La mort de Bhutto, un épisode de la stratégie du
Grand Moyen-Orient
Tiberio Graziani
Canzano : Benazir Bhutto,
une mort annoncée ?
Graziani : Certainement,
oui. On pouvait s’y attendre. Souvenons-nous que l’arrivée
de B. Bhutto au Pakistan, le 18 octobre dernier, après plusieurs années
d’exil volontaire et doré entre Londres et Dubaï, fut salué
par un attentat qui coûta la vie à 130 personnes environ…
Canzano : L’homicide
vient-il d’un projet de déstabilisation ?
Graziani : La mort
cruelle de Benazir Bhutto est un des épisodes qui constellent une stratégie
bien précise : celle de la déstabilisation du Proche et Moyen
Orient, en cohérence avec la reformulation récente du projet étasunien
du Grand Moyen Orient des débuts de l’administration Bush. Le projet
du Greater Middle East ou aussi Broader Middle East (Moyen Orient élargi)
a été introduit, comme proposition, pour donner un tournant radical
à la politique vers le Proche et le Moyen Orient, pendant le sommet du
G8, en 2004. L’idée cependant remonte aux accords d’Helsinki
de 1975. Il vaut la peine de re-parcourir la genèse de cette nouvelle
reformulation qui se traduit, en termes simplifiés, par la création
d’un nouvel arc d’instabilité conformément aux directives
de Zbigniew Brzezinski, le théoricien du piège afghan contre l’Union
soviétique et de l’utilisation des talibans en fonction antisoviétique.
Nombre des cadres actuels de l’organisation d’Ossama Ben Laden ont
été entraînés et recrutés par Washington à
l’époque de la guerre soviéto-afghane. Un mois donc avant
la rétorsion israélienne agressive contre le Liban de juillet
2006, Condoleeza Rice a reformulé le vieux projet du Grand Moyen-Orient
en le dénommant « Nouveau Moyen-Orient ». Cette même
secrétaire d’Etat, pendant les jours de la guerre israélienne
contre le Liban, informa les médias avec le premier ministre israélien
Olmert qu' a u Liban avait été lancé un projet pour
un « nouveau » Moyen-Orient. Actuellement, après la pénétration
armée en Afghanistan et en Irak, les intérêts géostratégiques
des anglo-américains et de leurs alliés occidentaux se concentrent,
au nord, vers l’aire centrasiatique, pour contenir et aiguillonner les
intérêts géopolitiques de la Russie, et pour tester le dispositif
eurasiatique de sécurité mis en acte par l’Organisation
de Shanghai (SCO) ; et au sud-est pour limiter certaines prises de position
de l’allié de toujours, le général Musharaff. Il
faut se souvenir qu' en juin 2006, justement, le Pakistan et l’Iran
ont été invités comme observateurs de la SCO. Auparavant,
en février, le Pakistan avait avancé sa propre candidature comme
membre effectif. L’adhésion du Pakistan est soutenue évidemment
par la Russie à condition que l’Inde aussi, actuellement observateur,
devienne membre effectif de l’Organisation de Shanghai. Si cela se réalisait,
l’axéè historique Washington-Islamabad serait rompu. D’où
l’initiative du « Nouveau Grand Moyen Orient ».
Les USA veulent un Pakistan déstabilisé, à mettre, dans
le meilleur des cas, sous la tutelle de l’ONU, ou à occuper, comme
dans les cas de l’Afghanistan et de l’Irak. L’attentat contre
B. Bhutto a suscité une grande préoccupation à Moscou.
De fait, selon certaines agences, la Russie a condamné « avec force
» l’attentat d’aujourd’hui (27 décembre). En
particulier, Mikhail Kaminin, porte parole du ministère des Affaires
Etrangères, en souhaitant que « les dirigeants du Pakistan arrivent
à prendre les mesures nécessaires pour garantir la stabilité
du pays », a rappelé que Moscou « avait plusieurs fois averti
de prêter attention au fait que les autorités pakistanaises auraient
du s’employer au maximum pour garantir la stabilité dans le pays
dans cette période cruciale ». Selon le vice-ministre des Affaires
étrangères, Aleksandr Lossiukov, « un tel attentat peut
devenir un énième facteur d’instabilité dans un pays
déjà fragile à la veille d’élections importantes
».
Canzano : Le retour
de Bénazir Bhutto était-il vu comme un déblocage alternatif
vers la démocratie ?
Graziani : Oui, le
retour de Bhutto a été « lancé » médiatiquement
comme une opportunité démocratique pour le Pakistan. On a fait
passer ad arte le message que grâce à Bhutto allait s’ouvrir
pour le Pakistan une ère nouvelle, c’est-à-dire qu' il
était possible de réaliser l’irréalisable, à
savoir un Pakistan laïc et démocratique. Quand au contraire cet
avortement géopolitique qu' est le Pakistan a été
créé par les puissances occidentales justement sur une base confessionnelle.
Canzano : Pervez Musharraf devait-il accepter avec l’arrivée de
Bhutto d’être un demi-leader ?
Graziani : Musharraf
joue sur deux tableaux. Il a consenti à quitter son uniforme et à
fixer la date des élections présidentielles, comme lui avait conseillé
Negroponte, l’émissaire de Bush et de Condoleeza Rice, et ex-homme
fort de Reagan en Amérique du Sud. Le général pakistanais
est cependant un homme de pouvoir qui n’acceptera jamais un rôle
de second plan. Pour cette raison aussi, en ce moment, il est, peu fiable pour
Washington.
Canzano : Le Pakistan
en 1947 devient indépendant de l’Inde britannique et ensuite ?
Graziani : Le Pakistan,
plus que devenir indépendant, a été créé
ex-novo en tant que nation musulmane par les puissances occidentales qui n’arrivent
pas à contenir dans le Raj britannique, les tendances sécessionnistes
dirigées par les nationalistes musulmans. Son nom même est un acronyme
qui, inventé, dans les années Trente, par un jeune nationaliste
musulman, Choudary Ramat Ali, est pris par le nouvel organisme en 1947, quand
il se détache de l’Inde. A cette époque le Pakistan était
formé de deux entités géographiques, le Pakistan occidental
et celui oriental, l’actuel Bangladesh, séparées de quelques
milliers de kilomètres par le territoire indien.
Le Pakistan a connu, au cours de sa brève histoire de soixante ans à
peine, au moins trois cycles géopolitiques. Un premier cycle va de 1947
à 1971, quand le Bangladesh conquit son indépendance. Pendant
ces années là, le Pakistan joua un rôle important dans le
cadre de la doctrine Truman, de contention de l’Urss : il est, de fait,
membre des deux systèmes distincts d’alliances : CENTO (Pacte de
Bagdad) et OTASE (Pacte de Manille).
après l’indépendance du Bangladesh, le Pakistan, d’un
point de vue géopolitique, se réoriente vers le Proche-Orient
et le monde musulman du Golfe. Sur la fin des années 70, avec la révolution
iranienne et l’invasion soviétique de l’Afghanistan, Islamabad
se confirme à nouveau comme un allié privilégié
pour les USA. Un troisième cycle s’est ouvert avec l’effondrement
de l’Union Soviétique. Le Pakistan, pendant ces dernières
années, semble vouloir renforcer ses rapports avec les républiques
centrasiatiques, dont il deviendrait la voie privilégiée vers
l’Océan indien : une voie qui étant fonctionnelle aux intérêts
eurasiatiques de la SCO, est contrecarrée par Washington et Londres.
Ce qui arrive aujourd’hui au Pakistan est le miroir des tensions en cours
dans le Myanmar.
Canzano : Les frontières
avec l’Afghanistan sont-elles à risque ?
Graziani : Dans une
perspective d’occupation du Pakistan par le forces occidentales, oui certainement.
Canzano : Les élections
du 8 janvier sont-elles à risque ?
Graziani : il est
difficile de faire des prévisions.
http://www.policamentecoretto.com/index.php?nexs=1970
giovanna.canzano@email.it
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
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