Pays basque : les rafles du juge Baltasar Garzón
John Brown
Répression politique au pays basque espagnol
8 octobre 2007
Mardi, dans le sud du Pays basque, les autorités espagnoles
ont réalisé une rafle dans les milieux indépendantistes
suite à laquelle 20 personnes ont été mises en état
d’arrestation et deux sont déjà en prison. Il s’agit
de cadres du parti indépendantiste basque Batasuna, qui représente
environ 15% de l’électorat au Pays basque.
Les autorités espagnoles maintiennent cette formation
politique dans l’illégalité en vertu d’une loi sur
les partis faite sur mesure pour l’interdire. Ce dispositif juridique
qui existe déjà depuis quelques années —et qui avait
été défendue au Parlement par l’actuel Premier ministre
socialiste, M. Zapatero— n’a jamais été appliquée
qu' à Batasuna et aux organisations politiques et groupements d’électeurs
que des membres de Batasuna ont essayé de constituer.
Il suffit en effet qu' un membre de Batasuna soit présent
sur une liste de candidats, pour que celle-ci soit interdite. Batasuna a été
mise hors la loi comme faisant partie d’un conglomérat «
terroriste » qui, d’ après le juge Baltasar Garzón
—oui, le célèbre juge qui a raté l’extradition
d’Augusto Pinochet mais réussi à incarcérer le journaliste
vedette d’Al-Jazeera Tayseer Alouni
[1] — dépendrait directement de l’ organisation
séparatiste armée ETA.
Cette dépendance n’a jamais été
prouvée. Tout au plus a-t-on pu démontrer une convergence objective
entre les actions légales de Batasuna et l’action armée
de l’ETA.
En effet, les deux organisations poursuivent les mêmes
buts, l’autodétermination et, à terme, l’indépendance
de la totalité du Pays basque (Communauté autonome basque, et
Navarre, en Espagne, départements basques, en France). Cette revendication
est d’ailleurs loin d’être minoritaire, puisque plus de 60
% des Basques soutiennent des partis politiques favorables à l’autodétermination,
quoique pas nécessairement à l’indépendance.
Pour criminaliser l’indépendantisme basque, les
autorités espagnoles ont donc appliqué une doctrine juridique
fondée sur l’amalgame entre des objectifs politiques légitimes
en démocratie (l’autodétermination, voire l’indépendance
des Basques) et des méthodes criminelles employées dans la poursuite
de ces mêmes objectifs.
Si l’ETA est un groupe armé indépendantiste,
il est assez naturel qu' elle recrute dans les milieux indépendantistes,
donc que ses militants soient aussi membres de groupes politiques, d’associations
culturelles, de clubs de jeunesse etc. qui font partie de cette mouvance. D’où
la seule base objective de la doctrine Garzón qui veut que, puisque les
militants de l’ETA sont membres du parti Batasuna ou de l’association
de jeunes EKIN ou du syndicat LAB et lecteurs du journal Gara, toutes ces organisations
ou publications seraient exactement la même chose. Ainsi, dans l’ordonnance
de mise sous écrou des deux porte-parole de Batasuna qui ont été
arrêtés hier, Garzón justifie sa mesure en affirmant qu' ils
font partie de « l’organisation terroriste ETA-EKIN-Batasuna »,
en tant que membres du parti Batasuna. La pratique de l’amalgame est évidente.
On accuse également les deux porte-parole de Batasuna
d’avoir pris part à une manifestation interdite en faveur des plus
de 600 prisonniers politiques basques qui croupissent dans les prisons espagnoles,
loin du Pays basque et sous un régime d’exception dans lequel ils
ne bénéficient pas de réductions de peine pour bonne conduite
et sont souvent soumis à l’isolement.
Cette manifestation interdite qui a lieu chaque année
le même jour depuis plus de 30 ans n’était aucunement une
manifestation violente. Ses revendications n’étaient même
pas particulièrement radicales, puisque les manifestants exigeaient simplement
le respect des lois pénitentiaires espagnoles en ce qui concerne les
prisonniers basques, notamment leur rapprochement du Pays basque et l’application
à leur égard des normes pénitentiaires normales.
C’est donc pour avoir exercé leurs droits de libre
association et leur liberté d’expression que ces deux personnes
se retrouvent en prison et que bien d’autres ont été arrêtées.
On chercherait en vain la moindre accusation de violence contre
les personnes ou les propriétés dans l’ordre de Garzón.
Et pourtant, c’est bien de « terrorisme » qu' on accuse
les deux représentants du parti indépendantiste. Cette accusation
ne saurait avoir d’autre base qu' analogique : ce sont des terroristes,
parce qu' ils poursuivent les mêmes buts que les terroristes.
Si on pousse un peu plus loin cette analogie on pourrait accuser
de terrorisme le démocrate-chrétien nationaliste, M. Ibarretxe
qui préside la région autonome basque et qui est lui aussi un
ferme partisan de l’autodétermination et de la souveraineté
du Pays basque. Il est déjà peu compatible avec des principes
démocratiques élémentaires qu' on ait introduit dans
les codes pénaux des pays européens le crime de terrorisme. En
effet, toutes les définitions du terrorisme sont fondées sur le
regroupement d’ une série d’ actes plus ou moins violents
autour d’une finalité politique commune.
Or les actes de violence qui représentent l’aspect
objectif du terrorisme sont déjà repris dans le code pénal,
la notion de terrorisme n’y ajoutant que l’intentionalité
politique. Il va de soi que la définition d’un crime dans ces termes
est extrêmement dangereuse pour les libertés politiques. Toute
la doctrine pénale libérale et démocratique est fondée
sur l’interdiction de l’analogie. En effet, toute sanction pénale
doit être prise en fonction d’une définition rigoureuse des
actes criminels. C’est ce qui découle du vieux principe nullum
crimen sine lege, il n’y a pas de crime sans une loi préalable
qui le définisse en termes stricts. Dès la prise du pouvoir les
ministres de la justice se sont empressés de remplacer dans le code pénal
l’interdiction de l’analogie par l’application obligatoire
du principe d’analogie dans le but d’établir l’ordre
répressif quasiment sans failles que l’on sait.
Certes, les actions armées de l’ETA sont éthiquement
insupportables et politiquement inutiles ou même contre-productives, celà
n’empêche pas qu' elles s’inscrivent dans un contexte
de déni massif de droits et de violence institutionnelle. Ceci ne les
justifie aucunement, mais celà permet de comprendre que de nombreux citoyens
basques refusent de « condamner » cette violence. Le nombre de basques
emprisonnés à l’heure actuelle est déjà une
donnée politique et sociale massive. Mais il faut tenir compte des milliers
de personnes qui sont passées précédemment par les prisons
espagnoles ou des dizaines de milliers qui ont été arrêtées
et souvent maltraitées —beaucoup même torturées—
avant et après la mort de Francisco Franco pour saisir la force de la
revendication d’autodétermination et l’intensité de
la résistance et de la répression. Un État démocratique
ne peut pas faire face à ce phénomène en prétendant
qu' il n’existe qu' un problème de terrorisme.
Une solution politique négociée avec les différents
acteurs était à portée de main l’an dernier, quand
l’ETA proclama un cessez-le-feu indéfini. Le gouvernement espagnol
ne profita pas de l’occasion pour reproduire une solution à l’irlandaise.
Il est difficile de savoir s’il ne voulait pas ou s’il ne pouvait
pas le faire, étant pris dans les filets d’appareils d’Etat
directement hérités du franquisme. Le gouvernement de Jose-Luis
Zapatero devrait également honorer les engagements pris para le PSOE
lors de la « transition » avec l’armée et les forces
de droite, notamment en ce qui concerne l’unité de l’Espagne
et le maintien du roi désigné par le général Franco.
De son côté, l’ETA n’eut pas la patience
d’attendre le développement d’une mobilisation citoyenne
en faveur du processus de paix qui aurait pu dénouer la situation et
entreprit une action spectaculaire de sabotage à l’aéroport
de Madrid qui coûta la vie à deux immigrés équatoriens.
Le gouvernement espagnol mit fin le jour même de l’attentat à
ce processus de paix, qui pour lui n’avait été qu' un
vague échange de paroles sans conséquences.
L’ETA mit fin au cessez-le-feu unilatéral quelques
mois plus tard. Désormais, le gouvernement socialiste espagnol, désireux
de ronger des voix à la droite —avec laquelle il se retrouve coude
à coude dans les sondages— joue la surenchère répressive
dans laquelle s’inscrit cette dernière vague d’arrestations.
Dès lors, on peut craindre une reprise de l’ « activité
armée » de l’ETA à laquelle le gouvernement de M.
Zapatero ou son successeur de droite répondront sans doute par une nouvelle
attaque contre les droits des citoyens.
John Brown
[1] Le Réseau
Voltaire a mis en cause le magistrat dans « La presse arabe dans la ligne
de tir », 15 septembre 2003. Il nous a répondu dans l’entretien
qu' il nous a accordé, mais qui ne nous a guère convaincu,
voir « Baltazar Garzón ou le fantasme d’Al Qaïda »,
16 février 2004.
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