Au Pakistan, les Etats-Unis dansent sur un volcan
Mohamed Hassan
Le Pakistan était déjà une poudrière mais, depuis
l'assassinat, des émeutes ont éclaté à peu près
partout. Les élections prévues le 8 janvier sont reportées
au 18 février. qu' est-ce qui est en jeu ?
Mohamed Hassan. Le Pakistan
n’existe que depuis 1947 et, à ce jour encore, sa classe politique
est demeurée faible. Le pays a surtout connu des dictatures militaires
qui dépendent complètement du soutien financier des USA. Entre
deux coups d’état, il y a eu plusieurs courtes périodes
durant lesquelles des présidents élus sont arrivés au pouvoir.
Ainsi, dans les années 70, Zulfikar Ali Bhutto, le père de Benazir,
a été élu président, puis Premier ministre. En 1977,
il était renversé par l’armée et pendu deux ans plus
tard. Benazir Bhutto a été deux fois Premier ministre (1988-1990
et 1993-1996). En 1996, elle a été accusée de corruption
et a dû fuir le pays.
Benazir Bhutto incarnait-elle une alternative démocratique, par rapport
à la dictature militaire ?
Mohamed Hassan. Le PPP, parti dont Benazir Bhutto a hérité de
la part de son père, est un parti populiste qui promet des réformes
sociales. Il est donc naturel que la majorité de la population pauvre
du Pakistan place ses espoirs dans ce parti. La mort de Benazir a donc déclenché
un mouvement de protestation de masse.
Mais les Bhutto font partie de l'élite pakistanaise, ils constituent
l'un des clans féodaux les plus riches du pays et les accusations de
corruption n'étaient certainement pas sans fondement. Le mari de Benazir
Bhutto qui, aujourd'hui, reprend la direction de fait du PPP, est appelé
« Monsieur 10 % », en raison des pots-de-vin qu'il exigeait naguère
auprès de chaque institution publique. D'ailleurs, Benazir Bhutto elle-même
est revenue d'exil en octobre dernier, non sans avoir promis au gouvernement
Bush d'œuvrer en faveur d'une présence américaine plus importante
au Pakistan. C'est pour cette raison qu'un auteur pakistanais connu la surnomme
« la fille des USA ».
Qui est derrière cet assassinat ?
Mohamed Hassan. En ce moment,
ce n’est pas encore très clair. Très vraisemblablement,
la crise pakistanaise est liée à la guerre d’occupation
menée par les USA et l’Otan en Afghanistan. Les USA veulent accroître
considérablement leur présence militaire au Pakistan, mais les
sentiments antiaméricains très vifs de la population pakistanaise
rendent une telle opération très délicate. après
tout, Musharraf est un dictateur militaire qui pourrait être renversé
par une insurrection populaire allumée par les partis de l’opposition
réunis. C’est pourquoi les principales figures de l’opposition,
dont Benazir Bhutto, ont voulu absolument revenir et participer aux élections.
Celles-ci devaient ensuite rendre possible la constitution d'un gouvernement
proaméricain qui aurait eu plus de crédit parmi la population.
Vraisemblablement, un gouvernement de coalition comprenant la Ligue Musulmane
de Musaharaf, le PMLQ, et le PPP de Bhutto. À première vue, cet
agenda a été mis sens dessus dessous par l'assassinat de Bhutto
et on pourrait donc penser que ce dernier est à imputer à des
adversaires des USA.
Mais l’assassinat peut avoir eu pour but de ne plus donner le moindre
choix à l’élite pakistanaise: soit l'unité sous la
direction des Etats-Unis ou alors le chaos de la guerre civile et la balkanisation
du pays. Dans ce cas, on ne peut exclure non plus que les services secrets américains
soient impliqués.
Et finalement, la plupart des partis d'opposition ont accepté de participer
aux élections prévues pour le 18 février. Il semble ainsi
que l'on soit retombé de nouveau dans le scénario voulu par les
Américains.
Pourquoi les USA veulent-ils renforcer leur emprise sur le Pakistan et installer
des troupes en territoire pakistanais ?
Mohamed Hassan. La guerre menée par les USA dans le voisinage de l’Afghanistan
ne se déroule absolument pas comme souhaité. après cinq
ans, la résistance gagne en puissance. Les USA et l’Otan enregistrent
bien çà et là un succès mais ils doivent de plus
en plus recourir à des attaques aériennes. Récemment, le
journal anglais The Morning Star publiait des chiffres à ce propos :
2 926 attaques aériennes l’an dernier, contre 1 770 en 2006 et
... seulement 86 en 2004! Cela montre que les USA perdent du terrain au sol.?
Le mois dernier, une enquête de l’ONG pro-occidentale Asia Foundation
constatait que 80 % des Afghans en avaient par-dessus la tête du gouvernement
proaméricain et de l’occupation.? Le cauchemar des généraux
américains et de l’Otan, c’est de voir couper leurs lignes
d’approvisionnement à l'intérieur du Pakistan. Dans ce cas,
les troupes occidentales n’auraient pratiquement d’autre choix que
de se retirer. Cette défaite constituerait un énorme revers pour
toute la stratégie hégémonique de Washington dans la région
et elle pourrait même y mettre en danger l’existence future de l’alliance
de l’Otan.
Comment expliquez-vous les sentiments nettement anti-US au Pakistan ? L'actuel
président Musharraf tout autant que Bhutto sont quand même pro-US
?
Mohamed Hassan. Une majorité
croissante de la population vit dans la pauvreté et, en tant que musulmane,
perçoit la guerre en Afghanistan comme une guerre contre tous les musulmans.
Et de larges franges de l'élite pakistanaise, partis de l’opposition
et cadres supérieurs de l’armée y compris, de confession
islamiste eux aussi, ont une relation amour - haine avec les USA. D'un côté,
ils dépendent très fortement de l'aide financière des USA
mais d'un autre, ils en sont très mécontents.
La bourgeoisie industrielle pakistanaise rêve depuis des années
déjà d’avoir accès – via l’Afghanistan
– à l’énorme marché de débouchés
des nouvelles républiques indépendantes de l’ancienne Union
soviétique en Asie centrale. Tant qu' a duré la guerre froide,
elle a lutté, côte à côte, avec les USA, contre la
présence militaire de l’URSS d’alors en Afghanistan. D'ailleurs,
c'est surtout sous Reagan que beaucoup de constructions militaires ont été
installées sur le territoire dans le cadre d'une stratégie de
repoussement (roll back) avec laquelle ils comptaient miner l'URSS.
La guerre en Afghanistan contre l'URSS, qui a duré de 1979 à 1989,
a été une période cruciale pour comprendre ce qui passe
aujourd'hui dans cette région. Osama Ben Laden, milliardaire saoudien
intégriste, a été recruté à cette époque
par les services secrets saoudiens pour aller « combattre le communisme
» avec la CIA en Afghanistan.
Grâce au soutien du Pakistan, les moudjahiddines afghans étaient
parvenus à chasser l’armée russe de l’Afghanistan.
Mais, après le retrait soviétique de 1989, les USA ont tout simplement
laissé tomber la région. En effet, pour les cyniques stratèges
américains, le but n'était pas la stabilisation et le développement
économique de la région et encore moins la protection de l'Islam
face aux “communistes diaboliques” mais les intérêts
économiques et géostratégiques de leurs multinationales.
C'était la seule chose qui comptait pour eux. Cela apparaît clairement
lorsqu'ils ont envahi l'Irak dans les années 90 et construit des bases
militaires sur la “terre sacrée” d'Arabie Saoudite. Oussama
Ben Laden s'est alors retourné contre les USA et a fondé Al Qaeda.
Dans les années 90, au lieu de pouvoir cueillir les fruits de sa victoire
contre les Russes, la bourgeoisie et l’élite militaire du Pakistan
ont vu l’Afghanistan sombrer dans un chaos où les seigneurs de
guerre se combattaient entre eux. Durant cette période, les élites
pakistanaises ont soutenu les talibans. Les talibans étaient des gens
assez jeunes formés dans les écoles du Madras au Pakistan et envoyés
ensuite en Afghanistan pour y remettre de l'ordre.
Ils y sont finalement parvenus grâce à une stricte application
de la charia. Non seulement les Etats-Unis avaient abandonné la région
à son sort mais quand Bush n'a plus eu l'assurance de la fidélité
de leur allié Ben Laden (parce que celui-ci avait glissé tout
doucement vers une opposition radicale aux USA), la pression n'a pas cessé
de monter.
après l'attaque des deux tours du WTC du 11 septembre 2001, une attaque
en règle contre l'Afghanistan a été rondement menée
car elle était depuis longtemps bien préparée. Mais cette
attaque – menée alors que les talibans étaient encore alliés
à l’élite pakistanaise - a été un nouveau
coup dur pour celle-ci.
De même, le soutien financier qu' elle reçoit des Etats-Unis
pour soutenir leur effort de guerre dans cette région ne peut qu' entretenir
le sentiment de déception et de rancœur de la bourgeoisie pakistanaise
envers ces mêmes Etats-Unis.
La haine contre les Etats-Unis, qui s’est installée chez Ben Laden
après le retrait de l’URSS et le désengagement des USA (même
si Ben Laden avait été soutenu financièrement pendant de
longues années par la CIA, ne l’oublions pas), cette haine s'est
introduite aussi dans le coeur de l'élite pakistanaise.
On peut donc dire que les USA dansent sur une corde raide, au Pakistan. Au
début de cet interview, vous disiez que la bourgeoisie pakistanaise était
faible, que voulez-vous dire par là?
Mohamed Hassan. Si vous
voulez comprendre l'extrême pauvreté du Pakistan pendant le féodalisme
et la faiblesse de la bourgeoisie actuelle, vous devez retourner à l'origine
de la fondation de l'Etat pakistanais, sous le colonialisme, en Inde britannique.
Aussi bien le Pakistan actuel que le Bengladesh et l'Inde formaient un ensemble
à cette époque-là. L'impérialisme britannique a
utilisé le système féodal réactionnaire de l’Inde
pour la gestion des produits agricoles et a aussi soutenu le système
des castes multiséculaire.
En Europe, l’idée est répandue que l'Inde est avant tout
un pays de sagesse séculaire et de paix intérieure. Mais l'opposition
à l'occupation britannique a souvent été très violente.
En 1857, par exemple, a lieu la révolte des Sepoys, soldats indiens incorporés
dans les légions britanniques. Leur violence a été telle
que les Anglais ont été profondément choqués et
Karl Marx lui-même a condamné leur attitude “effroyable,
horrifiante et indescriptible” . Néanmoins, Marx ajoute que la
“respectable Angleterre” elle-même a eu des attitudes atroces.
Et, précise-t-il, aussi méprisable qu'ait été le
comportement des Sepoys, il n'était rien de plus que le miroir du comportement
de l'Angleterre en Inde.
Et, après les Sepoys, toute une série d’autres courants
d'opposition ont suivi. Pour pouvoir contrôler un territoire aussi grand,
les Britanniques ont installé des chemins de fer permettant de déplacer
leurs troupes aussi vite que possible. Seulement ces nouvelles voies rapides
de circulation ont aussi favorisé le développement du commerce
et l'avènement du capitalisme et... l'insatisfaction envers le colonialisme
qui soutenait un système féodal ancestral.
En 1885, un jeune britannique du nom de David Hume, a circulé à
travers tout le territoire. Il a été choqué par les contrastes:
vous connaissez bien cette image des coloniaux britanniques jouant au cricket
ou au polo, habillés de chemises blanches immaculées, dans leur
club et à proximité de la famine et de la pauvreté. Hume
a vu cela partout et a perçu le danger inévitable de réactions
explosives et d'une guerre d'indépendance sanglante. C’est lui
qui a fondé le parti du Congrès. Il voulait appliquer des réformes
à l'intérieur du cadre colonial: “Nous devons encadrer l'élite
indienne et les former à la cogestion du pays.”
Plus tard, ce parti du Congrès a évolué vers un parti plus
nationaliste, dont Gandhi et Nehru ont d'ailleurs été les leaders.
Aujourd'hui, ce parti est encore le plus important d'Inde. Mais il n'a jamais
réellement pu se contenter du paternalisme et du réformisme de
Hume et ne peut donc pas être comparé, par exemple, au parti nationaliste
chinois de Sun Ya Sen, le Kuomintang. En tout cas, ce parti, après sa
création, a tout de suite dépassé les 100.000 membres et
a intégré aussi bien les musulmans que les hindous.
N'y avait-il aucun lien entre les musulmans et les hindous
à cette époque?
Mohamed Hassan. Non. L'Inde
est traditionnellement un pays hindou régi par un système de castes
réactionnaire et féodal. Vous appartenez à la caste dans
laquelle vous êtes né et cette caste détermine votre emploi
et vos relations humaines. La caste la plus haute est celle des Brahmanes, les
prêtres. La plus basse est celle des intouchables. En comparaison avec
l'hindouisme, l'Islam est une religion progressiste qui se montre plus souple
avec les commerçants et les employés. Un peu comme le protestantisme
dans l'Europe du moyen - âge.
Mais l'Islam s'introduit progressivement avec ou sans violence à l'intérieur
de l'Inde. Pas mal d'hindous se convertissent à l'Islam pour échapper
à la caste dans laquelle ils sont nés. Et le développement
du commerce et des échanges qui a suivi la construction du chemin de
fer a aussi servi l'élargissement de l'Islam.
Et qu'en est-il de cette lutte importante entre les musulmans
et les hindous dont on parle si souvent lorsqu'il est question de l'Inde?
Mohamed Hassan. C'est lié
à la naissance du Pakistan justement. En fait, la bourgeoisie islamiste
du parti du Congrès a constaté qu'ils étaient en minorité
par rapport aux hindous. Aussi un certain Ali Gena érigea-t-il la ligue
islamiste en 1920. L'idée centrale de cette ligue était que les
musulmans avait besoin de leur propre territoire. Quelle ironie ! Gena était
un laïque pour qui l'Islam était avant tout un instrument pour créer
son propre Etat et y fonder un marché pour une partie de la bourgeoisie.
La guerre d'indépendance de l'Inde a été très violente.
Les Britanniques avaient quatre atouts dans leur jeu : le vieux système
des castes, la rivalité religieuse entre les musulmans et les hindous,
la partition du pays en mini - États qui avaient reçu leur autonomie
et enfin l'opposition entre le Nord où vivent les Indiens à peau
blanche et le Sud.
Gandhi développa une stratégie pour lutter contre cette division,
mais ne s'est finalement pas mêlé de contrôler la rivalité
religieuse entre les musulmans et les hindous. La ligue musulmane a exigé
son propre territoire et entrepris une guerre sanglante au cours de laquelle
des centaines de milliers de personnes périrent.
Ainsi naquit le Pakistan en 1947 - au début simple dominion colonial
de la Grande-Bretagne - qui était indépendant du reste de l'Inde.
Et trois ans plus tard (en 1950), il devint indépendant. Dix millions
de musulmans durent se réfugier au Pakistan et plusieurs millions d'hindous
durent le quitter. Des familles furent éclatées, car elles habitaient
des deux côtés de la frontière... Cette guerre est l'origine
de la tension encore très vive qui existe entre le Pakistan et l'Inde
aujourd'hui. Encore aujourd'hui le 14 août est le jour de fête nationale
pour la séparation du Pakistan avec l'Inde. Et ce n’est pas pas
celle de 1950 quand le Pakistan s'est débarrassé de la Grande-Bretagne.
Mais qu'en est-il exactement de cette faiblesse de la bourgeoisie
pakistanaise?
Mohamed Hassan. La bourgeoisie
pakistanaise a voulu conquérir un marché et construire un Etat
de manière artificielle. La meilleure manière de fonder un Etat
national consiste à créer et soutenir des critères objectifs,
tels que l'unité géographique et économique. Mais le Pakistan
est en premier lieu construit sur base de croyances religieuses. Cela rend l'édifice
très fragile.
Pour résoudre le problème des différentes langues parlées
dans le pays, Ali Gena avait, par exemple, choisi l’urdu comme langue
de référence nationale. Or, l’urdu est une langue minoritaire
utilisée par moins de 7% de la population.
Mais surtout, la forme géographique de l'Etat semble ingérable.
Le Pakistan est partagé en deux parties, à l'ouest, le Pakistan
proprement dit et, à l'Est, c’est le Bangladesh. Il s'agit d'une
répartition plus ancienne que la création du Pakistan basée
sur les différences religieuses entre les Bengalais pratiquée
entre 1905 et 1911 sous la férule des Britanniques après différentes
révoltes des paysans bengalais au 19e siècle.
Et les habitants du Bangladesh sont donc aujourd'hui surtout des musulmans membres
de la ligue musulmane. Mais ils ne sont malgré tout pas satisfaits de
l'Etat pakistanais. Sur la carte, vous verrez que les deux parties sont situées
à plus de 1.000 kilomètres de distance l'une de l'autre. Calcutta,
la capitale des Bengalais, était jadis le centre administratif des Indes
britanniques. Les habitants du Bangladesh ont vu cette fonction glisser de Calcutta
vers Islamabad. Au Bengale, personne ne parle l’urdu. En outre, l'armée
pakistanaise est majoritairement constituée de soldats provenant de l'ouest
du Pakistan. Résultat : après une guerre qui a tué un million
d'hommes, le Bangladesh a été détaché du Pakistan
en 1971.
La partie du Pakistan qui a survécu n'est pas une base
suffisamment solide pour satisfaire l'élite pakistanaise?
Mohamed Hassan. Pour pouvoir
survivre en tant qu'Etat, en tenant compte de la pénétration systématique
de l'armée dans la vie politique, le Pakistan a pu compter sur le soutien
de la Grande-Bretagne dans les années 80 et des Etats-Unis depuis 2001.
Les quatre régions les plus importantes au Pakistan sont : le Penjab,
Sindh, le Baloutchistan et les terres du nord où vivent les Pachtounes.
Chacun de ces territoires a des antécédents différents.
Le Penjab formait dans l'Inde britannique et sous le colonialisme une province
commune avec le Penjab indien. Les habitants étaient principalement des
Sikhs, une variante de l'hindouisme et ils étaient volontiers engagés
dans l'armée britannique pour leur forte constitution physique. Avec
l'indépendance du Pakistan, le Penjab a été divisé
en un Penjab pakistanais et un Penjab indien.
Les habitants du Penjab constituent 55% de la population pakistanaise et le
territoire couvre 26% du Pakistan. Au Penjab, l'élite provient de la
noblesse féodale qui envoie ses fils à l'armée et qui a
donc, encore aujourd'hui, une forte influence sur elle. Une armée qui
lutte toujours aujourd'hui pour les intérêts du pouvoir colonial
et l'impérialisme d'aujourd'hui. Ce n'est pas un hasard si l'armée
pakistanaise sous la conduite du colonel Zia Ul Haq, dernier dictateur en date
du Pakistan est, par exemple en 1970, intervenue en Jordanie pendant le septembre
noir au cours duquel trente mille Palestiniens ont été tués.
Le Baloutchistan empiète sur l'Iran, le Pakistan et l'Afghanistan. A
la fin du 19e siècle, le territoire a été partagé
par une commission anglo-iranienne entre ces trois territoires actuels. 5% à
peine du peuple pakistanais habite sur ces régions qui constituent le
Baloutchistan, mais le territoire couvre 44% du Pakistan.
En outre, il s'agit de la plus riche région du Pakistan en ce qui concerne
le pétrole et les réserves de gaz. En tant que province frontalière
avec l'Afghanistan et l'Iran et porte de passage pour les pipe-lines reliant
l'Inde et l'Iran, elle est considérée comme la partie la plus
stratégique du Pakistan par les forces de l'alliance américano-britannique.
Mais il y a encore une autre raison à l'importance stratégique
de la région : depuis 2002, la Chine finance la construction d'un port
en haute mer à Gwadar dans la mer d'Arabie, pas très loin de la
route d'Hormuz où passent la plus grosse partie des réserves de
pétrole chinois et 30% des réserves mondiales. Un peu plus loin,
l'autoroute de Karakoram, qui relie Gwadar avec la province chinoise de Xinjang,
a été élargie. La province deviendra donc dans un avenir
proche un important endroit de passage pour les provinces intérieures
de la Chine et la mer.
La province Sindh et la province du Nord existent-t-elles
encore?
Mohamed Hassan. Oui, la
région Sindh est l'endroit où l'on trouve le plus d'industries.
Les Bhuttos sont originaires de cette région et font partie de l'élite
féodale richissime qui y a des activités industrielles. Les habitants
de Sindh constituent 18% du peuple pakistanais et la province couvre 23% du
territoire pakistanais.
Et là, on trouve aussi la région du Nord où vivent les
Pachtounes. Les Pachtounes sont des tribus afghanes qui en 1879, après
la deuxième guerre de l'Angleterre contre l'Afghanistan, ont été
annexées par l'Empire colonial anglo-indien de l'époque. Les Pachtounes
forment 13,5% du peuple pakistanais et leur territoire forme 9% du territoire
pakistanais. Ils sont étroitement liés avec le peuple afghan et
les nationalistes afghans considèrent que ce territoire leur revient
de droit.
Les élites pakistanaises, de leur côté, considèrent
l'Afghanistan comme l'arrière-cour du Pakistan et la porte d'accès
vers les marchés d'Asie centrale.
Aussi, ménagent-ils les Afghans tout en essayant de les garder sous leur
contrôle. Pendant la guerre contre l'Union soviétique, pratiquement
toutes les tribus ont été armées par le Pakistan, mais
chaque une d'entre elles était approché séparément
et recevait des armes qui n’étaient pas compatibles avec les armes
reçues par les autres tribus. Ceci pour éviter que les tribus
afghanes ne s’unissent pour former une armée opposée au
Pakistan. Dans les années 90, les talibans ont été formés
dans les écoles religieuses du Madras dans le nord du Pakistan pour maintenir
l'Afghanistan sous le contrôle des services de sécurité
pakistanais.
Un ami pakistanais m'a dit qu'il ne croyait pas que le Pakistan
puisse continuer d'exister sous la forme d'un pays uni. Est-ce qu'on ne doit
pas s'attendre à une balkanisation?
Mohamed Hassan. Le peuple
pakistanais vit dans une pauvreté oppressante qui contraste avec le mode
de vie richissime mené par les élites corrompues qui ont succédé
aux colonialistes britanniques. La pression est énorme et la vie commune
entre les deux classes est difficile. Il existe bien des forces intermédiaires.
Au Béloutchistan, le peuple, se sentant laissé pour compte, a
mis sur pieds, ces dernières années, des mouvements de résistance.
Les Pachtounes réclament un Afghanistan indépendant et s'opposent
aux relations d'amitié qui lient les généraux pakistanais
et les Etats-Unis.
Une guerre civile entraînerait des dommages collatéraux effroyables
et des pays comme l'Inde et l'Iran seraient touchés. Une telle guerre
serait impossible à contrôler par les Etats-Unis et les troupes
de l'OTAN. Il suffit de regarder ce qui se passe en Irak et en Afghanistan.
Les différentes ailes de l'élite pakistanaise sont bien conscientes
du danger et se montrent de plus en plus nationalistes. En outre, les pays voisins
tels que la Chine et l'Inde, ont besoin de se développer grâce
à un climat paisible dans la région.
La Chine, particulièrement, applique une politique de stabilisation intensive
dans la région. Elle est aujourd'hui le troisième partenaire du
Pakistan. Le commerce entre les deux pays augmente à un rythme de 30%
l'an et depuis janvier 2006 une zone de libre-échange a été
instituée entre les deux pays. La taxéè d'importation a été
supprimée des deux côtés pour un grand nombre de produits.
J'ai déjà parlé des investissements chinois dans le port
de Gwadar. Les neuf premiers mois de 2006, les entreprises chinoises ont investi
pour 8,6 milliards de dollars de contrats de projets de construction. De plus,
la Chine encourage le libre échange entre le Pakistan et l'Inde et leur
donne d'ailleurs l'exemple. Ainsi, la Chine, malgré de longues années
de problèmes frontaliers avec l'Inde, a fait l'effort de négocier
sérieusement et de redessiner une frontière clairement déterminée.
La Chine est aussi le deuxième partenaire le plus important de l'Inde.
Le commerce et les projets économiques sont les meilleurs facteurs de
stabilité.
Comment le peuple pakistanais pourrait-il sortir de la misère?
Mohamed Hassan. En en finissant
avec l'héritage du colonialisme dont ils sont encore prisonniers actuellement.
L'Inde et le Pakistan forment un seul pays, la seule différence est la
religion. Mais n'oublions pas que l'Inde d'aujourd'hui, après l'Indonésie
avec ses 200 millions de musulmans, est toujours le deuxième plus grand
pays musulman au monde.
Les deux pays présentent un intérêt et des possibilités
économiques réels pour la Chine et ils ont tous deux intérêt
à construire des relations de confiance avec elle. Et finalement, la
plus importante réforme dont les deux pays ont besoin pour voir démarrer
leur économie est de se débarrasser de la conception féodale
de la possession du territoire. Une véritable réforme agraire
doit avoir lieu permettant aux paysans de travailler pour leur propre compte.
Livres de bases sur l'Inde et le Pakistan:
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