Le Procès de la colonisation française : extraits
Les extraits sont
tous comme indiqué sortis du livre "Le Procès de la colonisation française"
de Ho Chi-Minh
1ère édition Paris 1925 - 1ère réédition Paris 1998 "Le Temps de Cerises"
Parmi tous
les efforts que les civilisateurs ont faits pour améliorer la
race annamite
et l'amener vers le progrès (?), il faut signaler la vente forcée, de l'alcool
officiel. Il serait trop long d'énumérer ici tous les abus nés de la vente d'un
poison, destiné à doser et faire avaler la démocratie. II existait alors
quinze cents débits d'alcool et d'opium pour mille villages, tandis qu'il n'y
avait que dix écoles pour le même nombre de localités. Déjà, avant cette fameuse
lettre, on avait fait ingurgiter aux 12 millions d'indigènes femmes et enfants
compris 23 à 24 millions de litres d'alcool par an.
« Alors que les Annamites ont déjà : 10 écoles, l 500 débits d'alcool
et d'opium pour l 000 villages. » « L'alcool consommé dans la préfecture de
X... est tombé à moins de Z... par tête d'inscrit. Ne croyez-vous pas nécessaire
de faire un exemple ? »
Chapitre II : L'empoisonnement des Indigènes
Le
bon M. Sarraut, ancien ministre radical des Colonies, petit père des indigènes
(à ce qu'il dit) adorait les Annamites et était adoré par eux. Pour leur inculquer
la civilisation française dont il était l' agent principal , il ne reculait devant
rien, pas même devant les infamies et les crimes.
En voici une preuve : c'est
la lettre qu'en qualité de gouverneur général de l'Indochine et pour gonfler
la poche des bandits coloniaux et la sienne, il adressa à ses subalternes :
«
Monsieur le Résident,
Conformément aux instructions de M. le directeur général
de la Régie,j'ai l'honneur de vous prier de bien vouloir seconder les efforts
de mon service dans l'établissement de nouveaux débits d'opium et d'alcool.
A cet effet, je me permets de vous adresser une liste des débits qu'il y aurait
lieu d'installer dans les divers villages mentionnés, dont la plupart sont totalement
privés d'alcool et d'opium.« Par l'intermédiaire des gouverneurs cambodgiens
et messocks, votre influence prépondérante pourrait heureusement faire valoir,
à certains petits marchands indigènes les avantages qu'ils auraient à se livrer
à un négoce supplémentaire. De notre côté, les agents du service actif, dans
les tournées chercheront à installer des débits, à moins que vous préfériez, monsieur
le Résident, qu'ils attendent que vous ayez d'abord agi auprès des autorités
pour quelles secondent votre action, auquel cas, je vous prie de vouloir bien
m'en informer. Ce n'est que par une entente complète et constante entre votre administration
et la nôtre que nous obtiendrons le meilleur résultat,pour le plus grand bien
des intérêts du Trésor.
Signé : Albert Sarraut »
II existait alors quinze
cents débits d'alcool et d'opium pour mille villages, tandis qu'il n'y avait
que dix écoles pour le même nombre de localités. Déjà, avant cette fameuse lettre,
on avait fait ingurgiter aux 12 millions d'indigènes femmes et enfants compris
23 à 24 millions de litres d'alcool par an. Pour les monopoles, l'Indochine
sera représentée par un cerf magnifique, impitoyablement ligoté, agonisant sous
le bec crochu d'insatiables vautours.
La Société du monopole de l'alcool comptait
parmi ses membres souscripteurs les plus éminents personnages de l'Indochine
et toutes les branches de l'administration y étaient brillamment représentées.
La plupart d'entre eux avaient l'avantage d'être d'une incontestable utilité. La
justice, pour trancher les différends avec ceux que l'on voulait imposer :
2 procureurs
généraux ;
l procureur de la République ;
l greffier notaire.
L'armée, pour réprimer
une révolte que l'on estimait possible du seul fait de l'application du monopole
convoité :
l général de brigade; 1 lieutenant-colonel; 2 médecins militaires
de haut grade; 1 commandant; 2 capitaines.
l'administration, dont la complaisance
désintéressée devait être le meilleur garant pour la réussite de l'opération
:
l résident de France ; l receveur des Finances ; l trésorier-payeur général
; l inspecteur des Postes ; l receveur d'Enregistrement ; l administrateur des
services civils ;• professeurs, etc., etc. Enfin : l'honorable M. Clémentel,
député du Puy De Dôme.*Que la France regarde et quelle soit fière s'écria M.
Sarraut à l'Exposition Coloniale de Marseille. En effet, voici qu'à côté des
majestueux caïmans de l'Afrique occidentale, bâillent philosophiquement des chameaux
de Tunis ; et des sympathiques crocodiles malgaches causent familièrement avec
d'augustes vaches indochinoises. Jamais l'entente ne fut si parfaite et, en
face de l'invasion pacifique des faunes coloniales, la légendaire sardine du
Vieux Port, en bonne hôtesse,sourit gracieusement.
Les visiteurs regardent avec
un vif intérêt le canapé historique d'un certain gouverneur général, l'épée
(avec laquelle le résident Darles a piqué les cuisses des détenus tonkinois,
et le flambeau dont l'administrateur Bruère s'est servi pour enfumer vivants
plus de deux cents indigènes de Houassas. Le pavillon du Cameroun attire particulièrement
l' attention. On y voit un tableau portant ces mots patriotiques : « Les Allemands
importaient au Cameroun de grandes quantités d'alcool. Les Français en ont
interdit l'usage. » Cependant, une main malicieuse a collé au-dessous de ce tableau
la lettre de M. Sarraut prescrivant à ses subalternes d'augmenter le nombre
des débits d'alcool et d'opium dans les villes annamites, avec cette inscription
:« Alors que les Annamites ont déjà : 10 écoles, l 500 débits d'alcool et d'opium
pour l 000 villages. »
Un fait significatif à propos d'un fonctionnaire
qui était à la tête d'une province du Tonkin, Son-tây. Dans cette province, il
y avait une population que l'on estimait à 200000 habitants. Pour les besoins
de la cause, quand il s'agit de pousser la consommation, cette population s'éleva
avec une rapidité soudaine on la porta à 230 000 habitants. Mais, comme ces
230 000 habitants consommaient trop peu, le résident de Son-tây arriva, au
bout d'une année, à obtenir une consommation de 360 000 litres d'alcool. Aussitôt,
son avancement fut assuré ; il reçut des félicitations.
M. de C... affirme qu'un
autre résident lui a montré une lettre émanant de supérieurs hiérarchiques et
dans laquelle on lit : « L'alcool consommé dans la préfecture de X... est tombé
à moins de Z... par têted'inscrit. Ne croyez-vous pas nécessaire de faire un
exemple ? » Le résident ainsi mis en demeure convoqua les notables, leur expliqua
que s'ils consommaient si peu, c'est qu'ils faisaient de la contrebande; et
aussitôt les villages, pour avoir la paix, achetèrent la quantité d'alcool officiel,
proportionnée au nombre d'habitants, que les estimations des bureaux voulaient
leur imposer.On a fixé, en fait si ce n'est par des moyens légaux, la consommation
annuelle de chaque indigène. Et, quand on dit chaque indigène, il ne faut pas
oublier qu'il ne s'agit pas seulement des indigènes adultes ;il s'agit de la
population tout entière, il s'agit des vieillards, des femmes, des enfants,
même à la mamelle ; on contraint en quelque sorte les parents à se substituer
à eux pour consommer non plus un, mais deux,trois litres d'alcool.
Les habitants
d'un village du Tonkin, se trouvant forcés de consommer, vu la menace qui pesait
sur eux, s'adressèrent à leur fonctionnaire européen : « Nous n'avons pas même
de quoi manger. » Le fonctionnaire répondit : «Vous êtes accoutumés à prendre
trois repas par jour; vous n'avez qu'à
supprimer un repas, ou, au besoin, un repas et demi, afin de pouvoir consommer
l'alcool du gouvernement. »
Jusqu'alors, les consommateurs indigènes avaient
coutume de se procurerde l'alcool en petites quantités et ils pouvaient en prendre
livraison dans les vases qui leur convenaient.Mais on a établi le régime des
bouteilles poinçonnées. L'alcool ne peut être livré qu'en bouteille officielle
d'un demi-litre ou d'un litre. Les Annamites étaient accoutumés à un choumchoum
de 20 à 22 degrés : on leur impose un alcool de 40 à 45 degrés. Ils étaient accoutumés
à boire un alcool qui présentait un certain goût empyreumatique agréable, dû
à la qualité des matières premières que, eux, ils employaient et, parmi lesquelles,
un riz des plus délicats : la drogue qu'on ingurgite de force aux Annamites,
est fabriquée avec des riz à bon marché, des ingrédients chimiques et a un sale
goût.Les monopoliseurs ont lancé une circulaire pour prescrire à leurs employés
le mouillage de l'alcool en vente : à un hectolitre d'alcool,il fallait mêler
8 litres d'eau claire. On
a calculé que, étant donné que chaque jour il se vend 500 hectolitres de cet
alcool en Indochine, cela faisait 4999 litres d'eau claire,
et que 4000 litres à 30 centimes
par jour, cela faisait l 200 piastres par jour, 36 000 piastres par mois, soit
un petit bénéfice tiré de la fontaine seule, de 432 000 piastres ou 4 millions
de francs par an !Ainsi, l'alcool, tel qu'il est fabriqué et mis en vente par
les monopoliseurs de l'Indochine, ne correspond, ni par le degré, ni par le
goût, à ce que demandent les indigènes, et il faut le leur imposer de force.
L'Administration,
pressée par les besoins d'argent constants, par l'obligation de faire face aux
dépenses croissantes du gouvernement général, des grands emprunts, des constructions
militaires et par la nécessité de trouver — sinon des emplois réels —
tout moins des traitements à une foule de fonctionnaires qu'on lui imposait
de Paris,l'Administration a, par tous les moyens poussé les fonctionnaires,
les agents, depuis le résident jusqu'au plus humble employé de l'Etat, à accroître
la consommation de l'alcool.[fin du chapitre II] ------------
chapitre XI - Le martyre de la femme
indigène
L'enthousiasme
des Annamites pour l'instruction moderne effraie l'Administration du Protectorat.
C'est pourquoi elle ferme les écoles communales, elle les transforme en écuries
pour messieurs les officiers,elle chasse les élèves et coffre les maîtres. Une
institutrice indigènefut arrêtée, amenée, tête nue au chef-lieu, sous le soleil
brûlant, la cangue au cou.Un adjudant chef d'artillerie mettait le feu à une
maison, sous prétexte que la propriétaire ne voulait pas le recevoir à minuit.Un
lieutenant, polygame, jetait à terre une jeune femme annamite et l'assommait
à coups de rotin, parce qu'elle ne voulait pas être sa concubine. Un autre officier
avait violé une fillette dans des conditions odieuses de sadisme. Traduit devant
la Cour Criminelle,
il fut acquitté, parce que la victime était une Annamite. Dans tous les
discours, dans tous les rapports, dans tous les endroits où ils ont l'occasion
d'ouvrir la bouche et où il y a des badauds pour les entendre, nos hommes d'Etat
ne cessent d'affirmer que seule l'Allemagne barbare est impérialiste et militariste,
tandis que la France, cette France pacifique, humanitaire, républicaine et démocratique,
cette France représentée par eux, n'est pas impérialiste, ni militariste. Oh
! pas du tout ! Si ces mêmes hommes d'Etat envoient des soldats - enfants d'ouvriers
et ouvriers eux-mêmes - massacrer les ouvriers d'autres pays, c'est simplement
pour apprendre à ceux-ci à bien vivre.[fin du chapitre XI]
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