L' Histoire contemporaine en danger
Attention, j' attire votre attention sur l' importance de
cette information. Ce n' est pas une information pour les seuls spécialistes,
elle concerne tous les citoyens et exige diffusion massive. Comme il est précisé
plus loin, une telle loi, du genre de celle qu' on nous a récemment
tenté de nous imposer sur les merveilles de la colonisation, nous interdirait
de consulter des fonds « libérés » parfois depuis
plusieurs décennies.
A l’histoire contemporaine sous influence succéderait ou s’ajouterait
l’interdiction de toute histoire contemporaine scientifique. Le charcutage
des programmes ne suffit plus, il vaut mieux tuer l’histoire contemporaine
d'emblée. Ses enseignements effraient donc tant ceux qui nous dirigent
et qui se sentent désormais assez puissants pour nous empêcher
de travailler ?
Annie Lacroix-Riz
Le texte du nouveau projet de loi sur la conservation
et la communication des Archives a été adopté par le Sénat.
Des auditions ont été faites par la commission des lois de l'
Assemblée nationale cette semaine et le texte doit être prochainement
voté (dans la deuxième quinzaine d' avril selon le calendrier
parlementaire, peut-être le 17). Ce texte est disponible sur le site de
l' Assemblée : page d' accueil aller à la rubrique « document
parlementaire », projet n° 566 ou cliquez sur ce lien : http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl0566.asp
Ce projet mérite TOUTE notre attention dans son
ensemble, mais plus particulièrement le chapitre « régime
de communication ». Il prévoit certes un raccourcissement des délais
légaux d' accèsà une partie des documents (vingt-cinq ans
contre trente, ou cinquante contre soixante par exemple) mais comprend aussi
quatre points très inquiétants.
- La création d' une nouvelle catégorie d' archives : les archives
incommunicables. Elles pourront ne jamais être communiqués au
nom de la « sécurité nationale » (armes biologiques.)
et de la « sécurité des personnes », certainement
immortelles. Il y a une contradiction dans les termes du texte, qui ne permet
pas de comprendre quelles sont les intentions du législateur. Il est
dit :
Art. L213-1 : "Les archives publiques sont [...] communicables de
plein droit" et L 231-2 : « il existe des archives qui "ne
peuvent être consultées" ».
Cet art. 213-2 n' a pas de raison d' être, car :
- 1/ les informations permettant de concevoir des armes biologiques ou de
destruction de masse sont nécessairement récentes ; or celles-ci
sont déjà couvertes par l' art. 213-2 I 3° ;
- 2/ les informations de nature à compromettre la sécurité
des personnes sont déjà visées par le 213-2 I 4°.
- Un nouveau délai, fixé à soixante-quinze ans, est créé,
fondé sur une extension de la notion de protection de la vie privée,
visant la plupart des archives publiques (Art. L. 213-2-4). Il y a ici amalgame
entre la « protection de la vie privée » (celle-ci n' étant
pas plus définie) et le fait de rendre publique « une appréciation
ou un jugement de valeur », catégories particulièrement
floues. Ou pire, le fait de « faire apparaître le comportement
d' une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice
». Pratiquement tous les dossiers d' archives publiques, tels les rapports
de préfets, les rapports et archives de police, contiennent des jugements
de ce type. Qui décidera - et sur quels critères - ce qui doit
être ouvert alors ? Fixer la barre à 75 ans, conduirait de plus
à refermer de nombreux dossiers ouverts depuis 15 ans. Verra-t-on se
de refermer pour quelques années les études sur le Front populaire,
la 2e Guerre mondiale et Vichy, ou celles sur la guerre froide qui commençaient
à s' ouvrir librement ? Certes, restent les dérogations, mais
c' est placer les chercheurs sous le sceau du privilège individuel
pour 25 ans de plus.
- - Une notion de « secret des statistiques » est introduite
de façon répétitive (14 occurrences au mot secret, dont
8 au secret statistique). L' article 25 - nouveau - dit dans un I que les
documents administratifs (immédiatement consultables en vertu de la
loi de 1978 sur la transparence administrative) ne sont communicables qu 'aux
intéressés quand ils portent atteinte au secret de la vie privée
ou comportent des jugements sur les personnes. C' est le cas des dossiers
d' instituteurs par exemple. Dans un II, il ajoute que les documents visés
aux I sont consultables dans les conditions fixées par le 213-2 : c'
est-à-dire 75 ans. Et comme ce II de L' article 25 nouveau ne mentionne
pas le 213-3, qui est L' article autorisant des dérogations, le couvercle
est vissé. Nul chercheur ou citoyen ne verra les dossiers de cour de
justice ou les dossiers personnels avant 75 ans : aucune dérogation
n' est possible.
- L' art. 213-I 4° aurait pour conséquence d' interdire toute recherche
sérielle postérieure à 1923 ; L' art. 213-2 4° rend
très difficile la consultation des listes nominatives.
- Enfin, le système des protocoles, déjà en vigueur pour
les Chefs d' État et dont on a constaté les dérives dans
certains cas est étendu à tous les papiers des ministres (Art.
L. 213-4). Il permettra à ceux- ci de traiter les archives publiques
produites par eux et par leurs collaborateurs, comme des archives privées
jusqu'au leur décès.
Les nouvelles dispositions prévues par ce texte
sont extrêmement graves : elles traduisent une défiance inquiétante
de la part des pouvoirs publics envers la communauté des chercheurs certes,
mais de façon plus globale, envers la communauté des citoyens.
Elles sont en contradiction flagrante avec les recommandations du Conseil de
l' Europe adoptées le 21 février 2002 par le comité des
ministres.
Nous tenions à vous faire savoir sans attendre cette
1ère information. Une pétition et d' autres initiatives sont en
discussion. N' hésitez pas à faire circuler le texte voté
par le Sénat et soumis aux députés et à diffuser
ces informations.
jmb
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