Réchauffement climatique - Réalité naturelle ou artificielle et grande peur

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Pierre Lenormand

Dans un article paru dans la revue internationale en ligne basée en Grèce Defend Democracy, la question du réchauffement climatique a été abordée à plusieurs reprises en soutenant la vision de la thèse du réchauffement climatique produit par les activités humaines. Cette revue avait néanmoins publié aussi une critique de l’unanimisme d’apparence porté par les gros médias transnationaux, les grosses agences de presse et la plupart des gouvernements, en particulier depuis la COP21, alors que les scientifiques sont en fait beaucoup plus divisés sur la question qu’il n’y paraît [1], et donc qu’un véritable débat rationnel devrait être mené, à l’abri des grandes peurs et des habituelles campagnes d’intimidation qui sont devenues coutumières au sein du « village global » censé être gouverné par « le cercle de la raison » ...mais laissant en fait peu de place au débat scientifique et aux analyses rationnelles. Il nous est apparu néanmoins que cet article contenait sur certains points des éléments qui devraient être affinés, nuancés ou modifiés. Raison pour laquelle nous avons cherché un auteur spécialiste de la question et capable d’apporter des informations et approches plus précises sur la question. Nous sommes en contact avec le géographe Pierre Lenormand qui apporte à la question son regard distancié, et qui nous a proposé de reprendre à cet effet un de ses articles publié dans la revue « Naturellement » il y a déjà deux ans et à partir duquel le Mouvement National de Lutte pour l'Environnement, Réseau Homme&Nature (MNLE) a voulu prolonger le questionnement par un texte qui apparaitra en fin de l’article. Il est en effet temps de relancer le débat pluraliste sur la question pour démêler le vrai du faux, les parts de responsabilités humaines, celles du système capitaliste dominant et les manipulations des grandes peurs à objectifs culpabilisant pour les masses et les pays ayant par principe droit au développement. Et pour envisager comment l’’être humain pourra faire face en définitive à tous ces défis, comme il a su jusqu’à présent le démontrer face à chaque catastrophe, d’origine naturelle ou humaine, et donc sans pratiquer ce néo-malthusianisme pessimiste actuel qui correspond si bien aux intérêts de ceux qui veulent que tout change pour que rien ne change. L’écologie n’échappe pas plus que les autres réalités humaines aux clivages entre intérêts sociaux contradictoires. La Rédaction de la revue La Pensée
publication décembre 2017
mis à jour le : 10 Juin, 2020

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Changement climatique : y voir plus clair

Pierre Lenormand

Nous sommes nombreux à partager le sentiment qu'en matière de climat, nous sommes soumis à un matraquage médiatique quotidien : records de températures ou d'émissions sans cesse battus, informations sensationnelles mais dénuées de sens, raccourcis éhontés, images truquées ou fabriquées3. Fort peu ou pas démenties, outrances et contre-vérités viennent brouiller une 'communication' qui comporte aussi, bien entendu, des informations sérieuses, vérifiées, suffisamment préoccupantes pour qu'il n'y ait pas lieu d'en rajouter.

Tout se passe comme si en la matière s'imposait une sorte de pensée unique, avec ses effets pervers, engendrant la suspicion, quand ce n'est pas l'idée d'un complot planétaire. Plus grave peut-être encore, cet emballement médiatique concourt à répandre et renforcer l'idée d'une catastrophe imminente et sans précédent, dont 'l'homme' serait responsable, et coupable. Cet alarmisme répand la crainte, il nourrit en retour le déni de lobbies intéressés et les rodomontades des sceptiques médiatiques, et ne sert en rien la cause que l'on prétend défendre : ce catastrophisme, théorisé et promu aujourd'hui4, développe au contraire le sentiment d'impuissance devant « l'irréversible », et s'accompagne de prescriptions culpabilisantes, que refusent à juste titre les peuples du Sud, et que devraient aussi refuser ceux du Nord.

On m'objectera qu'il ne coûte pas cher de jouer les esprits forts quand on est bien moins exposé que d'autres aux divers désastres d'origine climatique que l'on nous annonce. Et qu'il serait irresponsable, à tout le moins pour nos enfants et petits-enfants, de nier ou de tenir pour négligeable les prémisses d'un dérèglement climatique d'une ampleur inconnue depuis l'apparition de l'homo sapiens. Car c'est bien d'un véritable « emballement climatique » que le Groupement Intergouvernemental des Experts du Climat (GIEC) dresse la perspective dans son 5ème Rapport (2014). Parcourir la trentaine de pages du 'Résumé à l'Intention des Décideurs'5 - complété par un document technique de plusieurs centaines, et d'un rapport général de plus de mille pages - tend à montrer l'extrême sérieux d'un travail collectif qui depuis 1988 a mobilisé des milliers de chercheurs de par le monde. On ne peut qu'être impressionné par la grande complexité des analyses, la quantité de graphes, de tableaux et de cartes mis à contribution, l'ensemble étant, il faut bien le dire, assez peu accessible au grand public, fut-il 'averti'. On ne peut manquer non plus de relever la prudence affichée, les corrections apportées d'un rapport à l'autre, la place faite aux incertitudes, la multiplication des hypothèses et des scénarios, concourant à montrer la rigueur et les précautions dont le panel d'experts s'est entouré, susceptibles donc d'emporter la conviction du lecteur.

Le diagnostic est radical : l'augmentation de la teneur de l'atmosphère en gaz à effets de serre (gaz carbonique, méthane et oxyde nitreux) est, à l'exclusion de tout autre facteur6 la cause du réchauffement en cours. Les quatre scénarios retenus par le 5ème rapport du GIEC (2014) conduisent à la fin du siècle à une hausse des températures d'un peu moins de 2° à plus de 6°, suivant que les émissions de Gaz à effets de serre (GES) restent stables, doublent ou quadruplent7. Sachant que les écarts des températures annuelles moyennes à l'optimum médiéval comme au petit âge glaciaire européens sont inférieures à un degré, on peut en effet penser qu'un réchauffement « moyen » de plusieurs degrés puisse conduire à un dérèglement inédit des climats, conduisant à des changements brutaux et des irréversibilités, aggravant les évolutions d’ores et déjà observées : fonte des glaciers et du permafrost, hausse du niveau des mers, multiplication des phénomènes extrêmes...

Mais il se trouve que depuis les années 1980, un nombre non négligeable, plutôt croissant, de spécialistes de diverses disciplines - dont des climatologues - contestent, sur le plan scientifique, les analyses et les prédictions du GIEC. Si plus personne aujourd'hui ne nie l'existence d'une hausse régulière des températures de surface (un degré celsius environ durant le dernier siècle) les causes du réchauffement observé et l'ampleur du réchauffement à venir font aussi l'objet « non pas d'une controverse, mais d'un imbroglio de désaccords hétérogènes » faisant l'objet de « débats très vifs », y compris au sein des « sciences du climat, mais peu publicisés (…) pour ne pas donner prise aux critiques extérieures. »8. Ces controverses sont bien connues, et même présentées (brièvement) dans le « défi climatique » comme utiles, voire nécessaires à l'amélioration des modèles et simulations du GIEC. Je relève trois points d'achoppement principaux :

  • le premier porte sur les observations concernant l'évolution des climats actuels et passés : les écarts, voire les contradictions existant entre elles peuvent conduire à des interprétations différentes de la corrélation - reconnue par tous - entre teneurs en GES et températures.
  • le second, sur les causes du réchauffement, en découle : s'opposent depuis des années les tenants de la responsabilité des gaz à effets de serre, membres ou proches du GIEC et les tenants de la responsabilité des divers types de variations de l'irradiance solaire. Plus récemment, certains 'climatocritiques' - proches des précédents - insistent sur l'existence de phases de croissance et de décroissance des températures (suivent des cycles d'une soixantaine d'années), rendant notamment bien compte du palier des températures annuelles moyennes observées depuis 1998, le fameux « hiatus », désormais unanimement reconnu.
  • sur les modèles de prévision, très complexes, utilisés par le GIEC, mais reposant tous sur la notion de forçage radiatif, dont la valeur, voire le sens (suivant les rétro-actions positives ou négatives admises) sont la cible de la plupart des contradicteurs, qui opposent aux climats virtuels simulés par les climatologues les climats réellement existants...

A ces diverses objections, Jouzel et Debroise [2013] opposent dans le chapitre 5 une brève argumentation pour les réfuter, mais pas toujours très convaincante, le chapitre précédent ayant déjà conclu « à 95 % à la responsabilité de l'homme ». Faute des compétences requises, je n'irai pas au-delà de cette brève présentation des controverses qui méritent à mon sens, et sans préjuger du résultat, d'être examinées plus sérieusement. Le problème est que ce débat, déclaré « clos » (Bruno Latour), est refusé, ou rendu impossible par les a priori (scientifiques d'un côté, imposteurs de l'autre), les exclusions réciproques (« bien-pensance » contre « négationnisme »), les étiquetages sommaires (la liste est longue…), ainsi que la suffisance, voire la morgue, auxquelles la certitude de détenir la vérité peut conduire9.

Peut-on complètement écarter l'idée d'un emballement scientifique, né de la prise en compte, au sein des phénomènes complexes et chaotiques qui sont au cœur des climats, d'une seule variable - la teneur en GES - conduisant par une sorte de « sur-déterminisme » à des prédictions d'une précision stupéfiante ? Et n'y a-t-il pas place pour une certaine synthèse des diverses pistes explicatives10 ? C'est dans cet esprit que notre revue a organisé un débat public, sérieux, équilibré, argument contre argument, sur la dimension scientifique des débats concernant le changement climatique11.

Les sombres perspectives du GIEC étant tracées au nom de la science, il est en effet légitime de demander aux scientifiques, dans leur diversité, de nous faire comprendre pourquoi. On me dira qu'une telle compréhension - tant la scientificité des méthodes et des calculs est grande - est hors de la portée de la plupart d'entre nous. Nous affirmons à l'inverse que notre rôle d'éducateur populaire est justement de faire partager autant que faire se peut par le plus grand nombre, les avancées, comme les interrogations, des chercheurs12. On me dira aussi que c'est prendre le risque inutile, en minimisant la responsabilité des émissions anthropiques, de nier les responsabilités humaines, et tomber derechef dans une impuissance contraire à notre objectif fondamental de défendre, contre toutes les agressions, « la nature et le travailleur ». Là-dessus, nous devons être tout à fait clairs : quelle que soit la qualité du débat proposé, il ne faut pas attendre qu'il en surgisse une conclusion, ou des solutions définitives, mais au moins y verrons-nous un peu plus clair : sortir des émotions préfabriquées, des explications sommaires, et s'approcher - un peu plus - d'une vérité scientifique qui n'a pas fini de s'écrire est de toute façon stimulant, et un encouragement à poursuivre notre mobilisation. Il est en effet hors de question que le MNLE renonce à agir, d'autant que nous n'avons pas le temps d'attendre. Jacques Theys [2015] met bien en évidence que le temps des climats, avec ses inerties, ses coups partis, ses effets différés et ses accélérations, sont infiniment plus longs que le temps des interventions humaines qui, même lentes à se mettre en place, relèvent du court terme tout en étant longues à porter leurs fruits. Il nous faut donc anticiper, en prenant au sérieux les risques et menaces possibles, avec le souci de les atténuer, autant que possible, en premier lieu par la prévention, et réfléchir, développer des adaptations auxquelles nous n'échapperons sans doute pas13.

Comme le réclame depuis des années le MNLE, c'est d'abord pour nous, pays du Nord, l'objectif prioritaire de « sortir de l'âge des combustibles fossiles », afin de préserver l'atmosphère bien entendu, mais afin aussi de protéger des ressources dont des peuples peuvent aujourd'hui - et nos descendants pourront demain - avoir besoin. Nous gardant d'un 'réductionnisme climatique'14 fâcheux, il nous faut en effet aussi combattre la dégradation des écosystèmes, l'érosion accélérée de la biodiversité, la surpêche, les pollutions et les pratiques prédatrices affectant les sols, l'eau, les forêts15 et l'atmosphère, généralement oubliée de la liste des 'biens communs' qu'il conviendrait de protéger. Mais cette question des rapports avec la nature ne sera pas réglée sans que soient réglées celle des inégalités et des rapports de domination au sein des sociétés et entre elles. Ce qui pour notre mouvement signifie réfléchir et tracer des voies de sortie du capitalisme16.

Suites : Penser autrement la question climatique ?

Pierre Lenormand, Géographe.(28 septembre 2015)

C'est ce à quoi nous invite, dans son supplément consacré aux enjeux de la conférence de Paris, la revue Natures, sciences, sociétés (juin 2015). Parmi la quinzaine d'articles qui renouvellent l'approche du problème, je voudrais souligner l'apport, particulièrement précieux pour nous - MNLE/Réseau Homme&Nature - de celui que signent un géographe, un urbaniste et une géoclimatologue : « Redéfinir le problème climatique par l'écoute du local »2. « Envisageant le changement climatique depuis les territoires et les stratégies locales d'atténuation et d'adaptation », ils relèvent la difficulté d'appropriation locale du problème climatique, du fait de « l'articulation insuffisante entre niveau global et niveau local-territorial d'expertise (…) et d'action ». S'appuyant sur leur expérience des « plans climats territoriaux » (PCET), et des « diagnostics Cit'énergie », ils écrivent : « Plutôt que de rechercher des responsabilités négatives, actuelles ou passées, et de poursuivre pour seul objectif un engagement ferme des Etats à réduire leurs émissions de GES, il conviendrait de raisonner davantage en termes d'opportunités offertes par les stratégies bas carbone ». Donc en partant non pas d'objectifs globaux progressivement déconcentrés par descente d'échelles, mais d'objectifs locaux, supposant - ce qu'on ne sait pas encore bien faire - de « débattre localement des implications et des réponses envisageables, acceptables, désirables ». Nous retrouvons là les fondamentaux de notre mouvement, à reprendre et développer pour mettre en œuvre dans les territoires notre exigence de produire et consommer autrement. Puis-je suggérer que ces chercheurs nous livrent, d'une manière ou d'une autre, leurs «éléments de propédeutique» ?

Y a-t-il encore place pour une controverse scientifique en matière de changement climatique?

Comme François Cosserat, Président du MNLE l'avait demandé, deux membres du Conseil d’administration du mouvement, Pierre Lenormand (géographe), Jean-Yves Guézenec (ingénieur) qui ont sur la question des avis différents et échangent depuis longtemps se sont rencontrés et ont abouti à un texte de compromis reprenant les principaux points à soumettre aux scientifiques qui accepteraient de participer au débat prévu sur ce thème (qui bien entendu n'en exclut pas d'autres) suite à la COP 21.

Des raisons d’être inquiets

Le réchauffement global est une réalité de l'ordre du degré celsius en un siècle, les températures observées ces dernières années le confirment. Plus personne ne nie ce réchauffement.

S'ajoutant aux GES « naturels » existant dans l'atmosphère (à l'origine de l'effet de serre qui élève fort utilement la température moyenne terrestre à 15° environ au lieu de -18°) des émissions de plus en plus considérables ont marqué les deux derniers siècles, et plus particulièrement encore le dernier demi-siècle : l'utilisation massive des combustibles fossiles (solides, liquides et gazeux) est à l'origine de l'augmentation de la teneur de l'atmosphère en CO2, passée de 240 à 400 parties par million (ppm) en un siècle, niveau très supérieur à ce qui a été atteint depuis des millions d’années : l'origine anthropique de cette hausse est difficilement contestable. En effet, notre civilisation a déjà rejeté, en un siècle et demi environ, sous forme de gaz à effet de serre, un partie du carbone que la nature a mis 500 millions d’années à concentrer et stocker sous forme de combustibles fossiles dans diverses couches géologiques. Ce chamboulement massif et brutal indique qu’il y a tout lieu d’être inquiet pour l’avenir de la planète et de l’humanité.

Il est donc très important d'essayer de préciser l'ampleur des changements climatiques à attendre durant l'actuel siècle - et les suivants - en fonction de diverses hypothèses, comme le font les quatre scénarios établis par le GIEC dans son cinquième rapport, qui fait parmi les climatologues l'objet d'un large consensus. Une minorité de scientifiques de diverses disciplines, dont des climatologues, contestent cependant les analyses et les principaux résultats du GIEC. Nous voudrions lister ci-dessous les divers points qui alimentent encore aujourd'hui, à tort ou à raison, les controverses de nature scientifique sur les changements climatiques en cours.

Questions climat(s)

Observations et mesures : des points discutés.

Banquise et calottes glaciaires arctiques et antarctiques : réduction globale au Nord, réduction pour certains, croissance pour d'autres au Sud ? Quelles évolutions historiques ?

La fonte des glaciers d'altitude continentaux et du pergélisol est avérée, mais les mesures et les interprétations peuvent différer (rôle respectif des températures et des précipitations).

Hausse des niveaux des océans : les données d'observation sont très diverses et évolutives. Une publication récente renforce les inquiétudes

La hausse de la température moyenne globale aujourd'hui observée est-elle conforme au modèle en « crosse de hockey »de Mann, et/ou aux prédictions des premiers rapports du GIEC ? Ou est-elle à relier à des variations cycliques, il est vrai mal élucidées, de l'irradiance solaire ?

Analyses historiques à moyen et long terme : des corrélations aux causes.

Est-il légitime d'établir et de commenter l'évolution comparée sur trois siècles des températures relevées dans l'Angleterre centrale et des émissions de GES ?

Les carottages antarctiques (glaciations et déglaciations quaternaires) montrent une corrélation claire entre teneurs en GES (CO2 et CH4) et températures. Pour autant la nature - voire le sens - de ces relations est discuté : faut-il retenir l'idée que si durant les millions d'années antérieures à la révolution industrielle l'augmentation des températures entraînait l'augmentation des teneurs en CO2 et CH4, c'est actuellement la relation inverse qui s'exprime ?

La capacité des divers gaz à effet de serre d'augmenter les températures de l'atmosphère est établie depuis un siècle : quelles en sont les limites intrinsèques (hypothèse de saturation, durée de vie), les freins ('corrections' cycliques) et les facteurs de renforcement (modification de l'albedo, fonte du pergélisol) ? Les climatologues reconnaissent aussi que la question de l'eau atmosphérique - la vapeur d'eau est le premier gaz à effet de serre - et des couvertures nuageuses, avec leurs effets contradictoires (effet parasol contre effet de serre) reste une question très ouverte.

On sait que de nombreux facteurs naturels (volcanisme, aérosols, courants océaniques de surface et profonds, effets 'el Niño' et 'la Niña') peuvent influer sur l'évolution des températures. Une des thèses centrales du GIEC est que ces facteurs peuvent jouer un rôle conjoncturel, mais négligeable dans la durée. Tout récemment, Hervé Le Treut estime que gaz à effet de serre et facteurs naturels auraient actuellement un rôle équivalent dans l'évolution observée. Ces deux points de vue sont-ils conciliables ?

Prévisions et prédictions, modèles et simulations : cette partie peu accessible au commun des mortels, et donc a priori la plus difficile à intégrer par le profane, n'appelle-t-elle pas quelques éclaircissements ?

Tout part en effet des incertitudes que reconnaissent les climatologues eux-mêmes. Katia et Guy Laval indiquent en conclusion de leur livre « Incertitudes sur le climat » (Belin 2013) que le GIEC peut tout aussi bien sur-estimer que sous-estimer le réchauffement à l'horizon 2100.

La notion de forçage radiatif est au cœur des modèles « prédictifs » et de l'estimation de la sensibilité climatique. Ses hypothèses de calcul sont fondamentales. Quel rôle jouent les rétroactions positives, sans lesquelles l'augmentation prévue des températures serait moindre ? Dans quelles mesures sont-elles justifiées ? Peut-on écarter - a priori - toute rétroaction négative ?

Comment la seule variable 'température' peut-elle déterminer les climats à venir ? Ceux-ci sont très directement dépendants de la circulation atmosphérique, elle-même étroitement dépendante des pressions atmosphériques. On n'ignore pas bien entendu les relations étroites entre la répartition zonale des températures terrestres, le système des hautes et basses pressions et le régime des vents, dans la basse atmosphère comme en altitude. Peut-on rendre compte et modéliser la mécanique fort complexe de la circulation atmosphérique générale, avec sa dynamique propre, à partir de la seule évolution des températures ? On sait par ailleurs que plus les échelles sont grandes, et les régions étudiées petites, plus les prédictions sont incertaines.

A l'inverse, où en est-on de la grande boîte noire des échanges thermiques et gazeux entre les cinq sphères : atmosphère, hydrosphère, cryosphère, biosphère (milieux vivants, y compris les sols) et lithosphère, et de leurs bilans, très différents suivant les sources ?

Quelles conclusions peut-on tirer des réponses que l'on peut aujourd'hui donner à ces questions ?

Pierre Lenormand et Jean-Yves Guézenec (3 mai 2016)

Références bibliographiques :

  • AYKUT (Stefan) & GUILLEMOT (Hélène) 2013 : « Trois débats sur le climat », la Recherche, n° 478, août 2013, p. 74-77)
  • GERVAIS (François) : L'innocence du carbone, Albin Michel, 315 pages
  • JOUZEL (Jean) et DEBROISE (Anne) 2013 : Le défi climatique Objectif : 2°c !, Dunod, 256 p.
  • LE TREUT (Hervé) 2013 : « Changement climatique : que peut-on prévoir ? » In Toussaint et al. 2013, p. 84-88)
  • THEYS (Jacques) 2015 : « le climat, une question de temps », éditorial du supplément au n° 23 de la revue Nature, Sciences, Sociétés consacré à la COP 21, juin 2015.
  • TOUSSAINT (Jean François) et al 2013: L'homme peut-il s'adapter à lui-même ?, Editions Quae, 176 pages.

Notes :

  1. http://www.defenddemocracy.press/pollution-capitalisme-neo-malthusianisme-et-changement-climatique/
  2. Article paru dans la revue Naturellement n°120, 30 octobre 2015.
  3. Trois exemples parmi beaucoup d'autres : montage photographique de l'ours blanc sur son glaçon, annonce apparemment sensationnelle qu' il a fait le 9 mars 2015 « plus chaud dans l'Antarctique qu'à Paris », prédiction reprise par un titre de 'l'Usine Nouvelle' du 9 juillet 2015 « montée de la mer : au minimum six mètres » à une échéance que la fin de l'article estime... à l'an 2500.
  4. Prolongeant l'idée d'une 'heuristique de la peur » de Hans Jonas, Jean-Pierre Dupuy, Ingénieur et Professeur de philosophie sociale et politique à l'Ecole Polytechnique et à la Stanford University (Californie) a publié Pour un catastrophisme éclairé. Quand l'impossible est certain, Seuil, 2004.
  5. Bien entendu, on reste ici entre gens sérieux, entre « experts » (ici scientifiques) et « décideurs » terme détestable mais désormais banal pour désigner les « politiques », ainsi gratifiés d'un pouvoir refusé de fait aux citoyens et aux peuples.
  6. Le n° 115 de notre revue Naturellement a publié les schémas de synthèse du GIEC, où la part des facteurs naturels (volcanisme, variation de l'irradiance solaire et de l'albédo, aérosols) dans le réchauffement atmosphérique n'est pas nulle, mais tout à fait négligeable.
  7. Le Treut, p. 87.
  8. Aykut & Guillemot, 2013
  9. Hervé Le Treut lui-même reprend une citation de Nietzsche suivant laquelle « ce n'est pas le doute, mais la certitude qui rend fou ». Il en appelle, « loin des polémiques » à reconnaître et s'en tenir « au cœur des difficultés de la science ».
  10. Irions-nous vers une approche plus équilibrée ? Les propos d’Hervé Le Treut dans le quotidien ‘les Echos’ du 14 septembre 2015 pourraient être une ouverture en ce sens : «… Aujourd'hui, les gaz à effet de serre émis par l'homme sont tels que leur impact sur le climat mondial est d'une force équivalente à celle de l'ensemble des facteurs naturels de variabilité climatique, qu'il s'agisse des mouvements des océans et de l'atmosphère ou des cycles solaires (…) C'est ce qui rend la situation actuelle si délicate à analyser correctement ... ».
  11. Les noms ne manquent pas : du côté des « gessistes » Bréon, Jouzel, Le Treut... Pour les « solaristes » des mathématiciens (Rittaud), des physiciens du globe (Allègre, Courtillot, Le Mouel) ou le systématicien de Larminat. Pour les « cyclistes », le Californien Scafetta est un peu loin, mais le physicien Gervais a déjà participé à plusieurs débats de ce type. Et n'oublions pas l'agnosticisme climatique, 'faute de preuve', du sociophysicien Galam.
  12. Nous avons aussi des questions à leur poser : ainsi, s'agissant de la production agricole mondiale, doit-on croire, comme l'affirme le programme 'pour une agriculture intelligente par rapport au climat' (CSA, climate smart agriculture) que le réchauffement climatique a déjà réduit les rendements de 2% par décennie, ou doit-on, comme le montre la technique classique d'enrichissement en CO2 pratiqué par les serristes, suivre un certain nombre d'études américaines établissant que l'augmentation de la teneur en CO2 a permis un accroissement de la production agricole évalué à 30 milliards de dollars [Gervais 2013] depuis 1960 ? Et que dire alors de la stagnation contemporaine observée en Europe des rendements céréaliers, associable à l'impasse du modèle productiviste agricole ? Peut-on savoir lesquelles de ces propositions sont vraies ? Le sont-elles toutes ? Ou encore, comment s'engager 'intelligemment » dans le projet de séquestrer davantage de carbone dans les sols (objectif d’un gain de «4 pour mille » chaque année) pour réduire les émissions de l'agriculture et de l'élevage) sans rappeler que c'est aussi, et peut-être même avant tout, un gage d'augmentation de la fertilité, indispensable si l'on veut répondre aux besoins divers et croissants de l'humanité ?
  13. Dans un ouvrage collectif [Toussaint et al. 2013], 28 scientifiques de nombreuses disciplines font le point sur les voies et moyens de l'adaptation, dans l'esprit de « protéger notre espèce contre ses propres agissements et de modérer sa soif du « toujours plus ». Bien que revendiquant la pluridisciplinarité, l'ouvrage ne donne la parole à aucun historien, ni géographe, ni sociologue, ni économiste du développement, ni juriste... Cette exclusion des sciences sociales est préoccupante, mais explique peut-être aussi pourquoi le mot 'capitalisme' est absent de ses 176 pages.
  14. Le réductionnisme climatique est ainsi défini par Guillemot et Aykut [2013] : « le climat, seul facteur (très partiellement ) connaissable du futur grâce à la modélisation physique, en devient la variable de prédiction dominante, marginalisant ainsi les autres facteurs (naturels, politiques et sociaux) contribuant à façonner l'avenir. » Le beau texte de Jean-Claude Ameissen dans Le Monde du 1er septembre s'inscrit dans cette optique : « il ne faut pas seulement se focaliser sur le climat... ».
  15. On se reportera à la déclaration de la Convergence globale des luttes pour la terre et l'eau adoptée à Tunis en mars 2015, dont la revue 'Aujourd'hui l'Afrique' (septembre 2015) a publié le texte intégral.
  16. Voir, dans le même numéro de Naturellement, l'éditorial et/ou l'article de François Cosserat.
  17. Le ‘questionnement partagé’ a été rédigé au sein du MNLE sur la question ‘Y a-t-il encore place pour une controverse scientifique en matière de changement climatique?’ constitue un projet qui a dû être différé suite à la disparition du président de l’association. Il n’en reste pas moins valable car les tenants du point de vue médiatiquement dominant sont très réticents à rencontrer des contradicteurs. Il faut donc rendre public ce questionnement pour imposer un débat sur le sujet, ce à quoi notre revue appelle donc.
  18. Hervé Bredif, François Bertrand et Martine Tabeaud, 2015 : « Redéfinir le problème climatique par l'écoute du local » in Natures, sciences, sociétés, suppl. au n° 23 : « les enjeux de la conférence de Paris. Penser autrement la question climatique ».

Source :La Pensée

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