Fausses avancées et vrais reculs

Le projet de Constitution est introduit par un préambule qui présente l'Europe comme une sorte d'Eden où tous les habitants,"y compris les plus fragiles et les plus démunis", connaîtront le bien-être. La liste des valeurs et des bonnes intentions est  impressionnante. Les partisans du oui les mettent en  avant  en surestimant leur impact, tout en passant sous silence ou en déformant les insuffisances et les reculs.

Il  est important de dénoncer leurs contrevérités et  leurs mensonges en confrontant leurs arguments  au texte lui-même, sans tomber, pour autant, dans le piège d'une simple lecture nominale qui évacuerait les lignes de force liées aux lois du marché et éviterait d'aborder le contenu des politiques européennes présentes et à venir.

Reconnaissance légale des services publics ?

La notion de "service public" n'est abordée qu'une seule fois pour "le remboursement de certaines servitudes" dans le domaine des transports (art.III-238). Plus généralement, les services publics sont réduits à des "services d'intérêt économique général" (art. II-96) qui ne sont que des services minimaux pour "assurer la cohésion sociale et territoriale". La définition de leurs  conditions d'application est renvoyée à une hypothétique loi européenne  (art. III-122) obéissant à la logique  de la Constitution. Ces services devraient donc être soumis aux règles du marché et ne pourraient bénéficier que de dérogations. Les collectivités locales ne seraient pas épargnées avec le risque de perdre la liberté de gérer directement ou de déléguer les services publics locaux.

Dans son dernier rapport annuel sur la compétitivité (novembre 2004), la Commission confirme sa conception du service public : elle estime que le secteur public est en général "inefficace" et que la privatisation et la sous-traitance sont bénéfiques en matière d'efficacité et de rentabilité.

Plein emploi et progrès social?

Les partisans du oui estiment qu'en matière d'emploi et de social, "la Constitution marque une avancée" comme l'a souligné le 15 octobre John Monks,  secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES). Certes, la notion"d'économie sociale de marché (....) qui tend au  plein emploi et au progrès social" est énoncée dans les objectifs (art. I.3). Mais elle doit être "hautement compétitive" et obéir au "marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée". Les politiques de l'emploi sont donc étroitement soumises aux règles du marché qui ne visent qu'à satisfaire la rentabilité financière des entreprises. Tous les rapports relatifs à l'emploi - notamment le rapport Wim Kok sur la "stratégie de Lisbonne" - fondent le développement  de l'emploi sur l'accroissement  de la flexibilité du travail, de son adaptabilité et sur la baisse des coûts salariaux afin d'instaurer un "climat plus favorable pour les entreprises et les affaires". La flexibilité devient la norme du travail et les salariés la variable d'ajustement des politiques économiques et monétaires.

Quant au progrès social, parlons-en! Déjà , il y a près de cinquante ans, le Traité de Rome s'était prononcé pour l'harmonisation des conditions sociales "dans le progrès". Pour les travailleurs, c'est resté un voeu pieux. L'ex-président de la Commission européenne Romano Prodi a reconnu (interview à "la  Croix du 24 septembre 2004) que "dans presque tous les pays européens , depuis quinze ou vingt ans, les différences sociales et économiques se sont accentués et sont devenus plus graves". En réalité, hier comme aujourd'hui l'affichage d'une prétendue  "Europe  sociale" s'est qu'un paravent et un dérivatif pour dévoyer la mobilisation populaire et permettre aux gouvernements de poursuivre leurs politiques de régression sociale.

Les avancées de la "charte des droits fondamentaux"?

Adoptée par le Conseil européen de Nice en décembre 2000, cette charte a été intégrée sans modification dans la Constitution (partie II). En matière de droits civils, elle reprend pour l'essentiel les conventions internationales. Mais elle ouvre la voie à des reculs en matière de droits sociaux par rapport à de nombreuses législations nationales et même par rapport à la Charte sociale  du Conseil de l'Europe et à la Déclaration Universelle des droits de l'homme de 1948. La charte substitue au "droit au travail" "le droit de travailler et d'exercer une profession librement choisie et acceptée"!. Le droit à un revenu garanti ou à une rémunération équitable est ignoré.

 Le "droit au logement" devient "le droit à une aide au logement". Les droits syndicaux sont à peine mentionnés mais "la liberté d'entreprendre est reconnue".

Ces droits minimaux seront d'autant moins respectés qu'ils sont inscrits dans la logique générale du texte  fondée sur les principes de l'économie capitaliste.

La paix garantie?

La mise en concurrence des travailleurs, le renforcement de l'exploitation et de la domination impérialiste des peuples dans le cadre de l'intégration européenne, constituent des  ferments de guerres et des futurs affrontements entre puissances impérialistes.

Le projet de Constitution ne fait pas référence au refus de la guerre comme moyen de résoudre les conflits. Bien au contraire, il pousse à la militarisation de l'Union et s'inscrit dans une logique de militarisation des relations internationales : "Les Etats membre s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires" (art. I-41). C'est une réponse directe aux pressions des Etats-Unis pour une augmentation des budgets de défense au détriment du social, de l'environnement et du développement. En même temps, l'Union  veut disposer d'une capacité opérationnelle de moyens civils et militaires qui pourront intervenir dans les pays tiers en liaison avec l'OTAN.

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