Séparer les questions de la guerre et du “changement
de régime”
Diana Johnstone
L'opposition à la guerre est une lutte dans et pour
notre propre société
La position exprimée par les Américains contre
la guerre (AAW) est extrêmement importante. Permettez-moi de faire quelques
observations pour la soutenir.
1 – Chaque guerre
lancée par les Etats-Unis est soutenue par certains groupes d'opposants
dans le pays attaqué. Leurs revendications sont utilisées par
les dirigeants américains pour justifier la violation du droit international
au nom des "droits de l'homme". Le "changement du régime"
– soi-disant au nom de la démocratie – est devenu une justification
de choix pour les guerres américaines.
Dans ces circonstances, il est impératif de séparer la lutte contre
la guerre de la question du "changement de régime". Le changement
du régime est l'affaire du peuple qui habite le pays, et de personne
d'autre. Nous ne sommes pas qualifiés pour décider de la "démocratie"
des autres. Nous sommes opposés à l'ingérence dans les
affaires des autres pays.
Nous autres Américains avons l'expérience malheureuse de tant
de groupes d'exilés, depuis le "lobby chinois" des années
1950-60 jusqu'à Chalabi et compagnie, en passant par les exilés
cubains, qui ont aidé à renforcer le gouvernment des Etats-Unis
dans sa prétension arrogante d'être le "sauveur" du monde
entier, dans son refus de la diplomatie et du compromis, et dans sa prédilection
pour les mesures de coercition, de sanctions et de guerre. Nous sommes contre
la guerre, mais aussi contre les sanctions, qui peuvent n'être que le
premier pas vers la guerre.
L'exception qui permet de tester la régle a été fourni
par la République de l'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid.
Cette république faisait partie de l'Occident, et son régime d'apartheid
était le produit direct du colonialisme européen en Afrique. L'Occident
avait donc une responsabilité particulière dans le maintien de
l'apartheid et un devoir particulier d'y mettre fin. Les sanctions contre la
RAS exprimaient l'évolution anti-raciste de l'Occident. Elles étaient
purement économiques. Elles ne constituaient pas une menace de guerre,
car jamais il n'a été question de faire la guerre à l'Afrique
du Sud.
Rien à voir donc avec les sanctions contre Cuba, accompagnées
d'une tentative d'invasion et d'assassinats manqués, visant à
détruire un système économique contraire aux intérêts
américains, ou aux sanctions contre l'Irak, qui faisaient partie de mesures
de guerre, et qui culminèrent avec l'invasion et l'occupation militaire
qui ont laissé le pays en ruines.
Demander à nous, citoyens de l'Occident, de "soutenir
l'opposition démocratique" en Iran n'a aucun sens. Primo, nous ne
sommes pas capable de juger qui est l'opposition véritablement "démocratique".
Secondo, notre "soutien" serait inexistant dans les faits. Nous n'avons
aucun moyen de soutenir qui que ce soit. Ce n'est que nos gouvernements qui
ont les moyens, moyens que nous connaissons: sanctions et guerre. Mais notre
lutte est précisémént une lutte contre l'utilisation de
ces moyens sous quelque prétexte que ce soit.
2 – Notre lutte
porte sur la nature, je dirais même l'âme, de nos propres sociétés.
La guerre corrompt la démocratie. Le militarisme, la guerre sans fin,
la haine et la peur de "l'autre", le "conflit des civilisation",
est en train de corrrompre la démocratie américaine, malgré
la force de ses traditions démocratiques. Elle risque, si par malheur
la politique pro-américaine aveugle de Kouchner-Sarkozy suit sa pente
actuelle, d'amener la France dans des aventures qui seraient catastrophiques
pour sa démocratie intérieure ainsi que pour la position des Français
dans le monde.
La France a encore le choix d'être un facteur de bon sens, de diplomatie,
de paix dans le monde. Il est urgent de sauver cette option avant qu'il ne soit
trop tard.
3 – La lutte pour
la paix n'est pas la même chose que la lutte pour la démocratie.
Malheureusement. Un pays peut très bien être démocratique
– et les Etats-Unis sont encore ce qui passe pour être un pays démocratique
– et faire la guerre, tout comme il y a de nombreux pays peu ou pas démocratiques
qui n'attaquent personne.
Certes, il serait bien que démocratie et paix aillent ensemble. Pour
cela il faudrait amener nos propres pays démocratiques à faire
la paix avec le monde. Cela rendrait la démocratie plus attirante. Car
si nous nous soucions vraiment des systèmes politiques dans d'autres
parties du monde, il faut partir de la constatation que tout ce que nous pouvons
faire en réalité, c'est de donner l'exemple – avant tout
en imposant une politique de paix à nos propres gouvernements. Si nous
ne pouvons pas faire cela, à quoi sert cette "démocratie"?
Diana Johnstone
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