Notes sur la Guerre civile grecque (1946-1949) – Quelques
réflexions
Par Costas Pateras*
La camarade Aleka Papariga dans son discours lors du mémorial
a fait référence aux questions qui se posent à propos de
la décision du KKE de commémorer le 60ème anniversaire
de la formation de l’Armée démocratique de Grèce
(ADG):
« Pourquoi remuons-nous les souvenirs, pourquoi amenons-nous
de nouveau cette lutte particulière dans le discours public, une lutte
que certains ont baptisée une ‘guerre de bandits’ et que
d’autres jugent être une guerre civile impitoyable des deux côtés
? »
Il s’agit d’abord, bien sûr, d’honorer
les militants qui ont combattu dans les rangs de l’ADG : ceux qui ont
été tués, emprisonnés, torturés et exilés
durant la guerre civile et les années qui ont suivi. Cela afin de souligner
les sacrifices que ces hommes et femmes ordinaires ont accomplis dans la lutte
pour la démocratie, l’indépendance nationale et le socialisme.
Il s’agit ensuite de se souvenir de l’intervention
impérialiste anglo-américaine, de leurs gouvernements fantoches,
des îles-prisons telles que Makronissos, de la violence et de l’intransigeance
de la classe dominante. Cela en soi est déjà suffisant, mais il
en découle bien sûr différentes questions qui sont d’une
importance cruciale dans le monde d’aujourd’hui.
C’est une occasion de contrer la réécriture
de l’histoire, les calomnies et les mensonges qui ont caractérisé
le discours majoritaire sur cette lutte (c’est-à-dire celui de
la classe dominante) depuis 60 ans. Le langage de la droite est instructif.
L’ADG était considérée entre autres comme «
étant dirigée par l’étranger », comme une armée
« bulgare », une armée de « bandits ». Cette
attaque idéologique patente allait de pair avec une historiographie d’opportunistes
et de sociaux-démocrates qui s’étendait, en les déformant,
sur les erreurs réelles et imaginaires de l’ADG et du KKE, et qui
minimisait l’importance de l’intervention impérialiste en
Grèce et le niveau de violence dirigée contre le mouvement populaire.
Cette approche cherche à désorienter les progressistes et à
les empêcher d’essayer de rechercher un changement radical. Face
à tout cela, il est urgent de réaffirmer que la lutte de l’ADG
était la continuation de la lutte démocratique anti-impérialiste
de l’EAM contre l’occupation fasciste, cette fois contre l’impérialisme
anglo-américain et leurs collaborateurs domestiques, urgent aussi d’expliquer
au peuple les véritables raisons de la guerre civile ; en particulier
à la lumière de l’anti-communisme renouvelé, dont
un exemple a été la motion récente passée par le
Conseil de l’Europe.
L’étude des expériences et des leçons
de la Guerre civile grecque - période de la lutte de classe la plus intense
jusqu' à présent dans l’histoire grecque - est inestimable
pour le mouvement populaire d’aujourd’hui. Les erreurs commises
peuvent être convenablement analysées dans leur plein contexte
historique, la vraie nature de la réaction intérieure et de l’impérialisme,
les formes nécessaires de la lutte, le développement des institutions
du pouvoir populaire dans les zones libérées, le travail idéologique
réalisé parmi les rangs des combattants, etc.
après les contre-révolutions en URSS et dans
les pays socialistes d’Europe de l’Est, l’impérialisme
est entré dans une phase nouvelle, plus agressive. Les compromis anciens
ont été abandonnés, libérés de l’influence
contraignante du bloc socialiste. Cela a signifié de nouvelles guerres
coloniales et des attaques féroces contre les droits sociaux et démocratiques
de la classe ouvrière partout dans le monde. Les peuples résistent
bien sûr, que ce soit en combattant contre l’occupation au Liban,
en Palestine et en Irak, en conservant des gouvernements démocratiques
et anti-impérialistes comme au Venezuela ou en poursuivant leur développement
socialiste comme à Cuba, ou encore par les luttes de la classe ouvrière
partout dans le monde contre les restructurations. Les puissances impérialistes
utilisent toutes les approches - diplomatique et militaire - nécessaires
pour écraser la résistance – sans succès jusqu' ici.
Cela s’accompagne d’une bataille idéologique
pour criminaliser ceux qui résistent, en les accusant de « terrorisme
», et pour décourager les autres de suivre le chemin du combat.
Allant même au-delà, ils parlent maintenant de la « nécessité
de combattre les idées et organisations extrémistes ». Les
mouvements populaires et ouvriers, les mouvements et les luttes de libération
nationale sont diffamés et on invoque un « humanisme » pharisien
afin de présenter leurs combattants armés comme des terroristes
et des assassins patentés. Et cela alors que le terrorisme d’Etat
des Etats capitalistes s’accentue tant contre leur propre classe ouvrière
que contre d’autres peuples et pays, en utilisant tous les moyens, politiques,
diplomatiques et militaires, menant la violence d’Etat impérialiste
à des niveaux sans précédent et la dotant de nouvelles
caractéristiques de classe.
La propagande bourgeoise prend constamment et de façon
consistante pour cible la lutte de classe, indépendamment des formes
qu' elle peut adopter, la déclarant obsolète et nuisible
aux intérêts du peuple. Ce faisant, elle tente de calomnier les
idées les plus hautes et nobles que l’humanité ait connues,
c’est-à-dire les idées et les objectifs communistes.
On notera que, dans le même temps, abondent les arguments
soutenant la « réconciliation de classe », le « dialogue
social » entre les soi-disant « partenaires sociaux ». La
collaboration de classe est présentée comme le moyen de faire
face aux « défis modernes », comme le chemin menant au progrès
social.
Un argument courant de la bourgeoisie est d’affirmer
que le droit de la classe ouvrière et de ses alliés d’utiliser
la violence est extrémiste. Elle dissimule le fait que la violence du
mouvement populaire est utilisée défensivement contre la violence
de la classe dominante, tandis qu' en même temps elle continue à
masquer la violence de l’Etat bourgeois, de ses institutions et de sa
machinerie. De même pour la violence à plusieurs facettes que les
capitalistes exercent sur les travailleurs sur les lieux de travail. Quand des
armées impérialistes occupent des pays ou envoient des escadrons
de police pour réprimer les piquets de grève, comment devrait
répondre le mouvement populaire ? La bourgeoisie cherche à empêcher
le peuple de se poser la question de base à propos du pouvoir que Bertolt
Brecht a exprimée de façon concise : « A qui appartient
demain – à qui appartient le monde ? »
Sous cet aspect, les points de vue réformistes et opportunistes
convergent vers l’idéologie impérialiste, chose qui est
également présente dans les discussions sur la « non-violence
». Certaines forces, en particulier autour du « parti de la gauche
européenne », sont non seulement arrivées à la conclusion
que la lutte armée était devenue obsolète, mais remettent
même en cause la légitimité de cette forme de lutte. Outre
qu' elles excluent l’usage de la force dans la lutte de classe à
l’intérieur du pays, elles critiquent ouvertement les peuples qui
résistent aux attaques militaires impérialistes. Dans le contexte
de l’agressivité renforcée de l’impérialisme
aujourd’hui, appeler les mouvements à s’abstenir d’utiliser
toutes les formes possibles de lutte constitue en fait un compromis avec l’impérialisme
: une caractéristique de base de l’opportunisme. C’est également
évident au vu de la position prise par ces forces concernant le déploiement
de troupes en Afghanistan, la participation de leurs pays à la nouvelle
force d’occupation de l’Onu qui sera déployée au Liban,
etc.
Un argument semblable considère « la lutte armée
comme un dernier recours ». Cela semble être raisonnable à
première vue, mais tant l’expérience que la réalité
réfutent cette thèse. Les partisans de cette proposition tendent
d’une manière non dialectique à opposer le travail pacifique
de masse à l’activité armée de groupes élitistes
de partisans, en affirmant la supériorité morale de la non-violence.
En présentant la question comme une question morale, il en découle
que, s’il est possible d’organiser une manifestation avec succès,
c’est alors une erreur d’effectuer également des actions
armées. En fait, en période de luttes de classe intenses, toutes
les formes de lutte peuvent être utilisées, de la grève
à la guérilla. Les expériences des mouvements de résistance
en Europe pendant la Seconde guerre mondiale illustrent cela, y compris la Guerre
civile grecque. Dans ces situations, il est dangereux de tergiverser (un danger
implicite de ce slogan). Le mouvement populaire n’a pas d’autre
option que d’agir d’une manière décidée pour
contrer la violence de la classe dominante afin d’amener une conclusion
favorable.
Cette thèse alimente l’illusion quant à
la possibilité que la classe bourgeoise, que ce soit dans son propre
pays ou dans le cadre de l’occupation d’une autre nation, remettra
allégrement le pouvoir au mouvement populaire. Il ne peut y avoir un
« partage » du pouvoir, ni de « troisième » voie
ou de chemin « intermédiaire » en faveur des intérêts
du peuple. Du moins telle n’a pas été l’expérience
des mouvements communiste et de libération nationale au XXe siècle.
Certaines des conclusions de base qu' a tirées le KKE lorsqu' il
a évalué d’une façon critique ses activités
de 1944 à 1947 sont centrées précisément sur ces
points. L’histoire de notre mouvement est jonchée d’avertissements
salutaires, ainsi que de fausses espérances qui ont rapidement abouti
à la désillusion, à la capitulation et à l’assimilation
comme ce fut le cas des diverses tendances de centre-gauche.
En nous souvenant aujourd’hui de la lutte de l’Armée
démocratique de Grèce, nous affirmons le droit des peuples de
résister à l’impérialisme et de décider de
leur propre avenir. La résistance héroïque du peuple libanais
à l’invasion israélienne soutenue par les USA et le grand
mouvement de solidarité qui s’en est suivi, ainsi que le rôle
des communistes au sein de celui-ci, montre que la résistance au prétendu
« Nouvel Ordre mondial » est à la fois possible et nécessaire.
Néanmoins, aussi longtemps qu' un mouvement communiste
distinct n’émerge pas suffisamment fort et capable de conduire
une contre-attaque stratégique, les mouvements populaires, les forces
progressistes radicales qui émergent seront plus vulnérables à
la confusion et à la manipulation.
Les évolutions récentes ont contredit ceux qui
proclamaient la « fin de l’histoire » et « l’inévitable
défaite » du marxisme-léninisme et des partis communistes.
Au contraire, les faits eux-mêmes mettent en lumière le rôle
indispensable des partis communistes et du socialisme comme seule alternative
à la barbarie capitaliste.
http://www.solidnet.org
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