Relations France / pays du Maghreb : Le changement dans la continuité Michèle Decaster secrétaire générale de l'AFASPA Intervention lors du débat du 4 décembre 2013 à l'assemblée nationale Depuis l' arrivée d' une nouvelle majorité à la tête de notre pays, on ne peut pas dire que l' on ait été ébloui par les changements de politique étrangère que ce soit en Afrique (promesse du candidat Hollande) ou ailleurs dans le monde. L' idéologie colonialiste n' a pas été éradiquée dans l' esprit et les actes des strates gouvernementales de cette nouvelle mandature. Laurent Fabius est Président du Conseil de Sécurité de l' ONU le 1er décembre 2013. Ce n' est pas une bonne nouvelle, alors que plusieurs dossiers concernant la décolonisation sont à l' ordre du jour pour lesquels la France est concernée : La Nouvelle Calédonie, la Polynésie française et le Sahara occidental. Le forfait comorien serait une histoire ancienne pour nos dirigeants qui ont départementalisé Mayotte et sollicitent auprès de l' Union Européenne le statut de région ultrapériphérique pour une île stratégique que leurs prédécesseurs ont confisquée en 1975. Mis à part ce « Bon point » décerné en passant à Mohamed 6, « Le roi prédateur », plusieurs remarques s' imposent dans cet affichage de la politique étrangère de la France : Aucune allusion à la politique sociale et économique engendrant la misère, le chômage, basée sur le libéralisme, qui ont fait l' objet de longues luttes syndicales en Egypte comme en Tunisie, facteur qui n' est toujours pas éradiqué, qui a conduit au renversement du régime des Frères musulmans en Egypte et qui mobilise la population tunisienne dans la rue contre le gouvernement dirigé par Ennahda qui revient sur des libertés arrachées. LIBYE Le 14 novembre dernier L. Fabius participait à la Conférence régionale sur les frontières, réunissant les voisins de la Libye et ses amis (ce qui justifiait la présence de la France). Il a confirmé l' engagement de notre pays « pour l' aider à faire face aux défis qu' elle rencontre dans cette période de transition ». Et de citer les défis : « les trafics, l' immigration illégale et le terrorisme. » Rappelons que Kadhafi avait été missionné en son temps sur l' immigration clandestine, et qu' il s' en acquittait « bien ». Pour ce qui est du terrorisme et des trafics, c' est vraiment le pyromane qui crie « Au feu ! ». Je n' insiste pas sur les suites de l' intervention militaire de la France en Libye qui n' a pas été désavouée en son temps par le PS et qui a fait, fait et fera des ravages encore longtemps en Afrique sub-saharienne en matière de trafic et de terrorisme. ALGERIE On pouvait penser qu' à l' occasion de la disparition d' Henri Alleg, le Président de la République aurait reconnu la responsabilité de l' Etat français dans la pratique de la torture en Algérie. Il s' est contenté dans un court communiqué de dire que son livre « alerta notre pays sur la réalité de la torture en Algérie ». Encore une occasion manquée de permettre l' apaisement aux victimes de ces tortures et aux familles de celles qui y ont laissé la vie. TUNISIE C' est le Président de la république qui en juillet dernier à la tribune de l' assemblée nationale tunisienne a exprimé sa "confiance" dans une "Tunisie nouvelle alliant islam et démocratie ». Faisait-il allusion au projet d' Ennahda d' introduire la notion du « sacré » dans la constitution et de remplacer « l' égalité » de la femme par sa « complémentarité » avec l' homme ? Il a aussi annoncé l'ouverture des archives françaises sur l'assassinat du leader nationaliste et syndical, Farhat Hached. Si l' ouverture est aussi restreinte que celle des archives sur l' assassinat de Maurice Audin, les Tunisiens risquent une grande déception. Le Nouvel Observateur qui rapporte ces propos, ne craignant pas le ridicule, ajoute « Cet homicide est largement considéré en Tunisie comme l'œuvre de la Main Rouge, organisation paramilitaire à l'époque du protectorat. Aucune preuve d'une implication des autorités françaises n'a été jusqu'à présent apportée. » Tout rapport entre la Main Rouge et les services secrets français est bien entendu tout à fait exclus… d' où les archives bouclées. Et sur Europe1 il ne craint pas de qualifier « l' échec de la première révolution en Egypte (…). A l'inverse, "ce qui se passe en Tunisie, c'est une transition qui est maîtrisée, qui est organisée. » En effet, le gouvernement d' Ennahda maîtrise bien les choses : MAROC Le Président de la République Devant le Parlement marocain a conforté l'allié marocain qui "chaque jour accomplit des pas décisifs vers la démocratie", un pays" qui s'affirme comme un pays de stabilité et de sérénité" et "qui maîtrise son changement". La France ne juge pas, a ajouté M. Hollande, « elle ne donne pas de leçon. Elle rappelle simplement les valeurs universelles. Vous les partagez : l'Etat de droit, la démocratie, le pluralisme politique, le respect des minorités, l'égalité entre les femmes et les hommes ». Pourquoi persister à ignorer les rapports des organisations des droits de l' homme qui dénoncent les parodies de procès, la pratique de la torture qui perdure durant l' instruction, dans les commissariats et les prisons. Les tortionnaires du temps de Hassan II qui sont restés dans leurs postes ? Devant la presse, il a enfoncé le clou : "Chaque pays, explique-t-il, a sa spécificité. Il n'y a pas eu de "printemps arabe" au Maroc qui l'avait anticipé ». Quid des manifestations dans plus de 40 villes et des 11 jeunes vies du Mouvement du 20 février fauchées, dont celle d' une jeune fille, au cours de la répression violente qui a répondu aux manifestations qui se sont répétées durant plusieurs mois ? Il serait bon que l' Ambassade de France ne se contente pas des communiqués de l' agence de presse marocaine. « On ne sait pas si c'est le discours du président ou du roi, tellement il y a de convergences", s' est félicité Lahcen Daoudi, ministre de l'enseignement supérieur ! La France peut continuer à se mentir sur la nature du régime du Makhzen, il lui arrivera la même chose qu' en Tunisie où la dictature a été lâchée un peu trop tard. SAHARA OCCIDENTAL Comme l' a déclaré Noam Chomsky en mars 2011 : « La vague actuelle de protestations a commencé en novembre dernier au Sahara occidental contre l' occupation du Sahara occidental ». Cela n' empêche pas les sahraouis de manifester pacifiquement pour revendiquer leur droit à l' autodétermination conformément à la résolution de l' Assemblée Générale des Nations Unie de décembre 1964. Un référendum qui devait avoir lieu en 1992. Il y a 21 ans ! Le dernier point presse du porte parole du Ministère des Affaires Etrangères : « Le statu quo n'est dans l'intérêt de personne. Nous soutenons depuis longtemps la recherche d'une solution politique juste, durable et mutuellement agréée sous l'égide des Nations unies et conformément aux résolutions du Conseil de sécurité. Nous appuyons les efforts de l'envoyé spécial et envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies, M. Christopher Ross. Nous entretenons un dialogue fréquent avec lui comme avec les principaux partenaires intéressés. Tellement « sérieuse et crédible » qu' elle n' a fait que bloquer le processus référendaire 5 ans de plus, avec la bénédiction de la France qui soutient le colonisateur dans son refus de voir intégrer la surveillance des droits de l' homme dans les missions de la MINURSO, seule mission de l' ONU à en être épargnée. Les gouvernements français auraient-ils accepté une telle ingérence durant son ère coloniale ? Ils ne sont pas les seuls à avoir des Droits de l' homme une notion à géométrie variable ; voir le blocus médiatique assourdissant sur ce conflit de décolonisation vieux de 40 ans. Quel sera le vote des parlementaires européens français lors du vote prochain sur l' accord de pêche UE/Maroc qui inclue les eaux territoriales sahraouies en infraction du droit international sur les territoires non autonomes ? Je voudrais terminer par cette citation de Mehdi Ben Barka : « Le colonialisme n' a pas été uniquement un fléau pour les peuples colonisés (...) il a été néfaste pour les peuples des pays colonisateurs eux-mêmes. Si la majorité de la population est maintenue dans la misère et l' inculture, et si en plus elle voit se fermer devant elle les portes de l' espérance, comment s' étonner que l' impatience prenne le masque du désespoir ? Ce qui nous définit réellement c' est notre position anti impérialiste. »
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