a propos de la contribution de lucien sève
Le PCF ne sera-t-il bientôt plus qu' un parti radical,
une longue histoire et quelques notables ? Dans un article récent, Lucien
Sève propose une réponse choc : « Communisme, oui ; PCF,
non. ».
Je suis convaincu qu' au contraire, le délitement
communiste est le résultat de la recherche désespérée
d’une visée communiste en dehors de la question décisive
des conditions d’un processus révolutionnaire, et d’une pratique
de désorganisation de tout ce qui fait un parti utile à la résistance
populaire. . Depuis des années, nos textes de congrès cherchent
partout ailleurs que dans notre histoire théorique de nouveaux mots,
de nouvelles idées pour refonder un discours politique qui finit par
assumer aujourd’hui pleinement sa rupture avec 1920. Le vide idéologique
est de fait comblé par les idées de refondation devenues dominantes.
Elles ont jouées un rôle essentiel dans la stratégie des
collectifs antilibéraux qui en constitue une première mise en
œuvre à grande échelle et aurait du aboutir a une candidature
« nouvelle », symbolisant la rupture avec la « forme parti
». La proposition de Sève est donc en quelque sorte « déjà
là » ! Prenons en les deux termes :
1/ Communisme, Oui !
Si Sève propose de « Conserver absolument le communisme
», c’est après avoir déconstruit deux repères
qui lui sont fondateurs ; la place de la classe ouvrière dans les luttes
de classes ; la nécessité du socialisme comme première
forme sociale nouvelle issue d’un processus révolutionnaire :
- Première déconstruction. Pour
lui, s’il y a bien une classe à un pôle de la société,
il n’y aurait plus en face une classe ouvrière placée au
cœur de la contradiction entre capital et travail, mais l’humanité
toute entière mise en péril par la dérive inhumaine du
capitalisme. Le NON au référendum a pourtant révélé
la profondeur de la fracture entre monde ouvrier des banlieues et couches moyennes
supérieures des centres-villes ! On voit progresser une véritable
ségrégation sociale dans les ghettos de la république pendant
que s’élargit le monde arrogant des gagneurs. Cette fausse idée
des « multitudes » à la Negri est au cœur de l’abandon
par la direction du parti de son enracinement ouvrier historique. La théorisation
de Sève vient accompagner ainsi le mouvement réel du PCF tel qu' il
est déjà !
- Deuxième déconstruction.
Pour lui, le socialisme serait une impasse conduisant à sortir de la
visée communiste. Il nous dit : Ainsi le communisme implique le dépérissement
de l’État de classe, le socialisme, lui, a toujours inclus un étatisme.
Mais à force de chercher la visée, de « commencer par les
fins » communistes, on finit par oublier que la bourgeoisie tient solidement
un état hyper centralisé et violent ! La résistance au
pétainisme Sarkozien nous montre au contraire la nécessité
de penser la « révolution », le processus par lequel le peuple
peut arracher l’état à la bourgeoisie. Opposer socialisme
et communisme, c’est faire l’impasse sur la révolution !
Les communistes, au contraire des réformistes, savent que la révolution
ne supprime pas la lutte des classes, mais en inaugure une nouvelle période.
Si cette lutte des classes dans les pays socialistes a été gagnée
par ceux qui allaient devenir les nouvelles bourgeoisies de l’Est, non
seulement, cela ne doit pas nous conduire à rejeter le socialisme, mais
au contraire à repenser ce que peut être un pays capitaliste développé
dans lequel le monde du travail a conquis des pouvoirs déterminants.
A l’évidence, ce ne peut être déjà du communisme
! Nous avons donc besoin de proposer un nouveau « socialisme à
la française » pour ouvrir la perspective politique, pour dire
ce que peut être une voie pacifique de transformation qui se donne les
moyens de résister à la violence de la bourgeoisie !
2/ PCF, NON ?
Sève propose de dépasser radicalement la forme
parti. Mais s’il s’agit du parti communiste français, c’est
fait ! qu' avons nous encore du parti des années 60 ? Avec la fin
du centralisme démocratique et le fonctionnement en tendances, la désorganisation
concrète du parti totalement désinvesti des questions pratiques
de cartes, de timbres, d’organisation de terrain, des directions toutes
entières accaparées dans les conflits de courants, les institutions,
les négociations électorales, avec le dédoublement des
structures de décisions qu' a créé la stratégie
des collectifs antilibéraux, nous ne sommes déjà plus un
parti organisé !
Sève nous dit que « Le monde regorge de cohérences non pas
verticalement imposées mais horizontalement produites » Ce qui
est sûr, c’est que la dictature du capitalisme n’a jamais
été aussi centralement et verticalement imposée ! Et partons
de l’expérience ! Quelle leçon tirer des conflits internes
d’Attac, de l’impossibilité de construire une décision
nationale des collectifs anti-libéraux, de l’impuissance des mouvements
altermondialistes à transformer la force de la contestation en rapport
de forces face aux impérialismes. Et comment ne pas voir au contraire
dans l’histoire du parti, notamment de la résistance, l’utilité
à la fois de la créativité militante, de l’autonomie
et la nécessité forte d’une organisation, et donc d’une
direction ! Qui peut penser que la résistance à ce gouvernement
qui criminalise militants et banlieues peut se faire dans le spontanéisme
? Qui ne voit pas à quel point dans la bataille des retraites, des universités,
nous avons besoin d’un parti capable d’organiser l’intellectuel
collectif permettant aux militants de porter coup sur coup dans la bataille
idéologique.
On dit souvent que la révolution informationnelle et
le modèle en réseau que symbolise Internet est la preuve de la
possibilité de l’émergence spontanée de cohérence.
Mais comment ne pas voir au contraire à quel point Internet suppose comme
tout média, un travail de hiérarchisation et de priorisation des
informations, donc un travail de direction ! Le mouvement populaire n’a
pas besoin de « chefs », et surtout pas d’un parti militarisé,
mais s’il montre toujours sa créativité et sa capacité
d’initiatives, comme pour le NON au référendum, il souffre
d’un formidable déficit de représentations, de cohérence,
de perspectives, d’efficacité pour construire son union. Il appelle
à la reconstruction d’un parti qui soit l’intellectuel collectif
permettant au peuple de se penser en dehors des idées dominantes. Il
a besoin de dirigeants représentatifs du peuple, capables de porter et
fédérer sur leurs noms les résistances et les espoirs populaires.
Sous couvert de modernité, le texte de Sève nous ressert la soupe
indigeste qui plombe les congrès communistes depuis 15 ans... S’il
n’a fallu qu' un congrès à la direction du PCI en Italie
pour proposer une « cosa » et détruire en quelques mois le
plus grand parti communiste d’Europe, la direction du PCF ne sait pas
encore si le prochain congrès sera le bon pour passer enfin à
cette « nouvelle force » que Sève nous annonce !
Je comprends les camarades qui hésitent, craignent l’affrontement
des personnes. Sur le terrain, les désaccords entre militants ne sont
souvent pas une raison de divorce. La vie, les luttes, la fraternité
permettent de continuer à agir pour dépasser les contradictions
par le haut. C’est évidemment plus difficile quand est en cause
la direction d’un parti ! Mais le pire serait le mensonge, le pire serait
de continuer à faire des congrès pour laisser les choses en l’état.
Le pire serait de laisser ceux qui ne veulent plus de PCF le diriger !
Arrêtons de nous plaindre de notre faiblesse et de chercher
des coupables dans notre passé. Plus nous tarderons à rompre avec
l’orientation théorisée par Sève, poussée
par Martelli et de plus en plus directement mise en œuvre par la direction,
plus nous retarderons la reconstruction nécessaire du grand parti communiste
français du XXIème siècle !
Pierre Alain Millet
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