Pakistan
Par Ignacio Ramonet
Au Proche et au Moyen-Orient, les ondes d’instabilité
provoquées, après les attentats du 11-Septembre, par la «
guerre contre le terrorisme international » ne cessent de convulsionner
de nouveaux pays. Dernier en date : le Pakistan. Près de cinq ans après
la prise de Bagdad, le panorama géopolitique régional apparaît
désolant. A l’impasse militaire s’est ajoutée une
cascade de désastres diplomatiques. Sans que le risque terroriste, contrairement
à l’objectif défini par Washington, ait diminué.
Aucun des conflits – Israël-Palestine, Liban, Somalie – n’a
été résolu. En Irak, malgré la présence de
quelque cent soixante-cinq mille militaires américains, les perspectives
paraissent toujours aussi incertaines. La vie quotidienne pour les civils demeure
un enfer. Les attentats meurtriers se succèdent. De surcroît, une
tension nouvelle est apparue à la frontière entre le Kurdistan
irakien et la Turquie, où pourraient s’affronter deux alliés
de l’Oncle Sam.
Autre paradoxe, les interventions américaines ont eu
pour effet de débarrasser l’Iran – « pire ennemi des
Etats-Unis » – de deux grands adversaires : le régime baasiste
en Irak, et celui des talibans en Afghanistan. Rarement un rival aura ainsi
apporté tant de bienfaits à son ennemi principal... Cela a permis
à Téhéran de se concentrer sur son programme nucléaire.
Soulevant les pires craintes. Les Etats-Unis et Israël menacent désormais
de bombarder les installations atomiques iraniennes. Ce qui ajouterait du chaos
au grand chaos régional, et entraînerait des hausses des prix du
pétrole insupportables pour de nombreuses économies.
En Afghanistan, les forces de l’Organisation du traité
de l’Atlantique nord (OTAN) sont sur la défensive. Disposant sur
place de plus de quinze mille hommes, les Etats-Unis réclament de leurs
alliés, dont la France, l’envoi de troupes supplémentaires.
Car les talibans ont repris l’initiative, les attentats-suicides se multiplient,
la culture du pavot et l’exportation d’opium explosent. La reconstruction
se fait au ralenti, et les institutions « démocratiques »
s’affaiblissent. Contrôlées par des « seigneurs de
la guerre », les provinces prennent de plus en plus leurs distances avec
le gouvernement de Kaboul. « Si nous partons, admet un diplomate occidental,
Hamid Karzaï [président de l’Afghanistan] ne tient pas dix
jours (1).
» C’est dans ce contexte géopolitique si instable qu' un
des fermes appuis du président George W. Bush dans la région vient
de céder au Pakistan. La proclamation de l’état de siège
à Islamabad, le 3 novembre dernier, par le général Pervez
Moucharraf est en effet un grave aveu de faiblesse de celui-ci, qui a déclenché
l’alerte rouge à Washington.
Auteur déjà d’un coup d’Etat en 1999,
le général Moucharraf avait été enrôlé
en toute hâte par les Etats-Unis, fin 2001 – et sous la menace,
comme il l’a lui même raconté, de voir son pays vitrifié
par une attaque nucléaire massive –, dans la guerre contre le régime
des talibans et contre les bases afghanes d’Al-Qaida. Le gouvernement
de M. Bush faisant mine de ne pas percevoir de contradiction dans le fait de
s’allier à un dictateur pour « instaurer la démocratie
» en Afghanistan.
De cette alliance, M. Moucharraf a obtenu un certificat de
respectabilité internationale, ainsi qu' environ 11 milliards de
dollars pour mieux équiper son armée et ses forces de répression.
Le Pakistan, un pays de quelque cent soixante-sept millions d’habitants,
est le seul Etat musulman qui détienne l’arme atomique ; il peut
la projeter à deux mille cinq cents kilomètres grâce à
des missiles de longue portée. Ces données lui confèrent
une importance stratégique d’autant plus énorme qu' il
est situé à l’intérieur du « foyer perturbateur
» du monde et à la lisière des crises afghane, iranienne
et proche-orientale.
L’immense frayeur, à Washington et dans d’autres
chancelleries, c’est que les islamistes pakistanais, alliés aux
talibans, finissent par s’emparer des rênes de l’Etat et mettent
la main sur l’arme atomique. Détesté par le pouvoir judiciaire,
le général Moucharraf vient de museler les principaux médias
et s’en est pris aux deux principaux partis de l’opposition, celui
de M. Nawaz Sharif et celui de Mme Benazir Bhutto. Son impopularité fait
de lui, malgré les apparences, le maillon faible du système politique.
L’objectif de la diplomatie américaine est donc, à court
ou à moyen terme, de le remplacer. Non pas par Mme Bhutto ou M. Sharif,
lesquels, au mieux, serviront à donner le change « démocratique
». Mais par un autre homme fort, peut-être le général
Ashfaq Kiani. Tenu en laisse par les Américains.
(1) El País, Madrid,
25 octobre 2007.
http://www.monde-diplomatique.fr/2007/12/RAMONET/15395
- décembre 2007
sommaire