Sri Lanka

Entretien avec Jean-Pierre Page publié dans la pensée libre n° 40

A l'heure où , de nouveau, sous des prétextes humanitaires, les ex-puissances coloniales parlent d'interventions dans les affaires intérieures d'un pays, cette fois-ci de la Libye, force est de constater que la liste des états qui se trouvent sur la liste des interventions potentielles est beaucoup plus longue. Et qu'elle varie non pas en fonction de la situation réellement existante dans ces différents pays situés sur tous les continents, de Cuba à l'Afghanistan, et de la Biélorussie à Sri Lanka, mais de leur position stratégique et/ou des richesses qu'ils contiennent et qui permettraient aux puissants de s'enrichir et surtout, de contrôler l'approvisionnement des « états émergents » qui risquent à terme de contrebalancer leur influence. C'est dans ce contexte là qu'est apparue la question de Sri Lanka, question qui émerge sur la scène médiatique au gré des rapports de force internationaux. Question que nous avons déjà traitée alors que la guerre se terminait dans ce pays, mais qui resurgit depuis périodiquement, malgré la paix.
Il arrive que nous traitions de questions « à chaud », mais, dans l'ensemble, nous préférons amener nos lecteurs à réfléchir à chaque question d'importance stratégique avant qu'elle ne dégénère dans un climat d'affectivité et de fébrilité imposé par ladite « communauté internationale » et ses relais médiatiques. « Communauté » qui se résume souvent aux seules puissances occidentales et à leurs Etat-clients. Et c'est précisément de cela qu'il s'agit aussi à Sri Lanka, oé les « bonnes âmes » sont sollicitées pour prendre position contre un état qui a réussi à préserver son intégrité territoriale dans le cadre d'un système de représentation populaire ouvert à toutes les composantes ethniques, idéologiques, religieuses de sa population.
Ne soyons donc pas étonnés si dans les pays du vaste Sud, la sympathie à l'égard de Sri Lanka est générale, et en particulier dans les milieux engagés dans la lutte pour le progrès social et la souveraineté nationale, alors qu'il n'en va pas toujours de même dans les pays occidentaux où les opinions, même progressistes, sont travaillées en permanence par des lobbies qui prolifèrent sur la base de conceptions implicitement néocoloniales, partant du principe que les peuples du Sud ne sont pas vraiment « mûrs » pour la liberté, et que les divisions ethniques ou religieuses y sont là-bas, « naturelles », et « naturellement sauvages ». Vieux dogmes racistes et colonialistes qui impliquent la logique des ingérences « humanitaires », néocoloniales.
Il en va ainsi à Sri Lanka, pays dont l'importance stratégique au coeur de l'Océan indien saute aux yeux, et qui a réussi à retrouver la paix, tout en menant une politique de non alignement ayant permis le développement de coopérations avec tous les états, y compris donc avec ceux qui ont été inscrits sur la « liste noire » par les puissances oé le néolibéralisme en crise domine encore. « Crime » impardonnable à leurs yeux, qui explique les torrents de larmes que les « grands » médias versent sur ce pays oé pourtant le sang a cessé de couler, et qui se reconstruit après des décennies de guerre sauvage entretenue par ceux là même qui font diffuser ces récits larmoyants.

La Rédaction de la pensée libre

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Q- Presque deux ans après la fin de la guerre, on continue à assister à l'orchestration d'une campagne au sujet de la fin de la guerre au Sri Lanka. On a parlé d’un bain de sang et il y a eu récemment le témoignage de l’Évêque de Mannar ?
Certaines ONG ont une manière péremptoire, à la façon des « grands » médias, de présenter des contre-vérités comme étant des évidences ! C'est une technique totalitaire bien connue, dont en abuse sans limites.[1] Comme disait à l’intention des médias James Shea, porte parole de l’OTAN aux temps de l’agression contre la Yougoslavie : « L’opinion, ça se travaille. »

Dans l’affaire Gordon Weiss, le New York Times avait complaisamment relayé les mensonges de ce provocateur sur le thème « l’ONU parle de bain de sang », l’AFP elle, avait titré sur « l’ONU dénonce un bain de sang au Sri Lanka », puis avait poursuivi en affirmant « la condamnation par l’ONU du bain de sang, et de l’assassinat de civils, dont 100 enfants ». Il a pourtant été ensuite prouvé que Gordon Weiss mentait délibérément !

Pourtant deux après, des gouvernements, médias et ONG continuent à marteler ces pseudos arguments. C’est le cas en France avec la Maison du Tamil Eelam France qui relaie ces campagnes sur le thème : « 18 mois après le massacre du peuple tamoul, il faut sortir du silence ». [2] Pour arriver à faire cette « démonstration », cette association s’appuie sur des chiffres manipulés, comme par exemple ceux faisant état de 146 679 disparus dans le Vanni. Comptabilité aussi sinistre que macabre et qui est tout simplement malhonnête ! Pourquoi ?

Parce qu' elle fait allusion à une déclaration de l'évêque de Mannar devant la « Lessons Learnt and Reconciliation Commission » (LLRC)[3]. Or, que dit cet ecclésiastique ?[4] En octobre 2008, sur la base d’un recensement, la population du Vanni était de 429 059 personnes. Le 10 juillet 2009, les Nations Unies, à travers son bureau des affaires humanitaires OCHA[5] ont estimé que 282 380 personnes avaient rejoint les zones contrôlées par le gouvernement aux derniers instants de la guerre. Rappelons à cette occasion qu'ils fuyaient une zone de 28 km2 où ils étaient tenus en otages comme boucliers humains par Prabhakaran, le chef du LTTE.

Il s'agissait donc de personnes retenues de force et non pas de toute la population du Vanni. La région du Vanni couvre les districts de Mannar, Mallaitivu et Vavunya, soit 7 650 km2, et non 28km2. D'octobre 2008 à février 2011, soit plus de deux ans après, on peut considérer que des personnes se sont déplacées dans les conditions de la guerre, qu'elles ont fuit les zones de combat et se sont réfugiés au Sud, en particulier à Colombo. Mais avant tout soyons clairs, nous ne disposons d'aucune information sur la population du Vanni à ce jour. C'est peut être regrettable mais c'est ainsi ! Par conséquent personne ne peut affirmer gratuitement et sans preuves que ces « disparus » dont on nous parle ne sont pas là !

Pourtant, pour justifier ce procès en sorcellerie, toutes les manipulations sont bonnes, ainsi celle qui consiste à soustraire des chiffres qui n'ont rien à voir entre eux. C'est ce qui est fait par certaines ONG, alors qu' OCHA préfère parler de populations ayant rejoint les zones contrôlées par le gouvernement et non pas de la population du Vanni en juillet 2009, donc encore moins en février 2011. Si nous voulons être sincère, il faut donc relire les déclarations exactes de l'évêque de Mannar.

Certains affirment aussi qu' « une partie de ces disparus ont péri sous les attaques indiscriminées de l'armée ».[6] Ils parlent même de crimes contre l’humanité ! Une accusation purement gratuite, car qu'en sait-on?  Quelles sont les preuves qu'ils apportent ?  Sont-elles celles provenant de Human Rights Watch[7], cette officine dont les liens avec les services d'intelligence américains sont connus, tout comme sa relation avec le National Endowment for Democracy ! Veut-on parler de Reporters sans Frontières dont les financements et les relations avec la mafia cubano-américaine de Miami sont connus et même revendiqués par Robert Ménard lui-même, qui était son Président jusqu' à récemment ? Ou veut-on encore parler du Tribunal des peuples à Dublin où tous les témoins étaient à charge, et pour certains comme Karen Parker, connus pour être des activistes partenaires du LTTE depuis de nombreuses années.[8] Ou veut-on enfin parler d’Amnesty International dont on vient d’apprendre qu' Irène Khan, son ancienne Secrétaire générale et son adjoint bien connus tous les deux pour leurs campagnes hostiles à l’égard du Sri Lanka se sont attribués des primes de 533 000£ et de 325 244£, soit plus de quatre fois leur salaire annuel ?[9]

Mais si l’on veut être sérieux, pourquoi alors ne pas débattre de la mise en place par le président Mahinda Rajapksa de la "Lessons Learnt and Reconciliation Commission" (LLRC) dont le travail déjà accompli et les recommandations sont tout à fait remarquables ! Pourquoi ne pas débattre également de la réhabilitation ces derniers jours de 5 902 combattants Tigres ?[10] Et des 1 889 femmes ex-cadres LTTE et de 231 enfants ex-enfants soldats qui l’ont été également ! Parmi ces derniers, on peut déjà préciser que sur 97 filles, 65 ont réussi leur baccalauréat ![11]

Pourquoi ne pas débattre également des motivations et des objectifs réels de la Haute Commissaire aux droits de l’homme à Genève, Navi Pillay, dont la dépendance a l’égard de l’agenda des pays riches semble beaucoup plus marqué que celui d’appliquer les recommandations du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ce qui sur le Sri Lanka fut le fruit, on s’en souvient, de la mobilisation des pays non alignés et des gouvernements progressistes d’Amérique Latine, comme Cuba, le Brésil, le Venezuela, le Nicaragua, l'Equateur, la Bolivie pour ne parler que de ceux là...[12]

On ne dira non plus jamais assez que c'est un gouvernement de droite pro occidental qui libéralisa et privatisa les ressources du Sri Lanka qui contribua à créer le lit du séparatisme. Et qui noua ensuite une alliance avec les Tigres du LTTE pour éliminer la gauche, tant cingalaise que tamoule. Cette même gauche qui est aujourd'hui au pouvoir à Colombo et qui a mis fin au terrorisme et à la guerre ! C'est encore cette même gauche (trotskystes, communistes, sociaux-démocrates, et patriotes de diverses obédiences) qui entend contribuer à la réconciliation par la compréhension de ces douloureux événements. Aujourd’hui, on veut aller au fond des causes et des conséquences, mais pas sous la pression, et encore moins sous celle qui prend la forme d’ingérences étrangères !

Cette guerre de 30 ans ne fut JAMAIS un conflit ethnique, et encore moins une guerre civile ! « Cette guerre n’était pas une guerre contre les Tamouls, mais contre le LTTE », [13] et la victoire obtenue, si elle fut militaire, fut avant tout politique ! Ce fut celle de toute la nation et de tout le peuple vivant au Sri Lanka !

Q : Mais peut-on revenir sur les déclarations de représentants de l’ONU comme Neil Buhne ou encore Gordon Weiss ?

Neil Buhne, représentant de l'ONU à Colombo, est connu pour avoir donné des chiffres fantaisistes sur le nombre des victimes, et cela pour les besoins des médias. Il a ensuite reconnu devant les ambassadeurs en poste à Colombo qu'il avait exagéré et n'avait aucun début de preuves. John Holmes,  Secrétaire général adjoint de l'ONU de son côté, a déclaré plus tard “ces chiffres n'ont pour nous aucun statut, honnêtement nous n'en savons rien...”[14]

J’ai déjà évoqué les contre-vérités de Gordon Weiss, ancien porte parole de l’ONU à Colombo, portant sur le nombre de victimes. Ses propos ont été catégoriquement contestés et rejetés par les Nations Unies dans une déclaration de février 2010. En aucun cas Gordon Weiss n’engageait l’ONU ![15] L’ONU a fait preuve de retenue dans l’appréciation du nombre de victimes et rappelait dans une déclaration sur ce sujet que « son soutien allait au gouvernement sri lankais dans ses efforts de reconstruction des communautés et la recherche de solutions pacifiques » ![16]

En fait, Gordon Weiss faisait allusion aux témoignages attribués à des docteurs tamouls du Vanni, tout particulièrement au Dr. Shanmugarajah, responsable à l’hôpital de Mullaitivu ! Dans son témoignage devant la Commission de réconciliation (LLRC), il devait préciser au sujet des chiffres très élevés de victimes dont il avait témoigné dans les dernières semaines de la guerre : « qu' il était contraint d’augmenter les chiffres. S’il y avait 75 blessés, nous devions dire 275, et même 575. Quand on lui a demandé qui exigeait de faire ainsi, il a répondu sans hésiter : le LTTE nous le demandait ! Il a ajouté que les chiffres réels sont connus du staff de l’hôpital de Mullaitivu et à disposition. » On a aussi interrogé le Dr Shanmugarajah sur l’assistance apportée par les autorités, et celui-ci a déclaré « que le gouvernement sri lankais a payé les salaires de toute l’équipe médicale. Les fournitures, les médicaments étaient fournis par le gouvernement, à aucun moment le LTTE n’a fourni aide ou soutien financier » ! [17] Je pourrai également évoquer les témoignages du Dr. Sathiyamoorthy et du Dr Keethaponcalam. Ils sont tous accablants pour le LTTE ! Voila donc ce qu' il en est en réalité des déclarations de Gordon Weiss.

Q : Le LTTE se considérait comme le seul et unique représentant des Tamouls. Est-ce que c'est cela qui l'a conduit à éliminer physiquement ceux qui s’opposaient à cette vision, en particulier la gauche tamoule ?

Pour les Tigres et leur chef, le psychopathe Prabhakaran, tous « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous », et s’agissant des Tamouls en désaccord avec les positions du LTTE, ceux-ci n’étaient rien moins à leurs yeux que des traitres qu' il fallait éliminer. Ce discours continue d'ailleurs à être tenu par les dirigeants de la Maison du Tamil Eelam France, en particulier son président Mr. Thiruchchothi. Comme il me l’a écrit récemment, il était normal selon lui d'éliminer les dirigeants de gauche, ceux du EPRLF en particulier, puisque toujours selon lui, ils étaient liés aux Indiens.[18]

Il faut un sacré culot pour affirmer cela aprés la conclusion des "Peace accords" [19]entre l'Inde et Sri Lanka en 1987, accords qui avaient conduit à une négociation secrète entre Prabhakaran, Anton Balasingham et Rajiv Gandhi, le 27 juillet 1987. Ce fut à cette réunion d’ailleurs que le sort de l’EPRLF fut scellé !

Avec cette curieuse façon d’écrire l’histoire, on tait le fait que les premiers camps d'entrainement militaires dont le LTTE a bénéficié furent installés en Inde par une décision d'Indira Gandhi. On pourrait aussi aborder la question des camps de Kulathur dans le district de Salem. Ou évoquer les camps installés au Tamil Nadu indien oé 20 000 combattants avaient obtenu de la part du gouvernement central de l'Inde toute l'aide matérielle et financière nécessaire. Ce n'est d'ailleurs pas le seul endroit oé les Tigres purent ainsi s'entrainer avec l'assistance de militaires Indiens. Ce fut également le cas en Uttar Pradesh, à Delhi, Bombay, Vishakhapatnam. Le camp le plus secret étant celui de Chakrata, au nord de Dehra Dun. On peut consulter d'ailleurs sur ce sujet les excellentes photos d’archives des principaux dirigeants du LTTE comme Prabhakaran, Pottu Amman, Karuna dans les camps d'entrainements indiens  de Sirumalai .[20]

Des amis tamouls qui ont bien connu les débats en 1983 avec les représentants du LTTE ayant eu justement lieu dans le Sud de l'Inde m'ont fait remarquer que le comportement du LTTE n'a pas varié. Le LTTE a toujours eu la prétention de dominer et d'imposer, y compris par la violence, sa vision séparatiste et chauvine aux groupes de la gauche tamoule. Et c'est encore le cas aujourd'hui ! Comme le souligne souvent Fidel Castro, les révolutionnaires doivent assumer une éthique qui les distingue des forces réactionnaires et rétrogrades. Voila pourquoi le LTTE a toujours été totalement étranger au combat anticolonialiste et émancipateur des peuples.

Q : Certes, mais le LTTE se présente souvent comme une organisation de gauche qui ferait même référence au socialisme ! qu' en est-il ?

Je veux répondre à cette nouvelle falsification à laquelle le LTTE se livre et cette prétendue référence au socialisme. Encore une fois en évoquant l’histoire, celle de la déclaration de Vaddukoddai du 14 mai 1976 [21] à laquelle le LTTE et ses représentants en France font référence dans le but d'abuser leurs interlocuteurs sur le fait qu' ils seraient de gauche et en faveur d'un programme socialiste.

Pour les Tigres et dans sa traduction concrète, le socialisme n'est évidemment qu'un slogan à usage externe, un prétexte et une illusion. Mais dans ce cas particulier, le LTTE fait preuve en plus d'une tromperie sinistre à un point difficilement imaginable. Cette déclaration de Vaddukoddai n'a pas été faite par le LTTE, mais par le TULF, un parti politique modéré, représentatif de l’élite tamoule du Nord. Celui-ci s’était assigné comme but la création d’un État séparé. Depuis, le TULF participe toujours à la vie politique nationale du Sri Lanka. Sa critique du LTTE est constante, au point de considérer le LTTE comme responsable d'un véritable génocide vis à vis des Tamouls. Selon le témoignage d'Anandasangaree, l’actuel Secrétaire général du TULF, « plus de 50% des Tamouls déclarent qu'ils vivent en paix parmi les Cingalais et c'est le LTTE qui est impliqué dans un génocide et non pas les Cingalais ». Voilà pourquoi cette référence est scandaleuse. Puisque le monde entier devrait savoir la responsabilité du LTTE dans l'assassinat de nombreux dirigeants du TULF, dont les maires de Jaffna et surtout le meurtre d'Amirthaligam, Secrétaire général historique du TULF ![22]

Voici d'ailleurs une liste des crimes commis par le LTTE[23] contre des dirigeants du TULF. Parmi eux, je voudrai rappeler en particulier la mémoire d'un des plus remarquables intellectuels de sa génération, le constitutionaliste Neelan Thiruchelvam. Et voici d’autres noms de personnes assassinées par les Tigres :

- A. Amirthalingam, TULF, Secrétaire général et député,
- Dr. Neelan Thiruchelvam, TULF, Vice-Président et député,
. V. Yogeswaran, TULF, membre du bureau politique and député TULF de Jaffna,
- V Dharmalingam, député TULF de Manipay, et père du leader du PLOTE[24], D. Siddharthan,
- Alakasunderam, Ex-membre du TULF, député de Kopay,
- Velmurugu Master, Organisateur du TULF et membre du « Comité citoyen » de Kalmunai,
- S. Sambandamoorthy, Président du TULF, membre du conseil du « District Development Council » de Batticaloa,
- A. Thangadurai, TULF, député de Trincomalee,
- Mme Sarojini Yogeswaran, TULF, maire de Jaffna,
- Pon Sivapala, TULF, maire de Jaffna,
- Sam Thambimuttu, TULF, député de Batticaloa,
- Mme Thambimuttu, épouse du député TULF de Batticaloa,
- Ponnuthurai Sivapalan, TULF, maire de Jaffna,

Par conséquent les Tigres tamouls parlent du socialisme, mais ils ont assassiné les principaux auteurs de la Résolution de Vaddukoddai qui fait explicitement référence au socialisme et à un État séparé tamoul. Et comme on peut également le savoir, le le LTTE ne s’est pas arrêté là dans cette sinistre besogne puisqu'ils ont également assassiné les dirigeants de la gauche, dont voici une liste très partielle :[25]

S. Wijayanadan, Secrétaire de district du Parti communiste de Ceylan,
K. Padmanabha, Secrétaire général, EPRLF,[26]
P. Kirubakaran, Membre du Conseil provincial du Nord-Est,
V. Yogasangari, EPRLF, député,
Razick, Suprême du EPRLF et chef de sa branche armée,
Kethishwaran Loganathan, EPRLF, porte-parole et député, Secrétaire général adjoint du Sri Lanka Peace Secratariat, SCOOP,
George, dirigeant du EPRLF,
Veerahaththy Gunaratnam, PLOTE, membre du « Pachchilaipalli Pradheshiya Sabha » (PS) à Jaffna,
N. Manickathasan, Vice-Président du PLOTE,
R. R. Vasudeva, dirigeant du PLOTE,
Canagasabai Rajathurai, membre de l’EPDF[27] à Jaffna,
Anton Sivalingam, EPDP, membre du Conseil municipal de Jaffna,
Ms. Maheswary Velautham, Avocat et conseiller du Ministre tamoul des services sociaux et du bien-être social, Douglas Devananda, qui lui-même a échappé à une douzaine d’attentats,
Dr. Mme Rajini Thiranagama, Professeur à l’Université de Jaffna, fondateur de l'association « universitaires pour les droits de l'homme », et romancière renommée, auteur du livre « The Broken Palmyrah »,

A cette liste macabre, il faudrait encore ajouter tous les membres du Comité central du EPRLF, sans oublier non plus tous les militants de gauche qui, sans occuper des responsabilités importantes, n'en étaient pas moins les défenseurs de la cause du socialisme. Comment peut-on dès lors parler de socialisme et dans le même temps assassiner ceux qui défendent cette idée ? Mao Zedong stigmatisait les hypocrites « qui brandissent le drapeau rouge pour mieux lutter contre le drapeau rouge ! »[28]

Enfin, il faut aussi rappeler que les mouvements de libération nationale, et les révolutionnaires ont toujours attaché beaucoup d’importance dans les zones qu' ils libèrent à mettre en place des structures sociales progressistes. Mais quand on découvre à ce sujet le bilan du LTTE, cette pieuvre aux multiples facettes comme le TRO[29] ou la Maison de Tamil Eelam, on est stupéfait. Faisons l'état des lieux des réalisations du LTTE dans les territoires qu'ils contrôlaient, et on trouvera leur propos consternant de cynisme et d'arrogance. Leur pseudo-capitale Kilinochi fut abandonnée à l'état de ville fantôme ! Comme les nazis, le LTTE a pratiqué la politique de la terre brûlée et ont tout détruit avant l'arrivée de l'armée sri lankaise. Cela a été d'autant plus facile il est vrai, puisqu' ils n’avaient pas construit d'écoles et de dispensaires, mais des salles de police, des tribunaux et des prisons avec salle de tortures ! Il y a chez eux une curieuse association de caractères ayant donné naissance à un monstre qu'aurait fabriqué ensemble Pol Pot et Meyer Lanski !

Q : Mais il y a eu l’ISGA (interim self governing authorithy) ?

Le LTTE est passé maître dans l'art de bluffer ses interlocuteurs. Ces propositions pour la négociation avec le gouvernement sri lankais de l’époque, c'est-à-dire le gouvernement de droite, reposaient sur une idée simple : rendre incontournable la reconnaissance du LTTE comme seul représentant des Tamouls de Sri Lanka. Dans ce marché de dupes dans lequel il avait l'ambition de faire tomber le gouvernement de Colombo, le LTTE avait trouvé le soutien des USA en la personne de Richard Armitage, à l'époque Sous-secrétaire d’Etat, du chef de la Mission de l’Union européenne au Sri Lanka, avec la coopération étroite du gouvernement norvégien. [30]

Le cessez le feu qui avait précédé ces négociations permettait également de gagner du temps pour permettre au LTTE de réarmer afin de faire comme il avait toujours fait dans les négociations : les quitter de façon provocatrice afin de reprendre les attentats et les opérations sur le terrain. Cette technique lui a ainsi permis de disposer d'une véritable armée conventionnelle avec les armements les plus sophistiqués que permettait son revenu annuel estimé à 320 millions de dollars, fruits de ses rackets et trafics divers. Cette « Eelam entreprise » dont parle si bien une ancienne membre des Tigres, Nirmala Rajasingam, dont la sœur médecin et militante des droits de l'homme fût assassinéé à Jaffna par le LTTE.

Mais pour revenir au ISGA, l'idée même de négociation était un abus de langage puisque la position intransigeante du LTTE consistait à se tenir à la position suivante : « c'est à prendre ou à laisser ». Tout étant fixé unilatéralement, la négociation apparaissait donc vide de sens. Très vite il lui suffisait de déclarer « la guerre inévitable », et le tour était joué. En fait, l’ISGA consistait à donner pour une période de cinq ans tous les pouvoirs au LTTE, donc à lui permettre d’établir sa dictature ! [31] Jugez vous mêmes.

- Le ISGA devait avoir selon ses propositions une majorité absolue de personnes nommées par le LTTE.
- Le Président de l’ISGA devait être issu du LTTE. Ce serait donc Prabhakaran !
- L'administrateur de la province Nord-Est et ses adjoints devaient être aussi membres du LTTE. Le Président aurait en plus le pouvoir de mettre fin à tout mandat.
- Le LTTE aurait eu ainsi le pouvoir de nommer et de licencier à tous les postes de fonctionnaires dans « sa » province.
- Les élections qui devaient être organisées aprés cinq ans devaient elles-aussi être contrôlées par l'ISGA, autant dire par le LTTE.
- Les droits de l'homme, les droits des citoyens dans la province seraient suivis par une commission « indépendante » mise en place par l'ISGA, donc là encore par le LTTE, qui comme on le sait est censé être expert dans ce domaine particulier !

Voila donc à quelle "égalité" les Tamouls du Sri Lanka ont heureusement pu échapper !

En fait, il ne s'agissait pas de transférer plus de pouvoir aux Tamouls et à la province Nord-Est, mais de donner tout le pouvoir au LTTE sur ce territoire, prélude à la mise place d'un État séparé dominé par les Tigres du LTTE: « a Tiger state ». En quelque sorte, il s'agissait de créer un fait accompli. Voilà ce que le gouvernement de droite et son 1-er ministre, Ranil Wickremesinghe, avec le soutien de puissances étrangères devait accepter de discuter, sinon ce serait la guerre. Tout simplement la guerre !

Au fond avec l’ISGA, le LTTE pensait avoir le moyen d’obtenir une majorité absolue aux élections, ce qui n'avait jamais été le cas. Jamais en effet, celui-ci n’est arrivé à représenter la majorité des Tamouls, le mieux qu' il ai obtenu, au pic du contrôle Prabhakaran Prabhakaran totalitaire qu' il exerçait, ne fût jamais plus qu' en 2001 avec le TNA[32], sa marionnette, avec 41,54% des voix pour la province du Nord-est, avec toutes les pressions, menaces et fraudes alors possibles ![33] On comprend mieux dès lors pourquoi lors des premières élections libres en 2010, les résultats des candidats soutenant Mahinda Rajapaksa ont tous progressé de façon significative, pendant que les candidats et alliés du LTTE s'effondraient. Il est intéressant de noter que le même phénomène se produisit en Inde dans l’état du Tamil Nadu, à la veille de la chute de Prabhakaran !

Cela étant dit, il est donc heureux qu' aujourd’hui d'autres forces politiques et sociales représentent les Tamouls, tout comme d'ailleurs les autres groupes ethniques du pays, Cingalais, Burghers, Musulmans et au fond tous les Sri lankais sans distinction d'origine, de religion, de culture, de langue, de conviction, afin qu' ils construisent leur unité, sans ingérence étrangère.

Q. On évoque souvent l’exemple du Kosovo et du Sud-Soudan pour crédibiliser le projet séparatiste des Tigres du LTTE et de ceux qui les représentent aujourd’hui. qu' en est-il ?

Pendant longtemps, le modèle que certains voulaient appliquer au Sri Lanka c’était le Kosovo, aujourd’hui c’est le Sud-Soudan ! Mais si vous observez la situation internationale, vous constaterez que partout oé l’impérialisme cherche à regagner des positions en déstabilisant les gouvernements en place, on invoque la solution « miracle » de l’Etat séparé. On accompagne souvent celle-ci du besoin d’ingérence humanitaire cher à Bernard Kouchner, au nom du fait qu' il faudrait sauver les populations des persécutions de leurs dirigeants ou de l’incapacité de ces derniers à administrer la fameuse « gouvernance » occidentale ! C’est le cas actuellement en Libye et ailleurs. Par ailleurs, la réforme des Nations Unies évoquée dans un article publié par La Pensée Libre contribue à cette vision[34]. Dans ce sens, on peut affirmer que les héritiers du LTTE sont de chauds partisans de l’ingérence étrangère.

Voilà justement pourquoi les USA, tout comme à l'époque de Richard Armitage, soutiennent de tels projets séparatistes. Parce qu' ils servent leurs intérêts géostratégiques de domination mondiale. Dans le cas du Sud-Soudan, de la Libye, comme du Sri Lanka, l'odeur du pétrole n'y est pas étrangère, tout comme d’ailleurs le contrôle des corridors maritimes dont on ne dira jamais assez qu' ils constituent un enjeu capital pour les puissances impérialistes.

C’est entre autre pourquoi on a vu se constituer dans les pays riches et autour des Tigres du LTTE un réseau de soutien au plus haut niveau, conduisant les séparatistes à solliciter une intervention étrangère au Sri Lanka, quitte à promettre de céder ensuite l'usage du port en eau profonde de Trincomalee à la 7ème flotte des Etats Unis.

S’agissant du Kosovo qui fut longtemps un modèle pour les Tigres, il est intéressant de noter la similitude entre les méthodes du LTTE et celles du groupe mafieux albanais issu de l’UCK, cette pseudo-armée de libération financée par les Occidentaux et entrainée entre autre par l'Allemagne, et à qui les puissances occidentales ont cédé unilatéralement le pouvoir. A ce sujet, on vient de découvrir avec intérêt que le 1er ministre du Kosovo et ancien chef de l'UCK, Hacim Taci est responsable d'un trafic d'organes d'êtres humains, en particulier de Serbes. Cette révélation du Comité du Conseil de l'Europe fait suite à un rapport accablant du parlementaire Suisse Dick Marti ! [35]

Il en va de même avec le Sud-Soudan. A l’occasion de la séance inaugurale du « Transnational Government of Tamil Eelam  » (TGTE) tenue sous les drapeaux Tigres et étatsuniens à Philadelphie, on a donné la parole à Domach Wal Ruach, Secrétaire général du Sudan People’s Liberation Movement (SPLM) qui a exhorté à organiser la diaspora tamoule. Il a fait remarquer que le TGTE, héritier du LTTE, devrait suivre leur exemple en travaillant étroitement avec les USA, car sans « leur aide magnifique » rien concernant le Soudan n’aurait pu être obtenu. [36]

Q : Comment se réorganisent les Tigres du LTTE ?

Aujourd’hui, personne n’ose plus se déclarer membre du LTTE, même Tamilnet le site officiel des Tigres ! Même Rudrakumaran, Premier Ministre du TGTE et pourtant important dirigeant du LTTE chargé de l’achat des armes, se garde bien de faire référence au LTTE. En fait, si l'on écoute la conception simplificatrice que les médias nous présentent : cette guerre qui a duré 30 ans mettait face à face l'armée de l'État Cingalais et les Tamouls ! C'est même à se demander si le LTTE et Prabhakaran ont existé ! C'est également le leitmotiv de ces ONG, de ces politiciens occidentaux, et prétendus experts qui de façon caricaturale évoquent la fin de la guerre sans d'ailleurs parler des causes de celle-ci ou de la situation présente !

Pour légitimer cela, on a même vu se constituer à l’occasion des récentes élections présidentielles et parlementaires au Sri Lanka des alliances étonnantes, mais au fond significatives. Ainsi, le TNA qui est comme chacun sait représente la couverture du LTTE a accepté une alliance électorale avec le parti de droite UNP[37] ceux-là mêmes qui au pouvoir pendant plus de 20 ans ont entraîné le pays dans la guerre, avec le JVP[38] un parti chauvin qui refuse l’État séparé, et qui se réclame de la gauche, et le tout pour soutenir en finale le Général Fonseka, le chef d’Etat-Major des armées, c'est-à-dire celui-là même qui a dirigé les opérations militaires jusqu'à l'effondrement du dernier carré des dirigeants du LTTE !

Cela étant dit, il y a une bataille pour le leadership du mouvement séparatiste, et donc certaines différences existent entre par exemple Rudrakumaran, le chef du « Transnational government of Tamil Eelam » qui rêve d'une solution sécessionniste à la soudanaise, et les positions de Nediyavan qui prône le retour à la terreur, qui est connu pour sa violence et qui est considéré comme un homme particulièrement dangereux. Il est installé en Norvège.

Il faudrait aussi évoquer le rôle de Pathmanathan, « KP », ancien responsable international et l'un des plus importants chefs du LTTE, qui a décidé de collaborer avec le gouvernement de Colombo par le biais de son organisation, le NERDO. [39] Il n'est d’ailleurs pas le premier dans ce cas, puisque depuis plusieurs années, le colonel Karuna, un autre ancien dirigeant des Tigres qui a rompu avec le LTTE, est maintenant membre du gouvernement de Mahinda Rajapaksa.


Q : Et qu' en est-il donc du TGTE et de sa relation avec la maison du Tamil Eelam France ?

Il est important en effet de clarifier la relation entre le LTTE, la Maison du Tamil Eelam France, « Global Tamil Forum »(GTF), le « Transnational Government of Tamil Eelam » (TGTE) et ses protecteurs afin de démontrer que tous ces gens appartiennent bien au LTTE. A ce sujet, il faut signaler que le LTTE, malgré l’appui de ses nombreux relais européens financés par son « trésor de guerre », vient d'être de nouveau listé comme organisation terroriste par l'Union européenne. Reste donc à savoir ce que l’on fera au sein des gouvernements européens, à commencer par celui de Nicolas Sarkozy pour appliquer cette salubre décision !

On entend parler parfois de la Maison de Tamil Eelam comme si celle-ci était une organisation humanitaire et qu' elle était indépendante du LTTE. Je vais donc démontrer qu' il n’en est rien.

Le Global Tamil Forum (GTF), dont la Maison du Tamil Eelam France est une des organisations fondatrices, a été mis en place le 26 mars 2009 au Crown Plaza Hotel de Londres ! Dans sa résolution finale, outre l’exigence d’un « État séparé », y a été réaffirmé que « le LTTE est l’unique et authentique représentant des Tamouls ». Le GTF coordonne les efforts de mise en place et les activités du « Transnational Government of Tamil Eelam » (TGTE) qu' anime l’avocat New-Yorkais Visuvanathan Rudrakumaran, que nous venons de mentionner plus haut. Celui-ci se préoccupe également du « United States Tamil Political Action Committee » (USTPAC), qui maintient des rapports étroits avec le Département d’Etat des USA pour influencer les politiciens de ce pays, comme des autres pays occidentaux, dans le but de « contribuer à créer un climat psychologique du type de celui qui a prévalu au Kosovo afin de favoriser la création d’un État séparé, indépendant et souverain ».

Cette réunion du GTF à Londres fut parrainée par David Miliband, à l’époque Ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, et qui s’adressa aux délégués.[40] Le premier ministre Gordon Brown quant à lui, salua l’événement. David Cameron qui l’a remplacé depuis adressa un message de soutien. Pour la partie US, on pouvait compter sur Jesse Jackson, présenté comme « l’ami d’Obama », sur l’Assistant secrétaire d’Etat aux affaires du Sud-Est asiatique étatsunien, Robert Blake, qui fut précédemment ambassadeur à Colombo, mais surtout sur l’un des responsables du lobby LTTE au Sénat US : le sénateur Robert Casey, Président du : « Foreign relations subcommittee on near easter, south and central asian affairs ». Il devait dans un long message, et pour s’en féliciter, souligner le rôle de l’USTPAC dans son action pour « éduquer les politiciens US ». Casey est un homme lige d’Hillary Clinton qui, il faut le rappeler, bénéficia tout comme Obama de la contribution financière du LTTE pour leurs élections dans les primaires démocrates ! Bob Casey est l’homme en pointe sur cette région du monde aux côtés de Robert Blake. Ce dernier a été le promoteur du rôle donné à la « diaspora » et comment utiliser ce concept dans la nouvelle stratégie de déstabilisation du Sri Lanka. A cette fin et aux côtés de Richard Boucher, Sous-secrétaire d’Etat pour l’Asie du Sud, il a reconnu être en contact étroit avec des organisations tamoules aux USA ! Il n’est pas inutile de souligner qu' il a été remplacé à Colombo par Patricia Butenis, ex-numéro deux US à Bagdad et très ancienne protégée de John Negroponte dont on connaît les exactions en Amérique Centrale, en Amérique du Sud et en Irak[41]. Celle-ci s’est déjà faite connaître par ses provocations au sujet de populations déplacées au Sri Lanka.[42]

Tous ces gens ont leur entrée chez l’influent sénateur Patrick Leahy, Président tout à la fois du « Judiciary committee » et du « Sub-Committee on Foreign Operations » du Sénat US, et qui s’est particulièrement distingué à travers des actes hostiles au Sri Lanka, avec par exemple la réduction de l’assistance économique. Comment dès lors, de tels politiciens pourraient-ils prétendre qu' ils flirtent avec le LTTE sans le savoir ? Un peu d’ailleurs comme le font certains élus de différentes obédiences de la région parisienne, en particulier en Seine-St. Denis et dans le Val de Marne qui prétendent ignorer l’étroite complicité entre le LTTE, le TGTE et la Maison de Tamil Eelam !

Pour repositionner la place dorénavant impartie à la « diaspora », c’est Pathmanathan, alias KP, qui, en réunissant quinze organisations ou disons plutôt quinze « ONG », chargées de la couverture du LTTE a mis en place le GTF. Parmi ces organisations, on trouve le Canadian Tamil Congress, le British Tamil Forum, le Swiss Tamil Forum et bien sur la Maison de Tamil Eelam France …toutes engagées pour la création d’un Etat ethnique Tamoul séparé, avec à leur tête le LTTE. KP qui fut le responsable international du LTTE, son grand argentier, mais surtout son intermédiaire auprès des gouvernements occidentaux, est un des deux architectes de ces deux structures gigognes avec son complice Rudrakumaran du TGTE.

Avec le GTF et pour aider à la création du TGTE, on a mis en place simultanément à ces structures le « Advisory Committee on formation of TGTE ».[43] Parmi ses membres, on trouve l’étatsunienne Karen Parker et le Hollandais Peter Schalk, deux conseillers, activistes et partenaires du LTTE depuis de nombreuses années ! Pour ces adeptes des théories de Joseph Nye sur le « soft power » et le « smart power » on ne saurait renoncer à l’usage de la force militaire, mais il faut également être capable de convaincre les gouvernements des pays occidentaux, les alliés, de combiner celle-ci avec « l’asphyxie » de l’économie d’un pays, et surtout la coercition comme moyen pour le faire céder. Autant de moyens qui violent le droit international et la Charte des Nations Unies !

Le TGTE, dont le siège est à New York, avenue of Americas, entend s’appuyer exclusivement sur la diaspora tamoule. Pour ce faire, on a procédé à « l’élection » d’une assemblée constituante de représentants à partir d’un certain nombre de pays. Fidèle aux recommandations de Robert Blake, on contrôle et manipule ceux qui vivent à l’étranger. Il est par conséquent significatif que ne figure ni parmi le « gouvernement transnational » ni parmi les élus de cette assemblée constituante des Tamouls vivant au Sri Lanka. Il est tout aussi significatif que plusieurs représentants de la maison du Tamil Eelam France à cette constituante, comme son Président Thiruchchothi, ont vu leur élection contestée pour fraudes et manipulations par la propre commission électorale mise en place par les organisateurs eux-mêmes de cette farce.[44] Ce qui témoigne en fait de la crise au sein des Tigres du LTTE !

Q : Comment se présente aujourd’hui la situation des déplacés ? Quelle est la situation au nord et à l’est du Pays ?

Sur ce sujet, nous pouvons signaler les mouvements qui s’opèrent dans la diaspora tamoule avec le nombre important de réfugiés qui font le choix de revenir vivre au pays. Si en 2009, seulement 843 personnes avaient fait cette démarche, ils étaient 2 054 l’an passé avec l’aide du HCR des Nations Unies, chiffre auquel il faut ajouter 2 742 personnes l’ayant fait à titre personnel, puis qui se sont enregistrées auprès des services de l’ONU.

Voilà sans doute pourquoi le Haut comité aux réfugiés (HCR) de l’ONU s’est félicité dans une déclaration de l’action positive en ce domaine du gouvernement sri lankais de Mahinda Rajapaksa. Il y est souligné « le caractère positif des actions du gouvernement en faveur des 280 000 déplacés obligés de quitter leurs maisons dans la dernière phase de la guerre » Le HCR ajoute que le Sri Lanka « continue à évoluer positivement » ![45] Pour l’essentiel et dans un temps record, malgré la présence de 1,6 million mines dans 640 villages. Sur approximativement 300 000 personnes qui avaient été déplacées, seules 12 000 resteraient à être réinstallées ! [46] Le Nord et l’Est du pays sont donc enfin revenus à une situation de paix et de sécurité, et cela grâce à un formidable mouvement de solidarité nationale.

Il faut évidemment reconstruire des infrastructures, des routes, des ponts, des chemins de fer et des installations scolaires, des centres médicaux sociaux, il faut reconstruire des conditions de vie normales pour tous ceux qui ont été affectés par la guerre …Il faut organiser la réhabilitation de combattants LTTE et plus spécialement des enfants soldats que le LTTE enrôlaient de force. D’importants programmes de formation ont ainsi été mis en place, y compris avec l’aide de plusieurs agences de l’ONU, dont l’UNICEF. Des priorités à l’emploi leurs sont accordées.

L’important programme de développement agricole a permis par ailleurs de faire passer sa part dans le PNB de 4% à 12% en quatre ans. La pêche a fait un bond en avant de 97%. Le Sri Lanka est maintenant auto-suffisant pour le riz. Dans ces conditions, la croissance du pays est proche de 8% en 2010, avec une inflation stabilisée à 6%. Au cours des cinq dernières années, la pauvreté a décliné de 15,25% à 7,6%, et le chômage a été ramené à 5%.[47] Selon les indicateurs du « Rapport 2010 du Forum Economique Mondial », le Sri Lanka est classé au tout premier rang pour les indices concernant la santé et la survie, 6ème pour l’exercice des droits politiques et la participation des citoyens, et un des vingt premiers pays au monde pour l’égalité des droits hommes /femmes !

Ces résultats comptent cependant bien peu pour ceux qui n’ont pas renoncé à leurs objectifs. Les Tigres du LTTE, rebaptisés Transnational Gouvernment of Tamil Eelam ne sauraient nous abuser ! Partisans de l’ingérence étrangère, ils appellent dans une déclaration récente à faire au Sri Lanka ce que les puissances impérialistes ont l’intention de faire en Libye|48]. Pour eux, l’ONU, déjà instrumentalisé comme on le sait, n’aurait d’autre raison d’être que de légitimer des actes de coercition, d’interventions, de pressions des grandes puissance, au premier rang desquels les USA.

Aller dans cette voie serait à coup sur établir au Sri Lanka un protectorat au service de ceux qui pilleraient les ressources du pays, violeraient les droits de l’homme comme il en va toujours, et annexeraient le pays à leurs projets impérialistes de domination mondiale. Comment dans ces conditions ignorer de tels enjeux ? L’internationalisme ne saurait se réduire à une pétition morale !

C’est pourquoi, comme on le voit avec la Libye, les larmes de crocodile que versent aujourd’hui certains gouvernements occidentaux, politiciens, journalistes, médias, juristes de la cour pénale internationale, dirigeants de l’ONU, ONG, sous des prétextes hypocrites ne sauraient nous faire perdre de vue qu' au fond, c’est toujours la vieille mentalité colonialiste et impérialiste qui cherche à s’imposer comme une vision indépassable. Un peu comme si les peuples n’auraient pour horizon que de vivre sous la tutelle des plus forts et de leurs mercenaires.

D’une certaine manière, le peuple de Sri Lanka, dans toute sa diversité, nous a démontré qu' il n’y a aucune fatalité et qu' il ne sert à rien de se résigner. Le moyen efficace de résister à l’ingérence étrangère et donc au séparatisme, fut l’unité, la solidarité entre Cingalais, Tamouls, Musulmans, Burghers, et la défense scrupuleuse de l’indépendance, de l’intégrité, de la souveraineté du pays, celui de tous les Sri Lankais !

Notes

1 Ajit Randenya, “Is Gordon Weiss speaking for the entire international community at the UN”, in Lankaweb, 11 mai 2009.
2 Semaine anticoloniale 2011 : Tract de la Maison du Tamil Eelam France.
3 LLRC: Commission sur les leçons apprises et la réconciliation, mise en place par le Président Mahinda Rajapaksa.
4 Sunday Leader, “It’s lesson learnt”, 12 mars 2010.
5 UN OCHA : Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires.
6 Tract de la Maison du Tamil Eelam France, Op. Cit.
7 Human Rights Watch, une ONG aux moyens considérables financée par l’Open Society Institute de Georges Soros, la Fondation Ford, Time Warner, Coca Cola, City group. On trouve parmi ces dirigeants, James Hoge, du Council on Foreign Relations, l’épouse de Peter Ackerman, Président de la Freedom House, une des couvertures  de la CIA au même titre que le National Endowment for Democracy. Voir a ce sujet, La Telerana imperial, enciclopedia de injerencia y subversión, d’Eva Golinger et Romain Migus, Centro Internacional Miranda, Caracas 2008.
8 TGTE, Final report based on the study by the advisory committee, composition de la commission, 15 mars 2010.
9 “Diplomats call for transparent probe”, AI’s secret pay-offs revealed, Newsline, 7 mars 2011.
10 “Battle for overseas LTTE leadership heightens”, Lankapuvath News bulletin, 10 mars 2011.
11 Brigadier Sudanatha Ranasinghe, Commissaire général chargé de la réhabilitation, le 8 mars 2011.
12 Voir à ce sujet Jean-Pierre Page, «  Qui sont nos ennemis, qui sont nos amis», in La Pensée libre, juillet 2009.
13 Mahinda Rajapaksa, discours devant le parlement sri lankais, le 19 mai 2009.
14 John Holmes interview à l’agence Reuters, 30 mai 2009.
15 Gordon Weiss in ABC News 9 février 2010.
16 idem
17 “LTTE forced us to inflate injury figures, Dr. Shanmugarajah at LRRC”, in The Island, 23 novembre 2010.
18 Thiruchchothi, Président de la maison du Tamil Eelam France, message à Jean-Pierre Page, 22 février 2011.
19 Jean-Pierre Page, « Qui sont nos ennemis, qui sont nos amis», Op. Cit.
20 «  LTTE the Indian connection »,The Sunday Times, 19 janvier 1997.
21 Résolution adoptée à l’unanimité par le premier congrès du Tamil United Liberation Front à Vaddukoddai le 14 mai 1976, ENB documents, 5 octobre 2007.
22 SPUR (Society for Peace, Unity and Human Rights in Sri Lanka), < www.spur.asn.au >.
23 Ibid.
24 PLOTE : People’s Liberation Organisation of Tamil Eelam, organisation de la gauche tamoule qui travaillait avec la gauche cingalaise
25 SPUR, op.cit.
26 EPRLF: Eelam People’s Revolutionnary Liberation Front, organisation de la gauche tamoule qui travaillait avec la gauche cingalaise.
27 EPDF: Eelam People’s democratic Front, Front des Mouvement de la gauche progressiste tamoule.
28 Mao Zedong, in “Servir le Peuple”, 1944.
29 TRO: Tamils Rehabilitation Organisation, couverture du LTTE lui permettant la collecte des fonds à travers le racket, trafics, etc… « l’Eelam entreprise ». En octobre 2009, le FBI a arrêté à New York pour fraude et conspiration Raja Ratnam. Celui-ci avait donné pas moins de 3,5 millions de $ au TRO. Il est celui qui était un des plus importants contributeurs financiers à la campagne d’Hillary Clinton.
30 “Why is the world trying to save the Tamil Tiger terrorists in Sri Lanka”, < http://www.squidoo.com/tamil_tiger_terrorists_Srilanka#module30377792 >
31 ISGA in Wikipedia.
32 TNA: Tamil National Alliance, parti légal représenté au Parlement, couverture parlementaire du LTTE. Aux dernières élections présidentielles, le TNA s’est allié au parti conservateur et ultra libéral UNP et au JVP, un parti chauvin qui se réclame de la gauche. Ensemble, ils ont soutenu la candidature du Général Fonseka contre celle du Président Mahinda Rajapaksa ! Cette candidature fut encouragée par de nombreux gouvernements occidentaux, grands médias et ONG. Le Général Fonseka était le chef d’Etat major des armées jusqu' à la défaite militaire du LTTE en mai 2009.
33 Tisaranee Gunasekara, “The fearful symmetry of the ISGA” The Island, 11 septembre 2003.
34 Tamara Kunnayakam, Jean-Pierre Page, “La réforme des Nations Unies telle qu'elle a été proposée par le Secrétaire général Kofi Annan”, avril 2010, < http://lapenseelibre.fr/lapenseelibren30.aspx >
35 “Dick Marti répond aux Kosovars”, Le Matin , 18 janvier 2011.
36 “TGTE inaugurated in transnational way Ramsey’s Clark stresses importance of history”, in Tamilnet, 18 mai 2010.
37 UNP : United National Party, mis en place par le colonisateur britannique à l’indépendance, conservateur, ultra libéral, représentatif de la bourgeoisie compradore, responsable de l’ouverture économique et des privatisations.
38 JVP : Janatha Vimukthi Peramuna (People’s Liberation Front) qui se voulait une alternative à la gauche traditionelle, avec une base paysanne, nationaliste chauvin, se réclamant du marxisme-léninisme !
39 Certains au sein du LTTE l’accusent d’avoir abandonné délibérément Prabhakaran pour prendre maintenant sa place et le contrôle d’une organisation riche en millions de dollars. La guerre des chefs vient-elle de commencer ? Voir à ce sujet, la polémique entre l’ «  international relations department » du LTTE et le « department for Diaspora affairs » (DDA), Tamil Net du 25 mai 2009. Le NERDO : North East Rehabilitation and Development Organisation, le principal dirigeant de cette ONG est KP.
40 Daya Gamage, “Global Tamil Forum (GTF) endorses separate state in Sri Lanka, US&UK behind GTF”, Asian Tribune, 3 février 2010.
41 John Negroponte s'est par ailleurs occupé de superviser en France les activités de chercheurs à l’EHESS de Paris. Voir à ce sujet Arthur Lepic, « L'opération 'Liberté en Irak' est terminée: John Negroponte bientôt à Bagdad », < http://usgohome.free.fr/actualite/negroponte.htm >, et plus largement, sur l'histoire de la pénétration intellectuelle en France par les USA, Brigitte Mazon, Histoire de l’École des hautes études en sciences sociales, Le rôle du mécénat américain (1920-1960), Cerf. Thèse de Brigitte Mazon sous la direction de François Furet, Président de l’EHESS de 1977 à 1985. Voir aussi : « La french american foundation », Blog de Pascal Jean Gimenez : Regard sur la Mondialisation, < http://pascaljeangimenez.hautetfort.com/archive/2008/09/23/french-american-foundation.html >
42 Maintenant que la guerre est terminée, les USA ont nommé comme ambassadrice à Colombo, Patricia Butenis, ancienne et très controversée ambassadrice au Bangladesh, et qui fut précédemment chef de mission adjointe US en Irak, elle est ouvertement liée à de nombreux cadres de la CIA. Ce qui confirme l'enjeu stratégique du Sri Lanka pour l'administration Obama. Et le fait que ce pays devrait continuer à se heurter à un barrage auprès des institutions oé les USA possèdent une influence décisive, et dans les médias qui leur sont liés.
43 Voir note précédente sur TGTE.
44 “Third party required to resolve TGTE election dispute in France”, in Tamilnet, 13 mai 2010.
45« Haut Commissaire des Nations Unies aux Réfugiés », Rapport sur les progrès importants obtenus par le Sri Lanka dans la situation des déplacés et sur la stabilité du pays. In Daily News, 7 juillet 2010.
46 Mahinda Samarasinghe, Ministre et envoyé du Président Mahinda Rajapaksa, Conseil des droits de l’Homme Genève, 28 février 2011.
47 Tamara Kunanayakam, Ambassadrice du Sri Lanka à Cuba, « Sri Lanka renace y avanza » , un entretien à Habana Radio avec Arnaldo Mussa, 23 février 2011.
48“UN should not fail in Libya,like it failed in Sri Lanka”, TGTE, New York, 25 février 2011.

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