La Chine prépare une nouvelle loi sur le droit du travail
Interview : de Peter Franssen par Pol De Vos
Quelle est la teneur de cette loi ?
Peter Franssen. La
loi stipule que patrons et syndicats doivent négocier des conventions
collectives de travail sur pied d’égalité. Lors de l’embauche
d’un travailleur, la période d’essai ne peut excéder
un mois, après quoi il a droit à un contrat fixe. Le licenciement
collectif nécessite l’accord du syndicat. Cette loi impose en outre
un contrôle sévère du respect de la législation du
travail existante, comme la semaine de travail de 44 heures, la semaine de cinq
jours, le salaire minimum, le paiement des heures supplémentaires. En
cas d’infraction, le patron encourt une amende voire une peine d’emprisonnement
sévère.
Comment ont réagi les patrons ?
Peter Franssen. Pour
les patrons américains et ouest-européens qui ont investi en Chine,
cette loi « met en péril les valeurs traditionnelles de l’entreprise
», sous-entendu les patrons vont perdre une grande partie de leur pouvoir
de décision. Ils essaient aussi de faire du chantage. Keyong Wu de la
Chambre de Commerce britannique a dit textuellement : « Nous sommes venus
en Chine pour les faibles coûts salariaux et la flexibilité. S’ils
disparaissent, nous irons en Inde, au Pakistan ou au Bangladesh. »
Comment les Chinois réagissent-ils face au chantage
?
Peter Franssen. Avec
calme. Ils vont peut-être apporter quelques petites modifications à
la loi mais le fond restera inchangé. A la fin des années ‘70,
lorsque la politique de réformes a commencé, ils se trouvaient
dans une position d’infériorité. Ils avaient absolument
besoin des investisseurs américains, japonais et européens ainsi
que de leurs capitaux, technologies et techniques de gestion s’ils voulaient
progresser. Aujourd’hui, la situation est un peu plus équilibrée.
En octobre, le groupe français Alstom a signé un contrat avec
une entreprise d’état pour la construction de 500 locomotives ultramodernes
et ultraperfectionnées. La direction d’Alstom craint que la Chine
ne la chasse bientôt et ne devienne un exportateur plutôt qu' un
importateur de locomotives ultramodernes. Mais, ajoute-t-elle, « nous
n’avons pas le choix. Si nous n’acceptons pas le transfert de technologie,
nous n’obtiendrons aucun contrat avec la Chine. »
Le mois dernier, la Chine a lancé une production en masse d’ordinateurs
avec processeur « made in China » qui n’a rien à envier
aux derniers processeurs japonais ou américains. Ces ordinateurs seront
vendus au prix de 100 euros. Soit huit fois moins que chez nous ! Les Chinois
ont acquis la technologie en observant la manière dont les investisseurs
étrangers ont développé la leur.
Pour l’instant, la Chine achète toujours ses avions à Airbus
en Europe et à Boeing aux USA mais en 2008 le pays produira ses propres
avions de passagers.
Les Chinois peuvent à présent imposer des conditions aux investisseurs
étrangers. Même s’ils ne peuvent pas imposer tout ce qu' ils
voudraient, leur position est de plus en plus forte. Le révolutionnaire
russe Lénine a dit un jour : « Les capitalistes étrangers
font tout pour l’argent. Ils essaient même de nous vendre la corde
avec laquelle nous les pendrons. » C’est un peu ce qui s’est
passé en Chine ces dernières années.
Cette nouvelle loi n’est-elle pas la preuve que
la législation sociale existante est insatisfaisante ?
Peter Franssen. La
législation existante va beaucoup moins loin et est difficilement contraignante.
Mais les Chinois sont aussi très conscients des erreurs qu' ils
ont commises. Dans les années ‘80 et ‘90, ils ont parfois
été unilatéraux. A l’époque, leurs seules
préoccupations étaient la croissance économique et l’élévation
du niveau de vie. Ils ne se souciaient pas assez des conditions de travail,
et notamment celles des migrants nationaux, c-à-d les paysans qui ont
migré vers les villes pour travailler dans l’industrie. Ils sont
150 millions – soit un cinquième de la population active. Plus
de la moitié sont contraints de faire des heures supplémentaires,
trop peu rémunérées voire pas du tout. Plus de la moitié
travaillent six jours par semaine. Leur revenu est inférieur à
celui des autres travailleurs. « Si la nouvelle loi sur le travail entre
en vigueur et qu' elle est mise en application, les salaires de ces migrants
augmenteront au moins de moitié », explique Anita Chan, spécialiste
en relations collectives du travail à l’Université Nationale
d’Australie.
Pour rectifier les erreurs du passé, le gouvernement fait appel aux travailleurs
eux-mêmes. La nouvelle loi a d’abord été soumise à
la population qui devait donner son avis. Le gouvernement a reçu 190.000
mails et lettres contenant des propositions. Le parlement est occupé
à les examiner. C’est une forme de mobilisation. Les autorités
veulent donner de nouveaux moyens légaux aux travailleurs et les encourager
à s’en servir.
Sans le syndicat, cela ne marchera pas...
Peter Franssen. Cette
année, le syndicat a déjà affilié près de
6 millions de nouveaux membres, des migrants pour la plupart. Il y a quelques
mois, le syndicat est parvenu à créer des sections dans les 62
magasins de la chaîne américaine Wal-Mart. Un coup dur pour Wal-Mart
qui interdit toute représentation syndicale dans ses magasins même
aux Etats-Unis. On peut lire dans la presse des dizaines d’articles sur
la manière dont cela s’est passé ainsi que sur les moyens
clandestins que le syndicat a dû employer, mais aussi sur l’exploitation
des migrants, les salaires impayés, l’insécurité
et l’absence d’hygiène dans les usines et les mines, les
heures supplémentaires forcées... Le tout accompagné de
témoignages, reportages, photos. Et à chaque fois, on peut lire
entre les lignes l’appel lancé aux travailleurs pour obliger les
patrons à respecter la loi.
source http://www.ptb.be/scripts/article.phtml?lang=2&obid=33012
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