Le jour d’ après…
Le 13 novembre au soir ou le lendemain au plus
tard, la France s’est retrouvée hébétée, abasourdie et submergée
tout à la fois par l’émotion, la stupeur et la révulsion. Il est
de ces moments dans l’histoire où l’on ne peut se précipiter dans
la narration avec tout le voyeurisme qu’elle peut comporter, ni
dans l’analyse sommaire même si des éléments nous viennent tout
de suite à l’esprit. L’immensité de l’évènement impose, du moins
en ce qui nous concerne à Rouge Midi, le silence, la réflexion,
l’écoute et l’échange. Dimanche 15 au soir, nous nous sommes retrouvés
au local de Rouge Vif 13 pour un de ces moments où l’on se dit que
l’expression et l’action politiques sont non seulement nécessaires
mais vitales pour l’humanité, où notre volonté de nous engager pour
un monde de paix, de liberté, de justice et de progrès social prend
tout son sens… De cet échange est né, avec la maturation nécessaire,
tout à la fois le texte ci-dessous et le tract joint que nous distribuons
auprès d’un maximum de gens pour que l’espoir subsiste et que l’engagement
grandisse. évidement d’abord la compassion avec les victimes.
Bien sûr en premier nous pensons aux victimes de
Paris. Nous avons la même compassion pour celles du monde entier
et en particulier au Moyen Orient et en Afrique en commençant par
la Palestine, le Kurdistan, la Syrie, l’Irak, le Mali… et le Liban
pays où nombre d’observateurs nationaux faisaient remarquer, non
sans raison, aux pays occidentaux après le dernier attentat à Beyrouth,
que nous avions l’indignation sélective. L’horreur n’est pas pire
quand elle s’invite chez nous que lorsqu’elle touche Gaza depuis
tant d’années ou la Syrie depuis 5 ans. On pourrait ici aussi reprendre
le silence radio autour du massacre d’Odessa en 2014... …et puis
tenter de comprendre et d’analyser.
Comprendre ne veut surtout pas dire chercher à
excuser l’inexcusable ni attribuer des circonstances atténuantes
aux auteurs des atrocités, mais tenter de déterminer les causes,
au-delà de la folie meurtrière de quelques-uns, pour empêcher que
de tels évènements se reproduisent, pour endiguer ce fléau du fascisme
criminel qui a frappé notre sol. Nous déclinons rapidement dans
notre tract les principales raisons que nous voyons : les pays qui
financent Daesh tous alliés de la France, la politique d’occupation
d’Israël, la politique internationale de la France et ses guerres
coloniales, son soutien à la Turquie qui bombarde les kurdes et
bien sûr le rôle de l’OTAN. A cela on peut ajouter la ghettoïsation
des milieux populaires, le racisme et les discriminations, la montée
du chômage et de la pauvreté… Concernant les éléments nationaux
Il suffit de regarder les CV des meurtriers, délinquants en mal
d’identité pour la plupart d’entre eux, individus de plus en plus
en marge d’une société excluante pour s’en convaincre. En ayant
en tête tout cela que nous reprenons à notre compte la formule de
Saïd Bouamama : « un monde immonde produit des actes immondes ».
….pour mieux peser sur les choix internationaux.
Que peut faire un gouvernement face à ça ?
D’abord rompre toutes relations avec les pays financeurs
ou complices par leur complaisance de ces meurtriers : la Turquie,
le Qatar, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Israël pays
auxquels Daesh ne s’est jamais attaqué…et pour cause. Faut-il bombarder
la Syrie comme l’a décidé le gouvernement ? Non. D’abord parce que
cela revient à bombarder des populations civiles otages de Daesh
et ensuite c’est peu efficace. De plus dans cette logique où s’arrêter
? après avoir bombardé la région de Raqqa, il faudrait bombarder
Molenbeek et St Denis où d’autres quartiers où on soupçonne la présence
de combattant de Daesh ? Tout le monde le sait, au Moyen Orient
l’armée de Daesh, qui n’a ni caserne ni camp retranché mais est
au contraire disséminée dans des populations qu’elle prend en otage,
ne sera pas vaincue par des bombardements en aveugle. De plus qui
sommes-nous, nous, pour aller bombarder un pays souverain qui ne
nous l’a pas demandé (contrairement à la Russie qui peut se prévaloir
du droit international et qui elle, contrairement à la France, met
en œuvre des moyens aériens capables de s’attaquer aux colonnes
mouvantes de Daesh) ? Quelle légitimité avons-nous alors qu’en plus
avons refusé jusqu’à maintenant de coopérer avec le gouvernement
syrien sous prétexte que son président est un dictateur ? Que le
peuple ait le droit et même le devoir de s’opposer à un gouvernement
comme celui de Syrie, ici à Rouge Midi nous l’avons soutenu et ce
dès le début en reprenant entre autres cette belle lettre : « Ecoutez
le peuple qui a inventé l’alphabet » Mais que ce soit des pays étrangers
qui tentent par la guerre d’imposer leur vision du monde et veuillent
faire ou défaire des gouvernements afin de choisir parmi les dirigeants,
dictateurs ou pas, ceux qui sont fréquentables ou non en fonction
des intérêts des multinationales occidentales qui veulent continuer
à piller le reste du monde, quitte à nous précipiter dans leurs
guerres impérialistes et que nous pleurions nos morts, cela est
intolérable. C’est cela que nous devons combattre.
Rien ne peut justifier les interventions armées
de la France en Libye, en Côte d’Ivoire, en Syrie ou ailleurs et
nous nous honorons de nous être toujours élevés ici contre ces choix
politiques y compris quand, même des organisations progressistes
de France soutenaient les forces réactionnaires libyennes ou peinaient
à se mobiliser contre les interventions françaises reprenant l’antienne
de notre modèle de démocratie (parlons-en !) exportable à coups
de canons… Si des peuples estiment que la seule solution qu’il leur
reste c’est la lutte armée, c’est leur affaire et faisons leur confiance.
Cessons de classer le PKK, entre autres, parmi les organisations
terroristes et apportons l’aide que demandent les combattants kurdes,
eux qui ont obtenu, comme les russes, les plus spectaculaires résultats
contre Daesh. …et nationaux
Ce qui est posé aussi à un gouvernement responsable
c’est de combattre la fascination qu’exerce Daesh sur une infime
minorité de notre jeunesse. Pour cela il ne s’agit ni de montrer
du doigt ni de stigmatiser une partie des habitants de France en
fonction de ses origines familiales ou de sa religion mais au contraire
de lutter contre toutes les discriminations dont notre pays regorge
et qui ne s’affaiblissent pas avec les années. Et qu’on ne vienne
pas nous dire ici qu’il faut que les musulmans (ou les arabes c’est
selon), eux qui sont les premières victimes de ces politiques guerrières,
condamnent de manière spécifique les crimes commis au nom d’Allah.
Comme s’ils ne le faisaient pas déjà avec l’ensemble des citoyens
du monde ! A-t-on demandé aux chrétiens de Norvège et du monde de
s’excuser voire de s’exprimer de façon spécifique quand un fou a
assassiné plus d’une centaine de gens au nom de sa « foi catholique
» ?
Combattre la plongée dans la violence fanatique de quelques citoyens
impose de combattre la violence sociale qui s’exerce de plus en
plus fortement sur le monde du travail. Une société de plein emploi,
de justice sociale, où les politiques menées feraient que la devise
nationale liberté, égalité, fraternité aurait encore un sens aurait-elle
connu le 13 novembre ? Il est permis de se poser la question. Combattre
la tentation fanatique qui toucherait 4000 individus (ce chiffre
étant bien sûr à prendre avec des pincettes) impose de combattre
le chômage, d’interdire les licenciements programmés en commençant
par les entreprises où l’état a des parts dans la direction. En
un mot, cela impose de combattre le capitalisme qui, selon la célèbre
phrase de Jaurès, « porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage
». …et combattre le piège des irresponsables de tous bords
Le monde n’a pas besoin d’une escalade guerrière
de plus ni de nouvelles atteintes aux libertés, mais de paix et
de rapports respectueux des nations et des peuples qui les composent.
Au lieu de cela, « un groupe de pays qui se croient supérieurs à
nous les pays du sud, aux pays du tiers monde » comme l’avait superbement
dénoncé Chavez lors d’un fameux discours au sommet climatique de
Copenhague en 2009 :, tente d’imposer ses choix y compris par la
guerre et les dictatures.
- C’est avec cette conception que le gouvernement
Hollande lance son appel à l’unité nationale. Unité pour que puisse
se poursuivre au plan national la même politique au service des
puissants qui fait des ravages et à laquelle répond la montée des
frustrations et des replis identitaires.
- C’est cette conception qui tente d’imposer l’idée
que nous n’avons pas le choix : soit c’est le fascisme du FN, sa
politique isolationiste parce que nationaliste et raciste, soit
un consensus autour d’une politique nationale d’austérité et donc
d’aggravation de la crise.
- C’est cette conception qui amène à réformer la
constitution et prolonger l’état d’urgence, prolongation contre
laquelle auraient dû voter au minimum ceux qui se disent attachés
aux libertés. Il est d’ailleurs réconfortant de voir qu’entre autres
le syndicat de la magistrature et la CGT ne sont pas tombés dans
ce piège [1].
L’état d’urgence ne protègera pas plus la population
que les mesures prises sur le renseignement n’ont empêché le massacre
du 13 novembre. Par contre il amplifie les risques de dérapage,
les atteintes aux libertés et la dérive totalitaire d’un régime
qui ressemble de plus en plus au précédent sur ces questions-là…et
donc valide les thèses de la droite et son extrême. Et voilà que
la surenchère fleurit avec des propos comme celui de Wauquiez demandant
l’internement sans autre forme de procès, de 4000 suspects ou celui
d’Estrosi parlant de la 5ème colonne islamiste.
L’appel à l’union nationale d’aujourd’hui est
le même que l’appel à l’union sacrée de 1914 par Clémenceau, celui
dont Valls se réclame. C’est le même appel que ceux lancés par les
socialistes à chaque fois qu’ils ont voulu nous entraîner dans une
guerre, ce « massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit
de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ». [2] Comme
nous l’avons écrit, avant le 13 novembre, ils osaient déjà des atteintes
aux libertés et le passage en force de la régression sociale. Ils
veulent continuer et amplifier. Que ce gouvernement de guerriers
réactionnaires ne compte pas sur nous pour accepter demain ce que
nous avons toujours refusé. Plus que jamais nous continuons notre
combat qui passe aujourd’hui par Air France, la SNCM, par les luttes
du monde du travail, par la solidarité avec le peuple palestinien
et les victimes des guerres réfugiées du Moyen Orient ou attaquées
ici et bien sûr aussi, plus que jamais, par notre refus des guerres.
Notes
Source
: http://rougemidi.fr/
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