Afghanistan – Pakistan: le trou noir de l’Empire
Grégoire Lalieu et Michel Collon
Est-il possible de gagner la guerre en Afghanistan? Non, répondent
les experts. Pourtant, l’Otan poursuit ses efforts pour venir à
bout des Talibans et c’est le Pakistan qui s’embrase. Quelles sont
les véritables raisons de cette guerre ? Les visées hégémoniques
des Etats-Unis plongeront-elles la région dans le chaos ? Dans ce nouveau
chapitre de notre série « Comprendre le monde musulman »,
Mohamed Hassan répond à ces questions. Et il nous explique pourquoi
c’est au peuple du Pakistan de sauver son pays d’une possible disparition…
En 2001, les Etats-Unis lançaient l’opération
« Enduring Freedom » en Afghanistan car, selon eux, les Talibans
refusaient de céder Oussama Ben Laden. Sept ans plus tard, plus personne
ne parle de l’ennemi public numéro un. Quelles sont les raisons
de cette guerre aujourd’hui?
Tout d’abord, vous devez considérer que les Talibans
n’ont rien à voir avec Oussama Ben Laden. En 1996, Ben Laden, renvoyé
d’Arabie Saoudite, trouvait refuge au Soudan. Les Saoudiens firent alors
pression sur ce pays pour qu' il expulse le célèbre terroriste.
C’est à ce moment que Ben Laden est venu en Afghanistan. Mais les
attentats du 11 septembre n’avaient aucun rapport avec ce pays. Il y a
juste cette réaction des Talibans lorsque Washington réclama Ben
Laden : « Si vous voulez que Ben Laden soit jugé, donnez-nous les
preuves et laissons-le juger par une cour islamique dans quelque pays musulman
que ce soit ». En fait, les néoconservateurs de l’administration
Bush ont surtout utilisé cet événement tragique comme un
alibi.
Avec quelles intentions?
Trois ouvrages majeurs nous permettent de comprendre les racines
de la vision des Etats-Unis. D’abord, La fin de l’Histoire de Francis
Fukuyama. Il prétendait que l’Histoire de l’humanité
était arrivée à son terme avec l’effondrement de
l’Union soviétique et la domination de la démocratie libérale.
Ensuite, Le choc des civilisations, de Samuel Huntington. Selon qui l’Histoire
ne dépendrait pas de la lutte des classes mais plutôt d’un
conflit entre civilisations. Huntington a donc divisé le monde entre
ces différentes civilisations, décrétant que la plus agressive
serait l’islamique. Le dernier ouvrage, Le grand échiquier de Zbigniew
Brzezinski, considère que celui qui dominera l’Eurasie sera l’unique
puissance du 21ème siècle. En effet, la majorité de l’humanité
vit dans cette zone et l’activité économique y devient plus
importante.
A présent, retournons à la fin de l’administration Clinton.
L’année 1997 a été marquée par une sérieuse
crise économique : avec l’éclatement de la bulle financière
en Asie, le NASDAQ s’est effondré. Lorsque les néoconservateurs
ont débarqué à la Maison Blanche avec Georges W. Bush en
2001, la situation économique n’était donc pas brillante.
Malgré quoi, ils ont exposé leur objectif très clairement
: personne ne doit être capable de rivaliser avec les Etats-Unis. Pour
y arriver, la nouvelle administration cherchait à contrôler le
monde en contrôlant les ressources les plus importantes, essentiellement
le gaz et le pétrole.
Sous l’influence de Brzezinski, Clinton voulait d’abord dominer
l’Europe en élargissant l’Otan, et ensuite gagner l’Asie
Centrale. Mais les néoconservateurs ont dit : « Non, nous n’avons
pas le temps pour cela. Vu cette crise, nous devons créer et contrôler
le Grand Moyen-Orient pour disposer du pétrole ». On sent ce changement
dans le discours de Bush après les attentats du 11 septembre lorsqu' il
dit : « Vous êtes avec nous ou contre nous ». Avec sa conception
de l’axéè du Mal, il voulait élargir la guerre.
La guerre d’Afghanistan - qui pour la première fois dans l’Histoire
a été planifiée par la CIA sans la collaboration du Pentagone
- n’était donc qu' un prétexte pour entraîner
les troupes US et leur donner l’expérience nécessaire pour
ensuite attaquer l’Irak. Vous devez savoir que le renversement de Saddam
Hussein était planifié bien avant les attentats du 11 septembre.
Obama veut incarner le changement. Pourquoi concentre-t-il
les efforts militaires en Afghanistan au lieu de l’Irak ?
D’abord, la guerre en Irak a soulevé des difficultés
non prévues. Le gouvernement US pensait que c’était la cible
la plus facile, car Saddam Hussein ne disposait pas d’une grande armée
et une large partie de la population irakienne détestait son régime.
Il n’aura fallu que quelques jours, du 20 mars au 10 avril 2003, pour
que les Etats-Unis prennent Bagdad. Ensuite, ils ont uniquement protégé
l’industrie pétrolière et laissé tout le reste exploser.
Paul Bremer, le gouverneur US d’Irak, a détruit les bases de l’ancien
régime irakien, démobilisé la police et la structure de
l’armée. A ce moment, la résistance a augmenté, et
aussi le coût de l’occupation US : huit milliards de dollars chaque
mois, (auxquels vous pouviez ajouter un milliard et demi pour l’Afghanistan)
! Durant huit ans, l’administration néoconservatrice a dépensé
tout son argent dans cette guerre, sans aucun résultat : ils ne sont
parvenus ni à pacifier le pays, ni à créer le gouvernement
qu' ils voulaient, ni à obtenir une base populaire, ni à
contrôler le pétrole.
Lorsque la résistance irakienne a révélé la faiblesse
de l’impérialisme US et son incapacité à remporter
le conflit, le peuple des Etats-Unis est devenu plus attentif sur le plan politique.
Le manque de soutien de l’opinion publique pour cette guerre a donc aussi
poussé Obama à ce changement. D’autant que sur la scène
internationale, cette guerre ne faisait pas l’unanimité : la France,
l’Allemagne et d’autres pays ont refusé de partir en Irak.
Bref, la décision d’Obama est aussi un moyen de maintenir l’alliance
de l’Otan. Mais une défaite en Afghanistan pourrait marquer la
fin de celle-ci.
Les Talibans n’ont pas toujours été les
ennemis des Etats-Unis. L’ancienne secrétaire d’Etat US Madeleine
Albright avait salué leur arrivée au pouvoir en 1996 comme un
« pas positif ». Il semble même que ce pas ait été
encouragé. Ce que l’ancienne ministre pakistanaise Benazir Bhutto
résumait ainsi : « L’idée était anglaise, le
financement saoudien, la supervision pakistanaise et l’armement américain
».
A la fin des années 70, les Soviétiques vinrent
en Afghanistan pour soutenir le gouvernement révolutionnaire menacé
par des combats internes. Brzezinski, conseiller du président Carter,
entreprit de faire de l’Afghanistan le Vietnam des Soviétiques
pour porter ainsi un coup fatal à l’influence du socialisme dans
la région. Pour combattre l’Union Soviétique et le gouvernement
révolutionnaire d’Afghanistan, les Etats-Unis et l’Arabie
Saoudite soutinrent donc les moudjahidines par l’intermédiaire
du Pakistan. Quand l’Armée rouge quitta l’Afghanistan en
1989, les Etats-Unis savaient que les Soviétiques traversaient une sérieuse
crise. Ayant atteint leur but, ils se lavèrent les mains et quittèrent
la région qui se trouva plongée dans le chaos. En fait, Washington
a utilisé les moudjahidines comme un préservatif : quand ils n’étaient
plus d’aucune utilité, ils les ont jetés. Qui en a souffert
? Les peuples d’Afghanistan et du Pakistan.
En effet, lorsque les services secrets pakistanais ont soutenu les moudjahidines
pour combattre les communistes, ils n’ont pas unifié ce mouvement,
mais ont soutenu chaque seigneur de guerre séparément. Une fois
les Etats-Unis partis, une sévère compétition a opposé
les seigneurs de guerre afghans. Le pays a été totalement détruit
par cette guerre civile. Des millions de réfugiés ont fui vers
le Pakistan, alors touché lui-même par une grave crise, son économie
déclinant avec l’arrivée de nombreux Afghans et barons de
la drogue.
Dans ce contexte, apparurent les Talibans, des étudiants issus de la
plus jeune génération de ces réfugiés. Leur arrivée
au pouvoir offrait une opportunité aux Etats-Unis et au Pakistan. Mais
en fait, ces trois acteurs avaient chacun des intérêts très
différents.
C’est-à-dire ?
Le Pakistan, lorsque les pays d’Asie centrale sont devenus
indépendants, a réalisé que son principal ennemi, l’Inde,
était fort, alors que lui-même se trouvait en position délicate.
La bourgeoisie pakistanaise décida, pour se développer économiquement
et concurrencer l’Inde, d’utiliser l’Afghanistan comme porte
d’accès aux marchés d’Asie centrale. Elle favorisa
donc l’accès au pouvoir des Talibans en Afghanistan.
L’intérêt des Etats-Unis était de contrôler
et dominer les richesses d’Asie centrale. La compagnie pétrolière
US Unocal voulait construire un pipeline dans la région. Mais pour cela,
il fallait que l’Afghanistan soit pacifié.
Enfin, l’intérêt des Talibans était de pacifier le
pays et d’instaurer une révolution islamique. Ce qui rencontrait
les intérêts de l’Arabie Saoudite qui souhaitait exporter
l’idéologie islamique en Asie centrale, afin d’affaiblir
la Russie et de contrôler le gaz dans cette région.
Appuyés donc par des puissances étrangères, les Talibans
ont combattu les seigneurs de guerre et pris le pouvoir. Fatigué, le
peuple d’Afghanistan voulait la paix. Les Talibans furent bien accueillis.
Finalement, ce plan n’a pas marché : les Etats-Unis
n’ont pas réussi à pacifier la région, le Pakistan
n’a pu s’ouvrir un accès au marché de l’Asie
centrale et les Talibans ont été renversés. Pourquoi ?
L’Afghanistan comporte différents groupes ethniques.
Le plus représenté est celui des Pachtounes : presque 50% de la
population. Ensuite, il y a les Tadjiks, les Hazaras et les Kazakhs autour desquels
la rivalité entre les seigneurs de guerre s’articule. Enfin, il
y a d’autres minorités. Les Talibans sont Pachtounes. Un trait
caractéristique de ce groupe est qu' ils sont très indépendants
! Les Etats-Unis et le Pakistan voulaient les utiliser comme des mercenaires,
mais les Talibans avaient leur propre vision des choses. De plus, les Pachtounes
ne reconnaissent pas la frontière séparant Afghanistan et Pakistan.
Pourquoi ?
Retournons au 19ème siècle, quand l’Inde
était la précieuse colonie de l’Empire britannique, qu' inquiétait
l’expansion des Russes en Asie centrale. Pour protéger leur colonie,
les Britanniques souhaitaient utiliser l’Afghanistan. Cela a débouché
sur trois guerres anglo-afghanes. Ce qui nous intéresse particulièrement
est un résultat de la seconde guerre : en 1893, le gouverneur d’Inde,
Sir Durand, traça une ligne dans le territoire pachtoune, afin de protéger
sa colonie en créant une zone tampon entre l’Afghanistan et l’Inde
britannique. Cette ligne est la frontière actuelle entre l’Afghanistan
et le Pakistan. C’est pourquoi beaucoup de Pachtounes ne reconnaissent
pas l’existence du Pakistan. Quand ce pays est devenu indépendant,
le seul membre à voter contre son entrée aux Nations Unies était
l’Afghanistan !
Il était donc clair que les Talibans, lorsqu' ils auraient pris
le pouvoir, ne se soumettraient pas à ces intérêts étrangers.
En mai 2001, six mois avant l’attaque du World Trade Center, Washington
allouait sans aucun résultat une subvention de 43 millions de dollars
au régime taliban dans le cadre du projet de pipeline d’Unocal.
Mais avec le 11 septembre, tout le programme tomba à l’eau.
Les forces de la coalition ont facilement renversé le
régime taliban mais n’ont pas réussi à prendre le
contrôle du pays. Pourquoi ?
Tout d’abord, l’actuel gouvernement d’Afghanistan
n’est pas reconnu par les Pachtounes. Quand les Talibans ont été
renversés, les Etats-Unis ont placé Hamid Karzai comme président.
Karzai, qui a travaillé pour Unocal, est un Pachtoune mais il n’a
pas de base sociale en Afghanistan. En fait, les Pachtounes, premier groupe
ethnique du pays, ne sont pas vraiment représentés dans ce gouvernement.
Il y a juste quelques marionnettes de Washington sans aucune légitimité
auprès de la population. Au départ, les Etats-Unis essayèrent
bien d’acheter des Pachtounes représentatifs pour participer au
gouvernement, mais ceux-ci ont pris l’argent et se sont tirés :
comme je l’ai dit, les Pachtounes sont très indépendants
!
Deuxièmement, les seigneurs de guerre présents
au gouvernement travaillent chacun dans leur propre intérêt. Ils
ne paient pas de taxéès au gouvernement central, mais s’approprient les
richesses. Chaque ministère est le ministère indépendant
d’un seigneur de guerre. Une situation chaotique qui paralyse le gouvernement.
Troisièmement, les seigneurs de guerre ne font pas confiance aux Pachtounes.
Ils pensent que si ces derniers prennent la majorité au gouvernement,
ils imposeront leur vision. Bref, c’est un gouvernement où tout
le monde est contre tout le monde. Tous les films que l’Occident s’est
faits, ça ne marche absolument pas !
Enfin, nous pouvons dire également que les forces de l’Otan n’aident
pas Hamid Karzai dans son travail en bombardant des paysans dans leurs fermes,
dans les mosquées, à des mariages ou à des funérailles…
L’actuel gouvernement est perçu par une grosse partie de la population
comme un instrument de l’agresseur. Tous ces meurtres ont créé
un soulèvement populaire et unifié la résistance des Talibans.
Conséquence de cette guerre, la production d’opium
a augmenté : plus de 3.000% depuis la chute du régime taliban.
Le département d’Etat US a accusé les Talibans d’utiliser
la drogue pour financer la résistance…
L’opium est un produit chimique provenant du pavot. Quand la fleur de
pavot éclot, vous la coupez, collectez le lait qui en coule et le vendez.
C’est ce que font les paysans afghans. Ensuite, des personnes assèchent
ce lait, le travaillent dans une machine en ajoutant des produits chimiques
pour finalement obtenir de l’opium. Pour produire cette drogue, vous avez
besoin d’un laboratoire et de connaissances en chimie. Je ne pense pas
que les paysans afghans détiennent tous un diplôme de chimiste.
Si c’était le cas, l’Afghanistan serait un pays très
développé ! Pour tirer de l’argent du trafic d’opium,
vous avez également besoin d’une certaine logistique pour pouvoir
ramener le produit en Occident. Les Talibans n’ont rien de tout cela.
En fait, l’opium provient des seigneurs de guerre, avec l’aide de
la CIA. La plupart du temps, cette drogue vient des services secrets US qui
l’utilisent comme un fonds rentable, portant la drogue dans les pays occidentaux,
la vendant au prix du marché et utilisant ensuite cet argent sale pour
financer leurs guerres.
En Afghanistan, la culture du pavot a commencé avec la guerre contre
les Soviétiques et aujourd’hui, l’industrie de l’opium
est aux mains de seigneurs de guerre. Or, pour un paysan, cultiver le pavot
rapporte beaucoup plus que cultiver des tomates. Pour se constituer une base
sociale, les seigneurs de guerre ont donc laissé les paysans cultiver
ce qu' ils voulaient.
Par contre, lorsque les Talibans avaient pris le pouvoir dans
les années 90, ils avaient brûlé les champs de pavots. Se
faisant beaucoup d’ennemis au sein de la paysannerie. C’est pourquoi
aujourd’hui, les Talibans n’empêchent plus les paysans de
cultiver le pavot, mais interdisent la production d’opium. Ils retirent
même des bénéfices grâce à la contribution
financière des paysans. En fait, le gouvernement central n’a aucune
possibilité de percevoir une taxéè dans le Sud du pays, car tout est aux
mains des Talibans. Or, un gouvernement incapable de percevoir une taxéè n’est
pas un gouvernement !
Beaucoup de spécialistes considèrent que la
guerre en Afghanistan est impossible à gagner. Le général
français Georgelin l’a même qualifiée de « merdier
ingérable ». Quelles sont les difficultés rencontrées
par les forces de la coalition ?
L’OTAN tue des civils chaque jour. Dès lors, la
population s’est rapprochée des Talibans. A présent, ceux-ci
contrôlent le Sud du pays, avec un gouvernement de fait dans chaque village.
Ils sont mélangés à la population et les forces de l’OTAN
enregistrent des pertes. Du coup, dès que quelque chose de suspect bouge,
les GI’s ouvrent le feu, tuant des civils par la même occasion.
Donc, les Afghans font face, d’un côté, aux seigneurs de
guerre impérialistes bombardant des civils et, de l’autre côté,
aux seigneurs de guerre régionaux pillant le pays et vendant de la drogue.
Voilà pourquoi les Talibans ont le soutien de la population. Non qu' ils
aient des idées progressistes, mais elle attend d’eux qu' ils
ramènent la paix dans le pays. Exactement comme ils l’ont fait
en 1992.
Est-ce pour cela qu' Obama s’est dit prêt
à négocier avec les Talibans modérés ?
Il essaie de protéger les Etats-Unis d’une crise
qui s’est accumulée depuis les sept dernières décennies.
Et c’est très difficile. Obama veut montrer qu' il n’y
a pas de guerre contre les musulmans, qu' il rejette le prétendu
choc des civilisations. Il s’est donc dit prêt à négocier
avec les Talibans modérés. Telle est la nouvelle politique US
pour de nombreux endroits du monde où il y a des mouvements musulmans
: les diviser entre les bons et les méchants.
Je ne sais si ce genre de négociations pourra mettre fin au conflit.
Si Washington essaie cette voie, elle devra probablement programmer une nouvelle
propagande montrant les Talibans sous leur bon côté. Mais ils ont
des mentalités arriérées : ils ont détruit des temples
bouddhistes pour installer la révolution islamique, leurs positions contre
les femmes sont primitives et leur vision du monde archaïque. D’un
autre côté, pour obtenir le soutien de la population, ils ont quand
même appris de leurs erreurs. J’ai évoqué la culture
du pavot. Un autre exemple : contrairement à ce qu' ils avaient
préconisé par le passé, les Talibans sont aujourd’hui
d’accord avec le fait que les filles puissent aller à l’école.
Ils ont évolué et sont plus forts pour résister. Mais ça
ne veut pas forcément dire qu' ils seront ouverts pour négocier
avec les Etats-Unis. Enfin, vous devez aussi tenir compte du fait que, désormais,
le plus gros de la crise n’est plus en Afghanistan, mais au Pakistan.
Pourquoi la guerre afghane a-t-elle provoqué une telle
crise au Pakistan ?
Comme je l’ai dit, la ligne de Durand tracée dans
le territoire historique des Pachtounes est l’actuelle frontière
séparant les deux pays. Ce qui veut dire que vous avez des Pachtounes
des deux côtés de la frontière. Au Pakistan, ils sont le
deuxième groupe ethnique après les Punjabis. C’est très
important. Car l’élite pakistanaise, depuis l’indépendance
du pays, a toujours soutenu l’impérialisme US. Vous pouvez travailler
en tant qu' agent de votre patron quand vous accomplissez pour lui un boulot
au loin, en Amérique du Sud ou en Afrique par exemple. Mais dans le cas
de la guerre d’Afghanistan, c’est un suicide car les deux pays sont
voisins et se partagent des groupes ethniques.
Il y a des Talibans dans le Nord du Pakistan aussi. Chaque jour, ils attaquent
et détruisent les ravitaillements des forces de la coalition supposés
passer du Pakistan à l’Afghanistan par un endroit stratégique
de la frontière. Pour résoudre ce problème, le gouvernement
pakistanais, marionnette de Washington, autorise l’Otan à bombarder
les Pachtounes sur son propre territoire. En conséquence, les Talibans
pakistanais se sont développés et estiment maintenant que leur
ennemi est au Pakistan. Ils ont déclaré vouloir marcher sur Islamabad.
C’est pourquoi la frontière entre les deux pays n’a plus
de sens. Et le peuple pakistanais doit faire face à ce problème
: où est la légitimité du gouvernement pakistanais s’il
laisse l’OTAN bombarder ses propres civils ? Le peuple pakistanais a maintenant
deux solutions : devenir nationaliste et refuser le diktat US ou continuer sur
cette voie qui mène à la disparition de son pays.
Quelles pourraient être les conséquences de cette
crise ?
La clé, c’est la stratégie des Etats-Unis
pour bloquer la Chine. Quand le tsunami est survenu, Washington a envoyé
une importante aide humanitaire en Indonésie. En profitant pour y construire
une base militaire dans la province d’Aceh. Cette base fait face au détroit
de Malacca et c’est par ce détroit que passe le pétrole
provenant de l’Océan Indien et à destination de la Chine.
Aujourd’hui, les Etats-Unis sont installés à
cet endroit stratégique. Au moindre problème avec la Chine, ils
seront en mesure de fermer ce détroit et priver Pékin de son pétrole.
Tenant compte de cette situation, le géant asiatique - qui a de plus
en plus besoin de pétrole pour développer son pays - cherche d’autres
voies d’acheminement. Une solution passe par la Birmanie, qui a des ressources
et qui pourrait permettre un accès vers le Bangladesh.
Une autre possibilité, c’est le port de Gwandar, construit par
la Chine au Baluchistan qui est la plus grande province du Pakistan : environ
48% de la superficie du pays. Mais c’est aussi la province la moins peuplée
: 5% de la population totale. Cette province a d’importantes réserves
de gaz et de pétrole. Pékin pourrait aussi construire un pipeline
partant de l’Iran et passant par le Baluchistan avant de rejoindre la
Chine occidentale. Mais les Etats-Unis veulent absolument empêcher cette
province de passer dans la sphère d’influence chinoise. D’où
leur soutien au mouvement séparatiste du Baluchistan, afin de prendre,
eux, le contrôle du port de Gwandar.
Avec, d’un côté, le problème des Pachtounes, et, de
l’autre côté, la possible sécession de sa plus grande
province, le Pakistan risque une balkanisation : l’éclatement en
une série de petits Etats. Aujourd’hui, le peuple pakistanais devient
plus attentif. C’est à lui que revient le devoir de stopper ce
désastre et de virer les Etats-Unis du Pakistan. Mais c’est aussi
la responsabilité de tous les mouvements démocratiques révolutionnaires
de la région. En effet, si le Pakistan connaît le même sort
que la Yougoslavie, toute la région devra faire face à des très
graves problèmes.
Mohamed Hassan recommande les lectures suivantes :
Source http://www.michelcollon.info
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