la Chine 2011 : réussites et faiblesses.
CONFERENCE-DEBAT
organisée par la POLEX le vendredi 13 mai 2011.
Participation :
Dominique Bari journaliste à l'Humanité
Kléber Ghimire et Marc Troisvallets, économistes (Université de Grenoble III
et Revue - Informations & commentaires).
Catherine Lévy chercheur-retraitée du CNRS.
Animateur-introducteur de la conférence-débat : Jean Paul Le Marec
Retranscription-tapuscrit : Jean-Louis Glory et Harana Pare
envoyer à un ami

JPL : Je remercie les uns et
les autres pour leur participation à cette conférence-débat
présente, voulue et organisée par la Polex sur le thème :
la Chine 2011 : réussites et faiblesses. Des camarades excusés
sont absents. Nous leur ferons une synthèse de nos discussions ; pour
commencer, nous donnons la parole à nos invités chercheurs-universitaires,
spécialisés sur la Chine, qui ont bien voulu accepter généreusement
de venir partager avec nous, leurs connaissances de ce géant qu' est
la Chine ; après quoi la salle pourra intervenir dans le débat.
Je ferai juste une petite introduction sous forme de questions : la Chine,
contrepoids aux impérialismes ? Le développement de la Chine,
est-ce du communisme ou du capitalisme ? Et ce développement se
fait-il au bénéfice des travailleurs ou contre eux ? Tel
était notre questionnement il y a cinq ans.
Cette problématique est toujours d'actualité à quelques
mois du congrès du PCC en novembre 2012. Cinq ans après, le rôle
de la Chine sur le plan international a augmenté. Le FMI disait l'an
dernier que la Chine serait le leader économique mondial en 2015 ;
ce qui inquiète beaucoup de pays dont, bien sûr, les USA.
Quelques interrogations pour ouvrir le débat : - Le choix de la croissance
économique rapide a diminué la pauvreté mais accentué
les inégalités sociales. Est-ce que la Chine va changer d'orientation
pour une croissance plus équitable ? Que fait la Chine actuellement pour
combler le fossé entre les régions riches et les régions
pauvres ? Ou entre les riches et les pauvres ? La croissance actuelle
est fondée sur les exportations. Se dessine-t-il déjà une
orientation pour la fonder sur la consommation ?
Il y a bien sûr les questions environnementales. Il y a la nouvelle loi
sur le droit au travail de 2008. Comment s'applique-t-elle ? On a vu notamment
que les entreprises occidentales commencent déjà à se plaindre
de l’augmentation des coûts du travail. Nombre d’autres questions
sont posées en interne : les droits de l'homme, le maintien de la
peine de mort, les opposants souvent mis en prison.
En externe, la montée en puissance de la Chine en Afrique ? Est-ce
seulement pour satisfaire un besoin de matières premières ou pour
dégager de véritables coopérations ? Son rôle
par exemple à l'ONU ? Certains ici ont pu être surpris de
l'abstention de la Chine et de la Russie sur la résolution 1973 relative
à la Libye. Que penser de son ambition de vouloir remplacer le dollar
par une autre monnaie internationale ; ambition soutenue aujourd'hui par
ce qu'on appelle les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du
Sud) ?
M. T. : Notre Revue cherche
à maintenir une certaine vivacité de préoccupations liées
au développement en prenant un peu le point de vue du Sud. Notre numéro
sur la Chine a cherché à trouver des Chinois parlant de la Chine.
Nous avons rencontré les questions que Le Marec a posées. Et cela
met en question les forces capitalistes existantes qui sont loin d’être
une alternative. Dès 1952, le sous-développement n'a pas été
analysé comme un stade dans un processus de développement. Soit
on est dans un processus de développement, soit dans un blocage. Il n'y
a pas de progressivité. Se développer, c'est articuler les développements
industriels et agricoles, ce qui fait problème en Chine. C'est aussi
ne pas être en état d'être dominé par des forces extérieures.
Là, par contre, la Chine devient éventuellement dominatrice, peut
projeter des effets de domination. Enfin il y a développement quand les
besoins sociaux sont assurés : accès aux soins, à l'éducation
et à une vie conforme à des besoins historiquement datés.
Sur ce point, en ce qui concerne la Chine, je n'avancerai aucune conclusion.
Ces trois critères fondent une analyse structurelle accompagnée
d'une certaine conscience politique du développement.
JPL. : Il y a cinq ans
nous avions invité Duterne de Louvain-la-Neuve qui était venu
avec une revue consacrée à la Chine et accompagné d’interlocuteurs
chinois.
K. G. : Dans la présentation
du débat « Réussites et faiblesses », on
entend surtout faiblesses. Mais je vais parler surtout des réussites
de manière lucide. Je vais d'abord parler du développement de
la société civile en Chine. Ce concept a été pensé
comme une force qui a aidé à la chute des régimes communistes
en Europe de l'Est, ou qui a mis fin aux régimes autoritaires en Amérique
latine. On pense aussi à la force qui, devant la faiblesse de l'État,
peut s'y substituer. On peut se demander quelle est la pertinence de cette conception
dans le cas de la Chine, puisqu'il n’y a pas de transition brutale du
système politique. Il y a des réformes politiques et constitutionnelles
considérables. Une partie des réformes assurait que la modernisation
marche bien. De même, le PC chinois n'est pas du même genre de ceux
d'Europe de l'Est puisqu'on parle souvent « d'harmonie sociale »,
de « consensus » d'intérêt communautaire.
Et surtout les bases locales du PC chinois forment un vaste mouvement qui aide
les éléments de la population ayant besoin de soutien. Donc cela
devient une sorte de cadre organisationnel. On pourrait dire une grosse O.N.G.
qui prend des libertés et de l’autonomie. On ne voit pas les mouvements
sociaux réclamer contre l'armée restée très populaire
en Chine. Et surtout l'État y est puissant. Il est l'instigateur de la
modernisation qui a permis une augmentation de la productivité, du niveau
de vie et du pouvoir d'achat. Il y a sans doute des inégalités.
Mais malgré celles-ci, il y a une augmentation du niveau de vie pour
tous. L’État chinois arrive à jouer son rôle.
En même temps, on voit l'émergence d'une société
civile qui commence à prendre une dimension considérable. Cela
s’est vérifié lors de la « Conférence
mondiale des femmes » de 1995 à Pékin. Et pour donner
d’autres exemples, le nombre des associations explose. En 1990, on en
comptait 122. En 2003, on en dénombre 253 000, dont environ 25 %
sont des syndicats ; le reste se partageant entre des associations de jeunesse,
de femmes, d’avocats et de consommateurs. Elles prennent beaucoup d'autonomie
vis-à-vis du gouvernement.
- 1°) Ce que la loi chinoise définit comme entreprises non lucratives
sont des associations littéraires et autres clubs de calligraphie, etc.
Elles forment 30 % du tissu associatif.
- 2°) Les organisations liées à la recherche et formation
universitaires et professionnelles y ont une part de 32 %.
- 3°) Les organisations semi-officielles représentent 4 % de ce tissu.
Un exemple toléré en voie de constitution : l'Association
des femmes-Maires de Chine. Si on regarde les secteurs d'intervention de ces
associations, il y a une vaste panoplie de secteurs concernés : l'environnement,
les droits des femmes et des enfants, les handicapés, les travailleurs
issus de la migration rurale, les pauvres des villes, les prostituées,
les drogués, les malades de toutes sortes dont le sida, la lutte contre
l'illettrisme etc.
Nous avons surtout travaillé sur la Fédération nationale
des femmes chinoises qui était responsable de l'organisation d'un forum
à la Conférence mondiale. Cette association a un statut auprès
de l'ONU et de plus en plus travaille en réseau avec des mouvements sociaux
dans le monde entier. Récemment elle a participé au Forum social
mondial. Elle fonctionne de plus en plus comme une organisation autonome, utilisant
à la fois les ressources disponibles de la part du gouvernement et devient
de plus en plus professionnelle, en cherchant ses propres financements. Pourquoi
ce phénomène de société civile prend-t-il une telle
ampleur ? Je voudrais lister certains éléments :
- a) Elles ont démontré leur capacité à travailler
avec l'État. Leur objet d'intervention n'est pas nécessairement
politique. Les domaines les plus sensibles en Chine restent l'autonomie régionale,
les droits de l'homme et le changement du régime politique. Si on évite
ces trois domaines on peut intervenir sur tous les autres, souvent en collaboration
avec le gouvernement.
- b) La société civile et les organisations de masse comme les
syndicats, s'autonomisent.
- c) L'émergence en Chine de la classe moyenne estimée à
plus de 300 millions de personnes qui ont du temps, des ressources et veulent
s'engager dans le social.
- d) La disponibilité de l'argent : Le mécénat autre que
celui du gouvernement se développe au profit des organisations qui gèrent
elles-mêmes les fonds et leurs relations d’expertise et de contact
avec les pouvoirs publics, les secteurs privés, industriels ou commerciaux.
- e) La dimension la plus importante de ce développement : l'État
chinois n'a pas de capacité à gérer les problèmes
auxquels la société chinoise est confrontée actuellement.
L'évolution de la modernité a produit des changements tels, que
l'État ne peut à lui seul les affronter. Donc l'État cherche
à travailler avec ces organisations, voir à leur déléguer
sa responsabilité dans plusieurs domaines dont ceux de la protection
des droits de la femme, de la conservation de l'environnement, l'accès
aux soins ou à l'éducation, aux services sociaux pour la population
la plus pauvre, ou par exemple les travailleurs issus des zones rurales.
Pourquoi, malgré tout cela les analystes libéraux ne considèrent-ils
pas qu'il y a une société civile en Chine ? Leur argument
est qu'elle n'est pas autonome et ne cherche pas à changer le système
politique chinois.
JPL : Chez nous, le concept
de société civile est très flou ; le patronat en fait
partie.
D. B. : Mon expérience
de la Chine va de 1988 à 93 quand j'étais correspondante de « l'Humanité ».
J'y retourne régulièrement depuis et je viens d'y passer les mois
de mars et avril de cette année.
En Chine, les réformes commencent en 79, trois ans après la mort
de Mao. C'est le parti qui impulse ces réformes ; il n'y a pas de
rupture. On reste dans le même système. Quand Deng Xiaoping vient
au pouvoir, la Chine est dans un état de traumatisme suite à la
Révolution culturelle et, auparavant, au Grand bond en avant de 58 à
62. Fort traumatisme dans les campagnes, dans les villes, dans l'intelligentsia
et les universités. Il y a une génération perdue qui a
du mal à reprendre pied à la mort de Mao. Je veux parler de la
population qui a connu les premières années de la Révolution
après 49 où d’énormes efforts ont été
consentis pour l'éducation, la santé, les infrastructures... Et
ce pays que prend en mains Deng Xiaoping en 79 n'est pas un pays sous-développé
au sens habituel du terme. C'est déjà un pays qui a connu le développement.
Je distingue donc les premières réformes d'ouverture économique,
des réformes politiques mises également en débats publics
jusqu'en 89.
Avant cette période, c'était l'étouffoir qui caractérisait
les discussions internes du PCC depuis sa fondation en 1921. Quand Deng Xiaoping
arrive au pouvoir, il reprend les discussions sur le développement économique
telles qu'elles avaient été mises sur la table au congrès
de 1956 et que Mao avait refusées. Donc ça ne part pas de rien
mais d’un grand projet politique. La direction autour de Deng Xiaoping,
même si elle a été divisée sur le rythme ou la nature
des réformes, a proposé aux Chinois un grand projet de développement.
Deng Xiaoping avait d'emblée dit aux Chinois que ce serait un développement
inégalitaire. On ne peut pas faire progresser en même temps 1 milliard
de Chinois. On va prendre en compte ce qu'il y a de positif : le développement
des côtes, sur une base d'exportation, de mondialisation, avec toutes
les retombées négatives ou positives que l'on voit. En trente
ans, la Chine a complètement changé : les villes, les mentalités.
Ce n'est plus le pays que j’ai connu en 88.
Aujourd'hui le grand tournant qui existe depuis quelques années est celui
du rééquilibrage. Car cette politique a été conduite
depuis le grand discours de Deng Xiaoping en 92. Il préconisait de développer
l'économie avec un recul du secteur de l'État, le démantèlement
des entreprises les moins compétitives. Aujourd’hui, on parle de
compétitivité intérieure et internationale. On réfléchit
sur une nouvelle forme de développement, une nouvelle nature de la croissance
portée par la Chine de l'intérieur parce que les inégalités
sociales ou géographiques sont devenues insupportables. La croissance
est très forte ; même dans les régions les plus reculées,
on ne vit plus comme il y a 30 ans. Il y a des couches sociales qui se sont
développées très vite et d'autres plus lentement. Ce fossé
entraîne une exploitation des couches laborieuses qui viennent aujourd'hui
des campagnes.
On veut, depuis quelques années, que la croissance soit moins tirée
par les exportations mais par le développement d'un marché intérieur.
Il faut donc augmenter les salaires, réformer la santé, le social
et tout ce qui avait été abandonné dans les premières
décennies du développement. On note un progrès sur la sécurité
sociale et les retraites que le pouvoir assure sur la base du volontariat quand
il s'agit des campagnes. Les paysan(ne)s âgé(es) doivent payer
entre 10 et 20 yuans par mois ou plus s’ils le veulent et peuvent ;
alors ils ont un accès minimal aux soins. Il vaut mieux arriver avec
de l'argent dans un hôpital. Mais on a accès à un service
minimal même sans argent ; ce qui n'était pas le cas il y
a une dizaine d'années. On a supprimé aussi des impôts qui
existaient depuis des siècles sur les taxéès agricoles. Ce plan de renouvellement
du système social a été largement développé
par Wen Jiabao à la dernière session de l'Assemblée nationale
en mars dernier.
Quand je suis arrivée en Chine au mois de mars, c'était à
la suite des grandes révoltes dans les pays arabes. Je suis arrivée
à un moment où il y avait des interventions sur le Net appelant
à aller manifester. Les médias occidentaux en ont conclu : « la
Chine comme les pays arabes va s'enflammer ». Paradoxalement, ce
sont les autorités chinoises qui, dans les administrations, ont prévenu
les gens de ces appels à manifester en les leur déconseillant
fortement. Le régime s’est crispé sur cette question. Il
y avait beaucoup plus de journalistes sur les lieux de manifestations que des
Chinois, et dont la plupart y allaient par curiosité. Il y a eu, tout
de même, une phase de crispation très forte du régime, car
il est dans un tournant politique précis. Il y a l'an prochain le congrès
du PCC où le renouvellement de toute l'équipe dirigeante est prévu ;
ce renouvellement sera historique et profond, parce que pour la première
fois, la désignation ne se fera pas par la génération des
historiques.
Aujourd'hui cette génération de la Longue marche a disparu. Le
prochain secrétaire déjà mis sur orbite est un fils de
révolutionnaire, un proche de Mao. Et celui qui prend aujourd'hui la
tête du débat sur la démocratisation, la liberté
de la presse, la censure, l'État de droit, c'est le premier ministre
actuel Wen Jiabao. Il a fait plusieurs déclarations l'année dernière.
Il en a refait il y a un mois en posant les questions sur la table. Ces réformes
politiques sont présentes dans la vie politique chinoise et cela rejoint
le développement de la société civile actuelle.
Les autres points que je veux aborder concernent les migrants et les questions
sociales. Il y a un an, d'énormes grèves ont éclaté
du côté de la Rivière des perles. Ces grèves se sont
étendues et ont été en gros soutenues par le gouvernement.
Elles convenaient à sa politique de hausse des salaires et d'application
du code du travail et des lois sociales. Il faut le savoir : en Chine ces
lois existent depuis les années 90, enrichies par le code du travail
de 2008 mais elles n’étaient pas appliquées. En 2001, il
est devenu obligatoire d'avoir un syndicat dans une entreprise de plus de 25
personnes ; mais tout cela était resté lettre morte. Mais
présentement, on arrive à toute une nouvelle génération
de Chinois qui se servent du droit comme arme de lutte et de revendications
sociales. La nouvelle classe ouvrière qui existe aujourd'hui comporte
un gros secteur de jeunes migrants estimés à plus de 242 millions
de personnes et dont la moitié a entre 18 et 25 ans. Ils veulent tous
rester en ville, sont plus éduqués et apprennent leur droit.
Ce qui pose problème pour le patronat et même pour l'État,
c'est la recherche d'interlocuteurs. Les syndicats officiels ne sont plus des
interlocuteurs valables dans le traitement des conflits sociaux et des revendications
qui montent, privées de vraies représentations ouvrières.
Il y a une expérience dans le Wang Dang à l'heure actuelle, du
côté de Huachang ou dans plusieurs autres entreprises. Il va y
avoir des élections de représentants ouvriers non issus des syndicats
officiels. On recherche aussi des interlocuteurs dans ces couches moyennes qui
ont acheté des appartements. Il faut créer des syndicats qui ne
dépendent pas des comités du quartier local. Tout cela mûrit.
Le pays est en pleine mutation. Il y a de gros blocages politiques mais c’est
une société qui pousse. Il y a une dizaine d'années, on
alertait, on mettait déjà le doigt sur les inégalités
sociales et les incidents sociaux qui vont avec. En 2006 par exemple, on a dénombré
87.000 incidents de masse ; et c’est au régime d’y remédier
en lien avec des interlocuteurs sociaux crédibles.
C. L. : Je vais reprendre ce
que j'ai fait en 2005, 2006, 2007. Ce sont des enquêtes réalisées
sur place avec des sociologues chinois, car je ne parle pas chinois. L'idée
est qu'on avait un questionnement unique pour plusieurs sites en Chine, élaboré
dans le cadre d'un réseau international sino-européen. Le projet
avait été approuvé et financé par la commission
européenne. On a pu être présent, ensemble sur les sites
industriels et on a examiné les questions que posaient les licenciements
et les suppressions d'usines ; comme ce fut le cas de la sidérurgie
lorraine en France, mais là précisément en Chine ;
un peu plus tard, dans l'ancienne Mandchourie au Nord et du côté
de Shanghai. On est allé voir les industries textiles qui ont fermé.
Il y avait d'une part, une main-d’œuvre masculine, dans la sidérurgie
et d'autre part, de la main-d’œuvre féminine à Shanghai.
C'était très intéressant de voir comment ces personnes
ont été amenées à échafauder des stratégies,
soit de retour à l'emploi, soit de formation autre, soit d'abandon pur
et simple. Les clivages ont été assez nets. On a eu un nombre
d'interviews que nous n’aurions jamais pu avoir en Europe. Des étudiants
des universités de Pékin et de Shanghai y ont collaboré.
Nous avions assez d'argent pour les rémunérer.
Certain(e)s, une fois licencié(e)s, s'en sortaient par les allocations-chômage
qui existaient dans l'industrie. Environ 30 % des personnes dépendaient
de ces allocations-chômage. Des missions d'intérim occupaient 30
autres %, exactement comme en Europe. Un certain nombre dépendait de
la famille, hors d'état de chercher du travail. Et environ 20 % vivaient
de petits boulots, en plus de quelques uns qui touchaient ce qu'on appelait
en Chine le RMU (Revenu minimum urbain). C'était une allocation différentielle,
comme notre RMI (Revenu minimum d’insertion), c'est-à-dire sans
condition de ressources. Cela permettait aux chômeurs en fin de droit
de ne pas mourir de faim ou d'être ravalé au rang de mendiants.
Et je pense que ces systèmes continuent.
On notait des remarques semblables à celles qu'on entend chez nous à
propos du RMI ou du RSA : « ils ou elles sont payé(e)s à
ne rien foutre ».
Le problème le plus difficile était celui des femmes dans les
industries de Shanghai. Elles avaient beaucoup plus de difficultés à
aller dans les instituts de formation. En gros, elles bénéficiaient
de l'allocation-chômage, mais on ne leur proposait que des boulots qui,
dans leur tête, étaient des boulots de domestiques. Et ça,
pas question ni pour elle, ni pour leurs familles. Cependant, une thèse
a montré qu'existent des formations d'aide-ménagères et
familiales qui semblent avoir un certain succès dans les nouvelles générations.
La ligne de pauvreté en 2007 était fixée à 350 yuans
par personne et par mois. Les allocations-chômage permettent aux familles
d'atteindre cette somme par individu. Il est difficile de savoir à quel
pouvoir d'achat cela correspond, mais semble-t-il, elle permet de manger et
de se loger petitement, sans plus. Il n'y a pas de lien entre le niveau de formation
initiale et l'acceptation d'une formation professionnelle. Il y avait des gens
de formation initiale extrêmement basse qui acceptaient des niveaux de
formation qui leur demandaient beaucoup d'efforts. On avait aussi l'inverse,
sans que nous puissions, contrairement à la France ou à la Belgique,
établir un lien logique entre la formation initiale et la formation professionnelle
acceptée.
La crise économique de 2008 a eu des conséquences sociales importantes
en Chine parce que le salaire minimum a été suspendu. L'inflation
a grignoté le pouvoir d'achat et les licenciements de masse ont continué.
Les conflits sociaux ont alors pris une tournure souvent violente. En 2008 à
Tang Ha par exemple, où une entreprise métallurgique devrait être
rachetée par une autre, les ouvriers, par réaction de refus, ont
tué le patron. Il n'y a eu aucune intervention de l'État ou de
la police ; mieux, le rachat a été annulé.
En conclusion, je trouve qu'on se trouve en Chine face aux mêmes problèmes
que ceux que nous connaissons en Europe ; du moins en ville, car je ne
connais pas la campagne chinoise. Je veux parler de l'allocation-chômage,
des licenciements-reclassements, etc. Il y a eu dernièrement des augmentations
de retraite ce qui est tout de même intéressant pour les retraités.
JPL : Les entreprises d’origine
occidentale ont accordé les mêmes augmentations. Je passe maintenant
la parole à Raphaël Rossignol qui est doctorant à l’EHESS,
qui va nous parler de ses recherches sur les relations Chine-Afrique. Lors des
débats de la Polex, la question de la Chine en Afrique est régulièrement
posée relativement aux investissements, aux matières premières,
à la formation et aux ouvriers chinois qui interviennent sur le continent,
etc.
R. R. : La Chine est dans une
situation où elle est obligée d'être dans une position ambivalente.
Comment un parti politique communiste peut-il appliquer une politique capitaliste ?
Un exercice de balancier qui est difficile à décrypter pour les
Chinois eux-mêmes. Le PC chinois n'est pas un bloc. Des factions y ont
des vues parfois opposées. On y trouve des conservateurs très
pénétrés par les idées communistes et aussi des
libéraux favorables à l'économie de marché, la libre
circulation des capitaux, et prêts à ouvrir le Yuan à un
usage international.
Quand on parle des relations sino-africaines, on a tendance à se focaliser
d'abord sur une sorte de jugement, à savoir la manière dont la
Chine intervient. Est-ce que ces investissements seront bons pour l'Afrique ?
Est-ce que la manière de traiter les travailleurs africains est respectueuse
de ces derniers ? Il n’y a là que des jugements de valeur
qui attendent d’être infirmés ou confirmés avec le
temps. Les relations sino-africaines ne commencent véritablement qu' au
début des années 2000. Dans la décennie 90, Deng Xiaoping
décide de centrer le développement de l'économie chinoise
sur elle-même. C'est-à-dire en défaisant ce que le Grand
bond en avant et la Révolution culturelle avaient pu apporter comme obstacle
à la puissance chinoise. La consolidation de l’économie
dans les années 90 impose à la Chine dans les années 2000
la nécessité et le besoin de se tourner vers l'extérieur.
Un certain seuil de développement était déjà atteint,
notamment au plan industriel et dont les effets sont ravageurs au plan environnemental.
Des chercheurs chinois estiment que sur 600 cours d'eau, 400 sont définitivement
pollués. D'autres proposent d'envoyer un certain nombre de Chinois en
Afrique, en Asie centrale, en Amérique latine, etc. Un projet qui concernerait
plusieurs millions de Chinois.
Les Chinois sont à la recherche de ressources à l'extérieur.
Pour cela, ils s’appuient sur les forces de leur économie. Grâce
aux multinationales implantées sur leur territoire, ils ont pu dégager
des excédents commerciaux et des réserves de changes, utilisés
ensuite comme des armes économiques, pour acheter la loyauté,
investir à tout va sans même, quelquefois, un plan préconçu.
Ils se lancent ainsi dans la préparation de la seconde phase de leur
développement extérieur. La première phase a été
marquée par des investissements en nom propre de banques ou d’entreprises
qui engageaient leur responsabilité. Ne jouant pas le jeu des occidentaux
déjà en place, les Chinois se sont souvent trouvés en butte
à des critiques encore plus fortes qui les accusent notamment de
non-respect des droits de l'homme, des droits des travailleurs africains ou
de soutenir des régimes considérés comme parias, tels celui
du Soudan ou du Zimbabwe.
Devant des critiques insistantes, la Chine a changé de tactique. Elle
s'entoure désormais de partenaires occidentaux pour réaliser ses
buts. Voyant qu'elle n'était pas arrivée la première sur
le continent africain, elle a eu besoin de se créer des partenaires qui
étaient déjà en place et qui pouvaient lui offrir une partie
de leur territoire. Ces partenaires sont par exemple Total et d'autres grands
majors pétroliers ou miniers occidentaux, déjà installés
en Afrique. Les Chinois les contactent par l’intermédiaire de leurs
propres entreprises. Aussi, caractériser exclusivement les relations
sino-africaines par les relations diplomatiques, revient à ne voir que
le petit bout de l’iceberg Chine-Afrique, car une bonne partie de la diplomatie
se joue à travers ses entreprises installées en Afrique et qui
comptent parmi ses forces de frappe financières. Pour obtenir l'aide
d'entreprises ou de gouvernements occidentaux, elle fait des pas en avant, précède
ou accompagne les désirs de ses partenaires occidentaux.
De même, pendant qu' elle signe des accords avec la Banque Mondiale,
elle se présente en défenseur de la lutte anti-impérialiste
et de la libération des pays africains du joug colonial. Deux positions
qui la placent dans l’ambivalence. Que penser de cette prétention
à contribuer au développement de ces pays, à ne pas s'ingérer
dans leurs affaires intérieures, à critiquer la politique de « bonne
gouvernance » prônée par le FMI et la Banque Mondiale,
tout en négociant avec ces institutions, pour soi-même, des accords
dont les termes ne sont d'ailleurs jamais rendus publics ? Sinon que la
Chine se rapproche d'un centre international qui a fait la fortune des États-Unis
et qui l'aidera à faire la sienne et à ambitionner la prééminence
mondiale face aux Etats-Unis, ou du moins à jouer un rôle similaire
et gagner un rang bien assuré. Cette ambivalence de la Chine la fait
osciller entre menace et attirance affichée face à ses rivaux.
Et ce qu' elle projette ici à l'écran, c’est l’image
d’une Chine restée communiste, tiers-mondiste, et mieux une puissance
du Sud, un pays en plein développement capitaliste. Le libéralisme
l'intéresse. Elle signera les traités de l’OMC (Organisation
mondiale du commerce) et à terme promet d’ouvrir encore plus largement
ses frontières aux investissements.
Mais en contrepartie, elle prône auprès des occidentaux, le partage
de l’accès aux ressources naturelles que ceux-ci exploitent en
Afrique ou en Asie centrale ; tout comme en retour, elle promet également
un assouplissement de ses lois sur les investissements, une modification de
son système juridique pour offrir plus de sécurité aux
occidentaux en Chine. Bref, c'est le jeu de la carotte et du bâton que
mène ici une Chine qui n'est pas en position de force. Mais elle joue
ainsi sur les désirs et la psychologie de ses compétiteurs. Elle
cède sur la moitié des affaires, à charge pour les occidentaux
de céder sur l’autre moitié en sa faveur. C’est le
principe du gagnant-gagnant.
Dans le secteur pétrolier par exemple, la Chine sait qu' elle n'est
pas bien implantée en Afrique. Elle va alors se rapprocher de Total pour
lui demander ce qu'elle peut faire au Nigéria, en Angola, au Soudan ou
en Ouganda, en contrepartie de ce qu' elle peut lui offrir comme opportunité
en Chine ou en Asie. Et c’est ainsi que Total associe des compagnies chinoises
(la CMPC soit la KNOC ) pour exploiter nombre de champs pétrolifères
en Afrique. La même chose se passe pour Areva au Niger. La Chine propose
une association-exploitation-importation de l’uranium nigérien
contre des achats de centrales nucléaires d’Areva.
Peu de journaux occidentaux rendent compte de façon objective de ces
ententes sino-occidentales en Afrique. Ce qui ressort de leurs analyses se réduit
à des clichés d’une Chine envahissante, dotée d’un
régime pyramidal peu regardant sur les droits de l’homme, inhabile
dans les choses, et forcément cachée derrière ses entreprises
qui s’apprêtent à piller encore plus une Afrique inconsciente
des enjeux qui se joueraient sur son dos. Du côté chinois, le regard
est inversé dans l’autre sens : les occidentaux ont ruiné
l'Afrique et l'Asie et nous Chinois, sommes là pour réparer ces
dégâts historiques.
Mais en vérité, la Chine a extrêmement besoin de l'Occident
et des institutions mises en place après la seconde guerre mondiale,
et qui ont permis d'asseoir le néocolonialisme économique. Elle
souhaite pouvoir en profiter. Elle a besoin pour cela de créer une opinion
que lui soit favorable en jouant sur son double statut de pays en développement
ou presque développé ; et sur des appels au sentiment d'égalité
et de justice.
Quelques autres remarques courantes qu' on rencontre : - Les entrepreneurs
chinois n'auraient pas toujours la subtilité des rapports interpersonnels
en Afrique ou n’en ont pas conscience. Ils ne parlent pas toujours les
langues des pays, appliquent des méthodes apprises en Chine, se font
des ennemis sur place et sont très durs à l'égard de leurs
employés africains. Ils appliqueraient des méthodes managériales
les plus dures, tout en tenant des discours les plus lénifiants concernant
leur amitié envers les peuples en développement. Mais paradoxalement,
ceux à qui s'adressent ces discours, sont justement les occidentaux dont
les entreprises permettront aux Chinois de se développer et d'asseoir
leur pouvoir économique. Et pour cela, ils n'ont aucun scrupule.
Mais à trop se focaliser sur l'ambivalence d'une Chine à la fois
communiste et capitaliste, à la fois libérale et autoritaire,
on tombe dans le panneau du discours-cliché servi ici ou là-bas.
La réalité est que la Chine comprend les règles du jeu
international et les applique avec l'esprit de sérieux qu'elle sait utiliser
dans tous les projets qu'elle entreprend.
JPL ouvre le débat et
sollicite les interventions de la salle où techniquement toutes n’ont
pu être enregistrées.
D. B. : Ce qui était
la règle générale il y a cinq ans ne l'est plus aujourd'hui.
Les nouvelles lois sont mises en cause par le patronat notamment celui de Hong
Kong dans le Guangdong où les autorités tentent de mettre en place
de nouvelles règles sociales, afin de favoriser un développement
non exclusivement limité aux activités de « petites
mains » à faible valeur ajoutée. Elles ambitionnent
de faire de la province, un des pôles les plus développés
de la Chine, servi par une classe ouvrière très qualifiée
et bien payée ; ce qui n’est actuellement pas le cas. Les
chambres de commerce et de métiers sont restées sur des conceptions
datées du développement avec ses cohortes de millions d’ouvriers
payés par de très bas salaires. Mais graduellement la situation
évolue.
H. F. : Je ne sais pas s'il
est pertinent de citer Hegel dans cette discussion mais il disait que l'universel
doit être tel, qu'il accueille en lui la richesse du particulier. En ce
qui concerne la Chine, il est difficile de la mettre dans une case préconçue
à l’avance. Je pense que c'est intéressant de partir d'une
observation de la réalité concrète comme cela a été
fait. J'ai été un peu surpris de la présentation de la
Chine en Afrique. Je n'ai pas compris quand on parle de la subtilité
des Européens dans leur colonialisme en Afrique ; et dont manqueraient
les Chinois. Un universitaire de Dakar me disait récemment que les Chinois
n'ont jamais eu besoin d'une armée pour s'imposer aux Africains. Je pense
qu'on a du mal à imaginer en Europe une puissance engagée dans
des politiques d'harmonisation sociale au niveau de la mondialisation, qu'elle
puisse tenter d'avoir des rapports gagnant-gagnant et non gagnant-perdant. Pour
des gens qui ont grandi dans des pays capitalistes, si on devient fort, on devient
automatiquement impérialiste. Et je dois dire que la question peut honnêtement
se poser. L'avenir le dira, mais je pense que pour l'instant, les Africains
ont des critiques vis-à-vis de telles entreprises, telles méthodes,
etc. Et d'une façon générale, ils jugent très différemment
le néocolonialisme occidental et la présence de la Chine sur le
continent. Je crois que l’avenir leur donnera raison.
R. R. : Je n'ai pas dit que
le colonialisme européen était subtil. J'ai juste dit que les
méthodes chinoises ne l'étaient pas. On trouve encore en Afrique
des médecins chinois qui sont là depuis l'époque de Mao.
Ils sont extrêmement populaires. Et comme vous le dites, seul l’avenir
nous dira ce que seront devenues les relations sino-africaines. Il n'y a pas
de jugement de valeur à avoir là-dessus. Cependant, en même
temps que les Chinois se prévalent d’une politique de non-intervention,
l’exemple au Tchad en 2006 a prouvé le contraire. Enfin, il ne
faudrait pas oublier que par le passé, la Chine a pu être aussi
impérialiste au Vietnam qu' elle a dominé sur plusieurs siècles.
Une voix : Tout comme Rome...
R. R. : A vrai dire, la Chine
n'a pas un discours anti-impérialiste. Elle veut discuter d'égal
à égal avec tous les pays. A l’exemple des autres membres
des BRICS, elle cherche à produire un rééquilibrage qui
n'est pas forcément anti-impérialiste. C'est une façon
de faire entendre sa voix.
D. B. : … Et la question
des terres qui reste cruciale ? Comment accroître les terres
arables ? Des expériences sont menées pour rassembler des
villages, supprimer des routes inutilisées, etc. La Chine est l'un des
pays au monde qui a le moins de surfaces arables par habitant….Il y a
aussi ce problème des migrants. En 97, les migrants n'avaient pas droit
de cité. Ils étaient sans-papiers. Petit à petit, ils ont
eu des droits. C'est une autre mentalité car beaucoup veulent rester
en ville et s’intégrer même sans le permis de résidence.
De nos jours, on ne les expulse plus. Ils bénéficient de soins
et s’organisent entre eux pour avoir des droits.
K. G. : Dans le domaine social,
l'académie chinoise des sciences sociales a établi un certain
nombre de critères qui prennent en compte le niveau des revenus dans
le foyer, les activités de loisirs et de consommation.
JPL : …Il y a aujourd'hui
une réflexion pour réduire les inégalités. Il y
a une couche de très riches.
J. L. : La situation sociale
d’ensemble peut-elle être autrement qu' inégalitaire,
compte tenu du niveau de développement au départ et des efforts
nécessaires faits pour redistribuer les ressources à 1 milliard
et demi d'habitants ? La vraie question est plutôt de savoir s'il
y a diminution ou augmentation des inégalités ?
K. G. : L'amélioration
est générale, même à la campagne. Malgré les
inégalités, l’ensemble de la population bénéficie
de la croissance. Paul Sindié, citant récemment une étude
du CNUD dans un de ses articles, note que la répartition des revenues
en Chine est plus inégalitaire que dans n'importe quel pays occidental,
USA compris. Il signale également qu'au sein des BRICS, la répartition
la plus inégalitaire est celle du Brésil.
M. T. : De même que certains
se demandent ce que sont les classes ou les couches moyennes en Chine, moi je
me pose la question de savoir ce qu'est le patronat en Chine ? À
Hong Kong, je comprends ; c'est l'ancienne colonie anglaise. Mais ailleurs ?
Qu'est-ce que c'est ? Et si on parle de classes et d'impérialisme,
on a des références intellectuelles. Mais là, on a des
entreprises transnationales implantées, avec un patronat extérieur
et des effets de domination tout aussi extérieurs. Y a-t-il un patronat
chinois, autonome par rapport aux différents acteurs et ayant sa manière
propre d’exploiter la main-d’œuvre ? D’où
viennent les inégalités ? D’une phase de transition
économique ou tout simplement du développement d'une société
de classes inégalitaires par principe ?
Une voix… Sur le patronat,
mes collègues chinois ont été estomaqués quand le
PC a ouvert ses portes au patronat privé et en admettant ses membres
au comité central ou même au bureau politique. Ça été
un choc.
D. B. : A ce propos, il y a
eu un grand débat ; et j'ai assisté à des discussions
ardentes entre communistes. Le PC chinois avec ses 70 millions de membres n'est
plus un parti de militants. C'est un parti de pouvoir, de notables ; une
oligarchie à laquelle des jeunes adhèrent pour faire carrière ;
même avec de faibles armes idéologiques, une faible connaissance
du maoïsme. Il faut savoir que Mao n’est pas vénéré
ici. Et il n'y a pas eu de démaoïsation comme il y a eu une déstalinisation
en URSS. On l’a laissé là où il est, embaumé
sur la place Tiananmen où il n’est pas l’objet d’un
culte. Mais il est là cependant, parce qu' on ne l’oublie
pas ; du moins les anciens. Dans les vagues de protestation, ils lui font
toujours référence. Même les jeunes pourraient se le réapproprier,
car on entend souvent ceci : « Du temps de Mao on n'avait pas à
payer pour se faire soigner ou pour l'éducation ». Dans la
mémoire collective, il occupe une place importante. Quant au parti communiste,
il pourrait s'appeler autrement parce qu' en son sein, on y trouve
des libéraux côtoyant des communistes les plus fervents. Mais il
y a encore cette statue de Mao qui lui interdit de faire du n'importe quoi.
Une voix : Il y a une base ouvrière
et paysanne qui l'empêche de faire n'importe quoi. On a là une
structure qui est obligée de tenir compte des risques d'explosion et
de résurgence de la lutte des classes.
JPL : Dans la préparation
du congrès on parle d'un courant « néo-maoïste »
qui semble avoir une certaine force.
B. B. : Il faut savoir que le
PC chinois ne fonctionne pas selon les mêmes principes qu' on connaît
à d’autres partis. Quand il y a eu des purges importantes du temps
de Mao, les adversaires n'ont pas été fusillés. Ils ont
été envoyés à la campagne dans des conditions épouvantables ;
mais ils en sont revenus. Il y a dans le parti communiste chinois une culture
maoïste de la contradiction bien classique et qui n’a rien d’extraordinaire.
Les contradictions sociales, les interrogations actuelles sur les questions
écologiques ou autres, se réfèrent toutes à des
contradictions systémiques propres au maoïsme. En ce sens, Lénine
aussi disait, par exemple, qu'on allait faire du socialisme et du capitalisme
en même temps et que la grande question restait plutôt de savoir
lequel gagnerait. Il y a énormément de débats en Chine
que le parti, non seulement tolère, mais aussi induit. En admettant des
capitalistes en son sein, le PC chinois n’est pas à une contradiction
près. Enfin, pour parler de l'impérialisme ou du militarisme chinois,
je dirai que la politique chinoise actuelle est suiviste et conservatrice. Ils
ne veulent pas de révolution. Ils veulent pouvoir investir tranquillement,
développer leurs échanges économiques avec des pays à
situation stable ; d’où leur manque de sympathie totale vis-à-vis
des révolutions tunisienne ou égyptienne.
H. F. : Le PC chinois n'est
pas trotskiste. Il n'exporte pas la révolution, mais la laisse mûrir
dans les différents pays. D'un autre côté, s'il y a un patronat
en Chine, c'est bien le parti communiste. C'est lui qui planifie et gère
l'ensemble des entreprises privées ou publiques. Et considère
le développement de la Chine comme une contribution principale à
la lutte contre le capitalisme. Rappelons que le PCF n'a jamais refusé
l'adhésion d'un patron.
JPL : Encore une dernière
question ?
Une voix : - Est-ce que l'évolution
de la Chine ne nous ramène pas à une situation similaire à
celle d'avant la guerre de 1914 où les grandes puissances se sont battues
pour les matières premières ? Est-ce que, paradoxalement,
le caractère normalisé de la Chine ne la met pas directement en
conflit, contrairement à l'URSS, avec les intérêts des puissances
occidentales ?
JPL : Je vous propose de conclure
provisoirement, conscient que le débat était forcément
partiel mais riche.
C. L. : Je n'arrive pas à
croire à l’existence d’un militarisme Chinois. Toute l'histoire
chinoise dit le contraire. La Chine n’a jamais été un empire
conquérant. Elle n’a pas produit un Darius ou un Alexandre Le Grand.
Je ne vois pas à la Chine un avenir militaire mais plutôt un avenir
de conquêtes économiques ; ceci dit n’écarte
peut-être pas que cela se fasse dans des conditions anti-démocratiques
en Afrique ou en Asie. C’est à suivre ! Et je reviens sur
une institution dont personne n’a parlé ici et qui est le
« bureau des plaintes ». C’est une institution qui
date du XVI-XVIIème siècle chinois. Chacun peut y aller individuellement
ou collectivement déposer une plainte par rapport à l'administration
ou à un voisin. Tous les conflits interpersonnels y passent. Une jeune
collègue de l’EHESS lui consacre une thèse passionnante
qui donne un autre éclairage très éloigné des clichés
sur la société chinoise.
M. T. : A mon sens, le PC apparaît
comme un immense conseil d'administration. Dans ce cas, l'intégration
de patrons dans ses instances participe d'une stratégie de contrôle
et d’encadrement de ce patronat, susceptible de nourrir des velléités
d'indépendance. Il en va de même quand il admet en son sein des
fractions de droite ; histoire, non de démocratie interne, mais
de lever les entraves aux débats, de trouver des solutions justes, efficaces
qui permettent par la ensuite, par les moyens de la propagande ou de l'éducation
politique, de lisser les conflits internes et de garder la stabilité
sociale.
En ce qui concerne ses relations extérieures, le PC agit selon les principes
chinois de « la voix du prince », c’est-à-dire
selon des principes de direction du pays par des lois justes qui consacrent
la dignité, l'efficacité et l'hégémonie interne
et externe du prince reconnu par son peuple. Dans la tradition impériale
chinoise, la dignité des rapports aux autres peuples importe beaucoup.
C'est cette tradition qui identifiait Mao ou ses successeurs à des empereurs.
Il y a là des constances socioculturelles qui courent sur la longue durée
historique.
D. B. : Oui ! Ce qui
frappe cependant, c’est l’opacité qui caractérise
le parti. On ne sait pas très bien ce qu'il s'y passe, même si
par ailleurs il reste très en prise avec les réalités du
pays. Du local au gouvernement central, il fait remonter les choses, via les
échelons provinciaux. Il organise régulièrement des auditions
de chercheurs. Et tout indique qu' il est resté à l'écoute
du pays réel, d’où il entend sous forme de grogne sociale,
les mécontentements face aux inégalités.
JPL : Je reprends la parole
pour clore cette conférence-débat et remercier les uns et les
autres ; tous les participants, les organisateurs et tous nos invités.
Les différentes interventions nous ont permis d’avoir un éclairage
fort riche sur les réalités économiques et sociopolitiques
de la Chine au plan interne et externe. Bien évidemment, le sujet n’est
pas épuisé et il nous revient de l’approfondir à
l’avenir.
Je remercie au passage la Mairie du IIème arrondissement pour avoir mis
à notre disposition une de ses salles. Mais avant de nous séparer,
nous lançons à tous un appel à la collecte pour sauver
les écrits de Robespierre. Je vous donne également l’information
suivante : - Le collectif « Soutien à Mumia Abu Jamal »
édite en lien avec la Poste, un timbre à l’effigie de celui-ci.
Pour toute commande et diffusion de ce timbre, prière s’adresser
au MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les
peuples). Encore un merci à tout(e)s !
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