LE RECOURS CONTRE L’INCLUSION DE SISON DANS LISTE NOIRE DEVANT LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE l’UE LE 30 MAI

Ce mardi 30 mai 2006 à 9 h 30, le Tribunal de première instance des communautés européennes examinera la légalité des listes antiterroristes adoptées par le Conseil de l’Union européenne avec le cas du professeur philippin Jose Maria Sison. Les ministres des 25 peuvent-ils qualifier une personne de terroriste et l’exclure de la vie économique sans preuves ni procès ? L’enjeu est crucial pour tous les défenseurs des droits fondamentaux en Europe.

Le 28 octobre 2002, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2002/848/CE qui inclut dans la liste des organisations terroristes Mr. Jose Maria SISON comme personne physique et la Nouvelle Armée du Peuple (New People's Army, NPA) comme organisation prétendument liée à lui. Cette décision s’inscrit dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme, qui est régie par un règlement du Conseil de l’Union européenne[1]. L’Union européenne a ainsi suivi les Etats-Unis qui avaient listé Mr. Sison et la NPA dès le 12 août 2002, suivi le lendemain, 13 août 2002, par les Pays-Bas.

Né en 1939 à Cabugao, Ilocos Sur (Philippines), le professeur Sison s’est rendu célèbre comme enseignant, poète, politologue, et écrivain. Il a été président du Comité Central du Parti Communiste des Philippines (CPP) avant d’être arrêté par le régime dictatorial de Marcos en 1977. Il a été détenu jusqu' au 5 mars 1986 et a subi pendant plus de 8 ans diverses formes de torture physique et mentale. En septembre 1988, le gouvernement philippin a annulé son passeport alors qu' il était à l’étranger pour une tournée de conférences dans différentes universités. Le professeur Sison a alors demandé l’asile au Pays-Bas. Depuis 1990, Jose Maria Sison est le consultant politique principal du Front Démocratique National des Philippines dans les négociations de paix avec le gouvernement philippin qui se déroulent notamment sous les bons offices du gouvernement norvégien. Il a notamment contribué au respect du droit international humanitaire par les parties au conflit armé interne qui existe aux Philippines.

La décision du Conseil de l’UE, qui considère M. Sison comme une personne participant ou facilitant des actes terroristes ne repose sur aucun élément concret. M. Sison ne fait actuellement l’objet d’aucune condamnation ni même d’aucune poursuite pénale dans les pays qui l’ont placé sur la liste. Il est impossible de connaître les raisons et les éléments matériels qui ont amené le Conseil de l’Union européenne à le qualifier de terroriste. Les avocats du professeur Sison ont introduit plusieurs demandes d’accès aux documents[2] mais ce fut à chaque fois refusé, le Conseil considérant que leur divulgation pourrait mettre en cause la sécurité publique et les relations internationales de l’Union.

Suite à l’adoption de cette liste, l e compte en banque conjoint de Mr. Sison et de son épouse a été gelé . Sur ce compte, il recevait depuis de nombreuses années une allocation sociale et les époux Sison utilisaient ce compte pour payer leurs achats quotidiens, payer leurs factures d'électricité etc. Le solde du compte n'a jamais dépassé 2.000 €. Le Conseil de l’UE n’a jamais pu expliquer en quoi le blocage de ce compte ou des droits d’auteur de ses ouvrages, la cessation de l’aide sociale perçue par Mr. Sison, l’interdiction de souscrire une assurance couvrant ses soins de santé ou sa responsabilité civile pouvait concrètement contribuer à contrer le financement du terrorisme...

Au nom de la lutte contre le terrorisme, une personne est donc privée de tout les droits sociaux les plus élémentaires et les autorités tentent de le réduire à l'état de mendiant et sans abri.

La décision de placer le professeur Sison sur cette liste et la procédure qui l’a précédé violent de manière flagrante les droits fondamentaux élémentaires (droit à un procès équitable, à la présomption d’innocence, droit de la défense). Les conséquences de cette décision mènent à la négation du droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. [3]

Le cas du professeur Sison montre les abus auxquels peuvent mener les législations antiterroristes. Dans son cas, il apparaît clairement que ces mesures sont utilisées dans un tout autre but que la lutte antiterroriste. Il s’agit en réalité de faire pression sur le Front Démocratique National des Philippines, dont Jose Maria Sison est le consultant politique principal, dans les négociations avec le gouvernement, comme l’a admis le Secrétaire philippin aux Affaires Etrangères, Blas Ople en janvier 2003 : « lorsqu' il y aura un accord de paix, je demanderai à l’Union européenne, aux Etats-Unis et aux autres pays de retirer (les rebelles) des listes d’organisations terroristes ». (Voir l’article : “Reds must sign peace accord to get off terror list--Ople”, Agence France-Presse, February, 1, 2003 (http://www.inq7.net/brk/2003/feb/01/brkpol_12-1.htm)

Le recours en annulation contre l’inclusion du professeur Sison dans cette liste, introduit en février 2003 sera examiné le mardi 30 mai 2006 à 9 h 30 devant la 2ème chambre du Tribunal de Première Instance de l’Union européenne de Luxembourg (Rue du Fort Niedergrünewald, plateau du Kirchberg, L-2925 Luxembourg). Cette audience est publique.

Le Conseil de l’Union européenne, avec le soutien des Pays-Bas et du Royaume-Uni, estime que les garanties traditionnelles exigées notamment par la Convention européenne des droits de l’homme seraient inapplicables, sous prétexte que l’établissement de cette liste serait une procédure purement administrative. Ce raisonnement ouvre la porte à de très graves dérives et à la mise entre parenthèse des principes fondamentaux de l’état de droit. Avec l’adoption du règlement (CE) n° 2580/2001, le Conseil de l’Union européenne, organe non juridictionnel composé exclusivement de membres des gouvernements des états membres, s’octroie des pouvoirs normalement dévolus à des tribunaux indépendants : désigner des individus comme terroriste et de leur infliger de graves sanctions assimilables à des peines. Il s’agit donc d’une négation pure et simple du principe de séparation des pouvoirs. Le cas du professeur Sison montre également que ce mécanisme est un détournement de pouvoir puisqu' il permet l’utilisation, par une institution politique, de la lutte contre le terrorisme à des fins de politique extérieure et diplomatique.

Face à cette violation des principes fondamentaux, il est indispensable que l’ensemble des organisations et des militants des droits de l’homme se mobilisent et alertent l’opinion publique. A cet égard, l’examen du recours introduit par le professeur Sison à Luxembourg sera une étape cruciale dans le combat des droits de l’homme, tant dans la lutte antiterroriste que dans l’ordre juridique de l’Union européenne.

Jan FERMON Avec la collaboration de Mathieu BEYS Avocats au barreau de Bruxelles
Pour toute information complémentaire : jan.fermon@progresslaw.net ou mathieu.beys@progresslaw.net

[1] Règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (Journal officiel de l’Union européenne n° L 344 du 28/12/2001 p. 70 – 75)

[2] Sur base du Règlement 1049/2001 relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (Journal officiel n° L 145 du 31/05/2001 p.43 –48)

[3] La requête complète en annulation peut être trouvée à l’adresse suivante http://www.defendsison.be/

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