiquer la souveraineté de l’Irak sur son pétrole,
il y aurait toujours des marines pour le rappeler à ses devoirs.
C’est pour cela qu' il s’agit d’un accord
qui sera difficilement accepté par le peuple irakien. Les accords de
Psa laissent bien sûr la propriété des gisements au pays
hôte mais assignent une grande partie des profits aux sociétés
qui ont investi dans les infrastructures et dans la gestion des puits, des oléoducs
et des raffineries, et, de ce fait, la nouvelle loi irakienne serait la première
de ce type jamais adoptée par un grand pays producteur de pétrole
de la région. Sans compter qu' en cas de controverses entre l’Etat
irakien et les sociétés pétrolières, la souveraineté
irakienne n’aura aucune valeur et les parties en présence devront
avoir recours à un arbitrage international.
Les sociétés pétrolières, selon
le document obtenu par The Independent, pourront en outre exporter librement
leurs profits sans aucune condition, et elles ne seront soumises à aucune
taxéè en le faisant. L’Arabie Saoudite aussi bien que l’Iran –
de même que l’Irak de 1972 à maintenant- contrôlent
par contre tous les deux leur secteur avec des sociétés d’état
dans lesquelles il n’y a aucune place pour des sociétés
étrangères, comme c’est le cas pour la plus grande partie
des pays qui adhèrent à l’OPEP. La loi constituerait donc
une sorte de dangereux précédent pour l’Organisation des
pays exportateurs, depuis toujours dans le collimateur des « néo-cons
», pour lesquels la guerre et l’occupation de l’Irak auraient
du servir à la désagrégation des pays arabes : l’Irak
d’abord, la Syrie ensuite, et pour finir l’Arabie saoudite, et les
pays musulmans comme l’Iran, pour tout à la fois laisser le champ
libre à Israël et asséner un coup définitif à
l’OPEP.
Et la constitution provisoire de l’Irak, écrite
par les experts étasuniens, ouvre justement la voie à la division
du pays en trois « patries ethniques », une kurde, une sunnite et
la troisième chiite, qui gèreront de façon autonome l’exploitation
des nouveaux puits pétroliers, en ne laissant au gouvernement central
qu' un pourcentage de revenus dérivant des gisements déjà
en exploitation. Cela signifiera non seulement un conflit permanent entre les
trois entités, chacune pouvant être facilement rançonnée
par les multinationales, mais constituera aussi la fin d’un rôle
prééminent du gouvernement central et donc de toute forme de «
welfare » et d’intervention de l’état dans l’économie.
La loi qui légalise la rapine des ressources irakiennes
n’a pas été rédigée, comme on pourrait le
penser, par le gouvernement irakien mais par BearingPoint, une société
étasunienne soudoyée par le gouvernement étasunien pour
« conseiller » les autorités de Bagdad, ayant son propre
représentant fixe auprès de l’ambassade Us dans la «
zone verte ». En juin 2003, BearingPoint a eu un contrat pour «
faciliter la reprise économique irakienne » auquel se sont ajoutés
une série de tâches assez délicates : rédiger le
budget irakien, réécrire la loi sur les investissements, organiser
la collecte des impôts, rédiger les nouvelles règles libérales
pour le commerce et les douanes, privatiser les entreprises irakiennes, mettre
fin à la distribution des denrées alimentaires à prix politiques,
créer une nouvelle monnaie et fixer les taux de change. Une fois perfectionnée,
la loi sur le pétrole a été présentée au
gouvernement étasunien, aux sociétés pétrolières
et, en septembre, au Fond Monétaire International. De nombreux députés
irakiens l’ignorent encore.
Edition de mardi 9 janvier 2007 de il manifesto http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/09-Gennaio-207/art32.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
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