Chine : Les conflits salariaux gagnent en violence
S’il existe en Chine une censure y compris sur internet
concernant les actes gouvernementaux, les relations avec l’étranger,
et plus généralement la pornographie, en revanche la presse relate
les problèmes sociaux, ce qui fait que l’on peut effectivement
à travers cette presse avoir un aussi bon si ce n’est meilleur
baromètre qu' en occident sur ces questions. Mais c’est sur
internet que l’on trouve à profusion ces exemples d’exploitation
et de protestation . Il faut noter encore que si la Chine a connu une spectaculaire
évolution salariale et du revenu, le sort des travailleurs migrants continue
à cumuler les injustices.
Ces dénonciations interviennent dans le contexte d’autres
qui se multiplient et concernent « la nouvelle bourgeoisie ». Le
quotidien du peuple chinois a dénoncé la dérive criminelle
de la nouvelle bourgeoisie dans un article en ligne du 7 janvier (1)en
déclarant que la nouvelle bourgeoisie chinoise est en train de prendre
le chemin de la criminalité dans le but d’accumuler des richesses.
L’article cite l’avocat Wang Rongli, qui exerce à Shenzen
et est specialisé dans les enquêtes d’entrepreneurs corrompus.
Cet avocat dit que la criminalité économique allait croissante
dans les dernières années. Il a enqueté sur les entreprises
privées et les chefs des entreprises publiques. L’avocat a signalé
que les entreprises privées commettaient des frraudes de tout type et
commettaient également des crimes violents.
C’est dans un tel contexte que l’on voit se multiplier les revendica
tions et les luttes des travailleurs migrants et une large publicité
leur est faite. L’avocat a signalé que les entreprises privées
et les chefs d’entreprises publiques sont châtiées avec une
extrême rigueur. Et l’article cite, par exemple le membre suppléant
du CC Cheng Tonghai qui a été condamné à mort avec
un moratoire de deux ans. Il signale également que certains entrepreneurs
privés corrompus sont membres des assemblées populaires.
Cet article témoigne de la volonté du Parti, de l’Etat et
du Peuple non seulement de châtier sans pitié les activités
criminelles de la nouvelle bourgeoisie et des traîtres mais surtout de
se donner les moyens nécessaires pour éviter que cette nouvelle
bourgeoisie ne songe à prendre le pouvoir en disputant celui du Parti
et en restaurant le capitalisme. Il semble que la volonté de développement
sur le « enrichissez vous » ait eu des effets plus que pervers et
on assiste aujourd’hui, en Chine à la volonté de les dominer.
Ils correspondent d’ailleurs à des phénomènes économiques
préoccupants comme les bulles spéculatives sur l’immobilier,
la difficulté accru de se loger, les malversations et à terme
des risques comparables à ceux de la crise des subprimes aux Etats-Unis.
On ne comprend rien à la position de la Chine si l’on
ne mesure pas l’ampleur des défis auxquels son développement
l’a confronté, défis environnementaux mais aussi défis
économiques et sociaux immenses, démesurés. Comment conserver
le dynamisme d’une économie qui est désormais la deuxième
du monde en essayant dans le même temps de trouver une « harmonie
sociale » mise à mal. Le leadership du parti sur la société
depend de sa capacité à gérer les contradictions qui vont
de la naissance d’une nouvelle bourgeoisie tentée par les choix
capitalistes et les problèmes de chômage et de salaire d’une
grande part de la population. Et quand le gouvernement chinois explique qu' il
n’a aucune volonté de partager un G2 avec les Etats-Unis, si certains
y voient simplement l’attente d’un moment où la Chine aura
le G1, il est plus raisonnable de croire ce que dit le même gouvernement
: à savoir que comme pour la crise résoudre les problèmes
d’un quart de l’humanité est bien suffisant.
Pour brosser le contexte de l’aiguisement des conflits
salariaux et de la publicité qui leur est faite, il faut encore souligner
la nécessité dans laquelle se trouve désormais la Chine
de transformer une grande part de sa législation et de ce qu' on
appellerait ici le service public. C’est un immense chantier.
Si la Chine parait avoir résisté à la crise et joue même
actuellement un rôle positif pour le monde dans l’attenuation de
ses effets, il ne faut pas non plus souestimer le choc que ce pays a du affronter,
un pays où tout est démesuré. Ainsi en 2009, quelque 20
millions de travailleurs migrants en Chine sont rentrés dans leurs campagnes
parce qu' ils avaient perdu leur emploi ou n’arrivaient pas à
en trouver, dans le contexte actuel de crise économique, avait annoncé
le gouvernement à la fin 2009.(2)
« Selon nos calculs, 15,3% des quelque 130 millions de ruraux qui migrent
pour travailler, ont perdu leur emploi ou n’en ont pas trouvé »,
a affirmé Chen Xiwen, un responsable gouvernemental lors d’une
conférence de presse. En conséquence, « quelque 20 millions
de travailleurs ruraux migrants ont soit perdu leur emploi, soit n’en
ont pas encore trouvé, et sont rentrés chez eux, à cause
de la crise », a-t-il ajouté.
Ces statistiques sont nettement plus alarmantes que celles
publiées il y a une dizaine de jours par le gouvernement. Le Bureau National
des Statistiques (BNS) avait estimé juste avant les vacances du Nouvel
an chinois qu' environ six millions de personnes étaient rentrées
chez elles après avoir perdu leur emploi en ville à cause de la
crise financière internationale. Le BNS n’avait pas cité
précisément ce chiffre mais estimé la population privée
d’emploi chez les migrants à « 20% des quelque trente de
millions de personnes retournées dans leurs régions d’origine
».
Pékin s’est à plusieurs reprises alarmé
ces dernières semaines de la situation de l’emploi, notamment celle
des travailleurs les plus vulnérables, les ruraux ayant quitté
leurs campagnes pour s’employer dans les régions industrialisées.
Ces inquiétudes avaient avivées par la brusque décélération
de l’économie, qui avait progressé de 9,0% sur un an en
2008 – mais de seulement 6,8% au dernier trimestre de la même année
- selon les statitisques du BNS. Les analystes estiment que le produit intérieur
brut doit au moins croître de 8% par an pour garder le taux d’emploi
à un niveau acceptable. Depuis grâce aux mesures de stimulation
de l’économie et du marché intérieur, selon un schéma
keynesien des plus classiques, la croissance a retrouvé un rythme satisfaisant,
mais cela a accru d’autres phénomènes comme celui déjà
noté de « bulle possible sur l’immobilier » et les
phénomènes de corruption.
La violence faite aux travailleurs migrants par les entrepreneurs
Voici le genre de nouvelle qui fait grand bruit dans la presse
et sur internet. Un travailleur migrant, originaire de la province du Hebei,
a été poignardé le 9 janvier dernier à Beijing,
après avoir réclamé des arriérés de salaire
auprès d’un sous-traitant ; l’homme a perdu un rein, précise
l’article paru dans le journal Yangchen
Evening News. L’événement a été surnommé
l’affaire “ Salaire réclamé, rein perdu ” par
les médias chinois.
Selon le Yangcheng Evening News, Gao Zhiqiang, un père de trois enfants
âgé de 28 ans, a subi l’ablation de son rein droit après
avoir reçu des coups de couteaux commandités par le sous-traitant
auquel il avait demandé 70 yuans (7 euros) d’arriérés
de salaire. Un médecin a évalué les frais médicaux
de Gao à près de 50 000 yuans (5 107 euros).
Le cas de Gao n’est en aucune manière un incident
isolé. En novembre 2009, “ le passage à tabac et l’humiliation
” de Wang Hongli pousse à faire le lien entre le fait de réclamer
un arriéré de salaire et être agressé. Selon le site
internet Shanxi News Network [en chinois comme tous les liens du billet], Wang
Hongli et son mari Hao Shi furent battus et humiliés par l’employeur
de Wang et trois autres hommes à Hangzhou, dans la province du Zhejiang,
après avoir fait une demande de rappel de salaire. Ces drames attirent
l’attention sur un problème, plus large et très répandu,
relatif aux salaires illégalement retenus des travailleurs migrants de
l’intérieur. Des expressions telles que “ quémander
sa paye ” ou “ la retenue malintentionnée de salaire ”
sont devenues monnaie courante dans les médias chinois.
Dans un article paru sur le blog Jingchu Net, Wei Bin décrit
les épreuves souvent rencontrées par les travailleurs venu de
la campagne pour réclamer leurs payes, justement gagnées, et les
implications sociales de tels dilemmes. Ces dernières années,
Internet et les journaux se sont constamment fait l’écho de toute
une variété de moyens utilisés par les “ travailleurs
migrants ” pour réclamer leurs salaires, parmi lesquels l’organisation
de sit-in, de manifestations, de marches, mais aussi le fait de se jeter du
haut d’un immeuble. Le choix de ces modes d’expression extrêmes
est révélateur d’une infinie souffrance et d’une impuissance
sous-jacentes, ils témoignent que le prix de la défense de leurs
droits est trop élevé. Celui-ci est devenu un fardeau trop lourd
à porter pour les travailleurs migrants.
La récente agression à l’arme blanche est évoquée
sur le blog Worker’s Daily dans un billet – parlant d’un arriéré
de paiement de 140 yuans (environ 14 euros) – qui rappelle aux lecteurs
qu' alors que nombreux sont ceux qui conseillent aux travailleurs migrants
de porter leur affaire devant le ministère du Travail, une grande partie
de cette population n’a pas de contrat de travail et aucun moyen de se
faire représenter légalement. L’article s’interroge
plutôt sur le fait que de tels événements soient devenus
communs en Chine, et se demande si le statut social du travailleur migrant s’est,
oui ou non, dégradé.
Au lieu de rappeler aux travailleurs migrants comment défendre légalement,
et par le biais d’organismes, leurs droits, j’ai peur qu' il
faille plutôt se demander pourquoi les retenues malintentionnées
de salaires par des sous-traitants n’ont pas été réprimées,
ou pourquoi des sous-traitants clament-ils si ouvertement : “ Nous poignarderons
à mort ceux qui réclament leur argent. ” Sont-ce les vagues
notions juridiques que possède le sous-traitant qui lui laissent penser
que la retenue malintentionnée de salaire n’est pas bien grave
? Ou que le fait de poignarder un travailleur migrant n’est pas bien grave
non plus ?
Selon l’article 50 de la Loi sur le Travail en République
populaire de Chine :
Le salaire doit être versé mensuellement et en espèces à
l’ouvrier. Le salaire de l’ouvrier ne saurait subir ni diminution
ni retard.
Chen Bulei, chercheur à l’institut d’étude des Relations
au travail de l’université du Peuple, a déclaré,
lors d’un entretien accordé au site Shanxi News Network, que cette
loi manquait de précision et de clarté, toutes deux nécessaires
à la mise en place d’un système de paiement efficace pour
les travailleurs migrants.
Il manque [dans la loi chinoise sur le travail] un système de paiement
des salaires clair et rigoureux. Le tout est largement subordonné au
respect des lois, au niveau de connaissance et aux principes moraux en vigueur
dans un lieu de travail donné. Tout dépend des engagements que
l’employeur prend avec lui-même ; les obligations inhérentes
au système, telles qu' elles sont édictées par la
loi, ne sont pas suffisantes.
Les sites d’information The Chaozhou Daily et Yangzhou News se font tous
deux l’écho d’une recrudescence des cas de retenue de payes
à l’encontre de travailleurs migrants à l’approche
du Nouvel An chinois. Selon The Chaozhou Daily, le nombre de ce genre de cas
s’élèverait à entre dix et vingt par jour pour la
ville de Chaozhou, dans la province du Fujian, alors que les ouvriers se préparent
à rentrer chez eux pour les fêtes du Nouvel An chinois.(3)
Ainsi comme l’explique un récent article de Chine
Aujourd’hui, Pékin s’apprête à remplacer le
système controversé du permis de résidence temporaire par
un nouveau système afin de mieux gérer et maîtriser le flot
de sa population de migrants.
Les migrants travaillant à Pékin seront sommés d’ici
la fin de l’année prochaine de fournir aux autorités municipales
des informations telles que leur lieu de résidence ou le nom de leur
employeur afin de souscrire à un nouveau système de permis de
résidence.
Actuellement, plus de 8 millions de personnes sont titulaires d’un permis
de résidence temporaire, un chiffre bien inférieur au nombre de
migrants réellement présents dans la capitale. C’est précisément
pour remédier à cet écart que les autorités ont
élaboré un nouveau système.
Contrôler les flux de migrations internes
Le permis de résidence temporaire a fait son apparition
au début des années 1980 dans un but bien précis : contrôler
les flux de migrations internes et obtenir une image précise de cette
population « flottante ».
La possession de ce document est en principe obligatoire pour
les travailleurs migrants, au risque d’être placés en détention
et rapatriés dans leurs provinces d’origine. Les autorités
ont cependant dû faire preuve de souplesse après une affaire peu
glorieuse, rappelle le South China Morning Post : Sun Zhigang, un travailleur
migrant originaire de Canton, avait été battu à mort en
2003 après avoir été jeté en prison faute d’être
en possession d’un permis de résidence temporaire. Résultat,
cette règle est presque devenue obsolète et ceux qui ne possèdent
pas ce permis aujourd’hui ne s’en formalisent pas outre mesure.
Un laxéisme censé disparaître avec le nouveau système.
A première vue, la disparition de la mention « temporaire »
sur le nouveau titre de résidence le rend plus avenant. Les détails
que livre le Beijing Youth Daily permettent toutefois d’en douter. Parmi
les nouveautés, le permis contiendra une puce électronique sur
laquelle seront stockées des informations comme le nom, l’âge
et la ville d’origine de son détenteur. Et pour inciter les migrants
à s’enregistrer, les autorités ont associé à
ce nouveau permis des avantages sociaux. Reste à en préciser le
contenu. « Le gouvernement est toujours en train d’y réflechir
», a affirmé au quotidien Miao Lin, directeur du bureau local de
l’administration urbaine.
Le tout-puissant hukou
Ces avantages sociaux permettront-ils de remédier aux
discriminations liées au fameux « hukou », comme le laissent
entendre les autorités ? Peu probable, selon les experts. « Le
changement ne résout aucun des problèmes sous-jacents »,
avance Shen Mengpei, membre du Congrès populaire, dans le China Daily.
Héritage des années Mao, ce livret de résidence
est attribué à chaque citoyen dès la naissance. Destiné
à contrôler les flux migratoires, il continue de diviser la population
entre ruraux et urbains. L’accès aux logements sociaux, école,
santé, transports nécessite d’avoir le bon hukou, ce qui
n’est pas le cas des millions de migrants de la capitale et des autres
grandes villes.
« Le problème crucial du système du hukou
est que les migrants n’ont pas des droits égaux dans une ville.
Changer le permis de résidence temporaire en un nouveau système
de permis ne peut certainement pas faire disparaître la discrimination
liée aux origines », rappelle Shen. « Le gouvernement devra
tôt ou tard mettre fin au système du hukou », conclut l’expert.
Certaines villes comme Shanghai s’y sont déjà attelées.(4)
Sans conclusion, suivre le processus…
Quand Ivy Wallerstein dans un article publié ici même
s’interroge sur le fait qu' aujourd’hui nous sommes incapables
d’avoir une opinion tranchée sur le système social chinois,
sur sa volonté impérialiste ou non certains attribuent cette ambiguité
à un stéréotype sur la mentalité chinoise, d’autres
y voient non sans raison le fruit d’une demesure de l’espace et
du temps chinois, une accélération de l’Histoire sans précédent
dans un espace dix huit fois plus grand que la France. Ce qui est sur est qu' il
souvent tranché sur le cas chinois avec une totale méconnaissance
des enjeux et des dispositions qui sont à l’essai ici ou là,
parce qu' une autre caractéristique de la politique chinoise est
le pragmatisme, les tentatives avant de figer une situation.
Personnellement il me semble qu' outre cette démesure
et cette hétéréogénéité de l’espace
et du temps de développement de la Chine, il faudrait y ajouter la pression
sociale(5)
et les débats et lutte de tendance tant au niveau local qu' au niveau
national au sein du parti dirigeant, le parti communiste.
Notes
(1) article complet http://french.people.com.cn/VieSociale/6862199.html
le blog civilizacionsocialista.blogspot.com dont un des rédacteurs a
vécu il y a peu quelques années en Chine a relevé cet exemple
sur lequel nous avions nous même écrit un article, plus généralement
le rédacteur en question table sur un véritable virage à
gauche du gouvernement chinois.
(2)20 millions de travailleurs migrants
sans emploi en Chine le 2/2/2009 par AFP
(3)2010-01-19 @ 19:25 EST · Billet
publié par Don Weinland Traduit par Samantha Deman · Voir le billet
en anglais
(4) Pékin veut adapter le permis
de résidence temporaire de ses migrants le 5/12/2009 à 14h02 par
Mathilde Bonnassieux (Aujourd’hui la Chine)
(5) pour les amateurs de « Chine
éternelle » et qui voient dans le parti le digne sucesseur de l’Empire
chinois, je signale le bien connu des sinologues (voir Marcel Granet) mandat
céleste et le droit à l’insurrection populaire qui en découle
quand l’empereur n’a visiblement plus le mandat celeste, c’est
quelque chose qui se rapproche assez de nos droits de l’hommes révolutionnaires
de 1792 à l’insurrection populaire.
Source : http://socio13.wordpress.com/2010/01/27/chine-les-conflits-salariaux-gagnent-en-violence/
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