L’Opus Dei 

C’est sous le régime du général Franco, qu’Escriva de Balaguer met en place l’Opus Dei. Le directeur de conscience de Franco entreprend grâce à son organisation de sélectionner et de former les élites de la dictature jusqu’à contrôler l’essentiel du pouvoir. Installé par la suite à Rome, il s’emploie à étendre son pouvoir en Amérique latine. L’Opus Dei y opère une gigantesque reprise en main des prêtres latino-américains, coupables de partager les analyses marxistes et de s’opposer aux dictatures catholiques.




25 JANVIER 1995

Thème
La croisade de l’Opus Dei

Béatification d’Escriva de Balaguer le 17 mai 1992

Officiellement l’Opus Dei n’est qu’une association catholique internationale. Son activité se bornerait au conseil spirituel de ses 79.303 adhérents (soit 1.506 prêtres, 352 séminaristes et 77.445 laïcs). Des membres qu’elle a choisis dans le gotha latino-américain et européen. Parmi eux des patrons de multinationales, des magnats de la presse et de la finance, des chefs d’Etat et de gouvernement. De chacun, elle exige une austère discipline et une complète obéissance. Aussi, bien qu’elle feigne d’ignorer leurs activités politiques "personnelles", elle peut à travers eux imposer ses valeurs aux peuples.

Cette secte fut fondée le 2 octobre 1928 par un jeune prêtre espagnol, d’origine modeste, l’abbé Escriva. Il s’agissait pour les adeptes de parvenir à la sainteté en participant à l’instauration d’un régime théocratique dont Escriva était le prophète. La guerre civile leur apparue comme l’occasion inespérée d’établir l’Etat catholique de leurs rêves. L’abbé Escriva devint directeur de conscience du général Franco. Ensemble, ils réhabilitèrent le vieux principe "Cujus regio, ejus religio" (tel gouvernement dans un Etat, telle religion dans cet Etat).

L’Opus Dei entreprit de sélectionner et de former les élites de la dictature jusqu’à contrôler l’essentiel du pouvoir. Ainsi, dans les années soixante-dix, le gouvernement de l’amiral Carero Blanco fut qualifié de "monocolor" : sur dix-neuf ministres, douze étaient opusiens. Bien qu’il n’exerça aucune responsabilité directe dans le régime, le "padre" ne cessa de conseiller le généralissime. C’est lui qui suggéra le rétablissement de la monarchie de droit de divin, dont Franco fut proclamé régent à vie.

L’abbé Escriva envisagea de se faire proclamer régent lorsque surviendrait le décès du Caudillo. C’est pourquoi il se fit anoblir en 1968 sous le titre de Mgr Escriva de Balaguer, marquis de Peralta. Mais ce plan fut modifié puisque l’année suivante Franco désigna le prince Juan Carlos Ier de Bourbon pour lui succéder. Tout compte fait Mgr de Balaguer avait d’autres ambitions. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il s’était installé à Rome et s’employait à étendre son pouvoir en Amérique latine. Des oratoires de l’Opus avaient été installés dans les ambassades espagnoles qui facilitèrent ses contacts avec les élites locales. Il prodigua ses conseils spirituels à tous ceux qui ambitionnaient de lutter contre le communisme et d’affermir la foi catholique dans leur pays. Ainsi se précipita-t-il à Santiago du Chili en 1974 pour célébrer une action de grâce avec trois de ses "fils spirituels", le général Pinochet, l’amiral Mérino et le général Leigh.

Monseigneur de Balaguer aurait voulu étendre son "OEuvre" en Europe mais il en fut partiellement empêché par l’isolement diplomatique de l’Espagne. Ses objectifs étaient de recréer une internationale anticommuniste (comparable à l’alliance Franco-Mussolini-Hitler pendant la guerre civile), de désenclaver l’Espagne franquiste et de favoriser la construction européenne.

En 1957, il fit créer à Madrid, par l’archiduc Otto von Habsburg-Lothringen, le Centre européen de documentation et d’information (CEDI) et, grâce à deux autres de ses "fils spirituels", Alcide de Gasperi et Robert Schuman, il pesa sur la rédaction du traité de Rome portant création de la Communauté européenne. Comme le général Franco, le "padre" décéda en 1975. C’est à tort que l’on a cru que l’Opus Dei disparaîtrait en enfer avec eux. L’essor reprit trois ans plus tard, en 1978. Profitant des intrigues qui paralysaient le Sacré Collège, l’Opus Dei réussit à convaincre les cardinaux d’élire l’un de ses prédicateurs comme pape : l’archevêque de Cracovie, Karol Wojtyla. Dès lors, la secte allait pouvoir détourner à son profit l’appareil diplomatique de l’Etat du Vatican et l’organisation religieuse de l’Eglise catholique.

Jean-Paul II constitua presque exclusivement son cabinet d’opusiens et s’employa à casser toute résistance au sein de l’Eglise. Pour cela il fit isoler - "pour raison de santé" - le supérieur des jésuites, Pedro Aruppe, et nommer un administrateur provisoire de leur ordre en la personne d’un opusien, le père Dezza. Mais il n’osa pas dissoudre la compagnie de Jésus. Il opéra une gigantesque reprise en main des prêtres latino-américains, coupables de partager les analyses marxistes et de s’opposer aux dictatures catholiques.

Deux hommes servirent avec zèle sa politique : Mgr Josef Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et Mgr Alfonso Lopez Trujillo, président du Conseil pontifical pour la famille. Un centre de surveillance fut installé à Bogota, doté d’un ordinateur de capacité stratégique, dont les terminaux sont installés à la cité du Vatican. On y a fiché toutes les activités politiques des religieux latino-américains. C’est à partir de ces renseignements que furent notamment assassinés par des "escadrons de la mort" le père Ignacio Ellacuria ou Mgr Oscar Romero. Enfin, Jean-Paul II promulgua un nouveau code de droit canon, dont l’artisan principal fut un prélat de l’Opus, Mgr Julian Herranz-Casado, devenu depuis président du Conseil pontifical pour la révision des textes législatifs.

Par ailleurs, il dota l’Oeuvre d’un statut sur mesure, celui de "prélature apostolique". Désormais les membres de l’Opus Dei échappent à l’autorité des évêques sur le territoire desquels ils résident. Ils n’obéissent qu’à leur prélat et celui-ci au pape. Leur organisation est devenue un instrument de contrôle des Eglises locales au service du pouvoir temporel du Vatican. Un destin qui n’est pas sans rappeler celui d’une autre secte qui régna par la terreur religieuse sur l’Espagne du XVIe siècle avant d’imposer son fanatisme dans l’Eglise universelle : l’Inquisition.

Enfin, le pape confia l’administration de la "Congrégation pour la cause des saints" à un opusien, Rafaello Cortesini. Jean-Paul II engagea un procès canonique de l’abbé Escriva de Balaguer et proclama sa béatification le jour de son propre anniversaire, le 17 mai 1992. Cette mascarade souleva de vives polémiques dans l’Eglise romaine. Tous les témoignages opposés à la "cause du saint" furent rejetés sans être entendus, tandis que six mille lettres postulatoires furent jointes au dossier. Elles émanaient notamment de soixante-neuf cardinaux, de deux cent quarante et un archevêques, de neuf cent quatre-vingt-sept évêques et de nombreux chefs d’Etat et de gouvernement.

Thierry Meyssan
Journaliste et écrivain, président du Réseau Voltaire.

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LE MONDE DIPLOMATIQUE -          (article)                         septembre 1995       Pages 1, 22 et 23

 


GARDE BLANCHE DU VATICAN
La troublante ascension de l’Opus Dei


 

Si l’intégrisme musulman fait la « une » des journaux, les activités de la droite chrétienne s’effectuent souvent dans l’ombre, comme en témoigne la troublante ascension de l’Opus Dei. Milice religieuse au comportement de secte, héritière d’un anticommunisme militant, puissance à la fois économique et politique, l’OEuvre exerce une influence multiforme sur l’église, mais aussi sur les pouvoirs temporels, qu’elle cherche à infiltrer. On retrouve ses proches jusque dans le gouvernement de M. Alain Juppé. Mais cette garde blanche du Vatican, très liée au pape Jean Paul II dont elle a permis l’élection, suscite aussi des résistances. Au nom de leur foi, bien des chrétiens rejettent la « dictature spirituelle » de l’OEuvre et craignent que cette « arme du pape » ne soit à double tranchant et ne se retourne un jour contre lui.

Par François Normand
journaliste

   

Par une politique de nominations épiscopales qui ne tient guère compte des souhaits exprimés par les Eglises locales, Jean Paul II mène son entreprise de restauration, utilisant tous les moyens à sa disposition : doctrinal, disciplinaire et surtout autoritaire, avec l’aide d’un certain nombre de mouvements « musclés » traditionalistes, souvent sectaires et politiquement à droite, tout à sa dévotion. Ils font partie du « renouveau charismatique » ou ont pour noms : Comunione e Liberazione, organisation italienne née dans les années 70 ; les Focolari, mouvement lancé en 1943 à Trente ; le Néocatéchuménat, fondé à Madrid en 1964 ; les Légionnaires du Christ, groupe ultra-secret constitué au Mexique dans les années 40, et surtout l’Opus Dei (l’« OEuvre de Dieu »). Ce dernier mouvement fut créé en 1928 par le Père Escriva de Balaguer. L’Opus Dei, qui jouit de l’appui inconditionnel de l’évêque de Rome, s’infiltre dans tous les échelons de la hiérarchie catholique. Est-il l’arme secrète du pape dans la reconquista catholique ou Jean Paul II est-il le prisonnier inconscient de cette « mafia blanche » dans sa propre conquête du pouvoir ? Le président Jacques Chirac a-t-il nommé des membres de l’Opus Dei au gouvernement de M. Alain Juppé ? La question peut paraître saugrenue, sachant le peu d’attrait du fondateur du RPR pour la « chose cléricale », mais la composition du gouvernement devait satisfaire les nombreuses composantes de la droite française qui avaient soutenu la candidature du maire de Paris, dont le puissant lobby catholique conservateur. Si on a souligné la proportion relativement élevée de femmes dans ce cabinet _ douze ministres ou secrétaires d’état sur quarante-deux membres _, on a moins relevé la coloration bien-pensante de ces ministres. Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, mère de cinq enfants et ancienne sage-femme, se définit comme « chrétienne et pour l’éducation à la vie » ; Mme Elisabeth Dufourcq, secrétaire d’état à la recherche, est l’auteur d’une thèse sur les congrégations religieuses féminines, dont elle a tiré un livre intitulé Les Aventurières de Dieu ; Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’état aux transports, est la fille de l’un des pères fondateurs du Mouvement républicain populaire (MRP), parti catholique, et militante elle-même de leur héritier : le Centre des démocrates sociaux (CDS) ; et Mme Françoise de Veyrinas (CDS), secrétaire d’état aux quartiers en difficulté, est issue d’une famille toulousaine catholique militante. On peut s’interroger sur l’entrée au gouvernement et dans les cabinets de deux personnes « proches » sinon membres de l’Opus Dei : M. Hervé Gaymard, secrétaire d’état aux finances, et son épouse, Mme Clara Lejeune-Gaymard, directeur de cabinet de Mme Colette Codaccioni, fille du professeur Jérôme Lejeune (décédé en 1994), fondateur du mouvement antiavortement Laissez-les vivre, nommé par Jean Paul II au Conseil pontifical pour la famille et membre de l’Opus Dei. Un autre gendre du professeur Lejeune, le philosophe Jean-Marie Meyer, ne cache pas son appartenance à l’OEuvre. Il est également membre du Conseil pontifical de la famille. Selon la revue catholique Golias, « la fille et le gendre du professeur Lejeune sont à l’Opus Dei », et l’affirmation est reprise par la revue Maintenant : « Jacques Chirac a placé l’opusien Hervé Gaymard [député de la Savoie] dans son équipe de campagne présidentielle. » Qu’il soit impossible de vérifier n’est guère surprenant : le mouvement cultive le secret depuis ses origines. Dans les constitutions (secrètes) rédigées en 1950, l’article 191 précise : « Que les membres numéraires et surnuméraires sachent bien qu’ils devront toujours observer un silence prudent quant aux noms des autres associés ; et qu’ils ne devront jamais révéler à quiconque qu’ils appartiennent eux-mêmes à l’Opus Dei. » Lorsque les constitutions furent connues, devant les critiques répétées, de nouveaux statuts furent rédigés en 1982 où on peut lire (article 89) : « [Les fidèles de la Prélature] ne participeront pas collectivement aux manifestations publiques de culte comme les processions, sans pour autant cacher qu’ils appartiennent à la Prélature. »

MALGRé cette apparente concession à la transparence, l’Opus continue de pratiquer le secret, d’utiliser prête-noms et sociétés écrans, sous prétexte d’« humilité collective » et d’« efficacité apostolique » ! « Parce qu’il se refuse à toute transparence, l’Opus Dei excite la curiosité et l’hostilité, suscitant même quelquefois des fantasmes de complot. » Nombreux sont ceux qui sont donnés comme membres ou sympathisants. M. Raymond Barre a témoigné au procès de béatification d’Escriva de Balaguer, attestant les « signes de sainteté » du fondateur de l’oeuvre. Dans l’entourage de M. Philippe de Villiers, on désigne Mme Christine Boutin, secrétaire national du CDS et député des Yvelines, le prince Michel Poniatowski, ancien ministre de l’intérieur, et Mme Françoise Seillier, coordinatrice des très réactionnaires associations familiales européennes. Dans le monde des affaires, on cite les noms de ceux qui ont donné des conférences au Centre Garnelles de l’Opus, à Paris : M. Claude Bébéar, le patron du groupe des assurances axéA, M. Michel Albert, patron des assurances AGF, M. Didier Pineau-Valencienne, PDG du groupe Schneider et M. Louis Schweitzer, patron de Renault. Plusieurs familles royales d’Europe auraient montré de la sympathie pour l’Opus : Otto de Habsbourg en fit la propagande, alors que l’archiduc Lorenz d’Autriche en serait membre. Le roi Juan Carlos de Bourbon fut élevé par des prêtres de l’oeuvre tandis que le secrétaire de sa femme Sofia appartenait au mouvement. Le président du Comité international olympique, M. Juan Antonio Samaranch-Torello, ancien ministre de Franco, en fait également partie. La discrétion, qui sert d’une part à faire du prosélytisme auprès des jeunes à l’insu de leurs familles (voir encadré page 23) et d’autre part à tisser une toile invisible dans tous les secteurs de la société, s’explique d’abord par le contexte où est né l’Opus Dei, dans l’Espagne franquiste. Fondée à Madrid en 1928 par un jeune prêtre, Josemaria Escriva de Balaguer, cette « OEuvre de Dieu » ressemble quant à son but _ sanctifier le travail de tous les jours _ aux mouvements d’Action catholique qui voient le jour en France et en Belgique à la même époque. Née dans les années précédant la guerre civile espagnole, l’Opus Dei reste fortement marquée par ce contexte, ce qui explique son attachement inconditionnel à l’appareil ecclésiastique préconciliaire, sa haine obsessionnelle du communisme et son goût immodéré pour la clandestinité. Bien qu’Escriva de Balaguer ait prétendu avoir « découvert » le principe de la sanctification de la vie quotidienne, l’idée est aussi vieille que l’évangile. Beaucoup de saints l’ont enseigné, comme la carmélite Thérèse de Lisieux. Très vite, l’inspiration première de l’Opus a été pervertie par la personnalité de son fondateur : petit-bourgeois, ambitieux, coléreux et vaniteux. Le secret de son succès ? Une fougue et un charisme personnel qui subjuguaient ses proches. La première perversion fut la « cléricalisation » de l’OEuvre. Elle se prétend toujours « laïque » mais ce sont les prêtres qui détiennent le vrai pouvoir et occupent tous les postes de commandement. Et les non-clercs, qui représentent 98 % des membres, sont présentés comme « des gens ordinaires, qui vivent dans le monde » mais ressemblent plus à des religieux, par leurs « voeux » (rebaptisés « liens contractuels ») de pauvreté, chasteté et obéissance, qu’à des laïcs. Beaucoup plus préoccupés de droit canon que de théologie, Escriva et ses disciples ont constamment manoeuvré pour faire reconnaître à l’Opus le statut juridique qui lui convient le mieux. D’abord défini comme « pieuse union » réunissant des laïcs, l’Opus Dei est devenu, en 1947, le premier « institut séculier » de l’Eglise, avant d’arracher à Jean Paul II _ bien plus favorable à l’OEuvre que ses prédécesseurs Jean XXIII et Paul VI _ le titre convoité de « prélature personnelle ».

Ce statut enviable, taillé sur mesure pour l’Opus, lui accorde les attributs d’un véritable diocèse sans la limitation territoriale. L’actuel prélat de l’Opus, Mgr Javier Echevarria Rodriguez, évêque titulaire de Cilibia, relève directement du pape, soustrait à l’autorité des évêques diocésains, malgré la fiction qui veut que les membres laïcs de l’Opus dépendent toujours juridiquement de leur évêque. La deuxième perversion fut politique. Le jeune Escriva de Balaguer vécut la guerre civile en Espagne comme une lutte entre catholiques et communistes, en qui il voyait l’incarnation du mal. Sa vision du monde en fut déformée et, tout comme Pie XII, il minimisa l’horreur du nazisme, et même la gravité de l’holocauste, y voyant un rempart « providentiel » contre le communisme. Vladimir Felzmann, ancien membre de l’Opus, rapporte une conversation avec Escriva qui en dit long. après avoir maintenu que le christianisme avait été sauvé du communisme par la prise de pouvoir du général Franco avec l’appui du chancelier Hitler, il ajouta : « Hitler contre les juifs, Hitler contre les slaves, c’était Hitler contre le communisme. » Cette indulgence pour le fascisme mène à l’engagement de l’Opus dans le franquisme. En fait, les sentiments de Franco envers Escriva, qu’il avait connu jeune curé, étaient ambigus. Dans sa biographie romancée de Franco, Manuel Vasquez Montalban fait dire au Caudillo : « Ayant fréquenté pendant près de vingt ans des membres de cette institution, j’ai pu constater la diversité de leurs choix concrets ; mais, à l’évidence, ils étaient tous marqués du sceau d’une secte élue pour sauver le monde depuis le haut de l’échelle. » Pour sortir de la crise économique apparue en 1956, Franco s’entoure progressivement de ministres appartenant à l’Opus. Lorsqu’il songe à rétablir la monarchie, en la personne de Don Juan de Bourbon, pour lui succéder, l’Opus Dei mise sur son fils, Juan Carlos, qui est entre les mains d’un précepteur de l’OEuvre, Anael Lopez Amo. En 1969, Franco proclame Juan Carlos héritier de la Couronne. Quelques mois plus tard, le triomphe de l’Opus est complet : sur 19 ministres du neuvième gouvernement du général Franco, 12 sont membres de l’Opus Dei. Le tournant politique de l’OEuvre est engagé. La troisième perversion fut théologique. D’abord, l’accent exclusif mis sur « la sanctification par le travail » favorise le culte de la réussite matérielle et le règne du capitalisme libéral. Ensuite, l’Opus est tombé dans le piège de l’intégrisme. Le théologien Urs von Balthasar (un des maîtres à penser de Jean Paul II qui ne saurait être soupçonné de progressisme) a décrit l’Opus Dei comme « la plus forte concentration intégriste dans l’église ».

« L’intégrisme, écrit-il, s’efforce pour commencer d’assurer le pouvoir politique et social de l’église, en recourant à tous les moyens visibles et cachés, publics et secrets. » Outre un manque de transparence, l’intégrisme se caractérise par la prétention de détenir la vérité. Or l’Opus est décrit dans la revue interne du mouvement, Cronica, comme « le reste saint, immaculé, de la véritable église », fondé pour « sauver l’Eglise et la papauté ». Quatre ans après la fin du Concile, le Père Escriva déplorait un temps d’erreur dans l’église : « Le mal vient du dedans et d’en haut. Il y a une réelle pourriture, et actuellement il semble que le Corps mystique du Christ soit un cadavre en décomposition, qui pue. » Mgr Escriva de Balaguer aurait sans doute mieux fait de s’occuper de ses brebis galeuses. Une série de scandales financiers  touchant des membres de l’Opus a révélé au grand public les activités de « la sainte mafia » ou « la franc-maçonnerie blanche », comme l’appelleraient désormais ses détracteurs. Car derrière la fiction d’une association purement spirituelle, « famille pauvre, riche seulement de ses enfants », gravite une nébuleuse de sociétés, de banques et de fondations, dirigées anonymement par des membres de l’Opus. Dans les années 70, alors qu’Escriva vitupérait l’église en décomposition, ses amis mettaient en place le réseau financier qui allait permettre à l’OEuvre de jongler avec des millions de dollars. La plus importante de ces institutions est la fondation Limmat, créée à Zurich en 1972, liée à des banques ou fondations en Espagne (la Fundacion General Mediterranea), en Allemagne (la Fondation Rhin-Danube ou encore l’Institut Lidenthal) et en Amérique latine (la Fundacion General Latinoamericana au Venezuela). Aujourd’hui, l’Opus est tout-puissant à Rome. Son ascension a été couronnée par la béatification de Mgr Escriva de Balaguer par Jean Paul II _ un ami de longue date de l’OEuvre _ en 1992, dix-sept ans seulement après sa mort, à l’issue d’un procès expéditif, où seuls les témoignages positifs ont été retenus. Déjà évêque de Cracovie, Mgr Karol Wojtyla venait à Rome à l’invitation de l’Opus, qui l’hébergeait au 73, viale Bruno-Bozzi, dans une belle résidence de la banlieue cossue de Rome. L’Opus a continué à se montrer généreux envers le pape polonais, par exemple en participant au financement de Solidarnosc. Le cardinal Wojtyla était le candidat de l’Opus à la papauté. C’est le cardinal König, archevêque de Vienne et proche de l’OEuvre, qui a joué un rôle déterminant dans son élection. Outre le changement de statut et la béatification d’Escriva _ deux décisions qui ont soulevé une vague de critiques à travers le monde _, le pape s’est entouré de membres de l’Opus. Parmi ses proches collaborateurs, on peut citer ses quatre chapelains, Joachim Pacheco, Klaus Becker, Fernando Ocariz et Felipe Rodriguez, son porte-parole laïque, numéraire de l’Opus, M. Joaquin Navarro Valls, et le cardinal Martinez Somalo, ancien substitut proche de l’Opus. M. Alberto Michelini, député national de l’ex-Démocratie chrétienne et membre de l’Opus, est conseiller du Vatican pour les questions de télévision et M. Gianmario Rovero, lui aussi membre, est conseiller financier. Les congrégations romaines ont également de nombreux membres « opusiens », et celle chargée de la cause des saints, qui a statué sur la béatification d’Escriva, en a trois, dont Rafaello Cortesini, chef de bureau. Le cardinal Palazzini, ami de l’OEuvre, en était le préfet lorsque la cause d’Escriva fut introduite en 1981, et Mgr Javier Echevarria Rodriguez, l’actuel prélat de l’Opus et successeur d’Escriva, était consultant ! Mieux, le pape a nommé de nombreux membres de l’Opus évêques en Amérique latine (sept au Pérou, quatre au Chili, deux en Equateur, un en Colombie, un au Venezuela, un en Argentine et un au Brésil). Le Pérou a été choisi comme tête de pont de l’offensive de l’Opus en Amérique latine à cause du rayonnement du théologien péruvien Gustavo Guttierez, « père » de la théologie de la libération, honnie par Escriva et ses disciples. Le président Alberto Fujimori, proche de l’Opus, est un ami de Mgr Luis Cipriani, archevêque d’Ayacucho, qui dirige l’Opus au Pérou. En Europe, le cas le plus contesté fut l’imposition de l’opusien Klaus Küng à Feldkirch, en Autriche. Mais la récente nomination de Mgr Fernando Saenz Lacalle comme archevêque de San Salvador a choqué encore davantage, puisque c’est l’ancien siège du martyr Mgr Oscar Romero, assassiné par l’extrême droite, alors que le nouvel évêque _ un Espagnol de surcroît ! _ appartient non seulement à l’Opus, mais était l’évêque des armées... A part l’Italie, l’Espagne et l’Amérique latine (y compris le Mexique) sont les régions où l’Opus Dei rencontre le plus grand succès. En Espagne, si l’OEuvre a dû rester dans l’ombre sur le plan politique depuis l’arrivée au pouvoir des socialistes, elle attend son heure. Avec le retour prochain plus que probable de la droite du Parti popular de José Maria Aznar, un ami de l’Opus, celui-ci aura quatre ou cinq ministres, dont les députés Juan Trillo, Loyola de Palacio et Isabel Tocino. En outre, l’armée est commandée par plusieurs numéraires. Bien que l’Opus ait trouvé plus de résistance dans les pays non latins, surtout anglo-saxéons, il s’implante progressivement aux états-Unis où l’on compte plus de 3 000 membres répartis dans soixante-quatre centres, la plupart situés près des campus universitaires. Plusieurs aumôniers universitaires se sont plaints des «  méthodes clandestines » utilisées par le mouvement, ainsi que de son « comportement sectaire » .

En Grande-Bretagne, l’Opus maintient un profil bas depuis les révélations, en 1981, de M. John Roche, ancien directeur du mouvement, aujourd’hui professeur à Oxford qui publia dans The Times un sévère réquisitoire contre l’Opus, documents secrets à l’appui. Qualifiant l’OEuvre d’« église dans l’église », et « psychologiquement dangereuse pour ses propres membres », il cite des articles de Cronica proclamant que « l’église catholique s’est écartée de son chemin originel, et que le devoir de l’Opus Dei est de s’étendre dans le monde par tous les moyens. Il n’existe pas d’autre voie de salut ». En France, le succès de l’Opus est plus mitigé. Malgré les sympathies de plusieurs hommes politiques, l’OEuvre n’a jamais réussi à trouver un parti à sa dévotion, même s’il existe de nombreux centres et associations qui lui sont liés. Mais la nouvelle stratégie de l’OEuvre est d’infiltrer les organisations internationales, comme les Nations unies, l’Unesco ou l’OCDE. Le Parlement européen à Strasbourg et la Commission à Bruxelles sont ses lieux de prédilection, et le nouveau président de la Commission, M. Jacques Santer, un ami. Des parlementaires européens, comme M. Ignacio Salafranca du Parti populaire espagnol, sont membres de l’Opus, tout comme le Portugais Fernando Perreau de Pininck, membre du cabinet du très libéral Britannique Leon Brittan. A Bruxelles, l’Opus agit clandestinement, comme à son habitude. Exemple : le bulletin hebdomadaire Europe Today, en espagnol, français et anglais, envoyé depuis Bruxelles dans le tiers-monde, et notamment en Amérique latine, où il est distribué gratuitement. Se présentant comme « une agence de presse internationale, spécialisée dans la santé, les problèmes de société et l’éducation », il défend les positions les plus réactionnaires de la droite catholique. Le numéro 124, du 2 août 1994, par exemple, titre à la une : « Les méthodes naturelles du contrôle des naissances sont efficaces à 99 % » tandis que les méthodes « artificielles » ne sont sûres qu’à 50 %. Le label Opus Dei n’apparaît nulle part sur cette publication, qui reçoit une subvention de la Commission de Bruxelles. Or le rédacteur en chef appartient à l’Opus tout comme d’autres journalistes accrédités à la Commission. Autres points stratégiques en Belgique que l’Opus a tenté d’investir : l’Institut Robert-Schuman et l’Université catholique de Louvain. Le premier est une école de journalisme fondée par l’homme d’affaires néerlandais Piet Derksen, proche de l’extrême droite catholique, pour fournir des « journalistes catholiques sûrs » à l’Europe de l’Est et au tiers-monde. Parmi les professeurs on retrouve l’opusien Andres Garrigo, directeur de Europe Today... A Louvain, en revanche, la bataille menée par l’Opus fut perdue grâce à la ténacité du vice-recteur, le Père Gabriel Ringlet. Il a refusé de renouveler le bail de deux résidences pour étudiants ouvertes sur le campus par l’Opus, en interdisant à celui-ci de distribuer sa littérature aux étudiants aussi longtemps qu’il triche sur son identité. Cette décision a été prise à l’unanimité par le conseil d’administration de l’université. « L’Opus ne vise que l’élite de la société, explique le Père Ringlet, ce qui est inacceptable pour notre université. Je ne peux pas voir ma foi là-dedans. La quête de la perfection a quelque chose de très orgueilleux et de malsain. Je ne peux accepter une religion qui lave plus blanc que blanc... la couleur des sépulcres ! Car, au bout du chemin, on trouve toujours l’exclusion, le racisme. En ces temps de montée de l’extrême droite, on ne se prémunit peut-être pas assez contre les dictatures spirituelles. » C’est bien d’une dictature qu’il s’agit, qui risque de prendre la papauté en otage. Cette « arme du Pape » est à double tranchant et pourrait se retourner contre lui.

François Normand.


Des amis pas présentables                                                 8 FéVRIER 1995





 

 
 

 
 


A son arrivée en France, l’Opus (franquiste) s’est reconnue dans la "cité catholique" (pétainiste) de Jean Ousset et Michel de Penfentenyo de Kervéréguin. Elle l’a satellisé sous le nom d’ICTUS (1), actuellement présidée par maître Jacques Trémollet de Villers (avocat de Paul Touvier) et par Jean-Marie Schmitz (ancien chef de cabinet du président François Ceyrac au CNPF, aujourd’hui directeur adjoint de Lafarge-Coppée). Ce mouvement est actuellement indirectement financé par la Cogema. Il agit à travers une nébuleuse d’associations dont le Centre d’études des entreprises (CEE), animé par Olivier Teilhard de Chardin, François Michelin (président de l’Association nationale des sociétés par actions) et Yvon Gattaz (ex-président du CNPF), le Secrétariat d’information des collectivités locales et régionales (SICLER) et l’Action familiale et scolaire (AFS), animée par le contre-amiral Michel Berger et le baron Arnaud de Lassus.

ICTUS a permis de recruter dans les ordres de chevalerie : les Chevaliers de Notre-Dame, où l’on retrouve entre autres le général Jean Callet, l’archiduc Charles-Louis d’Autriche, l’ex-SS Jean-Pierre Lefevre, l’ex-milicien et criminel contre l’humanité Paul Touvier, etc. ; l’ordre du Rouvre en Belgique ; et celui de la Toison d’or avec le comte Amédée d’Andigné (chambellan du pape) et le vicomte Raymond de Chabot-Tramecourt.


"Des livres : n’en achète pas sans demander conseil à des chrétiens compétents et avisés. Tu pourrais acheter une chose inutile ou nuisible. Combien croient porter un livre sous le bras... qui ne portent qu’un ramassis d’ordures""Il est urgent d’éviter que les spectacles publics ne connaissent que cette alternative : la mièvrerie ou le paganisme."

Mgr Escriva de Balaguer

"Chemins" (aphorismes CCCXXXIX et DCCCCLXXV)


1. ICTUS est le sigle (en français) de l’Institut culturel et technique d’utilité sociale et l’acronyme grec de Jésus-Christ sauveur des hommes.

Thierry Meyssan
Journaliste et écrivain, président du Réseau Voltaire.

   

Jean-Paul II canonise le directeur de conscience des époux Franco et du général Pinochet

Mgr Escriva de Balaguer fonda, pendant la guerre civile espagnole, une confrérie catholique secrète, l’Opus Dei (Œuvre divine) pour combattre les communistes, les anarchistes et les francs-maçons. après la Seconde Guerre mondiale, l’Opus s’intalla à Rome et agrégea autour d’elle tous les anciens réseaux religieux fascistes et oustachis. Elle exfiltra les criminels les plus voyants vers l’Amérique latine et participa à l’instauration de diverses dictatures catholiques. Simultanément, elle s’adapta aux régimes démocratiques en Europe et aux états-Unis, réussissant à s’infiltrer dans les rouages économiques et politiques du pouvoir. Elle pousse aujourd’hui à la "guerre des civilisations" contre l’Islam.

Mgr de Balaguer, le directeur de conscience des époux Franco et du général Pinochet, a été canonisé par Jean-Paul II le 6 octobre 2002.


 
     

   

         

L’Opus Dei et l’Europe -                                 Du recyclage des fascistes au contrôle des démocraties             22 MARS 1995

L’Opus Dei joue un rôle de tout premier plan dans la construction européenne. après la Seconde Guerre Mondiale, d’anciens responsables fascistes s’investissent au sein des nouvelles institutions européennes, mises en place par des membres de l’Œuvre divine.


 




 
 

 


Pendant la Seconde Guerre mondiale, tout en condamnant l’idéologie nazie, les principaux responsables de l’Eglise catholique soutinrent massivement les régimes fascistes, au motif qu’ils formaient un rempart face à la subversion bolchevique. L’écroulement du IIIe Reich, sous les coups conjugués des Anglais, des Américains et des Soviétiques, aurait dû se traduire non seulement par l’épuration de la classe politique européenne, mais aussi par celle de l’Eglise romaine. Il n’en fut rien.

Les ecclésiastiques collaborateurs manipulèrent l’illusion religieuse au point que tout questionnement de leur responsabilité dans des crimes contre l’humanité apparut comme un blasphème. Utilisant l’immunité que leur confèrent aux yeux des croyants les fonctions sacrées qu’ils exercent, ils s’employèrent à "exfiltrer" vers l’Amérique latine les chefs fascistes pour les soustraire à la justice et empêcher que des procès ne viennent révéler leur propre culpabilité. Dans ce contexte, l’Opus Dei consacra toutes ses forces à effacer les traces de l’Histoire en favorisant la réconciliation européenne.

(Robert Schuman et Alcide de Gasperi)

Cette politique fut favorisée à contre-coeur par le général de Gaulle. Les Français avaient soutenu massivement et jusqu’au dernier moment le régime fasciste de l’ex-maréchal Pétain et, à travers lui, ils avaient activement participé à l’effort de guerre du Reich. A la conférence de Yalta, les Alliés avaient décidé d’occuper la France dès qu’ils l’auraient vaincue, de fusiller ses officiers et de frapper d’incapacité civique tous les hommes de plus de quarante ans. Le génie de de Gaulle fut donc de présenter l’Etat français comme un usurpateur et le gouvernement de la France libre, durant son aventure londonienne, comme le seul gouvernement légitime. Parfaitement conscient que la Résistance qui avait effectivement existé sur le sol français était majoritairement communiste, et craignant une insurrection marxiste, Churchill donna sa caution à ce mensonge historique et l’on présenta la défaite de l’Etat français comme la libération d’un territoire occupé par l’ennemi. Emporté par cette logique révisionniste, de Gaulle fut contraint d’accepter le maintien des évêques fascistes et de faire amnistier, voire présenter comme résistants divers responsables pétainistes. Ce recyclage de catholiques fascistes fut favorisé par deux membres de l’Opus Dei proches du général : Maurice Schumann ("La voix de la France libre") et la comtesse Thérèse, épouse du maréchal Leclerc de Hautecloque. De Gaulle pensait éviter ainsi une guerre civile. Quoi qu’il en soit, cette tactique a permis à des politiciens et fonctionnaires d’extrême droite de s’intégrer dans les nouvelles institutions démocratiques, d’y avancer masqués, et de tenter par la suite d’y faire triompher à nouveau leurs idées.

Un cas surprenant est celui de Robert Schuman (avec un seul n, aucun lien de parenté avec le précédent). En septembre 1944, ce politicien chrétien démocrate, alors âgé de cinquante-huit ans, apparaît comme l’éphémère conseiller du maréchal de Lattre De Tassigny lors de la libération de l’Alsace-Lorraine. Il est élu député en 1945, nommé ministre des Finances en 1946, président du Conseil en 1947, ministre des Affaires étrangères en 1948. En 1949, il installe le siège de l’OTAN à Paris. Il lance l’idée de l’Europe communautaire en 1950 (CECA et CED), participe activement au gouvernement d’Antoine Pinay. Maintenu à l’écart des affaires françaises au retour de de Gaulle, il fut le premier président du Parlement européen. Atteint de sénilité, il meurt en 1963 et reste dans les mémoires comme "le père de l’Europe".

On le savait profondément religieux, assistant à la messe chaque matin, se livrant à de douloureuses mortifications, on apprend aujourd’hui à l’occasion de son procès en béatification qu’il était membre de l’Opus Dei.

On aurait dû se souvenir du décret Poinso-Chapuis. Ce texte qu’il signa en tant que président du Conseil (JO du 22 mai 1948) permettait à l’Eglise de détourner des subventions publiques par le biais des associations familiales. Il fut retiré après une mobilisation nationale comparable à celle provoquée récemment par l’abrogation de la loi Falloux.

Mais avant que Robert Schuman ne soit proclamé bienheureux, puis saint par Jean-Paul II, il convient de se demander comment on a pu oublier qu’il avait été fasciste, sous-secrétaire d’Etat de Philippe Pétain. Frappé d’indignité nationale à la Libération, au moment même où il avait tenté de se placer auprès du maréchal de Lattre, il avait été relevé de son inéligibilité sur intervention de Charles de Gaulle en août 1945. Pour maquiller cette réhabilitation, on avait mis en avant qu’il avait été assigné à résidence par les nazis dès 1941. En réalité, Robert Schuman avait toujours soutenu la "révolution nationale" fasciste, et s’était uniquement opposé à l’annexion de l’Alsace-Moselle par le Grand Reich.

Robert Schuman ne put édifier les premières institutions européennes qu’avec l’aide d’un autre opusien, Alcide De Gasperi, dont le procès de béatification est également en cours devant la Sacrée congrégation pour la cause des saints. De Gasperi s’opposa à l’accession de Mussolini au pouvoir, et fut emprisonné par les Chemises noires en 1926. Mais il fut libéré et se retira de l’opposition après la signature des accords du Latran entre le Saint-Siège et l’Italie. Il vécut alors dans la Cité du Vatican, où il travailla aux archives secrètes, jusqu’à la chute du Duce. Secrétaire général de la Démocratie chrétienne, il entra au gouvernement dès juin 1945 et fut plusieurs fois président du Conseil. Il arrêta immédiatement l’épuration et veilla personnellement au reclassement des cadres du fascisme qui avaient su être si généreux avec la papauté. Il décéda en 1954.

Robert Schuman et Alcide De Gasperi purent s’appuyer sur Konrad Adenauer pour construire l’Europe de l’amnésie. Le chancelier allemand, président de la Démocratie chrétienne (CDU), ne semble pas avoir été membre de la sainte secte, mais il fut au moins jusqu’en 1958 son allié indéfectible. Tout en soutenant le nazisme, il ne joua pas un grand rôle dans le régime hitlérien. Chacun aurait oublié son passé si Beate Karlsfeld, célèbre chasseuse de nazis, ne l’avait un jour giflé en public. Maire de Cologne, il avait été frappé d’incapacité par les Alliés et démis de ses fonctions. Konrad Adenauer participa activement à la protection de ceux soupçonnés de crimes contre l’humanité et au recyclage des fascistes, non seulement par ambition politique mais pour occulter son propre passé.

Les premiers balbutiements de l’Europe communautaire se concrétisèrent en 1950 avec l’instauration de la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA). Elle réunissait comme par hasard les intérêts des grands industriels catholiques producteurs des matières premières de l’armement lourd. En 1957, la Communauté européenne vit le jour grâce au traité de... Rome. Les textes fondateurs emploient une phraséologie empruntée aux encycliques sociales : "communauté", "communion", "subsidiarité", etc. Le siège de la Commission fut établi à Bruxelles, capitale du très pieux opusien Baudouin Ier. Le cardinal Danneels vient d’ailleurs de demander la béatification du roi chrétien qui s’était opposé à l’avortement, confirmant que l’Opus Dei est une pépinière de petits saints.

Pour garantir l’entraide des fascistes réinsérés au sein des nouvelles institutions européennes, l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie, l’archiduc Otto von Habsburg-Lothringen, fonda alors le Centre européen de documentation et d’information (CEDI). Ce lobby fut tout naturellement installé par l’Opus Dei à l’abri dans la mère patrie, sous la protection du caudillo, le généralissime Franco.

Catholique de grande humilité, Son Altesse Impériale Otto von Habsburg s’est fait élire simple député européen pour continuer à Strasbourg son combat pour la réconciliation européenne. Grâce à lui, au Parlement européen, les démocrates chrétiens (PPE) ne sont plus à droite et les socialistes (PSE) ne sont plus à gauche.

Les affrontements idéologiques sont réservés à la galerie, à l’occasion des élections. Une fois élus, les députés des deux grands groupes abandonnent leurs programmes et votent ensemble la plupart des textes. A Strasbourg la bonne éducation de "monseigneur" s’est imposée, il n’y a pas de conflits politiques, il n’y a que des intérêts partagés. Le consensus des privilégiés permet même de se partager la présidence du Parlement et d’organiser un système tournant PPE/PSE. Les groupes qui refusent d’entrer dans la combine (communistes, écologistes, radicaux) sont exilés avec leurs convictions.

Au fur et à mesure de son expansion, l’Opus Dei a élargi ses objectifs en Europe. Au recyclage des fascistes, à la défense des monarchies catholiques, au contrôle des nouvelles institutions démocratiques s’est ajouté la défense des grands intérêts économiques.

L’outil le plus remarquable fut créé en 1983 sous l’impulsion du vicomte opusien Etienne Davignon (alors commissaire européen chargé de l’Industrie, aujourd’hui président de la Société générale de Belgique) : la Table ronde des industriels européens (ERT). Elle rassemble aujourd’hui une quarantaine de dirigeants d’entreprise dont plus de la moitié sont des membres de la sainte secte. L’adhésion se fait uniquement par cooptation, à titre individuel, et n’engage pas officiellement leurs entreprises. Pourtant l’ERT est financée par ces entreprises et place à son service certains de leurs cadres. L’ERT adresse régulièrement ses recommandations à la Commission européenne. En préambule, elle ne manque jamais de rappeler qu’elle est le lobby économique le plus puissant en Europe : ses quarante-deux membres emploient trois millions de personnes. Ils réalisent trois mille cinq cent milliards de francs annuels de chiffre d’affaires, soit plus de deux fois le budget de la France. Une entrée en matière qui permet à l’ERT d’imposer ses exigences. Le "social chrétien" Jacques Delors, qui ne lui refusait jamais de rendez-vous, disait de l’ERT : "C’est l’une des forces majeures derrière le marché unique." Elle s’est "résolument prononcée pour un développement de réseaux européens d’infrastructures" et a fait inscrire cet objectif dans le traité de Maastricht.

L’Opus Dei ne se contente pas de placer ses membres et de défendre leur communauté d’intérêts. Elle poursuit toujours son objectif de restauration de la chrétienté. Elle mise pour cela à la fois sur le contrôle de l’évolution institutionnelle et sur le contrôle des médias. Aussi a-t-elle exigé et obtenu qu’un de ses membres soit nommé à la Commission européenne avec un maroquin découpé sur mesure. Marcelino Oreja-Aguirre s’est ainsi vu bizarrement confier à la fois le portefeuille des "Questions audiovisuelles" et celui de la renégociation du traité de Maastricht.

En ce qui concerne les Questions audiovisuelles, les opusiens sont favorables au libre-échange. C’est-à-dire qu’ils souhaitent abolir "l’exception culturelle" sous réserve d’une déontologie européano-américaine de la moralité dans les médias. Ils préconisent qu’un ordre des journalistes et producteurs soit chargé de son respect.

En ce qui concerne l’évolution institutionnelle, ils sont favorables à un développement de la supranationalité à condition que le pouvoir soit confié par les politiques à des techniciens. Sur ce principe, ils ont obtenu le transfert du pouvoir monétaire à un conseil non politique sur le modèle de la Bundesbank. Un système qui enchante le président opusien de la banque centrale allemande, Hans Tiettmeyer, par ailleurs académicien pontifical. Ils se sont prononcés pour un élargissement de l’Europe sur le critère de la culture chrétienne et non pas sur celui de la démocratie. C’est sur ce principe que le démocrate chrétien Helmut Kohl s’est opposé au soutien européen à la république laïque de Bosnie-Herzégovine, dont la population est à majorité musulmane.

Thierry Meyssan
Journaliste et écrivain, président du Réseau Voltaire.

Le certificat de résistance de Maurice Papon a été établi par un agent des services de renseignement du Saint-Siège                                                                                                                               27OCTOBRE1997




 

 
 
 


Le certificat de résistance, dont se prévaut Maurice Papon depuis le 25 octobre 1944, a été rejeté à deux reprises en 1952 par la Commission départementale de la Seine des anciens combattants. C’est pourtant sur cette base, qu’en 1981, s’est prononcé en sa faveur un jury d’honneur composé de grands résistants, choisis par Maurice Papon lui-même.

Cette pièce, que nous reproduisons ici, vient d’être publiée par Bernard Viollet dans son Dossier Papon (p. 258).

Ce document émane d’un certain Claude Arnould (1898-1978), alias colonel Olivier, chef du réseau de renseignement Jade-Amicol, traité par l’Intelligence Service britannique. Or, Arnould était avant la guerre un agent du Saint-Siège, chargé de renseigner Pie XII sur les questions extrême-orientales. Ce n’est semble-t-il que dans les années soixante qu’il travailla à nouveau pour le Saint-Siège, auprès de Paul VI cette fois, en intervenant sur des dossiers étrangers forts différents et en lien avec Robert Mc Namara. Rappelons que Paul VI, lorsqu’il n’était que le cardinal Montini, fut chargé auprès de Pie XII de l’exfiltration des criminels nazis.

En 1944, Claude Arnould fut au centre des négociations entre De Gaulle et le Saint-Siège, alors que le général réclamait l’éloignement du nonce, Mgr Valerio Valeri, et la démission de la plupart des évêques français. Claude Arnould a notamment établi les certificats de Paul Baudoin (ancien ministre des Affaires étrangères de Philippe Pétain, cofondateur de l’Opus Dei en France), de Mgr Feltin, du cardinal Suhart, et de René Bousquet (dont le procès était instruit conjointement avec celui de Papon). De manière plus anecdotique, c’est également lui qui a blanchi Henri Amouroux, collaborateur de La Petite Gironde.

* Sur le procès Papon, cf. RV 97/0479, 97/0480, 97/0481, 97/0482. En outre, on consultera utilement le serveur web d’Usha et Jean-Marie Matisson sur lequel figure le compte rendu de chaque audience (mise à jour quotidienne) ainsi qu’une revue de presse.

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