Bagdad et Ankara en lutte pour le pétrole de Kirkouk
La visite de Monsieur Nouri Al-Maliki, premier ministre
iraquien en Turquie qui a eu lieu le huit d’Août dans le but d’apaiser
la tension entre les deux pays, n’a pas pu répondre, malgré
les apparences, aux attentes et aux exigences des autorités turques qui
souhaitaient une sécurisation totale de leurs frontières avec
celles du nord de l’Irak par le biais d’un délogement des
4000 combattants du PKK, qui selon Ankara lancent des attaques contre son territoire
à partir de l’Iraq.
Monsieur Maliki, qui se trouvait déjà en position, politiquement
fragile, du fait que son cabinet ministériel soit abandonné par
deux groupes importants à l’assemblée nationale, n’a
pas pu signer comme Ankara le souhaitait « un accord exécutif de
sécurité », mais il l’a remplacé par un «
mémorandum d’entente » qui p e r m e t d’accélérer
les démarches aboutissant à la signature d’un « pacte
d’anti-terrorisme ». A sa décharge, Monsieur Al-Maliki doit
tenir compte du puissant gouvernement régional du Kurdistan d’Irak,
qui n’a pas la même lecture que celle des autorités turques
concernant le PKK. Monsieur Jamal Abdullah, le porte parole de ce gouvernement
considère que la question du PKK est avant tout, une extension de la
vie politique turque. Pour le ministre des Peshmergas kurdes, Monsieur Sheikh
Ja’afar la question du PKK doit être résolue par la voie
politique et ses forces ne participeront dans une aucune opération contre
ces combattants. Quant à Abdul Rahman Jadarji, membre de la commission
diplomatique du PKK, il a demandé au premier ministre irakien de revoir
ses déclarations à Ankara notamment en ce qui concerne le mémorandum
signé quelques jours plutôt. En bref, et par ordre alphabétique,
américains, kurdes, turques, on demande à Monsieur Al-Maliki l’impossible.
Certes, avec cette entente avec la Turquie la guerre a été repoussée,
mais pour combien du temps ? Actuellement, des sites kurdes nous rapportent
que les territoires frontaliers subissent des bombardements sporadiques de l’artillerie
turque et iranienne pour plusieurs heures presque quotidiennement. Voici un
rappel global de la situation dans cette région.
Un peu d’histoire
Le territoire du Kurdistan, selon le peuple kurde, s’étend sur
plusieurs états dont la situation géopolitique complexe rend difficile
la mise en œuvre de son indépendance.
L’idée d’un Kurdistan autonome ne viendra qu' au début
du dix neuvième siècle, quand l’empire Ottoman cherche à
mettre fin à l’autonomie des principautés kurdes. Malgré
de nombreuses révoltes tout au long du dix neuvième siècle,
le territoire kurde (à l’exception des principautés en pays
perse) passera sous la domination Ottomane et les soulèvements seront
durement réprimés. C’est à la fin du dix neuvième
siècle que, sous la direction d’intellectuels naissent des associations
pour défendre la culture kurde et préparer l’avenir du peuple
kurde.
Néanmoins, les kurdes auraient pu profiter de la défaite des Ottomans
après la première guerre mondiale. En effet, en 1918 à
la conférence de Versailles, une délégation d’indépendantistes
présenta les revendications de la nation kurde. Cette action contribua
à la prise en compte par la communauté internationale du souhait
de la population kurde.
Ainsi, le premier traité de paix mettant fin à la Grande guerre
en ce qui concerne la Turquie avait été signé à
Sèvres le 10 août 1920. Il préconisa la création
d’ « un territoire autonome des kurdes » englobant le sud-est
de l’Anatolie (section III- articles 62-64). Cette promesse est demeurée
lettre morte, car d’une part, le rapport de force sur le terrain ne permettait
pas de la réaliser, et, d’autre part, l’aile traditionnelle
des kurdes dominée par les chefs religieux était hostile à
l’occupation de l’Anatolie par des troupes étrangères
chrétiennes. Ces chefs apportèrent alors leur soutien au leader
nationaliste turc Mustapha Kamal Atatûrk. La délégation
turque parla au nom des nations soeurs turques et kurdes. Ce traité n’est
jamais entré en vigueur, refusé par le mouvement mené par
Mustapha Kamal. La victoire de ce dernier, qui envoya d’ailleurs des kurdes
dans ses premiers bataillons (1919-1922), sur les forces d’occupation
étrangère à la fin de la Guerre d’Indépendance,
aboutira à une conférence internationale qui s’est tenue
à Lausanne pour remplacer le traité de Sèvres devenu caduque.
Le traité de Lausanne signé le 24 juillet 1923, entre la Turquie
d’une part et l’Empire Britannique, la France, l’Italie, le
Japon, la Grèce, la Roumanie, le Royaume des Serbes, Croates et slovènes
d’autre part, balaya tous les espoirs des kurdes. Les Alliés renoncèrent
à demander l’autonomie du Kudistan turc.
Actuellement le seul territoire où la population kurde bénéficie
d’une certaine autonomie est le territoire kurde d’Irak. Et ceci,
depuis le milieu des années 90.
La Province du « Kudistan d’Irak
Le département du Kurdistan d’Irak se situe dans le nord du pays,
il s’étale sur quatre vingt trois milles kilomètres carrés,
ce qui représente 19 % de la superficie de l’état iraquien,
une surface comparable à celle de l’Autriche. La population du
Kurdistan iraquien est d’environ 5,6 millions de personnes, soit 28% de
la population de l’Irak.
Cette province qui bénéficie déjà d’une certaine
autonomie, l’invasion de l’Irak en 2003, par les forces américaines
et la chute du régime du Saddam HUSSEIN, n’a fait qu' accélérer
le mouvement. Elle est dotée, d’un parlement local, d’une
force de sécurité spéciale appelée « les peshmergas
», et d’un aéroport. Les autorités locales n’hésitent
pas à faire appel aux sociétés pétrolières
internationales afin de réaliser des travaux d’exploration et de
recherche de l’or noir. Les Kurdes ont accueillis favorablement l’arrivée
des Américains et ils sont catégoriquement contre un départ
immédiat de ces forces. Le gouvernement central à Bagdad surveille
attentivement - mais à distance - l’évolution de la situation
politique, économique et militaire dans cette Province et ses rapports
avec ses voisins et notamment avec la Turquie, qui de son côté
n’apprécie guère cette autonomie. Bagdad, s’inquiète
non seulement de « la grande autonomie » de ce département,
car elle craint que cette situation ne fasse tâche d’huile sur les
autres provinces. Par ailleurs, de temps en temps, des voix se soulèvent
pour réclamer une communauté des villes dans le sud. Pour le moment,
ces revendications demeurent limitées. Le gouvernement de Monsieur Maliki,
en fait, ne dispose d’aucun moyen ou d’aucune marge de liberté
pour exercer quoi que ce soit sur cette province. Le drapeau iraquien, ne flotte
sur aucun bâtiment officiel en territoire de Kurdistan d’Iraq. La
population le considère comme le dernier symbole d’un régime
répressif, souvenirs de douleurs et de souffrances.
Bruit de bottes sur les frontières nord
Depuis Avril dernier, des bruits de bottes se font entendre entre le Kurdistan
de l’Irak et la Turquie.
En fait, les autorités turques ont exprimé via leur ambassadeur
aux états Unis Monsieur Nabi Sensoy leur vive inquiétude et ont
accusé des responsables Kurdo-Iraquiens (le groupe de Monsieur Massoud
BARZANI), d’abriter, d’entraîner, de fournir : armes, explosifs,
et logistique aux combattants du Parti des travailleur Kurdes (PKK).. Selon
Monsieur Sensoy, il y a 4000 combattants basés sur les frontières
qui mènent des attaques à l’intérieur du territoire
turc. L’ambassadeur déplore surtout la perte de 70 soldats depuis
Avril. Les pertes humaines des combattants du PKK sont de l’ordre de 110
vies.
De leur côté, des personnalités kurdes ont nié les
allégations turques. Récemment, le premier ministre de cette province
Monsieur Nechirvan BARZANI, comme Monsieur Nawzad Hadi Mawlood, le Gouverneur
d’Irbil, ont démenti tout soutien au PKK, en plus ce dernier a
déclaré que « ni nous, les kurdes et ni eux, les turcs nous
ne pouvons pas expulser les combattants du PKK quand ils sont dans les montagnes
frontalières ».
Mobilisation et concentration des troupes
Depuis quelques semaines cette tension a pris une tournure
grave, des informations rapportées par des agences de presse internationales
ont fait état d’une mobilisation massive de l’armée
turque sur les frontières de l’Irak (25.000 à 300.000 soldats)
avec les matériels nécessaires pour effectuer une incursion en
territoire kurde d’Irak.
Ces informations ont été confirmées officiellement plus
tard par Hoshyar Zebari ministre des affaires étrangères à
Bagdad(gouvernement central).
Menaces de guerre ou campagne électorale
A l’approche des élections législatives qui ont eu lieu
le 22 de ce mois ci, les menaces de guerre émises par les hauts responsables
turcs civils ou militaires au sujet d’une éventuelle incursion
dans le nord de l’Irak dans le but de déloger le PKK n’ont
cessé de se succéder. Monsieur Recep Tayyip Erdogan, Premier Ministre
turc affirme : « qu' il n’y a pas un plan immédiat qui
autorise les troupes à traverser les frontières » ; puis
il a ajouté : « une fois que les élections législatives
seront finies, notre pays décidera », et pour en finir il a refusé
d’écarter ou d’exclure l’invasion du nord de l’Irak
Cependant, le lendemain même, Abdallah Gul, Ministre des affaires étrangères
(présidentiable), déclare que le gouvernement et l’armée
se sont mis d’accord sur un plan détaillé afin de franchir
les frontières et poursuivre les combattants du Pkk. Et Monsieur Gul
a ajouté sur la chaîne privé turque NTV : « nous avons
décidé comment agir, nous savons comment et quand le faire ».
après les élections ?
D’une manière générale les
journaux européens ont considéré que le succès de
Monsieur Erdogan comme un rejet contre les militaires, les plus audacieux parmi
eux, sont naturellement les médias grecques ayant analysé les
résultats comme « un gifle contre l’armée »
et d’ajouter que le premier ministre « a désarmé les
Généraux ». D’autres journaux étrangers surplace
trouvèrent dans ce succès un fait qui permet de reculer les hostilités
d’un pas en arrière et un plus grand espoir de paix avec les kurdes.
Quant à Monsieur Alper Gormus, ancien éditeur de l’hebdomadaire
Turc Nokta, est le plus optimiste, il pense que l’AKP( le parti du premier
ministre au pouvoir), et l’administration civile a pris un avantage contre
l’armée. Cette dernière, ne peut plus exercer ou forcer
le Premier Ministre à donner son accord pour une incursion dans le nord,
elle est très affaiblie et cela signifie que la guerre n’est pas
pour maintenant.
Et la position des Etats-Unis ? Irakgate ou PKKgate ?
En effet, il est tout à fait légitime
de s’interroger sur l’attitude des responsables des Etats Unis dans
tout cela ! La réponse n’est pas simple. Il faut avouer qu' ils
se sont mis en situation plus que délicate et ils se placent volontairement
ou involontairement en face d’une équation difficile. D’une
part, la Turquie fait partie de l’OTAN, et c’est une très
ancienne alliée, d’autre part, les kurdes irakiens ont soutenu
les forces américaines pendant la guerre contre Saddam HUSSEIN en 2003.
Mais, le plus grave encore vient des informations selon lesquelles l’armée
américaine a livré des armes au PKK. Ces informations ont circulé
pendant quelques jours sans aucune réaction ni du côté américain
ni turc. Mais, le 16 du mois précédent, monsieur Gul a fait une
déclaration rare et exceptionnelle compte tenu des relations historiques
entre les deux pays, « si nous constatons que les rumeurs selon lesquelles
les américains ont aidé ou livré des armes au PKK sont
vraies, cela signifiera la destruction des relations entre les deux pays ».
La réaction américaine a été bizarrement exprimée
par monsieur Gul lui même, qui lors d’une conférence de presse
à la marge de la campagnie électorale : « Les investigations
internes lancées par le Département de la Défense Américaine
montre que certains soldats ont été entraînés dans
une affaire de corruption et que des mesures administratives ont été
prises contre eux. Nous sommes actuellement en contact avec les autorités
iraquiennes afin de déterminer comment les armes sont arrivées
entre les mains du PKK. Dans un geste d’apaisement, une délégation
de sept officiers, présidé par le Conseiller Général
du Département de la Défense du Pentagone américain, Monsieur
William J. Haynes est arrivée à Ankara, pour une journée
de discussion avec des hauts responsables gouvernementaux et militaires afin
d’élucider ce problème. Aucune information n’a filtrée
de ces rencontres, mais nous avons appris quelques jours plus tard que le Gouvernement
des Etats-Unis n’est pas en mesure de savoir où ont disparu 190.000
pièces d’arme de septembre 2004 à novembre 2005. IL s’agit
de 110.000 mitraillettes d’assaut AK-47, de 80.000 pistolets, mais aussi
de 135.000 gilets de protection anti-balles et de 115.000 casques envoyée
en Iraq ( Accountability Americain Office. Bien que les officiels américains
ne soient pas contents des accusations turques, une nouvelle délégation
a été dépêchée dans la région, mais
cette fois elle est présidée par Thomas V.Fuentes, le chef de
FBI pour les opérations internationales afin de compléter les
investigations sur l’arrivée d’une partie de ces armes entre
les mains des combattants du PKK. Il est fort intéressant de souligner
que les responsables états uniens, civils ou militaires basés
à Bagdad ou à Washington, ne se privent pas d’accuser systématiquement
les pays voisins de l’Irak comme responsables du trafic d’arme et
d’en alimenter les diffèrents milices iraquien. Il est peut-être
très tôt de parler d’une affaire, Irakgate ou PKKgate..
En tout état de cause, si les menaces verbales actuelles se transforment
en vrai conflit, il ne faut pas se faire d’illusions, les responsables
américains seront fidèles à leur propre intérêt.
Monsieur Mahmoud Othman, député au parlement iraquien et membre
de la coalition des kurdes est conscient, serein et clair : « si la Turquie
lance une attaque contre le nord de l’Irak, les Etats-Unis seront au côté
des turcs au détriment des kurdes ». Selon lui, « Les deux
pays sont alliés depuis longtemps, alors que l’expérience
des kurdes avec les américains a été plutôt négative
dans le passé ».
Le risque et la crainte !
Bien que les déclarations des différents responsables
de la majorité actuelle au pouvoir soient en partie en riposte contre
l’opposition nationaliste qui les accuse de mollesse vis-à-vis
du Pkk, et plus particulièrement quelques jours avant les élections
de dimanche dernier, et en dépit d’un certain apaisement constaté
après la victoire des élections législatives du parti de
Monsieur Erdogan, Justice et Développement (AKP), le rassemblement de
250.000 soldats sur les frontières nord de l’Irak contre 4000 combattants
du PKK pose beaucoup de questions, et demeure inquiétant dans une région
très sensible et rapidement explosive.
La plus grande crainte serait, que sous prétexte de suivre les combattants
du PKK dans le Kurdistan d’Irak et plus tard, sous prétexte de
protéger la minorité Turkmène irakienne qui vie aussi dans
le nord de l’Iraq, l’armée turque aille plus loin et s’installe
durablement à Kirkouk, ville très, très riche en pétrole,
et que, d’ailleurs, les kurdes souhaitent intégrer dans leur province.
D’où, la nécessité urgente d’une initiative
forte afin d’empêcher que la situation ne devienne incontrôlable.
On est averti.
Fayez.Nahabieh. / Le 28.08.2007.
sommaire