Quelques réflexions sur les réformes en cours à Cuba

Fidel Castro écrivait en 2005: «  Parmi nos erreurs, une des plus grandes est de croire que quelq'un sait ce qu'est le socialisme et comment ça se construit. » Il est bien dommage que les 'spécialistes de Cuba' n'aient pas la même modestie.
Raul Castro déclarait récemment: « La seule chose qu'un révolutionnaire cubain ne remettra jamais en cause, c'est la décision incontournable de construire le socialisme. » Autant pour ceux qui, sous le pudique vocable de 'transition' ne rêvent que de voir Cuba enfin rejoindre le système capitaliste.
Le même disait devant l'Assemblée Nationale: « Nous étudions tout ce qui concerne l'augmentation des investissements étrangers, pourvu qu'ils apportent des capitaux, des technologies, des marchés ... en travaillant auprès d'hommes d'affaires sérieux et sur des fondements juridiques bien définis qui préserveront le rôle de l'Etat et la primauté de la propriété socialiste. » Mais on nous raconte que Cuba se complaît dans son isolement économique .
Toujours du même, dans un discours récent: « Nous sommes disposés à discuter sur un pied d'égalité le contentieux prolongé qui existe entre le gouvernement des Etats Unis et Cuba », mais, parallèlement, « notre peuple continue de se préparer, en faisant preuve de sérénité, de discipline et de modestie, à faire face à n'importe quelle aventure militaire de l'ennemi. » Attitude intransigeante et belliciste, comme on le lit sous la plume de certains commentateurs?
Ne faisons pas comme ces « cubanologues » distingués, tel le correspondant du Monde qui écrit ... depuis Saint Domingue en étayant ses « analyses » sur les déclarations d'un économiste émigré et d'un ancien employé de la CIA. Allons aux sources: que disent le dirigeants cubains sur la situation de l'île et sur son avenir?

Les difficultés externes et internes

« La situation économique internationale est très difficile, caractérisée par les guerres, l'instabilité politique, la dégradation de l'environnement et la hausse du cours du pétrole à laquelle vient s'ajouter la décision prise de transformer en carburant le maïs, soja et d'autres céréales, ce qui a eu pour résultat de faire flamber les cours de ces produits et d'autres qui en dépendent directement comme la viande et le lait. »

« Nous avons pleinement conscience de nos problèmes, des déficiences, des erreurs et des attitudes bureaucratiques ou indolentes qui aggravent les difficultés objectives découlant des cause extérieures, en particulier du blocus économique des Etats Unis qui constitue en fait une guerre implacable contre notre peuple. »

« Les salaires sont encore clairement insuffisants pour satisfaire tous les besoins, de sorte qu'ils ont pratiquement cessé de jouer leur rôle par rapport au principe socialiste que chacun apporte selon ses capacités et perçoit selon son travail. Il faut les augmenter graduellement et en dégageant des priorités. »

« Egalité n'est pas égalitarisme. Les revenus doivent correspondre au travail »

«  Certains utilisent les difficultés comme un bouclier face à la critique pour ne pas agir avec la rapidité et l'efficacité requises »

« D'autres n'ont pas le courage politique nécessaire pour expliquer pourquoi il n'est pas possible de régler sur le champ tel ou tel problème. »

La tâche principale est la production d'aliments

Cuba importe à des prix qui ne cessent d'augmenter (sauf pour les consommateurs, grâce aux subventions de l'Etat) plus de 70% des aliments consommés. C'est en partie l'héritage de la monoculture du sucre pratiquée aussi bien pendant le ' protectorat' américain que pendant la période d'intégration aux échanges économiques avec l'URSS et les pays socialistes.
Les principales décisions prises sont les suivantes:
-regagner sur les friches laissées par l'abandon des terres consacrées à la canne ces dernières années à cause de la mévente du sucre; la surface cultivée a baissé de 33% en neuf ans!
-donner en usufruit les terres en friches à ceux qui veulent les cultiver,
-cultiver en priorité les terres proches des villes -où vit 75% de la population; l'agriculture urbaine a créé 300 000 emplois ,a permis d'améliorer l'approvisionnement et assuré un complément de revenus à celles et ceux qui s'y emploient.
-stimuler les producteurs que ce soit dans les fermes d'état ou les coopératives et chez les paysans indépendants par des augmentations de salaires et des prix plus rémunérateurs pour les produits livrés.
-raccourcir les circuits qui coûtent cher en transport.
-mieux gérer les stocks des cantines (usines, écoles, hopitaux, pas l'armée qui produit 75% de sa nourriture); ces stocks devraient être de 45 jours mais un contrôle en a découvert qui avaient entre 150 et 900 jours de stocks, d'où pertes ... et vols.
-combiner « la science et le boeuf » c'est à dire utiliser les compétences des nombreux agronomes formés ... dont 62% ne travaillent pas dans l'agriculture et réduire l'utilisation des machines vieillies et dévoreuses de carburant.
-contrôler rigoureusement non pas à coups de directives et de réunions mais en parlant directement avec ceux qui produisent.

Des chiffres que l'on voit rarement dans la presse

On nous dit bien que le salaire moyen à Cuba est de 436 pesos c'est à dire un peu plus de 17$; c'est en effet le cours du change peso-$. Il serait plus juste de voir ce que l'on peut faire avec ces 436 pesos à Cuba. Avec la « libreta » des produits sont fournis mensuellement à des prix subventionnés qui permettent de s'alimenter entre 10 et 15 jours (riz, haricots, sucre,lait -1 litre par jour pour tout enfant de moins de 7 ans-,oeufs, viande, pommes de terre et bananes plantains, produits de toilette et détergents). Ces produits coûtent en moyenne 152 pesos par famille, mais coûtent à l'Etat environ 61$, puisque la plus grande partie est importée. Si nous faisons la conversion effectuée pour le salaire, c'est l'équivalent de 1525 pesos; c'est une conversion que ne font jamais ceux qui n'ont pas entendu ce qu'en disent les Cubains même quand ils sont critiques « Aquí nadie se muere de hambre » (Ici personne ne meurt de faim).IL va sans dire que pour compléter ce que fournit la libreta il y a des marchés libres et des magasins dont les prix sont bien plus élevés.
Quelques autres dépenses en dehors de l'alimentation:
-logement: maximum 10% du salaire, en fait il s'agit d'un achat en 20 ou 30 ans (85% sont propriétaires MAIS la difficulté à obtenir les matériaux nécessaires fait que nombre de logements surtout les immeubles sont dans un triste état).
-scolarité: gratuité des inscriptions à tous les niveaux et des fournitures; gratuité des cantines d'internats,
-santé/ Gratuité des consultations et médicaments à prix subventionnés. Gratuité totale à l'hôpital.
services: bus 0,20à 0,40 peso le ticket; téléphone public 0,05 peso les 3 minutes, électricité 0,09 peso le kwh; eau 0,25peos le m3 pour les 15 premiers m3; gaz 7 pesos la bouteille qui dure environ 15 jours; pompes funèbres (!) gratuité totale
culture: cinéma 2 pesos, ballet/théâtre 5 pesos, place au stade 2 pesos, livre 10 pesos en moyenne ...
impôts: n'existent que pour les entreprises et les personnes travaillant à titre privé (environ 200 000 dans le pays).

Et pour conclure un petit tableau

  Rep Domin Haïti Jamaïque Guatemala Honduras Cuba
Natalité 23.2 36 20.8 29.8 28.2 11.4
Espérance de vie 71.7 57 73.6 69 69 77.1
Mortalité infantile 28.3 63.8 15.9 28.8 25.8 6.04
Dépense de santé par habitant ($) ? 22 191 86 59 185
Médecin pour 1000 habitants ? 0.2 1.5 0.9 0.8 5.9
% sida ? 2.2 1.5 0.9 1.5 0.1
dépense d' éducation en % du PIB ? 1.4 ? 1.3 3.8 9.7
Taux d' alphabétisation % 84 53 87.5 70 76.2 98

Malgré un blocus féroce, des agressions du voisin du nord qui aime tellement Cuba qu'il avait proposé à l'Espagne de la lui acheter et aussi malgré sa situation de pays sous développé et les erreurs commises qu'ils confessent volontiers ...
les Cubains ne s'en tirent pas si mal !

RAFFAÊLLY Christian

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