Paris, le 23 mai 2006

SCANDALE MEMORIEL : UN ASSASSIN HONORE A PARIS

La LICRA s' indigne des manifestations en Ukraine et à Paris liées au 80ème anniversaire de la mort de Simon Petlioura, général en chef de l' armée ukrainienne considéré comme un héros dans son pays.

Cet homme est responsable de pogroms organisés en Ukraine sous le régime des tsars, pogroms qui ont fait des centaines de milliers de victimes juives.

Réfugié à Paris en 1924, Simon Petlioura est abattu par un jeune étudiant juif rescapé de ces pogroms en 1926. La médiatisation du procès qui s' en est suivi en 1927 est à l' origine de la création de la Ligue contre les pogroms qui deviendra plus tard la LICA. La Ligue obtint l' acquittement de Samuel Schwarzbard.

Aussi la LICRA dénonce avec la plus grande vigueur le révisionnisme du gouvernement ukrainien et s' étonne qu' en France on ait pu autoriser un dépôt de gerbe sur la tombe du soldat inconnu à la mémoire de cet assassin, le jeudi 25 mai prochain, par différentes organisations ukrainiennes en France, la Bibliothèque, summum du révisionnisme historique, qui porte le nom de Simon Petlioura.

La LICRA attend, du « Comité de la Flamme » association loi de 1901 qui organise les cérémonies du ravivage de la flamme, l' annulation pure et simple de ce dépôt de gerbe.

Par ailleurs, la LICRA demande au Ministre des Affaires étrangères d' exprimer l' indignation de la France auprès des représentants ukrainiens à Paris à l' heure où un vent mauvais négationniste souffle à l' est de l' Europe.


Je me réjouis vivement de cette prise de position. Mais la Licra ne s’est toujours pas exprimée contre la campagne obstinée des associations « ukrainiennes» -- en particulier le « comité Ukraine 33 » -- qui réclament des sanctions voire l’éviction de l’université de l’honorable universitaire (juive et petite-fille de déporté, au surplus) que je suis.
Je vous rappelle en outre que la LICRA est membre, avec Ukraine 33, de l’association « collectif Reconnaissance » qui a organisé un colloque à Lyon les 28 et 29 avril 2006.
Le lien ci-dessous contient, dans la même page du site ukrainien « Maidan », attaque contre moi et glorification de l’hommage récemment rendu à Petlioura par le président ukrainien Youchenko, en voyage à Paris.
http://eng.maidanua.org/node/499

Cette défense d’une victime muée en dangereux « terroriste » incite aussi à réfléchir à un autre aspect de la présentation courante des vaincus d’aujourd'hui. Un épisode, certes moins vital pour sa victime, Peter Handke, coupable du scandale d’avoir assisté aux obsèques de Milosevic (qualifié par la presse française quasi unanime de grand criminel de guerre et de mégalomane de la « grande Serbie ») et puni pour ce crime du retrait immédiat d’une de ses pièces, prévue à l’affiche de la Comédie française, n’a pas donné lieu à intervention universitaire de ce genre. Libération a publié le 3 mai une protestation de l’écrivain(e) prix Nobel, Elfriede Jelinek, accompagnée de celle de plusieurs artistes et écrivains, outrés de pareille censure digne du « temps des dictatures » et convaincus que celle-ci dessert les « victimes du régime de Milosevic » -- dernière vérité naturellement indiscutable. Le maximum d’audace manifesté (publié dans la grande presse) consiste donc à revendiquer les éventuels mérites d’Handke en tant qu' auteur littéraire, et à les dissocier soigneusement de ses honteuses sympathies politiques pour le « Boucher des Balkans", selon l’élégante formule de Ruth Valentini, dans le Nouvel Observateur du 6 avril. Un journal allemand, la Frankfurter Rundschau, a, le 21 mars 2006, dénoncé « notre Céline » (je pensais Handke toujours autrichien : la langue allemande d’Autriche donne-t-elle, comme entre 1926 et 1938, officieusement droit à la nationalité allemande? L’Anschluss a-t-il été proclamé? (cf. mon ouvrage Le Vatican, l’Europe et le Reich, chapitres 4 et 8) : Ina Hartwig, tout en disculpant Handke d’antisémitisme, daube pour son « dédoublement de la personnalité » qui calquerait celui, présumé, du défunt dirigeant politique yougoslave.
D'une part, les journalistes français et allemands pourraient consulter le travail de leur consœur américaine, Diana Johstone (La croisade des fous, Pantin, Le temps des cerises, 2005) et de leur confrère belge, Michel Collon (divers dont Poker menteur. Les grandes puissances, la Yougoslavie et les prochaines guerres, Bruxelles, EPO, 1998), travaux fort documentés. Ce leur serait un moyen de se demander si la serbophobie ne les aveugle pas depuis 1990 autant que la tchécophobie en 1938 : la grande presse française a passé presque tout l’an 1938, avant et après la nuit du 29 au 30 septembre des « accords de Munich », à seriner à la population que « l’entêtement » de ce crétin de Bénès, bourreau des pauvres Allemands des Sudètes, était la cause majeure des malheurs de la Tchécoslovaquie (mon ouvrage Le choix de la défaite, Paris, Armand Colin, 2006, chapitres 8-9). Ce n'est pas à la grande presse « gleichshaltée » (adjectif synonyme en l'occurrence de nazifiée dont usa le grand journaliste britannique Alexander Werth) mentant à ses lecteurs que l’histoire a décerné le prix de la vérité historique. C’est pourtant elle, et elle quasiment seule, qui a eu le droit d’« informer » les Français avant la catastrophe de 1940.
D'autre part, les accusations proférées contre une personnalité fort honorable méritent arrêt. Entre Handke, inquiet de la destruction de la Yougoslavie (très dommageable pour la France même, comme peut l’affirmer tout historien connaissant les Balkans) et contraint aujourd'hui à des explications et justifications qui ne déshonorent que la meute qui le harcèle, et Céline, cet infâme antisémite, la comparaison est ignominieuse. Les activités éditoriales de ce médecin et homme de lettres que les dernières décennies ont hissé au rang d’écrivain du 20e siècle sont rapportées notamment dans les dossiers « Éditions Denoël », lesquelles l’enrichirent (et s’enrichirent) des publications et rééditions de ses injures antisémites (« Mort à crédit, L’école des cadavres, Les beaux draps, […] rééditions de titres parus en 1936 et 1938 », Guignol’s Band et Bagatelles pour un massacre (série F 12, vol. 9640, éditions, Archives nationales, et dossier de même titre, GA, D 13, APP).
Céline, antisémite notoire des années trente publié par l’éditeur ci-dessus, fut sous l'Occupation « membre du Cercle européen n° 26 bis, radié le 15 mai 1943 » (prudemment et tardivement); il fut même « membre du comité d’honneur » dudit Cercle, selon le rapport manuscrit de l’IPA Valentini, et des inspecteurs Bazier et Meyniel, Paris, 18 novembre 1944, PJ 32 Mouvements et partis collaborationnistes, APP (référence sur cette seule précision). « Collaborateur français pour le Bureau central des questions juives », il s’intéressa directement au sort des médecins juifs spoliés (il était lui-même médecin), et fut invité en 1942 par l’institut allemand de médecine à Berlin. Il était auprès des gredins les plus célèbres du temps l’un des « indicateurs pour les questions juives » de l’ambassade d'Allemagne en général et d’Otto Abetz en particulier (rapport des RG, 18 juin 1947, GA, C 9, Louis-Ferdinand Céline, archives de la Préfecture de police, plus loin APP). Un des interrogatoires français du chef nazi et SS Knochen « sur la question juive » est d’une précision diabolique, et j’en tiens les annotations à votre disposition : il en ressort notamment que le grand homme d’aujourd'hui fit dès 1941 partie du lot « présenté à Dannecker des Français désirant volontairement collaborer avec les services allemands, tels: Montandon, Darquier de Pellepoix, Puységur, Céline, Lesdain, etc. » (Interrogatoire B, 12 p, paginé 58-69 (joint à celui du 23 décembre 1946), par un commissaire divisionnaire (sans doute Marc Bergé), 4 janvier 1947, « Dossier 4, Knochen, direction générale de la sûreté nationale direction des RG, janvier 1947 », 3W, vol. 358, interrogatoire d’Allemands, Archives nationales). Laurent Joly, dans son dernier ouvrage, en a fourni un portrait semblable, également fondé sur des sources originales, Vichy dans la solution finale, 1941-1944. Histoire du Commissariat général aux questions juives (1941-1944), Paris, Grasset, 2006, index.
Céline qui, comme chacun le sait, a connu la rédemption par les lettres, a bénéficié, le 22 novembre 2001, des trésors d’indulgence de Claude Duneton, dans un article du Figaro littéraire rédigé à l'occasion d’un compte rendu du livre du Danois Ole Vinding (1908-1985), qui « a fréquenté Céline durant son exil à Korsoe de 1948 (sic) à 1951 » et fourni « un témoignage frais, un document insoupçonné qui dormait blotti dans la langue danois depuis 48 ans » sur cet innocent écrivain – victime... de Staline. Selon M. Duneton, auquel je conseille vivement la fréquentation des archives d’Occupation, « Céline ne joua aucun rôle officiel ni même actif dans la Collaboration […] Son dossier d’accusation était vide de tout acte de coopération effective qui eût mérité une sanction... Et si l’on parle de son antisémitisme, bien réel, il faut savoir que l’antisémitisme n’était pas, hélas, ce qui » manque une partie « les consciences, en France, par une effet de scandale humaniste à retardement. Au moment de la Libération, seul l’aspect “politique” exaspérait les passions. » Il impute donc toutes les misères du pauvre Céline à sa dénonciation « dès 1937 […] contre Joseph Staline et la dictature bolchevique en URSS, ce qui faisait de lui une sorte de Panaït Istrait aux grandes ailes, l’homme à abattre au sens concret de la rafale de mitraillette. […] Oui, ce qui avait motivé le départ, in extremis, et bien à contrecœur, de Céline pour l’exil, c’est que les inconditionnels du régime soviétique voulaient bel et bien lui faire passer l’arme à gauche, sans sommation ! Les sous-entendus ne sous-entendent rien : Céline s’était réfugié au Danemark parce que les staliniens voulaient lui faire la peau. »
M. Duneton se trompe, et pas seulement sur les dates de l’« exil » de Céline (selon le document du 18 juin 1947 déjà cité, ce dernier vivait alors librement au Danemark, qui refusait son extradition en la faisant justifier par sa presse : « plusieurs journaux danois ont reproché à la France de “fusiller trop facilement”. ») Le grand Céline fut, à en juger par les archives policières, diverses et recoupées, une des plus abominables canailles collaborationnistes de l’Occupation. Décidément, dans la boîte de Pandore de la disculpation des années 1933-1945, aucune arme n’aura été proscrite au nom de la lutte antibolchevique réelle, présumée ou prétendue. Céline est donc franchement moins coupable que le Handke d’aujourd'hui – et plus talentueux, ça va de soi.

Pour en revenir à l’objet initial, la chasse aux dissidents est admirablement répartie sur l’ensemble de l’Union européenne. La réplique des intellectuels à cette offensive « anti-terroriste », antibolchevique, parfois parée en anti-négationnisme, bénéficie cependant dans ses pays constitutifs d’un écho inégal. Nous devrions pouvoir, en France, selon la tradition, aisément postuler pour les premiers rangs du « dindonnage », selon l’expression d’un remarquable texte du 15 septembre 1938, issu d’un proche de l’État-major général (voir Le choix de la défaite, p. 17 et 560). Les intellectuels français ne sont pas aussi conformistes et indifférents qu' on nous le serine; ils ne disposent pratiquement plus, sauf quand ils se plient à l’air du temps, d’aucun écho dans les moyens d'information dominants – lesquels glosent en revanche volontiers sur Marc Bloch l’incompris des années trente – incompris de ses collègues si peu clairvoyants, nous précise-t-on, tandis qu' on ne nous dit mot de la presse d’alors qui « dindonnait » ses lecteurs, et qui les informait sur l’ensemble de l’Europe orientale, Tchécoslovaquie en tête, aussi mal qu' aujourd'hui sur la Yougoslavie ou sur les ruines auxquelles celle-ci a été réduite. J’accepte, en toute conscience de la vanité présente de cette mise au point qui, une fois de plus, ne dépassera pas le cadre du présent courrier, de prendre date sur le sujet.

Annie Lacroix-Riz

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