La situation actuelle du syndicalisme en Espagne

JOSE MARIA ALFAYA, PCE MADRID
MIGUEL MéDINA, CO GRANADA
publication le 12 février 2016
mis à jour le : 22 Août, 2017

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Le syndicalisme de classe a connu un essor, une extension et une intensité extraordinaires tout le long des années 50 à 70 du siècle dernier. Ce fut une expérience majeure qui ne relève pas du hasard.

Le Parti communiste d'Espagne fut la principale organisation politique dans la résistance contre la dictature de Franco et dans la lutte pour la récupération des droits et des libertés démocratiques, ainsi que pour le socialisme; d'abord dans l´étape de résistance armée et ensuite par le travail et la mobilisation dirigée par la classe ouvrière à travers les "Comisiones Obreras" (Commissions Ouvrières, CCOO). Celles-ci ont mis en œuvre un syndicalisme de classe, socio-politique, démocratique, moteur des assemblées ouvrières, unitaire, indépendant de la bourgeoisie, internationaliste et fermement opposé à une ligne politique de pacte social.

Le tournant s'était produit en 1948. En Octobre de cette année, les organes de direction du PCE conviennent d'examiner la relation entre l'organisation politique et la classe ouvrière et définissent une nouvelle stratégie syndicale.

Pendant toute la dictature franquiste, les peines de prison, les amendes et sanctions administratives, les licenciements, les arrestations et la torture de la police, la Garde Civile et les agents de la Brigade politico-sociale, les listes noires, l'exil, l'exécution sommaire de militants et de dirigeants syndicaux ou l´assassinat de travailleurs qui participaient à des manifestations de protestation n'ont pas pu arrêter la lutte des travailleurs, de plus en plus forte et influente dans la société de l'époque.


Les Comisiones Obreras ont joué un rôle tout à fait essentiel dans cette résurgence extraordinaire du mouvement ouvrier. Et, avec elles, bien sûr, le Parti communiste d'Espagne, promoteur de ce nouveau mouvement socio-politique.

Les CCOO ont vu le jour, se sont développées et ont gagné un grand prestige parmi tous les travailleurs, précisément parce qu'elles ont toujours promu une activité syndicale de classe dans le cadre d'une stratégie pour le recouvrement des droits et des libertés démocratiques et la transformation sociale vers l'émancipation de la classe ouvrière et le socialisme. Cette activité a débordé du moule des syndicats traditionnels et s´est adaptée à la nouvelle réalité socio-économique issue de 1936.

Bientôt, elles sont devenues un outil puissant pour la défense des intérêts immédiats des travailleurs, contribuant de manière décisive à la lutte contre la dictature, toujours avec l'objectif stratégique de parvenir à une société socialiste.

En 1976, au même moment où le syndicalisme de classe montrait une force, une extension et une influence extraordinaires dans la société espagnole, quand la grève et l'adhésion aux Commissions Ouvrières constituaient des délits (1.568 grèves impliquant 3,5 millions de travailleurs cette année-là), les dirigeants (eurocomunistes) du PCE ont favorisé et finalement imposé, a partir de la semi-clandestine Assemblée de Barcelone de la même année, l'orientation vers un type d'organisation qui remplaçait celui du mouvement socio-politique œuvrant pour l'unité syndicale, par le vieux modèle du syndicat réformiste. à la suite des Accords de la Moncloa (Octobre 1977), celui-ci penchera décidemment vers un syndicalisme de pacte social et d'abandon de la défense conséquente des intérêts de la classe ouvrière.

La stratégie de transformation sociale vers le socialisme est alors remplacée par la soumission et le soutien des politiques qui visent à renforcer l'économie de marché, dans la logique de fonctionnement du mode de production capitaliste. La lutte des classes est renvoyée aux oubliettes au profit de la "coopération responsable" entre les classes sociales dans le but de résoudre les problèmes et les difficultés de la classe dirigeante. Le concept de classe sociale lui-même est remplacé par la référence vague aux "groupes sociaux" et au "facteur travail".

Tout cela dans le cadre d'une négociation politique avec les héritiers de Franco et autres forces politiques dont l'issu fut une "Transition" contestée aujourd'hui par de larges secteurs de la société espagnole.

Ainsi, en collaboration avec la direction eurocomuniste du PCE, le grand patronat a remporté une victoire qui désormais pèsera lourdement sur les conditions de travail et de vie des travailleurs de notre pays. Et qui pèsent toujours.

C´est le syndicalisme de pacte social qui a permis la régression incessante des droits du travail et de la sécurité sociale qui comptaient parmi les conquêtes majeures du syndicalisme de classe. Ce fut ensuite la course effrénée à la dérégulation, la "flexibilité" et la précarité croissantes. Aussi, sous le gouvernement des représentants de la social-démocratie (González), le scandale des privatisations et des fermetures, avec des centaines de milliers de licenciements, toujours des exigences imposées par le traité d'adhésion de l'Espagne aux Communautés européennes en 1985.

Cette pratique syndicale porte une lourde responsabilité dans les réformes du Code du travail successives imposées par la droite et par les sociaux-démocrates de 2007 à ce jour. Ces réformes ont liquidé des conquêtes arrachées au patronat par de longues années de luttes ouvrières. Elles signifient un retour à des conditions de travail qui ressemblent celles du milieu du siècle dernier. Il s'agit d'une régression brutale des conditions de vie et de travail de millions de travailleurs, qui comporte aussi une "prolétarisation" de vastes composantes des couches moyennes.

Les indemnités pour licenciement abusif ont été réduites de plus de 26%, ce qui favorise les licenciements dits objectifs avec indemnité inférieure de 50% à celle des licenciements contraires à la loi ! Les motifs objectifs de licenciement sont modifiés pour empêcher le contrôle judiciaire, l'autorisation administrative préalable est éliminée y compris en cas de licenciements collectifs. On facilite la mobilité fonctionnelle et géographique, des changements unilatéraux par les directions d'entreprises des journées et des horaires de travail, des salaires, des systèmes de performance et d'autres conditions importantes. Désormais il est permis de suspendre ou de réduire temporairement le temps de travail sans autorisation administrative. Le licenciement des travailleurs de l'administration publique est lui-aussi facilité.

Les réformes imposées du Code du travail prévoient également la non-application des conventions collectives par arbitrage contraignant. De même, a été éliminée l'ultra-activité des conventions collectives dans les deux ans suivant la fin de leur délai d'application, contribuant ainsi à personnaliser les conditions de travail des travailleurs et donnant la priorité aux accords d´entreprise sur les conventions collectives sectorielles. Enfin, est établi un nouveau type de contrat "indéterminé" avec une année probatoire, ce qui favorise le licenciement libre sans compensation.

Ces réformes du travail ont entraîné la plus grande destruction d'emplois dans l'histoire récente de notre pays, mettant en place un nouveau cadre normatif qui rend tout emploi qui se crée plus précaire, temporaire, sans droits. Désormais plus de travailleurs employés sont condamnés à la pauvreté, des milliers de jeunes sont poussés à la condition de faux travailleurs indépendants. De plus en plus de travailleurs ont des contrats temporaires dont la durée ne se compte plus par jours mais par heures.

Or, en dépit de l'influence négative et perverse du syndicalisme de pacte social (étroitement parrainé par le patronat), les luttes ouvrières pour la défense de l'emploi et la résistance à l'offensive du capital sont de plus en plus nombreuses. On y décèle les caractéristiques qui sont celles du syndicalisme de classe: la combativité, la solidarité, la résistance à l'agressivité patronale et la rébellion sont des éléments, parmi d'autres, de plus en plus présents dans les mobilisations ouvrières.

Souvent ces conflits se heurtent aux manœuvres dissuasives des dirigeants des CCOO, voire nettement à leur opposition sans équivoque.

Un des exemples majeurs de cette nouvelle situation fut le conflit de la société Sintel et la dure expérience d'un sit-in long de près d'une année dans le boulevard madrilène de la Castellana -le "Campement de L'Espoir". Leur résistance dramatique contre le licenciement collectif imposé par le diktat d'un patronat lié à la mafia anticastriste de Miami a été systématiquement boycottée par la direction fédérale des Comisiones Obreras, avec celui qui était à l'époque son Secrétaire général, Fidalgo, en tête. D'autres conflits de travail ont connu le même sort: Santana à Linarès, Altos Hornos de Sagunto et de Biscaye, Ensidesa, etc. Et aujourd'hui, les mobilisations des ouvriers de Coca-Cola, de Panrico, de Navantia, de Cablenor, de McDonald, de Telepizza, d'Aceites Novena, de Boetticher Ibérica, de la Poste, de Progalsa, de Movistar, d'Airbus, d'IBM, etc.

Ceci dit, il s'agit bien encore de luttes qui expriment la rébellion naturelle de ceux qui souffrent l'assaut brutal du capital, avec ses séquelles de licenciements et d'une sévère réduction des droits des travailleurs, plutôt que de mobilisations programmées et organisées par un mouvement ouvrier encadré par un syndicalisme de classe.

Dans ce contexte, fin 2014, un manifeste signé par de nombreux militants des CCOO fut présenté sous l´appel "Ganemos CCOO" (Gagnons les Commissions Ouvrières).

Ce manifeste, signé par plus de 1600 membres et délégués des CCOO, réclame un "syndicalisme militant, démocratique, et de classe" qui, tout en s'appliquant à la défense des intérêts immédiats des travailleurs, veut développer l'action syndicale dans le but stratégique d'avancer vers une société socialiste.

Le document appelle à la tenue urgente d'un congrès extraordinaire des CCOO afin de rendre pleinement la parole à ses membres, avec la participation de délégués élus par la base : seule voie qui pourra assurer un changement stratégique de l'organisation dans le sens d'un syndicalisme de classe.

En dépit des limitations propres à un mouvement encore très jeune, "Ganemos CCOO" a joué un rôle non négligeable dans un certain nombre de puissantes luttes ouvrières récentes ou en cours dans notre pays, en défendant les principes du syndicalisme de classe.

Plus que jamais, en Espagne, la classe ouvrière a besoin d'une organisation politique guidée par les principes énoncés par Marx, Engels et Lénine, un outil efficace à même de répandre et de donner de l'élan au syndicalisme de classe que revendique à juste titre le mouvement "Ganemos CC.OO.", tout comme par ailleurs le font des travailleurs organisés dans d'autres syndicats dont la présence dans le mouvement ouvrier est plus minoritaire.

Cette organisation marxiste-léniniste, d´avant-garde et disciplinée, est appelée à œuvrer à l'unification des luttes ouvrières, à élever la conscience de classe des travailleurs, à unir et organiser tous les travailleurs et les syndicats décidés à s´engager dans une voie conséquente de classe et de porter un projet de véritable avenir pour toutes les victimes de la dictature du Capital par la mobilisation et l'organisation de millions de travailleurs. A répandre, en somme, la pleine conviction qu'il est possible de construire une société socialiste, libre de toute forme d'oppression et d'exploitation.

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