Le Front national et l' Europe : depuis quand, tant de désamour ?

François Ruffin 29/04/2014
publié le : 17 Décembre, 2017

recommander à un ami

On a reçu un coup de fil, ce matin, de Charlotte, attachée de groupe coco au Parlement européen, à la recherche d' arguments sur le FN et l' Europe. Comme elle n' est pas la seule, sans doute, à s' interroger, Fakir vous offre un chapitre de « Pauvres actionnaires ! »

Bruxelles. Aujourd' hui. « L' Europe de Bruxelles a imposé partout les principes destructeurs de l' ultralibéralisme et du libre-échange, au détriment des services publics, de l' emploi, de l' équité sociale. Restaurer la souveraineté nationale, cela signifie d' abord sortir du carcan étouffant et destructeur de Bruxelles dans lequel on nous a enfermés malgré nous. » Marine Le Pen, discours de Tours, 16 janvier 2011.

Avant. 1988. Pour une « Europe politique, économique et militaire »

La Lettre parisienne du Front national narre ces rencontres, au printemps 1988 : « Réunis au-delà des barrières de langage par une solide foi anticommuniste, les jeunes Européens de la « grande Europe » ont reçu pour objectif de se battre pour les libertés et plus particulièrement pour la liberté des peuples d' Europe de l' Est. »Dans son discours, le « leader européen » – alias Jean-Marie Le Pen – « réclama la construction d' une Europe politique, économique et militaire ». Et son intervention « se termina dans un climat chaleureux, aux accents de L' Ode à la joie de la IXe symphonie de Beethoven et aux cris de : « l' Europe, Le Pen, Liberté ». »Maastricht est en vue, mais le FN conclut son meeting sur l' hymne officiel de l' Union européenne...

Rempart

Jean-Marie Le Pen ne fut pas toujours le héraut de l' europhobie, le porte-drapeau de la souveraineté nationale. Au contraire, même. Dès son premier portrait télévisé, en 1973, il se définit ainsi : « Je suis de Bretagne, je suis de France, mais je suis d' Europe aussi. » Et pour une raison simple : l' Europe, c' est d' abord un rempart contre le bolchévisme. Son programme de 1974 note ainsi :

« Face à l' impérialisme soviétique qui n' a pas renoncé à ses desseins de domination politique et idéologique, l' indépendance de notre pays est liée à celle de l' Europe et de l' Occident. »

Contre un ennemi commun, il y a le devoir d' être « solidaire avec les alliés européens et occidentaux », de faire corps avec nos voisins. Sans démontrer, forcément, un enthousiasme forcené, mais sans non plus attaquer « l' Europe de Bruxelles ».
Ça va durer.

Silence

Pour les élections européennes de 1984, le Parti communiste vitupère : « Considérez les dangers d' un éventuel élargissement du Marché commun à l' Espagne et au Portugal, que nous sommes seuls à combattre. L' Europe actuelle, c' est celle du chômage, dominée par le dollar et le mark. »
Le Front national, lui, se tait sur cette orientation, ne glisse pas un mot sur Bruxelles, et se contente d' un : « En Europe et en France, pour faire reculer la guerre et le communisme, pour combattre et vaincre l' immigration, l' insécurité, le chômage, la dénatalité, la dictature fiscale, le laxéisme moral… votez Le Pen ! »

Acte unique

Lors du débat sur l' Acte unique européen, en 1986, l' orateur communiste dénonce un traité qui vise « une libéralisation du marché au profit des sociétés multinationales »« une déréglementation systématique »« une attaque contre les acquis sociaux par des politiques de flexibilité et d' austérité », et son groupe vote contre, en conséquence.
De son côté, le député frontiste François Bachelot regrette une« Europe qui n' a pas d' âme », une « pseudo-Europe des technocrates », mais sans s' opposer : « Nous n' avons nullement l' intention, comme les communistes, d' hypothéquer l' avenir de la France qui se fera sûrement à travers l' Europe. » Et sur un texte capital, qui prévoit, rien de moins, la disparition des frontières douanières, les élus Front national s' abstiennent...

S' adapter

Pour les présidentielles de 1988, le candidat communiste, André Lajoinie, fait de la Communauté économique européenne sa cible privilégiée : « Aujourd' hui, dans les faits, la CEE tant vantée par nos gouvernements, ce sont : les quotas, la casse et le chômage, la déréglementation, la soumission aux