Histoire de la France, de 1945 à la « révolution »
sarkozienne.
On ne reprend jamais assez les écrits de ses ennemis
politiques. Ils le valent pourtant parfois. Une fois n’est pas coutume,
il faut lire avec attention, dans son intégralité, l’analyse
de Denis Kessler, un des idéologues du patronat français, ex numéro
deux du Medef. Son éditorial dans la revue « Challenge »,
du 4 octobre 2007, est d’une grande lucidité historique, et d’une
totale franchise :
« Le modèle social français est le
pur produit du Conseil National de la Résistance. Un compromis entre
gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer et le gouvernement
s’y emploie.
Les annonces successives des différentes réformes
par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent
variées, d’importance inégale et de portées diverses :
statut de la Fonction publique, régimes spéciaux de retraite,
refonte de la Sécurité sociale, paritarisme…
A y regarder de plus près, on constate qu' il y
a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ?
C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre
1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui
de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du
Conseil National de la Résistance !
A l’époque se forge un pacte politique entre les
gaullistes et les communistes. Ce programme est un compromis (…), forgé
à une époque très chaude et particulière de notre
histoire contemporaine (où les chars russes étaient à deux
étapes du Tour de France, comme aurait dit le Général)
et qui se traduit par la création des caisses de Sécurité
sociale, le statut de la Fonction publique, l’importance du secteur public
productif et la consécration des grandes entreprises françaises
qui viennent d’être nationalisées, le conventionnement du
marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes
complémentaires de retraite, etc…
Cette « architecture » a tenu tant bien
que mal pendant plus d’un demi-siècle. Elle a même été
renforcée en 1981, à contresens de l’Histoire, par le programma
commun. Pourtant elle est à l’évidence complètement
dépassée, inefficace, datée.
Elle ne permet plus à notre pays de s’adapter aux nouvelles exigences
économiques, sociales et internationales. Elle se traduit par un décrochage
de notre nation par rapport à pratiquement tous ses partenaires ».
Le constat historique est juste, même si nous le faisons
dans une optique opposée : Kessler approuve l’éradication
par le régime Sarkozy, de l’héritage de la Résistance,
et nous le combattons. Il est exact que la Résistance antinazie fut composée
essentiellement des communistes et des gaullistes en France, les premiers animés
par leur patriotisme et leurs rêves de révolution sociale, les
seconds par leur nationalisme. Et de leur collaboration au CNR naquit un programme
ambitieux de nationalisations et de protection sociale.
Il faut même infléchir ce constat qui passe aujourd’hui pour
un paradoxe incongru : si des « hommes de gauche »
non communistes furent des combattants éminents des mouvements
de Résistance, les partis de gauche socialiste ou radical ne furent pas,
en tant que tels, organisateurs de la lutte clandestine. On doit même
ne pas oublier le rôle dans le régime de Vichy de quelques éminents
dirigeants issus de la gauche socialiste, Laval, Déat, Marquet ou Belin
(sans oublier Sérol et son décret). On peut rappeler aussi les
débuts du futur président socialiste Mitterrand à Vichy,
avant sa conversion en Résistance, et son indéfectible et secrète
amitié pour Bousquet, le sulfureux chef de la police pétainiste,
en charge des déportations de 1942 à1944.
La grille de lecture devenue consensuelle depuis vingt-cinq ans, selon laquelle
l’histoire de la France se réduirait à une opposition entre
« la gauche » et « la droite »,
repose sur une falsification réductrice : durant la IVe République,
les partis socialiste et radical, couvèrent avec une partie de la droite
(MRP) la naissance de l’Europe capitaliste supranationale et l’OTAN,
au service des dirigeants des USA, contre l’URSS et ses alliés.
A la même époque, communistes et gaullistes dénonçaient
parallèlement la CED (armée européenne) et l’allégeance
à Washington. Les mêmes « partis de gauche »
furent les organisateurs des guerres féroces pour maintenir la domination
coloniale, en Indochine d’abord, en Algérie ensuite, en Egypte
en 1956, etc… Les responsables qui couvraient tortures et exactions à
Alger en 1957 et y élargirent le conflit, étaient Guy Mollet,
chef socialiste du gouvernement de la France, et les ministres socialistes Lejeune
et Lacoste. Cela avant que De Gaulle, président après 1958, ne
poursuive leur œuvre guerrière jusqu' en 1962. N’occultons
pas non plus ce fait révélateur : quand François Mitterrand,
auteur d’un inoubliable « l’Algérie, c’est
la France » dès 1954, devint enfin président de la
France par le biais de « l’union de la gauche »
en 1981, l’un de ses premiers gestes fut d’amnistier les criminels
condamnés de l’OAS…
Enfin, cette œuvre née selon Kessler du programme du CNR, nationalisations,
Sécurité Sociale, rôle des syndicats dans l’entreprise,
a commencé d’être ébréchée par des gouvernements
socialistes après 1984 : chacun put remarquer une course aux privatisations
intense sous l’égide des premiers ministres Fabius et Jospin. La
collaboration à cet effet de ministres du PCF ne change rien à
ce constat.
Il ne s’agit bien sûr en aucun cas de nier la nocivité de
la droite française, dont l’attachement au capitalisme inégalitaire
et au nationalisme, furent et sont toujours néfastes. Avec Sarkozy, elle
ne change pas d’objectifs, mais les adapte à un système
mondialisé dont les USA sont les mentors, avec plus d’efficacité
dans la manipulation de l’opinion pour l’instant. Mais il faut savoir
crever les baudruches des faux espoirs, lire avec lucidité les palinodies
d’une « gauche » française passée
avec armes et bagages dans le camp du capitalisme et de l’impérialisme.
Transformer la société vers plus d’égalité
entre les hommes et les peuples ne se fera pas en collaboration avec les dirigeants
(membres du PS français) du FMI et de l’OMC.
Francis Arzalier.
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