La réforme
du modèle économique cubain : causes et perspectives I
Salim Lamrani
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Confrontée à des sanctions économiques
imposées par les Etats-Unis depuis plus d’un demi-siècle,
à la crise financière globale et à un problème récurrent
de productivité, Cuba se trouve dans l’obligation de réformer
en profondeur son système socio-économique afin de préserver
ses acquis sociaux et son mode de vie. Si les facteurs externes expliquent en
partie les difficultés auxquelles se trouve confrontée la société
cubaine, il est impossible d’en éluder les responsabilités
internes. Comme l’a souligné le président cubain Raúl
Castro lors du IXe Congrès de l’Union des Jeunes Communistes le
4 avril 2010, « la bataille économique constitue aujourd’hui,
plus que jamais, la tâche principale […] des cadres car d’elle
dépend la durabilité et la préservation de notre système
social[1] ». Quelques
mois plus tard, le 18 décembre 2010, lors d’une intervention devant
le Parlement cubain, Raúl Castro a tenu un discours plus alarmiste et
a mis le gouvernement et les citoyens face à leurs responsabilités
: « Soit nous rectifions [ce qui ne marche pas,] soit nous coulons après
avoir trop longtemps bordé le précipice[2] ». Le leader
historique de la Révolution cubaine, Fidel Castro, a approuvé
cette analyse et a apporté son soutien au processus d’actualisation
du système économique[3]. L’alternative est claire : le
modèle économique cubain doit urgemment subir des changements
structurels et conceptuels profonds sous peine d’effondrement.
Les facteurs externes
Le principal obstacle au développement économique
du pays reste les sanctions économiques que Washington impose de façon
unilatérale à La Havane depuis juillet 1960, lesquelles affectent
les catégories les plus vulnérables de la population cubaine et
tous les pans de la société. Unanimement condamnées pour
la 19ème fois consécutive par 187 pays en octobre 2010, lors de
la réunion de l’Assemblée générale des Nations
unies, les sanctions économiques, en plus de bloquer tout commerce substantiel
entre les deux nations (sauf certaines matières premières alimentaires
depuis 2000), revêtent également un caractère rétroactif
et extraterritorial. En effet, depuis l’adoption de la loi Torricelli
en 1992, de la loi Helms-Burton en 1996 ainsi que des nouvelles restrictions
imposées par l’administration Bush en 2004 et 2006, le commerce
avec les pays tiers s’en trouve fortement affecté[4].
Ainsi, depuis 1992, toute embarcation accostant à un
port cubain se voit interdire l’entrée aux Etats-Unis pendant six
mois, ce qui engendre un surcoût important pour Cuba, qui dépend
essentiellement du transport maritime en raison de son insularité. De
la même manière, depuis 1996, tout entrepreneur étranger
investissant à Cuba sur des terres nationalisées en 1959 risque
de voir ses avoirs gelés aux Etats-Unis. Par ailleurs, depuis 2004, tout
constructeur automobile, quelle que soit sa nationalité, doit démontrer
au Département du Trésor que ses produits ne contiennent pas un
seul gramme de nickel cubain pour pouvoir les vendre sur le marché étasunien.
Il en est de même pour toutes les entreprises agroalimentaires souhaitant
investir le marché étasunien. Danone, par exemple, devra démontrer
que ses produits ne contiennent aucune matière première cubaine.
Ces mesures rétroactives et extraterritoriales privent ainsi l’économie
cubaine de nombreux capitaux et les exportations cubaines de nombreux marchés
à travers le monde[5].
D’un autre côté, les crises économique,
financière, énergétique, alimentaire et environnementale
ont eu un impact désastreux sur les pays en voie de développement
en général et Cuba en particulier. L’envolée des
prix des matières premières alimentaires, dont le prix a été
multiplié par deux depuis 2007 et dont l’île dépend
à 83%, ainsi que la baisse du cours des ressources minérales que
Cuba exporte (tel que le nickel dont le cours a chuté de plus de 50%)
ont déséquilibré la balance des paiements et fortement
réduit les liquidités disponibles. Ainsi, entre 1997 et 2009,
Cuba a subi une perte nette de plus de 10 milliards de dollars en raison de
la dégradation des termes de l’échange et a vu son pouvoir
d’achat se réduire de 15%. Par ailleurs, Cuba se voit interdire
tout accès à des financements externes auprès du Fonds
monétaire international ou de la Banque mondiale, en raison des sanctions
économiques. Les Cubains de l’étranger, des Etats-Unis en
particulier, ont réduit le montant de leurs transferts d’argent
vers l’île en raison de la récession économique. Les
revenus du tourisme ont également chuté pour les mêmes motifs[6].
A cela s’ajoutent les catastrophes naturelles –
seize cyclones au total – qui, entre 1998 et 2008, ont causé des
dégâts d’un montant supérieur à 20 milliards
de dollars[7]. Ainsi, l’ouragan Gustav qui a frappé les Caraïbes
à la fin du mois d’août 2008 a eu un coût matériel
dramatique. Les provinces de Pinar del Río, Matanzas et de l’île
de Jeunesse ont offert un spectacle de ruine et de désolation. Des 25
000 logements que compte l’Île de la Jeunesse, 20 000 ont été
partiellement ou totalement détruits. Près de 45% des habitations
de Pinar del Río, soit 102 000 logements, ont été gravement
endommagées. Fidel Castro avait comparé les dégâts
causés par le cyclone à « une attaque nucléaire[8]
». Pour sa part, l’ouragan Ike de septembre 2008 a détruit,
entre autres, 323 000 logements, 700 000 tonnes d’aliments, une grande
partie de l’infrastructure électrique et les réserves d’eau
potable.[9] Par ailleurs, les précipitations irrégulières
entre novembre 2008 et juin 2010 ont affectés les cultures agricoles
et réduit les possibilités d’exportations de certaines matières
premières alimentaires (tabac, rhum, sucre)[10].
Ces aléas ont amenés les autorités cubaines
à bloquer les transferts financiers vers l’extérieur à
partir de 2008 afin d’éviter une fuite des capitaux étrangers.
La Havane a également été contraint de renégocier
sa dette face aux difficultés de paiement. Quant à la croissance,
elle a été de 2,1% pour l’année 2010[11].
À suivre :
-« Les facteurs internes »
II
-« Les mesures économiques
et sociales » III
Notes
[1] Raúl Castro,
« Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro
Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, y Segundo Secretario
del Comité Central del Partido Comunista de Cuba, en la clausura del
IX Congreso de la Unión de Jóvenes Comunistas », República
de Cuba, 4 avril 2010. http://www.cuba.cu/gobierno/rauldiscursos/2010/esp/r030410e.html
(site consulté le 26 mars 2011).
[2] Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente
de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional
del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010,
“Año 52 de la Revolución” », República
de Cuba, 18 décembre 2010. http://www.cuba.cu/gobierno/rauldiscursos/2010/esp/r181210e.html
(site consulté le 2 avril 2011).
[3] Agence France Presse, « Fidel
Castro apoya cambios impulsados por su hermano Raúl », 18 novembre
2010.
[4]] Salim Lamrani, État de siège,
Paris, Éditions Estrella, 2011.
[5] Ibid.
[6] Partido Comunista de Cuba, «
Resolución sobre los lineamientos de la política económica
y social del partido y la Revolución », Prensa Latina 18 avril
2011. http://www.prensa-latina.cu/Dossiers/LineamientosVICongresoPCC.pdf (site
consulté le 20 avril 2011). Voir également Andrea Rodriguez, «
Alza de precio de alimentos afecta a Cuba », The Associated Press, 15
avril 2011.
[7] Ibid.
[8] Fidel Castro, « Un golpe nuclear
», Granma, 3 septembre 2008 ; Ronald Suárez Rivas, « Housing,
the Greatest Challenge », Granma, 2 septembre 2008.
[9] Marta Hernández, « Más
de 320 000 casas dañadas », Granma, 11 septembre 2008. Orfilio
Pelaez, « Pérdidas millonarias en la vivienda », Granma,
13 septembre 2008 ; Granma, « Cuba prioriza alimentación de damnificados
por huracán Gustav », 5 septembre 2008, Prensa Latina, «
Cuba prosigue evaluación de daños y recuperación tras huracán
Ike », 11 septembre 2008 ; Freddy Pérez Cabrera, « Recuperar
todo lo relacionado con la producción de alimentos », Granma, 11
septembre 2008 ; EFE, « Los supermercados de La Habana presentan problemas
de abastecimiento », 16 septembre 2008 ; Wilfredo Cancio Isla, «
Perdidas 700,000 toneladas de alimentos », El Nuevo Herald, 12 septembre
2008 ; The Associated Press, « Cuba Estimates Gustav, Ike Damages at US$5
Billion », 16 septembre 2008 ; Granma, « Información oficial
de datos preliminares sobre los daños ocasionados por los huracanes Gustav
e Ike », 16 septembre 2008.
[10] Raúl Castro, « Discurso
pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente
de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período
Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional
del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010,
“Año 52 de la Revolución” », op.cit.
[11] Ibid.
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