Le jour d’ après…

Rouges Vifs 13 lundi 23 novembre 2015
publié le : 9 Juin, 2020

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Le 13 novembre au soir ou le lendemain au plus tard, la France s’est retrouvée hébétée, abasourdie et submergée tout à la fois par l’émotion, la stupeur et la révulsion. Il est de ces moments dans l’histoire où l’on ne peut se précipiter dans la narration avec tout le voyeurisme qu’elle peut comporter, ni dans l’analyse sommaire même si des éléments nous viennent tout de suite à l’esprit. L’immensité de l’évènement impose, du moins en ce qui nous concerne à Rouge Midi, le silence, la réflexion, l’écoute et l’échange. Dimanche 15 au soir, nous nous sommes retrouvés au local de Rouge Vif 13 pour un de ces moments où l’on se dit que l’expression et l’action politiques sont non seulement nécessaires mais vitales pour l’humanité, où notre volonté de nous engager pour un monde de paix, de liberté, de justice et de progrès social prend tout son sens… De cet échange est né, avec la maturation nécessaire, tout à la fois le texte ci-dessous et le tract joint que nous distribuons auprès d’un maximum de gens pour que l’espoir subsiste et que l’engagement grandisse. évidement d’abord la compassion avec les victimes.

Bien sûr en premier nous pensons aux victimes de Paris. Nous avons la même compassion pour celles du monde entier et en particulier au Moyen Orient et en Afrique en commençant par la Palestine, le Kurdistan, la Syrie, l’Irak, le Mali… et le Liban pays où nombre d’observateurs nationaux faisaient remarquer, non sans raison, aux pays occidentaux après le dernier attentat à Beyrouth, que nous avions l’indignation sélective. L’horreur n’est pas pire quand elle s’invite chez nous que lorsqu’elle touche Gaza depuis tant d’années ou la Syrie depuis 5 ans. On pourrait ici aussi reprendre le silence radio autour du massacre d’Odessa en 2014... …et puis tenter de comprendre et d’analyser.

Comprendre ne veut surtout pas dire chercher à excuser l’inexcusable ni attribuer des circonstances atténuantes aux auteurs des atrocités, mais tenter de déterminer les causes, au-delà de la folie meurtrière de quelques-uns, pour empêcher que de tels évènements se reproduisent, pour endiguer ce fléau du fascisme criminel qui a frappé notre sol. Nous déclinons rapidement dans notre tract les principales raisons que nous voyons : les pays qui financent Daesh tous alliés de la France, la politique d’occupation d’Israël, la politique internationale de la France et ses guerres coloniales, son soutien à la Turquie qui bombarde les kurdes et bien sûr le rôle de l’OTAN. A cela on peut ajouter la ghettoïsation des milieux populaires, le racisme et les discriminations, la montée du chômage et de la pauvreté… Concernant les éléments nationaux Il suffit de regarder les CV des meurtriers, délinquants en mal d’identité pour la plupart d’entre eux, individus de plus en plus en marge d’une société excluante pour s’en convaincre. En ayant en tête tout cela que nous reprenons à notre compte la formule de Saïd Bouamama : « un monde immonde produit des actes immondes ». ….pour mieux peser sur les choix internationaux.

Que peut faire un gouvernement face à ça ?

D’abord rompre toutes relations avec les pays financeurs ou complices par leur complaisance de ces meurtriers : la Turquie, le Qatar, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Israël pays auxquels Daesh ne s’est jamais attaqué…et pour cause. Faut-il bombarder la Syrie comme l’a décidé le gouvernement ? Non. D’abord parce que cela revient à bombarder des populations civiles otages de Daesh et ensuite c’est peu efficace. De plus dans cette logique où s’arrêter ? après avoir bombardé la région de Raqqa, il faudrait bombarder Molenbeek et St Denis où d’autres quartiers où on soupçonne la présence de combattant de Daesh ? Tout le monde le sait, au Moyen Orient l’armée de Daesh, qui n’a ni caserne ni camp retranché mais est au contraire disséminée dans des populations qu’elle prend en otage, ne sera pas vaincue par des bombardements en aveugle. De plus qui sommes-nous, nous, pour aller bombarder un pays souverain qui ne nous l’a pas demandé (contrairement à la Russie qui peut se prévaloir du droit international et qui elle, contrairement à la France, met en œuvre des moyens aériens capables de s’attaquer aux colonnes mouvantes de Daesh) ? Quelle légitimité avons-nous alors qu’en plus avons refusé jusqu’à maintenant de coopérer avec le gouvernement syrien sous prétexte que son président est un dictateur ? Que le peuple ait le droit et même le devoir de s’opposer à un gouvernement comme celui de Syrie, ici à Rouge Midi nous l’avons soutenu et ce dès le début en reprenant entre autres cette belle lettre : « Ecoutez le peuple qui a inventé l’alphabet » Mais que ce soit des pays étrangers qui tentent par la guerre d’imposer leur vision du monde et veuillent faire ou défaire des gouvernements afin de choisir parmi les dirigeants, dictateurs ou pas, ceux qui sont fréquentables ou non en fonction des intérêts des multinationales occidentales qui veulent continuer à piller le reste du monde, quitte à nous précipiter dans leurs guerres impérialistes et que nous pleurions nos morts, cela est intolérable. C’est cela que nous devons combattre.

Rien ne peut justifier les interventions armées de la France en Libye, en Côte d’Ivoire, en Syrie ou ailleurs et nous nous honorons de nous être toujours élevés ici contre ces choix politiques y compris quand, même des organisations progressistes de France soutenaient les forces réactionnaires libyennes ou peinaient à se mobiliser contre les interventions françaises reprenant l’antienne de notre modèle de démocratie (parlons-en !) exportable à coups de canons… Si des peuples estiment que la seule solution qu’il leur reste c’est la lutte armée, c’est leur affaire et faisons leur confiance. Cessons de classer le PKK, entre autres, parmi les organisations terroristes et apportons l’aide que demandent les combattants kurdes, eux qui ont obtenu, comme les russes, les plus spectaculaires résultats contre Daesh. …et nationaux

Ce qui est posé aussi à un gouvernement responsable c’est de combattre la fascination qu’exerce Daesh sur une infime minorité de notre jeunesse. Pour cela il ne s’agit ni de montrer du doigt ni de stigmatiser une partie des habitants de France en fonction de ses origines familiales ou de sa religion mais au contraire de lutter contre toutes les discriminations dont notre pays regorge et qui ne s’affaiblissent pas avec les années. Et qu’on ne vienne pas nous dire ici qu’il faut que les musulmans (ou les arabes c’est selon), eux qui sont les premières victimes de ces politiques guerrières, condamnent de manière spécifique les crimes commis au nom d’Allah. Comme s’ils ne le faisaient pas déjà avec l’ensemble des citoyens du monde ! A-t-on demandé aux chrétiens de Norvège et du monde de s’excuser voire de s’exprimer de façon spécifique quand un fou a assassiné plus d’une centaine de gens au nom de sa « foi catholique » ?
Combattre la plongée dans la violence fanatique de quelques citoyens impose de combattre la violence sociale qui s’exerce de plus en plus fortement sur le monde du travail. Une société de plein emploi, de justice sociale, où les politiques menées feraient que la devise nationale liberté, égalité, fraternité aurait encore un sens aurait-elle connu le 13 novembre ? Il est permis de se poser la question. Combattre la tentation fanatique qui toucherait 4000 individus (ce chiffre étant bien sûr à prendre avec des pincettes) impose de combattre le chômage, d’interdire les licenciements programmés en commençant par les entreprises où l’état a des parts dans la direction. En un mot, cela impose de combattre le capitalisme qui, selon la célèbre phrase de Jaurès, « porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». …et combattre le piège des irresponsables de tous bords

Le monde n’a pas besoin d’une escalade guerrière de plus ni de nouvelles atteintes aux libertés, mais de paix et de rapports respectueux des nations et des peuples qui les composent. Au lieu de cela, « un groupe de pays qui se croient supérieurs à nous les pays du sud, aux pays du tiers monde » comme l’avait superbement dénoncé Chavez lors d’un fameux discours au sommet climatique de Copenhague en 2009 :, tente d’imposer ses choix y compris par la guerre et les dictatures.

- C’est avec cette conception que le gouvernement Hollande lance son appel à l’unité nationale. Unité pour que puisse se poursuivre au plan national la même politique au service des puissants qui fait des ravages et à laquelle répond la montée des frustrations et des replis identitaires.

- C’est cette conception qui tente d’imposer l’idée que nous n’avons pas le choix : soit c’est le fascisme du FN, sa politique isolationiste parce que nationaliste et raciste, soit un consensus autour d’une politique nationale d’austérité et donc d’aggravation de la crise.

- C’est cette conception qui amène à réformer la constitution et prolonger l’état d’urgence, prolongation contre laquelle auraient dû voter au minimum ceux qui se disent attachés aux libertés. Il est d’ailleurs réconfortant de voir qu’entre autres le syndicat de la magistrature et la CGT ne sont pas tombés dans ce piège [1].

L’état d’urgence ne protègera pas plus la population que les mesures prises sur le renseignement n’ont empêché le massacre du 13 novembre. Par contre il amplifie les risques de dérapage, les atteintes aux libertés et la dérive totalitaire d’un régime qui ressemble de plus en plus au précédent sur ces questions-là…et donc valide les thèses de la droite et son extrême. Et voilà que la surenchère fleurit avec des propos comme celui de Wauquiez demandant l’internement sans autre forme de procès, de 4000 suspects ou celui d’Estrosi parlant de la 5ème colonne islamiste.

L’appel à l’union nationale d’aujourd’hui est le même que l’appel à l’union sacrée de 1914 par Clémenceau, celui dont Valls se réclame. C’est le même appel que ceux lancés par les socialistes à chaque fois qu’ils ont voulu nous entraîner dans une guerre, ce « massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ». [2] Comme nous l’avons écrit, avant le 13 novembre, ils osaient déjà des atteintes aux libertés et le passage en force de la régression sociale. Ils veulent continuer et amplifier. Que ce gouvernement de guerriers réactionnaires ne compte pas sur nous pour accepter demain ce que nous avons toujours refusé. Plus que jamais nous continuons notre combat qui passe aujourd’hui par Air France, la SNCM, par les luttes du monde du travail, par la solidarité avec le peuple palestinien et les victimes des guerres réfugiées du Moyen Orient ou attaquées ici et bien sûr aussi, plus que jamais, par notre refus des guerres.

Notes

[1] voir déclaration de la CCN de la CGT, du Syndicat de la magitrature, tract rouges vif 13
[2] Paul Valéry

Source : http://rougemidi.fr/

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