Peut-être est-ce que c’est nous qui ne voulons
pas comprendre. Peut-être que c’est vrai que nous sommes en Afghanistan
pour une mission de paix.
Ça c’est les idioties que disent les puissants de la terre et leurs
valets. La guerre continue depuis plus de trente ans en Afghanistan, qui a traversé
de nombreuses phases et occupations, des russes aux saoudiens, des américains
aux italiens, tout le monde a joué ses cartes sur la peau du peuple afghan.
Maintenant nous sommes en présence d’une nouvelle occupation d’un
pays qui, comme tous les autres pays, ne supporte pas les occupations militaires
étrangères. La première a eu lieu, si je me souviens bien,
en 1804, avec Pierre le Grand, pour se poursuivre par les trois guerres anglaises.
Quand un afghan voit passer un militaire étranger il ne se demande pas
s’il est sous l’égide de l’Onu, il sait seulement qu' il
est prêt à bombarder une maison où il y a des vieilles femmes
et des enfants parce que peut-être là qu' habite l’ami
d’un taliban.
L’Afghanistan a changé, nous dit-on, il est en
train de renaître après l’arrivée de l’armée
du bien.
Hors de Kaboul rien n’a changé, la présence je ne saurais
pas dire si c’est des talibans ou des pashtoun, se renforce dans tout
le pays. Bien sûr, Kaboul a beaucoup changé. Elle est devenue plus
violente, la criminalité est au zénith. Dans nos hôpitaux
nous n’avions jamais soigné autant de gens poignardés. Les
prix des maisons ont décuplé, le coût de la vie quintuplé.
La pollution en ville est telle que les gens circulent avec des masques comme
le personnel médical dans les services hospitaliers. Et puis, il y a
une autre guerre qui a éclaté : chaque jour, il y a en moyenne
cinq enfants qui meurent sous des engins militaires. Pour la première
fois à Kaboul, la prostitution a fait son apparition.
Comme à Belgrade après la guerre humanitaire.
La prostitution est un trousseau apporté par chaque guerre.
Que font nos troupes à Kaboul et combien nous coûtent-elles ?
En cinq ans à peu près, elles ont opéré sous divers
sigles, mais toujours avec le même objectif : donner un coup de main
à la mission américaine. Nos soldats font des patrouilles avec
des mitraillettes prêtes à tirer ou restent enfermés sur
les bases. Ça nous coûte plus de 300 millions d’euros rien
que pour la partie militaire de la mission. A Emergency nous avons trois hôpitaux
qui nous coûtent 6 millions d’euros, pense à ce qu' on
pourrait faire avec tout cet argent. Les italiens sont à Kaboul aussi
pour des raisons « pacifiques » : avec ce qu' il
en est de la justice en Italie nous sommes en train de reconstruire la nouvelle
justice afghane (voir en fin d’article, ndt).
Mais maintenant les femmes peuvent voter.
Tu sais comment on vote en Afghanistan ? Chez nous à l’hôpital,
le personnel afghan a fait un concours pour qui arriverait à voter le
plus. Celui qui a gagné avait mis 17 votes dans les urnes. Le deuxième
candidat après Karzaï, Qanouni, qui est président du parlement
maintenant, m’a parlé de bulletins agrafés par 100 « pour
faciliter le scrutin ». Les bulletins de Kandahar étaient
transportés à Kaboul par les marines.
qu' est-ce que tu attends du gouvernement de l’Unione ?
qu' il fasse enfin le choix constitutionnel. L’article 11 ne laisse
le choix à aucun politique de décider si une guerre est bonne,
mauvaise, juste, humanitaire. L’Italie refuse la guerre, un point c’est
tout. J’attends le retrait immédiat de toutes les missions. Aucune
d’elles ne respecte le Statut de l’Onu. qu' on démilitarise
le territoire et la politique, qu' on arrête les dépenses
en armements et qu' on investisse dans l'éducation, la culture,
la santé. Sais-tu que dans tout l’Afghanistan, pour 25 millions
d’habitants, il y a six lits de réanimation, ceux d’Emergency ?
En Italie les ouvriers de la métallurgie doivent faire grève sur
grève pour une augmentation de 100 euros, et ici on en dépense
300 millions pour entretenir nos troupes à faire la guerre.
Ce serait être irresponsables, nous dit-on, d’abandonner l’Afghanistan.
Ce serait le chaos.
On risquerait un chaos ? Mais est-ce possible d’avoir un pire chaos
là où , que ce soit Kaboul ou Nassiryia, un enfant se bourre d’explosifs
et se tue pour tuer d’autres personnes ? Tant qu' il restera
un seul soldat étranger en Irak ou en Afghanistan la situation ne pourra
qu' empirer. A Bagdad il faudra au moins trente ans, non pas pour revenir
à la normalité ou à la démocratie, mais pour revenir
à l’époque de Saddam Hussein.
Edition de mercredi 10 mai 2006 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/10-Maggio-2006/art29.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Site de Emergency
http://www.emergency.it/index2.php
Voir aussi article dans Le Courrier : Les perroquets verts se taisent aussi,
http://www.lecourrier.ch/print.php?sid=38604
A propos de l’appareil judiciaire afghan, voir
aussi :
« La coopération italienne en Afghanistan s’effectue
en fait aussi à travers des programmes gérés par l’Onu
qui ont pour objectif de renforcer les nouvelles institutions. On a confié
à l’Italie, en particulier, la réforme du système
judiciaire et la formation des juges. C’est le Bureau italien de justice
fondé en 2003, et dirigé par l’ambassadeur Jolanda Brunetti
Goetz, qui s’en occupe ». Voir l’article de Gabriele
Carchella, dans Lettera22 :
http://www.lettera22.it/showart.php?id=4838&rubrica=187
« L’élargissement de l’Isaf
(International security and assistance force, envoyée par l’Onu
et dirigée par l’Otan ; que fait l’Otan en Afghanistan ??
ndt) a été décidé la semaine dernière au
dernier sommet des ministres des affaires étrangères de l’Alliance
Atlantique. Il faut libérer autant de marines qu' il est possible
de la chasse aux talibans dans le sud et l’ouest du pays, les zones où
la guérilla est la plus forte. L’Otan a décidé pour
cette raison de « renforcer » les règles d’engagement
de l’Isaf (auparavant limitées à la zone de Kaboul), de
doubler le contingent de la mission et d’envoyer ses soldats dans les
zones les plus dangereuses. Tâche pour laquelle, d’ après
de nombreux experts militaires, l’Otan n’est pas prête ».
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/06-Maggio-2006/art23.html
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