Cuba aux Cubains!
Oxfam-Solidarité
Une inacceptable réussite ?
Oxfam-Solidarité est présente à Cuba depuis
1984 et y collabore avec de nombreux partenaires. Depuis plus de 20 ans, la
coopération avec l’île s’est révélée
d’une efficacité rarement rencontrée ailleurs dans le monde.
L’un des éléments que cette longue et fructueuse relation
avec la population cubaine nous apprend, c’est que le peuple est prêt
à défendre ses acquis. L’économie cubaine se porte
bien mieux qu' il y a dix ans. Ces 18 derniers mois, la croissance économique
avoisine les 8%, et l’industrie du tourisme assure des revenus conséquents
au pays. La fourniture de pétrole est garantie par des contrats conclus
avec le Venezuela, et des biens de consommation sont disponibles, principalement
en provenance de Chine. Un pays qui finance d’ailleurs les forages pétroliers
prometteurs entre la Floride et le nord de Cuba. L’exportation de sucre
et de nickel bénéficient de prix élevés sur le marché
international. La légitimité populaire du parti communiste cubain
est bien plus importante que celle en vigueur dans l’ancien bloc de l’Est,
et Cuba n’a donc ni besoin des Etats-Unis, ni de l’Union européenne
pour assurer son développement.
Les Objectifs du Millénaire pour le Développement,
qui doivent constituer le fil rouge de la politique étrangère
européenne (commerce, politique, coopération), ont été
adoptés en 2000 aux Nations Unies et doivent être atteints d’ici
2015. Il se fait que, contrairement à la plupart des autres pays du Sud,
plusieurs de ces objectifs sont déjà atteints à Cuba. Et
d’autres sont en passe de l’être, quasiment 10 ans avant la
fin du terme prévu. Cela a-t-il un rapport avec le fait que Cuba est
un Etat fort, prenant ses responsabilités et répondant aux aspirations
de sa population en matière d’enseignement, de soins de santé,
d’alimentation, de logement, d’emploi, de sécurité,
ou d’égalités des chances entre hommes et femmes ?
Le problème majeur, qui ne ressort quasiment jamais
des analyses actuelles, est donc ailleurs : pour les Etats-Unis et l’UE,
le modèle cubain constitue un élément perturbateur dans
l’économie de marché, et doit donc disparaître. La
volonté de Washington - et de ce fait de la plupart des membres de l’UE
- de faire de Cuba le paria de la communauté internationale n’est
ni motivée par la question de la violation des droits humains, ni par
un « déficit » démocratique. Ce que les diplomates
européens reconnaissent d’ailleurs, mais en privé seulement.
Mais pour ne pas endommager ses relations transatlantiques avec les Etats-Unis,
l’Europe ménage ces derniers et relaie l’analyse faite à
Washington. A ce niveau, il est bon de rappeler que les 322 dissidents répertoriés
à Cuba ne jouissent que d’une très faible popularité
parmi la population, leur message politique étant principalement inspiré
par les intérêts états-uniens.
Stratégie post-Castro
L’UE prépare depuis quelques semaines une stratégie
“post-Castro”. Aux Etats-Unis, un “plan de transition pour
un Cuba démocratique” est déjà sur la table. Seul
problème, l’UE se laisse inspirer par le “grand nombre de
dissidents cubains” et “le demi-million de Cubains vivant aux Etats-Unis”.
Raison invoquée par l’UE : “les difficultés rencontrées
à Cuba pour nouer contact avec les Cubains”. Le manque de connaissance
et d’analyse du dossier au sein des institutions européennes est
d’une telle ampleur que l’on peut raisonnablement douter des compétences
des responsables européens à ce niveau.
Cuba n’a pas attendu que Fidel Castro tombe malade pour
sécuriser les acquis de la révolution. Au plus, l’incident
médical aura accéléré les choses et porté
la question de façon pressante au niveau international. Les institutions
cubaines se préparent depuis des années au transfert du pouvoir.
C’est au peuple cubain, à l’Etat et à ses institutions
de déterminer souverainement l’avenir du pays. Mais que fera la
communauté internationale ? Washington semblent déjà avoir
fait son choix : selon le porte parole du Département d’Etat, Sean
McCormick, les Etats-Unis sont prêts à intervenir “si le
peuple cubain le demande”. Le président Bush a aussi évoqué
cette possibilité afin de réaliser la “transition démocratique”.
Depuis Miami, des appels sont lancés aux militaires cubains afin de lancer
un coup d’Etat.
L’Europe divisée
L’Union européenne, quant à elle, est désespérément
divisée sur le dossier cubain. L’Espagne, qui souhaite améliorer
ses relations avec l’île, se fait taper sur les doigts par Washington
pour son exportation d’armes vers le Venezuela et n’ose plus prendre
trop d’initiatives. La République tchèque et la Pologne
suivent aveuglément la politique états-unienne. Le nouveau gouvernement
allemand, pour sa part, ne va pas risquer de mettre à mal ses nouvelles
relations amicales avec le président Bush pour Cuba. Bref, une vision
claire et cohérente de l’Europe n’apparaîtra probablement
pas.
La Belgique est le seul pays qui, depuis 10 ans, mène
une politique cohérente et respectueuse vis-à-vis de La Havane.
Notre pays doit donc user de sa position de trait d’union entre l’UE
et Cuba et faire entendre son point de vue au niveau européen. Les circonstances
actuelles lui offrent cette opportunité. Nous devons agir au nom des
règles de droit acceptées au niveau international - l’interdiction
d’intervenir dans les affaires intérieures d’un autre pays
et les résolutions de l’Assemblée Générale
des Nations Unies concernant Cuba - mais aussi au nom de l’avenir des
relations internationales de l’UE. Depuis longtemps, les peuples et les
mouvements sociaux latino américains n’arrivent plus à distinguer
l’approche états-unienne de l’approche européenne.
La dynamique de changement actuelle en Amérique latine offre une possibilité
à l’Europe de se distinguer de Washington et de définir
des approches plus positives. qu' elle la saisisse.
Cuba : un signal d’alarme
La seule attitude correcte que l’UE peut adopter est
celle qui permette au peuple cubain de déterminer son propre avenir,
sans intervention étrangère. Officiellement, l’UE affirme
que Cuba doit démarrer une transition vers le libre marché, ce
qui signifie en grande partie la loi du plus fort. Que le peuple cubain puisse
y perdre ses acquis en matière de droits sociaux, culturels et économiques
ne semble constituer qu' un point de détail. C’est précisément
à ce niveau que Cuba joue un rôle de signal d’alarme. La
question se pose : admettons-nous qu' un pays puisse expérimenter
une autre forme de démocratie, avec une autre forme d’organisation
économique ? Et si ce pays connaît un succès dans ses objectifs
de développement, l’asphyxierons-nous sous prétexte qu' il
inspire d’autres pays ?
Xavier Declercq, Directeur Mobilisation, Oxfam-Solidarité.
Marc Ingelbrecht, Représentant d’Oxfam-Solidarité à
La Havane
Oxfam-Solidarité : www.oxfamsol.be
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