J. STALINE
AU SUJET DU DISCOURS
DE M. CHURCHILL A FULTON<
Comment jugez-vous le dernier
discours prononcé par M. Churchill aux Etats- Unis ?
- J'estime que ce discours est un acte dangereux, qui vise à semer des
germes de discorde entre les Etats alliés et à rendre plus difficile leur collaboration.
Peut-on estimer que le discours de M.
Churchill compromet la paix et la sécurité mondiale ?
- Sans contredit, oui. En fait, M. Churchill se trouve actuellement dans
la position d'un fauteur de guerre. Et il ne s'y trouve pas seul. Il a des amis,
non seulement en Angleterre, mais également aux Etats-Unis. Il est à remarquer
que, sous ce rapport, M. Churchill et ses amis rappellent d'une façon étonnante
Hitler et ses amis. Hitler a commencé la préparation à la guerre par sa proclamation
d'une théorie raciale, où il déclarait que seules les personnes de langue allemande
représentaient une nation " véritable " au sens complet du mot. M. Churchill, également, commence
la préparation à la guerre par une théorie raciale, en affirmant que seules les
nations de langue anglaise sont des nations - dans toute l'acception du mot -
appelées à diriger les destinées du monde entier.
La théorie raciale allemande amena
Hitler et ses amis à conclure que les Allemands, en tant qu'unique nation " véritable
", devaient commander aux autres nations. La théorie raciale anglaise amène M.
Churchill et ses amis à cette conclusion que les nations de langue anglaise, en
tant que seules " véritables ", doivent régner sur les autres nations du monde.
En fait, M. Churchill et ses amis, en Angleterre
et aux Etats-Unis, présentent aux nations ne parlant pas anglais quelque chose
comme un ultimatum : " Reconnaissez de bon gré notre domination, et tout alors
ira bien; dans le cas contraire, la guerre est inévitable. "
Mais, si les nations
ont versé leur sang au cours de cinq années d'une terrible guerre, c'est pour
la liberté et l'indépendance de leur pays et non pas pour remplacer la domination
des Hitler par celle des Churchill.
Il est donc tout à fait probable que les nations
qui ne parlent pas l'anglais, et qui représentent l'énorme majorité de la population
du globe, n'accepteront pas de retourner à un nouvel esclavage. La tragédie de
M. Churchill consiste dans le fait qu'il ne comprend pas, en " tory " endurci,
cette vérité simple et évidente.
Il n'y a aucun doute que la position
prise par M. Churchill est une position qui mène à la guerre, un appel à la guerre
contre l'URSS. Il est clair aussi que cette position de M. Churchill est incompatible
avec le traité d'alliance qui existe actuellement entre l'Angleterre et l'URSS.
Il est vrai que, pour embrouiller ses auditeurs, il déclare en passant que le
traité anglo-soviétique d'aide mutuelle et de coopération pourrait être facilement
prolongé pour une période de cinquante ans. Mais comment peut-on concilier une
telle déclaration de M. Churchill avec sa position qui mène à la guerre contre
l'URSS, avec son prêche en faveur de la guerre contre l'URSS ? Il est clair que
ces faits sont absolument inconciliables. Et, si M. Churchill, invitant à la guerre
contre l'URSS, estime cependant que le traité anglo-soviétique peut être prolongé
et voir sa durée portée jusqu'à cinquante ans, cela montre qu'il considère ce
traité comme un papier sans importance, qui ne lui sert qu'à couvrir et masquer
sa position antisoviétique. C'est pourquoi l'on ne peut pas considérer sérieusement
les fausses déclarations des amis de M. Churchill en Grande-Bretagne relatives
à une prolongation du traité anglo-soviétique jusqu'à cinquante ans et plus. La
prolongation du traité ne répond à rien si l'une des parties viole le traité et
le transforme en un papier vide de sens.
Que pensez-vous de la partie du discours
dans laquelle M. Churchill attaque le régime démocratique des Etats européens
voisins de l'Union soviétique, et où il critique les relations de bon voisinage
établies entre ces Etats et l'URSS ?
. - Cette partie du discours de M. Churchill présente un mélange d'éléments
de calomnie avec des éléments de grossièreté et de manque de tact. M. Churchill
affirme que " Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest,
Sofia, toutes ces villes célèbres, avec la population d'alentour, se trouvent
dans la sphère soviétique et subissent toutes, sous une forme ou une autre, non
seulement l'influence soviétique, mais encore le contrôle toujours grandissant
de Moscou ". M. Churchill qualifie tout cela de " tendances expansionnistes "
sans limites de l'URSS.
Il n'est pas nécessaire de faire
un gros effort pour démontrer que M. Churchill calomnie grossièrement et sans
pudeur aussi bien Moscou que les Etats voisins de l'URSS dont il est question
plus haut.
Premièrement, il est tout à fait absurde de parler
de contrôle exclusif de l'URSS à Vienne et à Berlin, où se trouvent également
des Conseils de contrôle alliés composés de représentants des quatre puissances,
et où l'URSS n'a qu'un quart des voix. Il arrive que certaines gens ne puissent
pas faire autrement que de calomnier, mais il faut cependant garder la mesure.
Deuxièmement, il ne faut pas oublier les circonstances
suivantes : les Allemands ont envahi l'URSS à travers la Finlande,
la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie. Ils ont pu exécuter
leur agression à travers ces pays parce que, dans ces derniers, existaient
alors des gouvernements hostiles à l'Union soviétique.
Par suite de l'invasion allemande, l'Union soviétique
a perdu sans retour, dans les combats avec les Allemands, pendant l'occupation
et par l'envoi d'hommes soviétiques dans les bagnes allemands, près de dix-sept
millions de personnes. Autrement dit, les pertes de l'Union soviétique dépassent
de plusieurs fois celles de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis pris ensemble.
Il est possible qu'en certains lieux
on soit enclin à oublier ces pertes colossales du peuple soviétique, qui ont rendu
possible la libération de l'Europe du joug hitlérien. Mais l'Union
soviétique ne peut oublier ces pertes. On se demande ce qu'il peut bien y avoir
d'étonnant dans le fait que l'Union soviétique, voulant garantir sa sécurité dans
l'avenir, s'efforce d'obtenir que ces pays aient des gouvernements qui observent
une attitude loyale envers l'URSS. Comment peut-on, si l'on a tout son bon sens,
qualifier ces intentions pacifiques de l'Union soviétique de tendances expansionnistes
de notre Etat ?
M. Churchill affirme, plus loin,
que " le gouvernement polonais, se trouvant sous la domination des Russes, a été
encouragé à formuler, vis-à-vis de l'Allemagne, des exigences énormes et injustifiées".
Chacun de ses mots est une calomnie grossière et insultante.
La Pologne démocratique actuelle est dirigée par
des hommes éminents. Ils ont montré par leurs actes qu'ils savent défendre les
intérêts et la dignité de leur patrie mieux que n'ont pu le faire leurs prédécesseurs.
Quelles raisons peut invoquer M. Churchill pour affirmer que les dirigeants de
la Pologne contemporaine peuvent tolérer dans leur pays la " domination " de représentants
de quelque Etat étranger que ce soit ? Les calomnies de M. Churchill contre les
" Russes " ne sont-elles pas dictées par l'intention de semer des germes de discorde
dans les relations entre la Pologne et l'Union soviétique ?
M. Churchill n'est pas content que la Pologne ait
effectué un tournant dans sa politique en faveur de l'amitié et de l'alliance
avec l'URSS. Il fut un temps où , dans les relations entre la Pologne et l'URSS,
prédominaient des éléments de discorde et de contradictions. Cela donnait la possibilité,
à des hommes d'Etat du genre de M. Churchill, de jouer de ces contradictions,
de chercher à mettre la main sur la Pologne sous prétexte de la protéger des Russes,
d'agiter le spectre de la guerre entre l'URSS et la Pologne et de conserver la
position d'arbitre.
Mais cette époque est révolue, car
l'hostilité entre la Pologne et la Russie a fait place à l'amitié polono-soviétique.
La Pologne actuelle, démocratique, ne veut plus être un " ballon de jeu " aux
mains d'étrangers. Il me semble que c'est précisément cette circonstance qui irrite
M. Churchill et le pousse à des sorties grossières, dépourvues de tact, contre
la Pologne. Pensez donc : on ne le laisse pas jouer aux dépens d'autrui...
En ce qui concerne les attaques de M. Churchill
contre l'Union soviétique, à propos de l'extension des frontières occidentales
de la Pologne, grâce à la reprise de territoires anciennement pris par l'Allemagne
à la Pologne, il me semble que M. Churchill pipe ouvertement les dés.
Comme on le sait, la décision relative aux frontières
occidentales de la Pologne a été adoptée à la conférence de Berlin des trois puissances
sur la base des demandes polonaises. L'Union soviétique a déclaré à plusieurs
reprises qu'elle considérait ces demandes comme justes et équitables. Il est tout
à fait probable que M. Churchill n'est pas content de cette décision. Mais pourquoi
M. Churchill, sans ménager ses flèches contre la position des Russes dans cette
question,
cache-t-il à ses auditeurs le fait que cette décision a
été prise à l'unanimité à la conférence de Berlin et qu'elle a été votée non seulement
par les Russes, mais également par les Britanniques et les Américains ? Pourquoi
M. Churchill a-t-il eu besoin d'induire en erreur ses auditeurs ?
M. Churchill affirme plus loin que
" les Partis communistes étaient très faibles dans tous ces Etats d'Europe orientale,
qu'ils ont acquis une force extraordinaire dépassant de beaucoup leur importance
en effectifs et qu'ils s'efforcent d'instaurer partout un contrôle totalitaire
", que " des gouvernements policiers dominent dans presque tous ces pays et que,
à l'heure actuelle, il n'y existe aucune démocratie véritable, exception faite
pour la Tchécoslovaquie ".
Comme on le sait, en Angleterre,
un seul parti dirige maintenant l'Etat : le Parti travailliste, alors que les
partis d'opposition sont privés du droit de participer au gouvernement anglais.
Chez M. Churchill, cela s'appelle le véritable esprit démocratique. En Pologne,
en Roumanie, en Yougoslavie, en Bulgarie, en Hongrie, c'est un bloc de plusieurs
partis qui gouverne, un bloc de quatre à six partis, et l'opposition, si elle
est à peu près loyale, se voit assurer le droit de participer au gouvernement.
Chez M. Churchill, cela s'appelle du totalitarisme, de la tyrannie, de la dictature
policière. Pourquoi ? Pour quel motif ? N'attendez pas de de la part de
M. Churchill. M. Churchill ne comprend pas dans quelle position comique il se
met avec ses discours criards sur le totalitarisme, la tyrannie et la dictature
policière.
M. Churchill voudrait que la Pologne
soit gouvernée par Sosnkowski et Anders, la Yougoslavie par Mikhaïlovitch et Pavélitch,
la Roumanie par le prince stirbey et Radescu, la Hongrie et l'Autriche par n'importe
quel roi de la maison des Habsbourg, et ainsi de suite. Il voudrait
nous convaincre que ces messieurs de la fourrière fasciste peuvent garantir "
un ordre vraiment démocratique ". Tel est l'" esprit démocratique " de M. Churchill.
M. Churchill n'est pas loin de la
vérité quand il parle de l'influence accrue des Partis communistes en Europe orientale.
Il convient cependant de noter qu'il n'est pas tout à fait précis. L'influence
des Partis communistes a augmenté non seulement en Europe orientale, mais
aussi dans tous les pays où avait auparavant dominé le fascisme (Italie, Allemagne,
Hongrie, Bulgarie, Roumanie, Finlande), ou bien où avait eu lieu l'occupation
allemande, italienne ou hongroise (France, Belgique, Hollande, Norvège, Danemark,
Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Grèce, Union soviétique, etc.).
L'accroissement de l'influence des communistes
ne peut pas être considéré comme un fait du hasard, mais comme un phénomène entièrement
légitime. L'influence des communistes s'est accrue parce que, pendant
les dures années de la domination fasciste en Europe, les communistes se sont
montrés des combattants sûrs, audacieux, pleins d'abnégation, contre le régime
fasciste et pour la liberté des peuples.
M. Churchill rappelle quelquefois, dans ses discours,
" les petites gens qui vivent dans des maisons modestes ". Il leur donne, en grand
seigneur, des tapes amicales sur l'épaule et se dit leur ami. Mais ces hommes
ne sont pas aussi simples qu'on pourrait le croire à première vue. Ces " petites
gens " ont leur point de vue, leur politique, et ils savent se défendre.
Ce sont eux, les millions de ces " petites gens
", qui ont battu M. Churchill et son parti en Angleterre, donnant leurs voix aux
travaillistes.
Ce sont eux, les millions de ces " petites gens
", qui ont isolé en Europe les réactionnaires et les partisans de la collaboration
avec le fascisme, et ont donné leur préférence aux partis démocratiques de gauche.
Ce sont eux, les millions de ces " petites gens
" qui, après avoir éprouvé les communistes dans le feu de la lutte et de la résistance
au fascisme, ont décidé que les communistes méritaient pleinement la confiance
du peuple.
C'est ainsi que l'influence des communistes a augmenté
en Europe. Telle est la loi du développement historique.
Naturellement, M. Churchill n'est pas satisfait
par un tel développement des événements, et il sonne l'alarme, faisant appel à
la force.
Mais M. Churchill n'était pas non plus
satisfait de l'apparition du régime soviétique en Russie, après la Première Guerre
mondiale. A cette époque, il sonnait également l'alarme et organisa la campagne
militaire " des quatorze Etats " contre la Russie, se proposant de faire tourner
en arrière la roue de l'Histoire.
Mais l'Histoire s'est
avérée plus forte que l'intervention churchillienne et le donquichottisme de M.
Churchill l'a amené à subir à l'époque une défaite complète.
Je ne sais si M. Churchill
et ses amis réussiront à organiser, après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle
campagne militaire contre " l'Europe orientale ". Mais s'ils y réussissent, ce
qui est peu probable, car des millions de " petites gens " montent la garde pour
défendre la cause de la paix, on peut dire avec assurance qu'ils seront battus,
de même qu'ils ont été battus autrefois, il y a de cela vingt-six ans.
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