Le dogme atlantiste qui pèse sur l’Europe
DANILO ZOLO
La prétention des Etats-Unis de prendre la ville de
Vincenza dans la morsure d’une double base militaire soulève en
des termes dramatiques un sujet de stratégie politique globale trop longtemps
négligé. Ce n’est pas seulement la question de la « souveraineté
limitée » de l’Etat italien et de la violation de sa
Constitution qui sont en cause : Ederle, comme Aviano, a déjà
été utilisée, et le sera de plus en plus, pour soutenir
les guerres d’agression des armées étasuniennes.
Il y a un sujet plus général sur lequel il faut réfléchir :
c’est le rapport entre l’unification de l’Europe et sa dépendance
politique et militaire persistante à l’égard des Etats-Unis.
L’empire soviétique depuis longtemps tombé et le pacte de
Varsovie dissous, l’Europe continue à se blottir sous le parapluie
nucléaire et satellitaire des Etats-Unis, comme si rien n’avait
changé. Dogmatiquement fidèle à l’Alliance Atlantique,
autrefois barrière défensive à l’égard de
la menace nucléaire soviétique, l’Europe s’en tient
disciplinairement aujourd’hui à la stratégie impériale
du new world order et de la global security, lancée par les Etats-Unis
au début des années 90, le siècle dernier.
L’Europe unie a aujourd’hui une population qui est plus du double
de celle des Etats-Unis et quatre fois celle du Japon. Elle est la première
puissance commerciale au monde et son Produit intérieur brut est égal
à un quart du P.I.B mondial. Mais sur le plan politique et militaire,
l’Europe est simplement la frontière qui sépare l’hémisphère
occidental de l’orient asiatique et du monde islamique. L’Europe
est un nain politique et militaire, incapable d’exercer un rôle
autonome dans un contexte international de plus en plus instable et turbulent :
un monde où des grandes puissances régionales comme la Chine,
l’Inde et la Russie sont en train d’élaborer de façon
conjointe un projet de désaliénation de leur position subalterne
vis-à-vis de l’empire atlantique.
Nous avons deux indicateurs empiriques de l’absence d’autonomie
de l’Europe : la transformation fonctionnelle de l’Otan et
la pression croissante que les Etats-Unis ont exercé ces dernières
années, et continuent d’exercer, à l’égard
de l’aire européenne et méditerranéenne. L’Alliance
atlantique, d’appareil défensif, s’est transformée
en instrument militaire offensif. Le nouvel atlantisme se fonde sur des engagements
stratégiques « mondiaux » : il est l’expression
d’une stratégie de projection, d’expansion, dynamique et
flexible, en mesure de permettre des interventions militaires bien au-delà
des frontières de la sphère européenne.
Le new strategic concept de l’Otan définit en des termes nouveaux
la notion même de « sécurité », et
cette mutation conceptuelle a opéré une accélération
rapide immédiatement après l’attentat contre les Tours Jumelles,
le 11 septembre 2001. La sécurité coïncide avec la « guerre
au terrorisme », qui s’exprime surtout en comportements hostiles
contre une série de pays musulmans définis parles Etats-Unis comme
« états canailles ». Mais l’Otan n’entend
pas se limiter à la seule dimension militaire : elle se développe
en englobant la politique et l’économie de façon, aussi,
à mieux contrôler ainsi les pays arabes de la Méditerranée
et du Moyen-Orient.
L’atlantisme contemporain est fils de cette logique impériale :
l’Otan est utilisée par les Etats-Unis essentiellement pour trois
finalités stratégiques : avant tout encercler la Russie,
en enrôlant dans ses rangs un nombre croissant de pays de l’Est
européen à raccrocher au rempart atlantique turc. En particulier,
la guerre de l’Otan de mars 99 contre la République Fédérale
Yougoslave avait pour objectif la déstabilisation de la zone euro méditerranéenne
et moyen-orientale sous l’hégémonie des Etats-Unis. Ceux
ci ont réussi à venir à bout de l’obstacle, représenté
par la Serbie et son président Slobodan Milosevic, qui s’opposaient
au projet de séparation de l’Europe du centre ouest du monde slave
orthodoxe, à travers le contrôle par l’Otan de toute la zone
qui va de la Baltique à l’Adriatique, à la Méditerranée
centrale et orientale.
En second lieu, l’Otan a été utilisée pour décourager
les timides tentatives européennes de se doter d’une structure
militaire autonome. Les éventuels appareils militaires européens
- ont décrété les Etats-Unis après la guerre du
Kosovo - seront « séparables » de l’Otan,
mais ne pourront jamais en être « séparés »
de façon stable. Enfin, l’Otan a permis aux Etats-Unis de garder
sous son propre contrôle politique et militaire toute la zone méditerranéenne
en excluant l’Europe de ce processus de contrôle. Que l’on
pense aux bases militaires étasuniennes opérationnelles dans des
pays méditerranéens comme le Maroc, l’Albanie, la Grèce
et la Turquie. Et l’on pensera aussi à l’expansion de la
présence militaire des Etats-Unis en Italie – il y a au moins 130
installations militaires étasuniennes sur notre territoire -, avec ou
sans couverture Otan, l’Italie étant le pays méditerranéen
par excellence à utiliser comme rampe de lancement pour les forces de
« déploiement rapide ».
Et l’on n’oubliera pas que la conséquence la plus concrète
de la « guerre humanitaire » contre la Serbie a été,
au-delà des massacres et dévastations, la construction au Kosovo,
aux environs de Urosevac, de Camp Bondsteel, soit l’une des plus grandes
bases militaires que les Etats-Unis aient construit après la guerre du
Vietnam. Elle peut accueillir cinq mille soldats et a été réalisée
en un temps record sur un haut plateau artificiel, obtenu en rasant trois collines
entières, autrefois cultivées en champs de blé.
Editorial de vendredi 16 février de Liberazione
http://www.liberazione.it/giornale/070216/archdef.asp
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
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