Nous serons mis sur le tas car le recteur s'est acheté une Toyota !
Quand la détermination existe, même un slogan aussi peu conséquent et flou que celui figurant dans le titre ici suffit à faire gagner une protestation ouvrière. Il y avait en effet quelque chose de pervers dans le fait que le recteur de l'université Marie Curie-Sklodowska de Lublin ai l'intention de licencier 400 personnes travaillant pour le service technique de l'établissement et se fasse en mêm temps acheter une luxueuse auto de service pour 100 000 zl. Afin que son excellence puisse être conduite. Bien entendu, cela n'aurait eu aucune influence pour l'emploi, mais cela a constitué un exemple du mépris généralisé avec lequel les élites considèrent les simples travailleurs physiques.
C'est finalement l'action à la base initiée par la Chancellerie pour la justice sociale (KSS) (1) qui a soulevé un sentiment de solidarité des travailleurs, qui a cassé la barrière de l'apathie et de la peur qui paralysait jusque là les employés de l'université. Le KSS a libéré ainsi l'initiative des gens et des organisations, au point où , par leur propre inventivité et leur propre activité, le Comité social de défense des travailleurs (OKOP) de l'université est devenu la force auto-génératrice de tout le mouvement de protestation.
Il ressort de toute cette situation, de mon point de vue, qu'un mouvement partant de la base et organisé par le prolétariat et pour le prolétariat, constitue la force la plus efficace et la plus authentique, en état de se battre pour soi-même et pour les autres
Toute une histoire
Nous n'allions pas accepter le licenciement de 400 personnes. C'était clair. L'université de son côté ne cédait rien et ne voulait pas entendre parler d'une autre variante. Le temps pressait et il fallait stopper cette évolution ou tout au moins montrer que nous allions résister. Depuis plusieurs semaines, les murs autour de l'université étaient couverts de slogans dénonçant les licenciements, collés par les jeunes du syndicat « Initiative des travailleurs », de « Critique politique » et par des étudiants de l'université (2). Ils rassemblaient des signatures et, pendant ce temps, moi et Grzegorz Nowicki, nous rédigions des lettres au tribunal, à la cour des comptes, nous écrivions des tracts et des appels. Nous avons organisé une conférence de presse qui a reçu un écho important dans la population de Lublin. L'information s'est répandue dans toute la Pologne. L'OKOP a pu ensuite être fondé. J'a dû commencer à recharger tout le temps mon téléphone car nous étions entièrement occupés par cette protestation. Nous téléphonions aux médias, à des personnalités, et nous faisions venir qui pouvait venir. Les médias nous appelaient. Et ainsi de suite. La veille de l'inauguration de l'année académique nous avons encore planifié la manifestation de masse qui devait débuter le vendredi à 10h. Mais, comme je devais cependant travailler le jeudi précédent l'événement dans ma mine dans la seconde équipe (3). Le soir, Elzbieta Chodzynska du syndicat « Solidarnosc 80 » (4) m'a téléphoné pour m'annoncer que ça ne marcherait pas à 10h, car le recteur avait fait peur aux travailleurs en leur annonçant que s'ils prenaient part à la manifestation pendant les heures de travail, il en tirerait de graves conséquences. Et pour ceux qui auraient été tentés de déposer leurs congés, ils ne les obtiendraient pas. Nous avons donc déplacer la manifestation principale à 12h30, c'est-à-dire après la fin du travail de la seconde équipe, et à partir de 10 heures, nous avons décidé de passer dans les différents départements de l'université pour organiser de mini-piquets de grève et des manifestations, avec qui on pourra. J'étais stressé, car moi-même je devais être à mon boulot, et que je ne pouvais dès lors pas me tenir au courant par téléphone, et que le lendemain, je n'allais pas pouvoir moi-même être présent à cause de cette foutue seconde équipe qui allait me prendre toute la journée, alors que théoriquement elle ne dure que 8 heures. Que faire ?
J'allais aider tant que je le pourrai, puis ensuite, consciemment
et avec préméditation, j'allais violer le code de la route pour
arriver à temps au travail. Car mes chefs en déjà ont assez
de toute mon activité sociale et politique. Je n'ai donc pas le droit
d'arriver en retard, et tous mes congés ont déjà été
utilisés pour des occasions de ce type. Et nous prions la pluie pour
qu'en plus, elle ne tombe pas. Et qu'est-il alors arrivé ? Depuis le
début de la matinée de ce vendredi, il pleuvait des cordes. Je
roulais avec mon téléphone collé à l'oreille, car
déjà les médias m'appellaient. Il ne manquerait plus que
la police sur la route. Mais heureusement, qu'elle n'est pas sortie avec cette
pluie. La TV et les radios avaient prévu que l'action aurait lieu comme
annoncé précédemment à partir de 9h50, et ils étaient
en colère car nous avions déplacé l'action à 12h30.
Or, nous avons besoin des médias, car il fallait que l'affaire se répande
dans toute la Pologne, sinon rien ne fera bouger le cercle des provinciaux de
Lublin.
Nous avons donc caresser les journalistes et nous nous sommes arrangé
de toutes les façons possibles pour qu'ils veuillent bien rester. Grzegorz
Nowicki a donné une interview à TV Info. Nous, du KSS, avons pris
à notre compte toute l'organisation de l'événement, car
le syndicat « Solidarnosc 80 », le seul syndicat de l'université
à avoir lancé une protestation et qui nous a « loué
» pour l'organisation, ne voulait pas encore à ce moment soutenir
officiellement le mouvement, avant d'être entré officiellement
dans un conflit du travail. Ils avaient encore un espoir d'accord. Nous plus.
Puis soudainement, un groupe de personnes s'est rassemblé à l'entrée
du rectorat. Il en arrivait une centaine avec des drapeaux et des banderoles.
Je suis allé vers eux et leur ai demandé d'où venaient-ils.
Ils m'ont répondu que la manifestation devant commencer à 10H00,
ils avaient donc déposé leur congés. Quand je leur ai dis
: « la direction était censé vous les refuser et vous avoir
fait peur » ? « Avec quoi peuvent-ils nous faire peur ? Puisqu'ils
veulent nous licencier, nous n'avons plus peur de rien » ont-ils répondu.
« Nous avons des oeufs dans nos poches, si cela sera utile ». Sur
ce, des journalistes sont arrivés. Demandant ce qu'on faisait. Les travailleurs
voulaient qu'on commence l'action. Ils voulaient se rendre immédiatement
dans le hall où l'inauguration de l'année académique devait
avoir lieu et où « on allait faire l'accueil ». Les journalistes
ont alors demandé quel sera le slogan de toute l'action. Un peu surpris
par toute cette effervescence imprévue, j'ai lancé en blagant
: « Nous serons mis sur le tas car le recteur s'est acheté une
Toyota ! ». Et les femmes de ménage amusées par ce slogan
l'ont immédiatement repris en scandant. Quelques instants plus tard,
amusé par ma blague qui n'était pas particulièrement réfléchie
(mais le classique ne dit-il pas « et le rire peut aussi constituer une
forme de savoir »), je proposais qu'on pourrait la chanter sur le rythme
de Guantanamera. Et cela a tellement plu qu'il ne fut plus la peine d'imaginer
un chant spécifique. 10h00 approchait. Nous nous sommes rassemblé
devant l'entrée principale. J'ai présenté par haut-parleur
la raison de notre protestation. Les VIP de leur côté arrivaient.
Et on a commencé à scander fortement notre chanson. Le première
portion d'oeufs fut destinée au recteur. Grzegorz eut alors l'idée
d'aller lui donner lors de la cérémonie un saut et un balai. Qu'il
nettoie lui-même puisqu'il licencie les femmes de ménage. Un employé
de l'usine Swidnik, militant au syndicat « Août 1980 » s'est
joint à la délégation prévue à cet effet.
Nous nous sommes rapprocher dans ce but de l'entrée de la salle et les
hommes du service de sécurité « Impel » ont fermé
les portes. Une bousculade a commencé. Nous avons même reçu
un « tir amical » d'oeufs venant de l'arrière, mais les employés
d'Impel étaient trempés par les oeufs. Grzegorz en a reçu
un et moi je le lui ai renvoyé par ricochet. Des cris : « Impel,
gestapo, fascistes ». Tout le monde criait. Les portes grinçaient.
Nous avons calmé le jeu. Les médias enregistraient la scène
où l'élite s'est séparée de la plèbe. Nous
nous sommes alors rassemblé sous le monument de la patronne de l'université.
J'ai commencé le rassemblement en faisant attention à ce que le
haut-parleur qui avait été abimé pendant la bousculade
ne perde pas ses piles. D'autres orateurs ont suivi. Il allait falloir terminer.
Nous étions tous en sueur et sans voix. Nous avons annoncer une manifestation
pour le 4 novembre. Et les mineurs et les employés du supermarché
Tesco ont annoncé leur soutien.
Il devait y avoir à cette seconde manifestation environ 500 personnes. Le conflit du travail officiel allait commencer le lundi suivant. La protestation montait, ce que les médias ont remarqué et, dès ce jour, les informations sur notre action ont occupé un large espace. Les femmes de ménage étaient censées devoir payer pour les dettes de l'université Pour être franc, je ne pense pas avoir entendu parler de ces licenciements à l'université avant le début du conflit. J'ai tout appris en marchant, au moment de l'action. Et c'est surtout Grzegorz Nowicki qui a apporté à notre chancellerie toutes les informations et nuances sur le problème. Tout a commencé avec le fait que les pouvoirs de l'université ont voulu licencier 400 personnes des services techniques, surtout des femmes de ménage, pour améliorer la mauvaise condition financière de l'établissement, endetté pour 54 millions de zlotys. Un endettement qui augmentait régulièrement depuis 15 ans. L'actuel recteur, juste avant son élection à ce poste, avait annoncét qu'il ne prévoyait aucun licenciement. Puis, à la fin du mois de septembre, il annonça soudainement qu'il devait procéder à des licenciements collectifs, et qu'il allait transférer les taches des travailleurs licenciés à une firme extérieure choisie par concours. Mais avant même qu'il ne commence, les travailleurs étaient déjà convaincus que cette firme serait Impel. Un hasard, une prophétie collective ou une théorie du complot ? Ou tout simplement une analogie avec le fait que Impel avait obtenu il y a peu la sécurité des bâtiments, sans aucun concours ?
En tout cas, nous avions affaire avec la vente des emplois
à ceux qui sont capables de le payer moins que le salaire minimum, obtenu
par les travailleurs du secteur technique de l'université. Les miracles
économiques de l'outsourcing ne sont pas rares ! La question de la justice
sociale n'avait aucune importance pour les pouvoirs universitaires. Les dettes
s'étaient accumulées pourtant pour d'autres raisons que les salaires
trop élevés des femmes de ménage. Nous avons appris de
la part de militants syndicaux des informations portant sur des investissements
mal ciblés, des voyages à l'étranger du recteur, des rénovations
de bâtiments universitaires qu'il fallait recommencer, à peine
les travaux terminés car, par exemple, il s'est avéré que
le tout nouveau toit du département de chimie laissait passer l'eau,
ce qui n'était pas le cas de l'ancien. Et dans tout cela, cette malheureuse
Toyota !
Si l'université possède une institution des relations publiques,
alors les conseils de cette institution devraient amener ses employés
à recevoir un saut et un balai au lieu de jouets de bureaux. Celui qui
dans une période de crise investit dans des objets de luxe, tout en faisant
peser sur les plus pauvres les coûts est soit un sociopathe, soit un personnage
qui possède une observation complètement défectueuse de
la réalité sociale. Voilà ce que nous avons appris en nous
lançant dans cette aventure. Du soutien aux locataires à l'appui
aux protestations des travailleurs Il n'y a eu aucune contradiction entre les
activités d'origine du KSS et les nouvelles missions qui se sont ouvertes
devant nous à cette occasion. Il est vrai que nous avons à l'origine
soutenu les locataires pauvres, mais nous avons toujours souligné l'unité
qui existait entre différents problèmes individuels et le statut
matériel du prolétariat, menacé d'être mis à
la rue. La perte de son emploi est en effet le premier pas dans cette direction.
Lorsque j'ai commencé mon militantisme à la Chancellerie
de la justice sociale dans la région de Lublin, en tant que militant
de la Nouvelle gauche et en tant qu'ouvrier mineur de charbon, je me trouvais
alors tout seul et je faisais semblant, car j'étais plein de craintes
pour savoir si j'arriverai aux objectifs désirés. après
quelques mois Grzegorz Nowicki, un militant du Parti socialiste, vint me rejoindre
(5). Nous avons réussi ensemble
à gagner plusieurs procès en faveur des locataires et à
rassembler plus d'une vingtaine de personnes dans notre association, ce qui
a permis de bloquer plusieurs expulsions de locataires. Beaucoup des conseils
que nous avons apportés aux gens leur ont permis de sortir de leurs situations
difficiles, et d'arriver à obtenir quelque chose des administrations
ou des tribunaux. Nous faisons cela jusqu'à aujourd'hui avec efficacité,
et surtout avec un fort engagement. C'est par l'intermédiaire d'une cliente
du KSS, simultanément employée à l'université et
membre du syndicat « Solidarnosc 80 » qu'on nous a demandé
d'appuyer la protestation des travailleurs de cet établissement. C'est
justement ce syndicat qui nous a demandé de coopérer. Joanna a
demandé à la commission de son syndicat de se tourner vers le
KSS, car elle avait perçu dans cette association, les prémices
d'une organisation de solidarité sociale des travailleurs, c'est-à-dire
ce dont ont le plus besoin les travailleurs menacés. Un drôle de
machin comme le KSS éveille aujourd'hui un grand étonnement et
une surprise. « Comment cela ? Vous aidez gratuitement ? » déclarent
incrédules les gens. Et nous devons sans arrêt leur expliquer que
« gratuitement », c'est un concept relatif. Que si nous militons
au nom des autres, nous militons aussi pour nous-mêmes, car nous organisons
la société des travailleurs, d'une classe à qui on a retiré
ses droits, à ceux qui n'ont pas la possibilité d'avoir un juriste,
à ceux que personne ne voit, car ils sont trop pauvres, trop anonymes,
trop seuls. Nous organisons une société, dans laquelle nous allons
nous mêmes nous sentir en sécurité, et nous cassons les
règles du système capitaliste : le système du contrat quelque
chose contre quelque chose. Et lorsque Elzbieta Chodzynska et Agnieszka Zarzycka
militantes au syndicat « Solidarnosc 80 » ont commencé à
lancer avec nous des actions communes, les journaux ont très fortement
souligné le fait que le KSS allait représenter « gratuitement
» les travailleurs. C'est tellement inhabituel ! Vraiment ? Ma réponse
et celle de nous tous, est toujours la même, « nous faisons en fait
cela pour nous mêmes, car en combattant pour les droits des travailleurs,
nous luttons pour nous mêmes. »
En luttant contre le système d'exclusion, nous luttons pour la sécurité
pour nous-mêmes. Qui sait ce que le destin nous réservera ? Ce
sont toujours des actions systémiques car elles sont toujours prises
dans une contexte social bien précis. Lors de la protestation à
l'université Marie Curie-Sklodowska, nous avons souligné le manque
de sécurité sociale prévu pour les licenciés, le
piège de l'exclusion et de la perte des logements qui arriverait en finale,
si jamais on n'arrivait pas en fin de compte à retrouver un autre emploi.
Et lors des actions en faveur des locataires, nous soulignons toujours quelle
est la source du problème. Et la source, c'est toujours le chômage,
ou la maladie ou un autre malheur du destin qui laisse un être humain
sans moyen pour vivre, car les soit-disant « droits sociaux » ne
sont pas respectés en Pologne. C'est pour cette raison que nous avons
participé aux protestations à l'université et que nous
avons obtenu la confiance de ses travailleurs.
Tout ce que j'écris ici ne serait qu'un martyrologie
et une auto-glorification vide de sens si je n'arrivais pas à une conclusion.
Car notre expérience commune, c'est l'efficacité d'un mouvement
de résistance prolétarien de base. Car la plus grande crainte
de nos adversaires n'a pas été due à nos revendications,
mais au fait que, suite à un mouvement social, une force capable d'organiser
politiquement à l'avenir allait pouvoir naître dans l'avenir, ou
tout au moins libérer des forces et des habitudes de solidarité
inter-humaine. Dans le cas de ce conflit à l'université, c'est
sa fin soudaine et inattendue pour tous ceux qui y ont participé activement.
Un retournement soudain La revendication de l'équipe de travail était
de bloquer les licenciements collectifs de 400 personnes, de commencer des consultations
et de diffuser l'information permettant de comprendre comment on pourrait faire
des économies en introduisant une firme extérieure. L'université
répondait constamment à ces questions de la même manière
: que telle était la nécessité et rien d'autre. Toute information
restait secrète, cachée sous le sceau du secret commercial, lié
à la procédure du concours. Ce qui voulait dire qu'on exigeait
de l'équipe qu'elle se sacrifie au nom dune raison supérieure
inconnue. Face à l'argumentation des travailleurs déclarant que,
puisque le verdict les concernant était de toute façon tombé,
ils voulaient au moins connaître ses mobiles, le recteur Dabrowski et
le chancelier Urbanek laissaient comprendre d'une manière arrogante que
les travailleurs techniques étaient des personnes de catégorie
inférieure qui n'avaient pas droit à des explications, de la même
façon qu'on n'explique pas à une balai usé pourquoi on
le jette. C'est cette discrimination qui a rencontré l'écho que
nous avons fortement diffusé.
Il nous a même semblé que la protestation prévue pour le
4 novembre allait rassembler peut-être plus que les 500 personnes prévues.
Nous devions exiger du voïévode de Lublin l'organisation de négociations
avec la participation du ministre des sciences et de l'éducation supérieure.
On avait aussi prévu une grève de la faim et l'occupation du bureau
du recteur. Et aujourd'hui, alors que j'écris ce compte-rendu, j'apprends
que l'accord a été conclu. C'est étrange, car encore hier
soir, le recteur maintenait durement son point de vue. Pire, personne ne négociait
avec personne. Et en l'espace d'une heure, les pouvoirs de l'université
ont accepté les exigences de l'équipe. Au lieu de 400 licenciements,
il y en aura seulement 100 personnes, dont une partie partira à la retraite.
Aucune firme extérieure ne sera introduite. Les services techniques resteront
dans le cadre des emplois de l'établissement. Le recteur a nié
que ce serait la protestation qui aurait eu une influence sur sa décision.
Mais nous savons par ailleurs que le Sénat de l'université s'est
fortement divisé après le début de la protestation. Le
pro-recteur pour les questions estudiantines, Stanislaw Michalowski, a menacé
de démissionner. Et depuis lundi dernier, officiellement, un conflit
du travail a commencé entre le syndicat « Solidarnosc 80 »
et les pouvoirs, et un éventuel référendum sur la grève
devrait, selon les estimations, donner une victoire de 60 à 40. Le résultat
de ce référendum n'était pas aussi certain avant le début
de notre conflit. Car il est sûr que le sentiment d'impuissance des travailleurs
a été désormais brisé. Un mouvement de base est
né, qui se développe de jour en jour. Il était aussi à
prévoir que les travailleurs de l'université allaient soutenir
les locataires de l'immeuble de la rue Samsonowicz à Lublin, membres
du KSS, et en conflit avec le maire de la ville qui n'accepte pas que le chauffage
soit distribué aux habitants. Plus, les élites de la ville savaient
très bien que l'escalade du mouvement de protestation allait entraîner
un renforcement du mouvement prolétarien. C'est un huissier qui m'a apporté
la preuve que l'on traitait avec beaucoup d'importance la coopération
entre le KSS et les syndicats. Car lorsque j'étais à mon travail,
il m'a téléphoné de chez une cliente du KSS pour que nous
nous mettions d'accord pour savoir quelles actions on pourrait prendre en commun
afin d'éviter l'expulsion. Il ne faut pas pour autant tomber dans un
ultra-optimisme qui nous ferait croire que, enfin, le prolétariat a commencé
à s'organiser. Ce sera encore un long chemin. Il semble cependant que
les élites ont remarqué les prémices de quelque chose qui
pourrait expliquer le changement soudain de position de l'université
qui était dû à la crainte que la région de Lublin
ne commence à se rappeler ses très riches traditions liées
au mouvement ouvrier.
On peut, avec une bonne dose de probabilité, estimer
que la protestation à l'université Marie Curie-Sklodowska a rompu
le calme bucolique dans lequel baignaient les élites de Lublin. Elles
vivaient jusqu'à présent dans le sentiment béni de paix,
qui n'était pas menacée par un prolétariat désormais
pacifié, atomisé par la terreur du marché et de la propagande.
L'action ouvrière, dans laquelle sont apparus des éléments
d'unification du mouvement ouvrier, de la solidarité des travailleurs,
et enfin de l'initiative de la base a dû fortement déchirer ce
calme béni. Car depuis quelques années, l'idée d'une protestation
ouvrière n'était qu'un rêve dans la région de Lublin.
Jusqu'à présent, dans les actions de protestation, on se référait
à la solidarité avec les élites, alors qu'ici il s'agissait
d'une solidarité des travailleurs contre les élites. Là,
on avait affaire à « l'éthique nationale », ici à
« l'éthique ouvrière ». Là, on argumentait
sans fin, ici on exigeait immédiatement le respect, le travail et le
pain. Ce qui a fortement réveillé le sentiment de dignité
ouvrière, qui avait d'ailleurs été maintenu avec ténacité
par le KSS. Tout d'un coup, les gens ont commencé à s'intéresser
à leur statut social et à s'inquiéter du fait qu'il était
si misérable. D'où peut-être le tournant soudain, dont les
élites espèrent sans doute qu'il permettra d'éteindre les
tensions et la curiosité exagérée des ouvriers. Pour nous,
cela fut une répétition, qui a permis de vérifier les leçons
déjà apprises. Il a été démontré que
la méthode de l'action que j'appellerais cohérente est la plus
efficace. L'Alternative : « action individuelle ou systémique ?
» est fausse. Les actions individuelles doivent être intégrées
dans une action systémique et l'inverse. C'est en influent sur le système
que nous créerons les chances de régler les problèmes des
individus concrets, en regroupant les gens dans le combat pour leurs affaires
et pas en les réglant pour eux. Un militant syndical ou du KSS doit avoir
le sentiment que lorsqu'il va protester pour les travailleurs d'un autre établissement,
il se bat aussi pour lui-même.
Pour nous, au KSS et au syndicat, il reste encore une mission importante à
mener, celle d'organiser le licenciement des 100 personnes. Nous devons négocier
pour elles les meilleurs conditions de licenciement, et forcer le bureau de
l'emploi à signer un accord d'aide complexe et élaborée.
Il n'y a donc aucune crainte que mouvement social qui a commencé dans
ces conditions disparaisse soudainement. Si tel était le cas, et que
le mouvement de la base disparaisse soudainement, ce serait une défaite
et pas un succès. Et ce n'est pas ce que nous voulons.
Jaroslaw Niemiec
Notes
1/ KSS : Association d'aide
aux personnes menacées d'expulsion de leurs logements qui intervient
auprès des tribunaux et bloque les expulsions. Elle a été
fondée par des membres du petit parti de gauche, Nouvelle Gauche, dirigé
par Piotr Ikonowicz. Ces dernières années, le KSS a acquis en
Pologne la place d'une des rares organisations capable de défendre efficacement
les travailleurs pauvres et les exclus, en les aidant, mais surtout en les mobilisant
et leur assurant ainsi une formation politique dans l'action.
2/ « Initiative des travailleurs
» : petit syndicat anarcho-syndicaliste. « Critique politique »
: revue de gauche critique relativement modérée implantée
en milieu intellectuel et étudiant.
3/ Jaroslaw Niemiec est mineur dans une
mine de charbon des environs de Lublin. Militant politique, associatif et syndical.
4/ Petit syndicat radical issu d'une scission
du syndicat « Solidarnosc »
5/ Petit parti de gauche radicale
Source : http://klik.wp.pl/?adr=http%3A%2F%2Fcorto.www.wp.pl%2Fas%2Ffinansomat.html&sid=907