Le commissaire nuit à la santé
VITTORIO D’AGNOLETTO *
Un commissaire européen intervient par des pressions
directes sur un « pays en voie de développement »
en soutenant de façon explicite un laboratoire pharmaceutique particulier,
et au nom des intérêts de celui-ci demande à un gouvernement
souverain de modifier une loi.
Ceci n’était jamais arrivé. Que les multinationales pharmaceutiques
disposent d’un très grand pouvoir pour conditionner, dans le domaine
sanitaire, les choix politiques des gouvernements du monde entier, ce n’est
pas une nouveauté. Ce n’est pas une nouveauté non plus que
chaque fois que les parlements discutent de questions inhérentes à
la pharmacie, les boîtes aux lettres et les emails des députés
soient envahis de dizaines et dizaines de messages provenant de ces mêmes
entreprises. Ici, cependant, nous assistons à une pression sans précédent.
Les faits : depuis 8 mois, le Parlement européen est engagé
dans un bras de fer avec la Commission et le Conseil de l’Union européenne ;
l’objectif des parlementaires est de pousser les organismes du gouvernement
européen à soutenir les pays pauvres et en voie de développement
dans l’application des clauses de sauvegarde de l’Accord Trips (sur
la propriété intellectuelle) de l’Organisation mondiale
du commerce (OMC/Wto). En bref, l’assemblée de Strasbourg demande
que l’Europe permette aux pays pauvres et en état d’épidémie
de produire directement - ou d’acheter à bas prix aux pays producteurs
comme le Brésil et l’Inde - des copies génériques
de médicaments encore sous brevet, tout en restant à l’intérieur
des règles rigides établies par l’OMC. Il s’agit de
mesures minimes pour essayer de réduire la mortalité dans des
pays où le coût élevé des médicaments les
rend inaccessibles à la majorité de la population, en causant
des millions de morts qui auraient pu être évitées.
Deux lettres d’encouragement
Il s’avère maintenant que pendant que le Parlement
discutait ces requêtes avec les fonctionnaires de la Commission européenne,
le commissaire européen au commerce extérieur, Peter Mandelson,
écrivait au gouvernement thaïlandais en demandant la révision
d’une loi nationale qui favorisait l’accès aux médicaments
anti-HIV et anti-infarctus à des centaines de milliers de malades. En
deux lettres expédiées au ministre du commerce thaïlandais,
respectivement les 10 juillet et 10 septembre 2007, Mandelson non seulement
essayait d’influencer la souveraineté législative de Bangkok
mais, au nom de l’Ue, « encourageait le gouvernemental thaïlandais
à entreprendre une confrontation directe avec les propriétaires
des brevets, en particulier avec Sanofi-Aventis, sur le Clopidogrel (Plavix) ».
Un soutien explicite et direct aux intérêts de la multinationale
Sanofi-Aventis et de son médicament de pointe, le Plavix justement, utilisé
pour prévenir des attaques cardiaques ou d’autres pathologies coronariennes
et qui, rien que pour l’année 2006, avait eu un chiffre d’affaires
de 6 milliards de dollars.
En Thaïlande, 350 personnes sur 1000 souffrent du cœur
et, étant donné le prix imposé par Sanofi-Aventis de deux
dollars la pilule, seuls 20% des patients ont accès aux soins. C’est
pour cette raison que le Ministère de la Santé Publique thaïlandais
a décidé en janvier dernier d’importer d’Inde la version
générique (non brevetée) du Plavix, à 3 centimes
de dollar la pilule, en ayant recours à une dérogation (techniquement
appelée « licence obligatoire ») prévue
par les Trips, les accords sur la propriété intellectuelle prévue
par l’OMC. L’économie pour les caisses de l’Etat est
estimée à 4 millions et demi de dollars. Sanofi-Aventis avait
officiellement menacé d’avoir recours à la justice dans
le cas où Bangkok signerait son contrat de fourniture avec l’Inde,
et de citer Emcure, l’entreprise indienne productrice de la version générique
du Plavix, dans le cas où elle accepterait la commande de 2 millions
de plaquettes formulée par la Thaïlande. En même temps Sanofi-Aventis
a lancé une vaste campagne de lobby pour mettre en question le droit
de l’état asiatique à émettre des licences obligatoires :
campagne immédiatement relayée par le commissaire MANDELSON. Aujourd’hui,
malgré les multiples demandes d’éclaircissement de ce comportement,
de la part des parlementaires européens et des ONG telle que Oxfam et
Médecins sans frontières, aucune justification n’est arrivée
de la part du commissaire Mandelson sur sa conduite.
Un business de 600 milliards
Le marché pharmaceutique mondial représente un
business de 600 milliards de dollars annuels, et il est monopolisé par
une douzaine de laboratoires dont les sièges sont aux Etats-Unis et en
Europe, enregistrant des marges bénéficieras supérieures
à 25% (contre 15 % environ pour les autres biens de consommation), et
distribuent à leurs grands managers des salaires moyens d’environ
42 millions de dollars annuels.
La conduite de Mandelson, en plus d’être fortement
critiquable sur le plan politique et éthique, est formellement en opposition
avec le mandat qui lui a été confié par l’Union Européenne.
En effet, les règles de l’Union européenne prévoient
que lorsqu' un politique assume le rôle de Commissaire il s’engage
formellement à représenter l’Europe dans son ensemble et
à garder sa propre indépendance vis-à-vis de tout intérêt
commercial, économique et financier. Toutes les raisons sont réunies
pour demander à Mandelson de remettre la démission de sa charge :
pour respecter les normes que l’Union s’est donnée et aussi
pour ne pas transformer les citoyens européens en co-responsables involontaires
d’autres milliers de morts dans les pays en voie de développement.
Edition de mercredi 24 octobre de il manifesto http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/24-Ottobre-2007/art29.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
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