Intervention P. Thorez

publication le 26 novembre 2016
mis à jour le : 4 Décembre, 2016

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J'ai souvent entendu des Russes déclarer "je n'aime pas les communistes" Pourquoi? "Parce qu'ils ont détruit l'URSS. Les Bolcheviques étaient des gens bien, mais pas les communistes". Il faut être prudent sur le sens qui est donné aux mots.

Les conditions historiques ont conduit l'URSS à un système de parti unique. Dans les "Démocraties populaires" il y avait pluripartisme, mais les partis "communistes" détenaient en fait le pouvoir. Le parti unique favorise la présence de nombreux carriéristes dans ses rangs. Surtout lorsque sous Brejnev l'accès aux fonctions de responsabilité a été conditionné à l'adhésion au parti (directeur d'usine, professeur d'université, commandant de navire de commerce...). Dans la marine marchande par exemple, y compris du temps de Staline, les commandants étaient nommés par une commission composée exclusivement de marins civils. Ce n'était plus le cas sous Brejnev, avec outre l'adhésion obligatoire au parti, l'intervention du KGB dans les nominations. J'ai connu des loups de mer, des "grandes gueules", excellents marins, refuser sous Brejnev "de faire la pute en adhérant" et par la même occasion ne pas se voir promus commandants.
Les cadres du parti permanents, bénéficiaient de certains privilèges (voyages à l'étranger, obtention plus rapide d'un logement). Certains avaient un comportement bien loin de correspondre à ce qu'est à nos yeux celui d'un communiste. Une anecdote, alors qu'avec mon père nous étions en escale à Odessa, un dîner fut organisé à bord du navire qui nous menait de Marseille à Sotchi. Lorsque mon père arriva dans la salle à manger les dirigeants du PCUS de la ville et de la région occupaient les places d'honneur, au centre de la table et l'invitèrent à les rejoindre. Mon père se tourna vers le commandant, avait qui il avait eu le temps de sympathiser, et lui demanda où il prendrait place. C'était en bout de table. Mon père s'assit près de lui et s'adressa à ceux qui se comportaient à bord comme les maîtres "excusez moi camarades, mais permettez moi de m'asseoir à côté de la personne la plus responsable à bord, le commandant". J'étais alors adolescent et ce n'est que plus tard que j'ai compris la portée profonde de ce geste et de ces paroles.

Ces cadres contribuèrent à la fin du soviétisme. Les pratiques étaient tellement éloignées des discours officiels, que soit ils fallait changer les pratiques (ce fut peut-être la tentative de Youri Andropov), soit il fallait changer de discours ce qui fut fait sous Eltsine que l'on pourrait comparer à Guizot "enrichissez vous"!

Anecdote sur le rôle du syndicat. Lorsque je naviguait en tant que graisseur sur un navire soviétique, nous avions une réunion syndicale mensuelle. On y traitait de l'organisation du travail, de la formation, de la sécurité et de la réalisation du plan. Mais le syndicat restait passif sur d'éventuelles revendications. Ainsi depuis plusieurs rotations, du matériel dont nous avions besoin dans la machine ne nous était pas livré. La question fut posée lors d'une réunion dans le port d'attache avec un dirigeant du syndicat qui répondit "on s'en occupe". J'eu l'audace et sans doute l'inconscience de proposer à mes camarades de travail de rester à quai jusqu'à livraison! Bref de faire grève. Les responsables étaient ahuris, la réunion terminée, je n'eu pas de remarque compte tenu de ma situation familiales.. et nous fument livrés le jour même. Bilan : peut-on considérer que des travailleur en grève dans un pays "socialiste" sont en grève contre eux même? Dans le cas présent c'était contre des bureaucrates (peut être des auteurs de détournement de biens publics!) responsables de la situation. La passivité des collègues et de la population en général paraît un des héritages durables du stalinisme.

Sur le besoin de satisfaire les besoins matériels. Certes, mais pas seulement. Si les Bolcheviques ont triomphé lors de la guerre civile, c'est qu'ils ont reçu le soutien des paysans qui voyaient les grands propriétaires du côté des Blancs. Par ailleurs il est nécessaire de former et d'éduquer. Mais pas de façon formelle comme cela fut le cas en URSS du moins à la fin des années 1960. Dans toutes les formations, il y avait des cours de "marxisme-léninisme" et une épreuve de cette discipline aux examens, aussi bien pour devenir marin, astronome, géographe ou médecin. Cette épreuve était la risée de tous et l'objet de plaisanteries innombrables. Il suffisait de connaître quelques noms et de pouvoir réciter quelques phrases d'un classique ou du secrétaire général en place pour avoir une bonne note.

Quelqu'un a parlé de l'échec du "modèle économique stalinien". On peut discuter du concept même mais surtout le replacer dans son contexte. L'économiste soviétique Aganbeguian a montré comment les premiers plans ont permis l'industrialisation du pays, comment le système s'est avéré efficace pendant les années de guerre en contribuant fortement à la victoire sur le nazisme, comment il permis la reconstruction rapide et de nouveaux progrès après la guerre. Il faut donc une approche plus nuancée me semble-t-il.

Enfin je voudrai souligner que l'on ne peut comprendre la situation actuelle sans prendre en compte la mémoire de la guerre. C'est incontestablement un ciment de la société (en Asie centrale aussi). Le fait d'honorer de nouveau les combattants et ceux qui ont forgé la victoire (y compris Staline) après le rejet du passé soviétique dans la période eltsinienne, est apprécié par de larges couches de la population. Poutine, pourtant ardent défenseur du capitalisme, trouve là une raison du soutien dont il bénéficie. Cela explique aussi l'attitude des Russes vis à vis des "fascistes" de Kiev qui ne sont jamais appelés des "Ukrainiens", ces derniers étant les frères d'arme.

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