Le Népal sort du moyen-âge et de la colonisation
US
Sara Flounders
Workers World (USA), 27 avril 2008
La défaite de la monarchie, des forces féodales
corrompues, des partis promonarchistes et du Parti capitaliste népalais
du Congrès (qui soutenait lui aussi la monarchie), est un sale coup porté
à à la domination des Etats-Unis sur ce pays stratégique
de 27 millions d’habitants, limitrophe de la Chine. Il est peu vraisemblable
que Washington accepte sans tenter d’intervenir l’actuel bouleversement
massif que connaît le pays.
Les sondages préélectoraux commandités
par l’ambassade des USA à Katmandou, la capitale du Népal,
donnaient aux maoïstes 8 à 10 % à peine des votes populaires.
La couverture médiatique occidentale et indienne prévoyait également
une généralisation de la violence, des intimidations et des falsifications
électorales.
Malgré le fait que le décompte final des votes
ne sera pas confirmé avant deux ou trois semaines, il est déjà
clair que, des 55 partis politiques qui participaient aux élections,
le PCN(M) a remporté haut la main ces dernières et qu' il
a acquis 122 des 240 sièges directs, soit plus de la moitié. 122,
un nombre plus de trois fois supérieur au nombre de sièges du
Parti centriste du Congrès du Népal ou du parti social-démocratique
de gauche connu sous le nom de Parti communiste du Népal (UML), deux
partis qui avaient déjà siégé au Parlement, sous
le roi.
Les votes additionnés de la principale gauche parlementaire
et de plusieurs autres partis de gauche assureront un bloc potentiel, dirigé
par le PCN(M) de plus de deux tiers des sièges. Les partis monarchistes
ont reçu trop peu de votes pour s’assurer le moindre siège.
Bien que le décompte ne soit pas encore terminé en ce qui concerne
les délégués élus à la proportionnelle, il
est déjà confirmé que le PCN(M) remporte plus de 100 des
335 sièges concernés par cette proportionnelle.
Le vote signifie la fin de la monarchie féodale et l’instauration
d’une république démocratique, fédérale et
séculière (laïque), avec d’importants nouveaux défis
en perspective.
La composition révolutionnaire de l’Assemblée
Le PCN(M) n’a accepté un cessez-le-feu qu' en
juin 2006, au cours de la guerre populaire de dix ans, après avoir eu
toutes les garanties de la mise en place d’une assemblée constituante,
tant dans son caractère que dans ses structures. La composition du nouveau
corps indique qu' il revêtira un caractère révolutionnaire
quelle que soit l’appartenance des délégués qui y
siégeront.
Dans l’attribution des sièges à la proportionnelle,
les femmes doivent constituer 50 pour cent des délégués
et 33 pour cent de l’effectif total de l’Assemblée. C’est
un accomplissement absolument remarquable, vu le bas statut de la femme au Népal.
Le Népal compte 40 nationalités et 7 langues
principales, sur un total de… 125. Les minorités ethniques doivent
être toutes représentées substantiellement à l’Assemblée.
Les dalits et les castes les plus opprimées sont également assurés
d’avoir des sièges à l’Assemblée.
La monarchie et l’ancien État insistaient sur
le fait qu' il n’y avait qu' une seule langue et un seul peuple,
au Népal. De la sorte, ils ignoraient et laissaient sans représentation
l’écrasante majorité de la population.
qu' un tel ensemble de peuples opprimés puissent
enfin bénéficier d’une représentation, non pas selon
le schéma qui a toujours prévalu jusqu' à présent,
mais dans la perspective de sortir de nouvelles lois et de créer de nouvelles
structures allant bien davantage à la rencontre de leurs besoins, signifie
que des changements plus importants encore se profilent à l’horizon.
La revendication portant sur l’élection d’une
assemblée constituante en vue de promulguer une constitution absolument
nouvelle s’est muée en un puissant mouvement de masse. Les masses
ont perçu la chose comme un référendum national susceptible
de mettre enfin un terme au pouvoir de la classe féodale et à
une monarchie répressive particulièrement impopulaire.
Même avec une victoire électorale aussi large,
il est peu vraisemblable qu' on assistera à une transition sans
anicroches. Le PCN(M) va désormais diriger le ministère de la
Défense et gérer une armée qu' il a combattue durant
dix ans.
Prachandra, le leader du PCN(M), dont la tête, jusqu' à
présent, était mise à prix, va sans doute devenir le futur
président du Népal.
Les forces archaïques qui ont dirigé le Népal
durant des centaines d’années n’avaient d’autre choix
que celui d’accepter les élections présentes qui, pour la
toute première fois, ne concernent pas des sièges au sein d’une
structure existante favorisant les classes des gros propriétaires terriens
et des nantis. Les grèves générales massives et les manifestations
de masse qui n’ont cessé de s’amplifier pour aboutir à
un soulèvement de 19 jours, en avril 2006, ont accéléré
l’effondrement du gouvernement existant. Un accord en huit points a été
signé en vue de l’instauration d’un cessez-le-feu, de l’installation
d’un gouvernement intérimaire et des premiers préparatifs
des élections vers une assemblée constituante.
Le soulèvement dans les villes a été précédé
par une résistance armée bien organisée, reposant sur la
paysannerie et qui a duré de 1996 à 2006. Elle s’est développée
au point de contrôler plus des trois quarts des régions rurales.
District après district, dans les campagnes appauvries et sous-développées,
le mouvement dirigé par le PCN(M) s’est concentré sur des
réformes agraires radicales, sur l’annulation des dettes des paysans,
sur l’égalité des sexes et sur la représentation
politique des nationalités opprimées.
La détermination du PCN(M) à vouloir court-circuiter
le vieux salon à commérages parlementaires de Katmandou et à
réclamer une assemblée constituante absolument neuve rappelle
l’expérience de l’Assemblée nationale constituante
du tiers état lors de la Révolution française de 1789 ainsi
que le rôle des conseils des soviets de travailleurs et paysans de la
révolution russe de 1917. C’est également une puissance
réaffirmation de ce que les tactiques de la guerre populaire et de la
mobilisation de la paysannerie sont toujours de mise au 21e siècle.
Les buts affirmés du PCN(M) sont de travailler par le
biais des organisations de masse et du processus de l’Assemblée
constituée pour décider du caractère de l’État.
Actuellement, 80 pour cent de la population travaille dans l’agriculture
de subsistance. Les demandes populaires en vue d’annuler les dettes des
campagnards pauvres et de pratiquer des réformes agraires seront présentées
devant l’Assemblée.
Au Népal, il n’existe que des écoles privées,
actuellement. L’éducation publique est donc la première
des urgences. Plus de 80 pour cent de la population n’a pas accès
à l’électricité et à l’enseignement.
La première campagne nationale consistera donc à organiser la
pleine alphabétisation dans les cinq années à venir et
à procéder à l’électrification du pays dans
les dix ans.
Bien que la majorité de la population népalaise
soit désespérément pauvre et qu' un tiers de cette
même population vive avec moins d’un dollar par jour, le pays est
riche en ressources non encore développées. Il possède
des ressources minérales : or, cuivre, fer, pétrole et gaz naturel.
Ses ressources hydrographiques sont énormes et ses basses terres très
fertiles sont même en mesure de produire trois récoltes par an.
Le PCN(M) et les forces qui luttent pour un changement révolutionnaire
au Népal vont être confrontés à une tâche impressionnante.
Le Népal est isolé, sans accès à la mer et presque
totalement sous-développé. Même les améliorations
les plus rudimentaires du niveau de vie vont se heurter aux aléas du
capitalisme mondial et à la hausse des prix du carburant, des matériaux
de construction et de la nourriture.
L’intervention américaine
après le 11 septembre 2001, l’impérialisme
américain s’est affirmé plus que jamais sur le plan mondial.
Washington a placé le PCN(M) sur sa liste du « terrorisme »
et a envoyé des conseillers militaires américains afin d’aider
les forces féodales du Népal, fournissant également un
tiers du budget national népalais. Sur les 13.000 morts de la lutte populaire
contre la monarchie, qui a duré de 1996 à 2006, plus de deux tiers
l’ont été après que l’intervention américaine
de 2001 eut favorisé l’intensification du massacre.
En contradiction avec le message américain bidon concernant
le grand respect des droits de l’homme chez les voisins tibétains,
le Pentagone s’est précipité sur le Népal pour lui
fournir des hélicoptères de combat, des équipements de
vision nocturne, des M-16, des tonnes de munitions et tout un attirail de technologie
militaire afin de combattre l’insurrection paysanne. Actuellement, le
PCN(M) figure toujours sur la liste du « terrorisme » de Washington.
Dans une interview donnée à Global Eco Politics le du 13 février
2007, l’ambassadeur américain Moriarty comparait l’attitude
à l’égard des relations avec le PCN(M) à l’approche
hostile des États-Unis envers le gouvernement démocratiquement
élu du Hamas en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
L’impérialisme américain a une fois de
plus témoigné sa profonde hostilité à tout gouvernement
élu qui ne sert pas ses intérêts. Il soutient ou fomente
des coups d’État contre des gouvernements démocratiquement
élus au Congo, au Chili, au Nicaragua, au Salvador, au Venezuela, au
Liban, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Dans un effort pour contrecarrer
et vaincre des mouvements populaires pour le changement, le pouvoir des multinationales
américaines a recouru à des tactiques telles que le sabotage,
la strangulation économique, les sanctions, l’invasion, l’équipement
et l’entraînement de gangs de contras composés de propriétaires
terriens et de nantis ou encore la mise sur pied et l’orchestration de
coups d’État militaires.
L’Assemblée constituante ouvre désormais
de nouvelles possibilités révolutionnaires au Népal. Ce
processus en cours est susceptible d’avoir un impact profond à
travers l’Asie du Sud, où la majorité de la population est
toujours constituée de paysans de plus en plus pauvres confrontés
au marché capitaliste mondial.
Traduit par Jean-Marie Flémal pour Investig'Action
http://www.workers.org/2008/world/nepal_0501/index.phpl
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