Avis de gros temps sur la conjoncture européenne

L’extension de la crise financière, le brut en folie, le freinage de l’économie US et l’euro « très fort », pur produit aussi des normes de la BCE, sont un terrible cocktail pour l’UE.

« La grève, c’est un coût incalculable pour l’économie, de la croissance en moins… » Il faut tout l’aplomb et la plus évidente mauvaise foi de la présidente du MEDEF Laurence Parisot (mercredi devant l’Association des journalistes économiques et financiers) pour vouloir faire porter ainsi aux grévistes français la responsabilité de ce qu' elle appelle une « catastrophe économique » annoncée. Si les nuages les plus sombres s’accumulent en effet ces jours-ci sur la conjoncture française et européenne, les causes de la perte de vitesse de la croissance sont à chercher bien ailleurs que dans les mouvements sociaux qui s’aiguisent, ces jours-ci, à l’échelle de la France comme de l’Union européenne. Elles s’appellent aggravation de la crise du crédit, décélération très nette de la croissance aux états-Unis, accès de faiblesse du dollar et niveaux record de l’euro (qui frôle 1,5 dollar), comme du baril de pétrole (qui flirte, lui, avec les cent dollars).

les symptômes d’une crise grave

Tous ces phénomènes sont les symptômes d’une affection très grave qui mine aujourd’hui l’économie mondiale et dont la crise financière de cet été a été la première manifestation. Toute une série de grandes banques doivent concéder les unes après les autres qu' elles ont été bien davantage touchées qu' elles ne voulaient bien le laisser entendre initialement par la fameuse crise des subprimes - ces crédits hypothéquaires à risque - qui continuent de s’écrouler en même temps que la bulle immobilière aux États-Unis (plus de 1 million de personnes ont été dessaisies de leur logement en un peu plus d’un an, et le jeu de massacre continue).

Par le biais de produits financiers ultrasophistiqués tous ces établissements avaient intégré dans leurs portefeuilles des parts importantes de ces « subprimes » dont les rendements battaient alors tous les records. Aujourd’hui alors qu' approche l’heure de vérité - celle du dénouement des bilans de fin d’année - ils doivent reconnaître des pertes astronomiques. Les États-Unis sont les plus touchés : Citigroup, la plus grande banque du monde, pourrait perdre entre 8 et 11 milliards de dollars, Meryll Lynch, plus de 7 milliards et Morgan Stanley près de 4 milliards, leurs PDG valsent les uns après les autres et « le bain de sang va se poursuivre et même encore s’aggraver », concède très sérieusement Nouriel Roubini, l’un des économistes vedettes de la place new-yorkaise. Les poids lourds de Wall Street pourraient ainsi enregistrer jusqu' à 200 milliards de dollars de pertes dans quelques mois.

Le secteur bancaire européen n’est pas épargné, comme la Deutsche Bank (- 2,6 milliards d’euros de pertes déclarées). Pour une raison très simple : avec la financiarisation de ces dernières années, on a assisté à une diffusion des produits à risque et un emballement de la spéculation. Cela nourrit un climat de suspicion généralisé qui alimente à son tour un phénomène de contraction du crédit, très dommageable bien entendu pour l’activité. Et tout cela provoque la résurgence de mouvements de panique sur les places boursières (la Bourse de Paris a ainsi rejoint mercredi un plus bas depuis trois mois).

Il n’y a désormais plus personne, même parmi les plus farouches fabricants du prêt-à-penser libéral, pour affirmer, comme cet été, que cette crise financière n’aurait que peu d’incidence sur « l’économie réelle ». Les prévisionistes de la FED, la banque centrale états-unienne, ont dû concéder mardi que le ralentissement de la première économie mondiale serait bien plus important que prévu, revoyant leurs prévisions de croissance à environ 1,8 % pour 2008. Et d’autres observateurs évoquent même ouvertement maintenant la possibilité d’une entrée en récession des états-Unis l’an prochain.

Les répercussions sur l’Europe risquent d’être particulièrement rudes. D’abord - naturellement parce que les - débouchés des firmes européennes outre-Atlantique vont mécaniquement se réduire. Mais surtout en raison de l’euro super fort qui affichait hier un nouveau record en se hissant à 1,487 2 dollar. « Il est exact » que cela « devient un motif de préoccupations pour certains secteurs exportateurs », a admis du bout des lèvres le président de la Commission Jose Manuel Barroso.

La situation est d’autant plus préoccupante que les règles mêmes de fonctionnement de la Banque centrale européenne (BCE) alimentent cette spirale à la valorisation de l’euro. Dévouée « en toute indépendance » au respect des normes exigées des marchés financiers (privilégiant la stabilité des prix afin de garantir l’augmentation des rentes), la BCE telle qu' elle fonctionne s’avère incapable d’agir sur le crédit afin de relancer l’activité créatrice d’emploi dans la zone euro. Alors que de son côté la FED fait feu de tout bois, quitte à diminuer ses taux et à organiser la poursuite de la chute du dollar pour relancer vaille que vaille la croissance sur son territoire. Ce qui permet aux États-Unis de transférer une partie de la crise vers l’Europe.

les dégats de la financiarisation

À tous ces signes de gros temps sur la conjoncture européenne s’ajoute l’explosion des cours du pétrole (à 97 dollars le baril hier en moyenne). Là comme pour les autres sources des déséquilibres actuels, la financiarisation à l’oeuvre ces dernières années, alimente - à côté des guerres au Moyen-Orient et d’une relative raréfaction de l’or noir dans le contexte du boom énergivore des pays émergents - une bonne part du phénomène. Les grandes compagnies obnubiléées par leurs résultats financiers à court terme ont en effet négligé leurs investissements lourds dans le raffinage et l’extraction.

C’est dire combien le gros coup de frein attendu sur la croissance relève toujours davantage l’urgence d’une autre politique monétaire européenne, d’un crédit sélectif, capable de favoriser l’emploi et de pénaliser à l’inverse l’inflation financière de ces dernières années. Véritable responsable, n’en déplaise à Laurence Parisot, de la « catastrophe économique » annoncée.

Bruno Odent

source l' Humanité

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