Corée du Nord et USA : qui menace qui ?
Stephen Gowans
A
propos du test nucléaire de la Corée du Nord
Washington déclare qu' elle n’a pas
l’intention d’attaquer ou d’envahir la Corée du Nord
; les propos de la Corée du Nord selon laquelle elle réagit simplement
aux menaces et intimidations US seraient de la pure paranoïa. Pourtant
quiconque prétend que la Corée du Nord n’est pas menacée,
n’est pas pris au sérieux ou sert seulement la propagande.
La Corée du Nord tente depuis plus de 50 ans de parvenir
à une sorte de coexistence pacifique avec Washington ; mais ses efforts
de paix ont été à plusieurs reprises sapés. Il n’y
a pas si longtemps, par exemple, le secrétaire d’Etat Colin Powel
avait rejeté une offre de coexistence pacifique de la Corée du
Nord en disant : « Nous ne signons pas de traité de paix, de pacte
de non-agression ou de choses de cette nature. » C’est exact. Les
Etats-Unis ne font pas cela. Ils tentent d’obtenir ce qu' ils veulent
par l’intimidation.
Ainsi Washington déclare que la Corée du Nord fait partie d’un
« axe du mal », envahit et occupe un autre pays du prétendu
« axe du mal », l’Irak. C’est alors que John Bolton,
alors sous-secrétaire d’Etat US en charge du contrôle des
armes, menace la Corée du Nord, la Syrie et l’Iran d’appliquer
« la leçon qui convient ».
La Corée du Nord a connu une histoire de domination, de pillage et d’exploitation
par les pays les plus vastes et les plus puissants. C’est pourquoi elle
est fièrement anti-impérialiste et attachée à son
indépendance. Elle a tiré la leçon appropriée -
il ne s’agissait pas seulement de la leçon que Washington voulait
qu' elle tire, mais celle à laquelle l’histoire de la Corée
du Nord la préparait.
Pas de danger
Le seul danger que pose la Corée du Nord est celui de
perturber les plans US d’attaquer le pays. Ce n’est pas une menace
offensive.
D’abord il n’est pas sûr que Pyongyang dispose même
d’une tête nucléaire valable. La validité du test
nucléaire reste en question. Ensuite, elle n’a pas de moyens fiable
pour projeter un tête nucléaire. Ses tests de missiles balistiques
n’ont pas été particulièrement un succès.
Enfin, elle affronte un considérable défi technique en fabriquant
sa bombe qui, pour être utilisable, doit être assez petite pour
entrer dans une tête de missile ou une charge d’artillerie ou une
bombe aérienne.
Il reste cependant assez d’ambiguïté sur
les capacités nucléaires de la Corée du Nord pour que Washington
réfléchisse bien avant d’entreprendre une attaque.
La Corée du Nord est militairement très faible. Le budget militaire
des Etats-Unis avoisine les 500 milliards de dollars par an. Celui de la Corée
du Nord est d’environ 5 milliars de dollars par an, soit 1% de celui des
Etats-Unis. Les pilotes de combat nord-coréens n’ont que 2 heures
de vol par mois, parce qu' ils n’ont pas assez de fueil pour leurs
avions. Leur équipement est ancien et inférieur comparé
à celui de la Corée du Sud et des troupes US stationnées
dans la péninsule. Et bien que la Corée du Nord dispose d’une
armée d’un million d’hommes, la moitié est engagée
dans l’agriculture et la construction.
La dernière résolution du Conseil de Sécurité
des Nations Unies vise à maintenir l’état de faiblesse de
la Corée du Nord en lui interdisant d’acheter de l’équipement
militaire, des chars d’assaut, des systèmes d’artillerie,
des navires de guerre. Il ne s’agit pas de nuire à la Corée
du Nord en tant que menace offensive, ce qu' elle n’est pas, mais
de la préparer pour une invasion aisée. La Corée du Nord
représente-t-elle un danger ? Comme le déclare Bruce Cumings,
probablement le meilleur expert de la Corée, dans le New York Times le
12 octobre, la Corée du Nord « n’est pas en train de commettre
un suicide en attaquant la Corée du Sud ou le Japon avec des bombes nucléaires.
Elle sait qu' elle perdrait. Son orientation fondamentale est de se mettre
à l’abri pour sa défense. »
Conséquences
Les Etats-Unis veulent utiliser le test nucléaire pour
soutenir leur plan de missiles de défense, qui a les faveurs de la classe
des riches sociétés aux Etats-Unis et qui pourrait rapporter d’immenses
profits. Le Japon veut utiliser le test nucléaire pour éliminer
sa constitution pacifiste et ouvrir une nouvelle étape dans sa route
vers la résurection de son passé militariste.
Un mois avant qu' il ne devienne le premier ministre du Japon, Shinzo Abe
a évoqué la construction d’installations capables d’attaquer
préventivement la Corée du Nord.
Il est clair qu' Abe souhaite la restauration de l’armée japonaise,
qui passerait d’une force d’auto-défense à une force
capable d’opérer au-delà de ses frontières. A la
façon des grands impérialistes, celle-ci opérerait comme
avant qu' elle ait été stoppée dans une bataille contre
les Etats-Unis qui cherchaient à contrôler le Pacifique durant
la Seconde Guerre mondiale. Il agite la menace de la Corée du Nord afin
de mettre en place l’appareil militaire et construire un impérialisme
japonais puissant.
Crise programmée par Washington
Washington a proféré à plusieurs reprises
des menaces nucléaires contre la Corée du Nord. après la
Guerre de Corée, elle a introduit un arsenal nucléaire en Corée
du Sud, destiné à être utisé dans la première
phase d’une guerre contre la RPDC.
La Corée du Nord s’est retirée du Traité de Non-Prolifération
nucléaire au début des années 90 (pour le rejoindre plus
tard) après l’annonce par les Etats-Unis que certains de leurs
missiles stratégiques nucléaires pointés vers l’Union
soviétique avaient été re-dirigés vers la Corée
du Nord.
En 1998, les Etats-Unis ont simulé une attaque nucléaire à
longue portée sur la Corée du Nord. Au même moment, un général
des Marines a déclaré que Washington avait planifié un
renversement du gouvernement de la Corée du Nord pour le remplacer par
un régime fantoche ainsi que l’éventuelle utilisation de
frappes préventives.
Dans sa Nuclear Posture Review de 2002, Washington annonce
qu' elle se réserve le droit d’utiliser des armes nucléaires
contre la Corée du Nord.
Un des principes fondamentaux de la non-prolifération est que les pays
nucléaires ne menacent pas les pays non-nucléaires par des armes
nucléaires. Les Etats-Unis ont violé maintes fois ce principe.
Le Conseil de Sécurité
Le prédécesseur des Nations Unies, la Ligue des
Nations, a été un jour qualifiée de la cuisine des voleurs,
ce qui est une assez bonne description du Conseil de Sécurité
des Nations Unies. Les résolutions du Conseil de Sécurité
contre la Corée du Nord sont formulées de façon à
désarmer et affaiblir le pays, afin qu' il puisse être plus
facilement dominé et pillé. En fait, on peut généraliser
cela pour les autres pays faibles. Les résolutions du Conseil de Sécurité
ne profitent pas au monde dans son ensemble, elles profitent aux membres permanents
du Conseil de Sécurité, habituellement aux crochets du gros de
l’humanité.
Derrière l’hypocrisie
Si les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et d’autres
peuvent avoir des armes nucléaires, pourquoi pas la Corée du Nord
? La réponse, bien sûr, est que les pays riches veulent préserver
leur monopole nucléaire afin de pouvoir aisément écarter
les pays faibles. D’autres pays ne peuvent avoir des armes nucléaires
parce cela créerait une menace potentielle pour leur défense.
Les tentatives de non-prolifération menées par les Etats-Unis
n’ont rien à voir avec la protection du monde contre une guerre
nucléaire, mais bien avec la protection de la capacité de Pyongyang
d’intimider et cela par la force.
De plus, Washington n’est pas vraiment opposée
à la prolifération, sauf si elle implique des pays qui refusent
d’être dominés. Les Etats-Unis parlent de transférer
des technologies nucléaires à l’Inde, tandis que l’Inde
n’a pas ratifié le traité de non-prolifération. La
France a transféré des technologies nucléaires à
Israël, qui les utilisent pour constituer un arsenal de centaines d’armes
nucléaires. Washington veut utiliser l’Inde par procuration contre
la Chine et Israël agit par procuration des Etats-Unis au Moyen Orient.
Ainsi il n’y a aucun problème pour Washington à proliférer
en faveur de ces pays. Mais pour la Corée du Nord, qui cherche à
rester libre de toute domination par d’autres pays, c’est interdit
d’avoir des moyens effectifs d’auto-défense.
La véritable menace
La véritable menace n’est pas la Corée
du Nord. Bien sûr l’idée que la Corée du Nord présente
un danger pourrait être risible, ou insensée, car elle a peu à
voir avec la réalité.
La véritable menace, c’est ce système pourri de l’impérialisme,
par lequel une poignée de pays riches cherchent à dominer la majorité
des pays représentant le gros de l’humanité, au profit des
sociétés pétrolières, des banques financières,
de l’industrie militaire et des sociétés riches.
Voilà ce qui devrait véritablement préoccuper les gens,
et pas les tentatives de la Corée du Nord de jeter un bâton dans
les roues des Etats-Unis, qui depuis plus de cinquante ans tentent de succéder
au Japon en tant que maîtres de toute la péninsule coréenne.
Au plus longtemps la Corée du Nord se maintient, au mieux c’est
pour le reste d’entre nous. C’est pourquoi, la Corée du Nord
mérite notre solidarité et notre soutien, au même titre
que la Belgique, les Pays-Bas, la France, l’Union soviétique, etc.,
méritaient notre solidarité et notre soutien quand elles ont été
menacées par le passé par un autre agresseur infernal, qui voulait
dominer le monde.
(Stephen Gowans blog , 16 october 2006)
sommaire