La Chine, la relance et la consommation
Martine Bulard
« Nous devrions réparer la maison avant qu' il
ne pleuve », a déclaré M. Li Yuquan, maire de Dongguan et
membre de l’Assemblée Nationale Populaire de Chine (le Parlement)
qui tient sa session annuelle à Pékin pendant neuf jours, jusqu' au
13 mars. Sa ville est particulièrement touchée par les fermetures
d’entreprises et les suppressions d’emploi (66 000 entre janvier
et février). Il propose d’ailleurs de créer un fond spécial,
alimenté par les entreprises, les collectivités locales et l’Etat
afin de faire face aux sociétés qui ne paient plus les salaires,
pour cause de faillite ou de départ précipité.
L’appel n’est pas lancé en l’air.
En effet, devant les 2 985 délégués du Parlement, le premier
ministre Wen Jiabao a reconnu : « Nous avons à faire face aux pires
difficultés jamais rencontrées depuis le début de ce siècle.
» Et de promettre : « Le gouvernement fera tout ce qui est en son
pouvoir pour stimuler l’emploi. » Des « problèmes touchant
directement aux intérêts vitaux de la population n’ont pas
été fondamentalement résolus, a-t-il indiqué dans
son discours d’ouverture. Des solutions d’urgence doivent être
prises dans les domaines de la sécurité sociale, de l’éducation,
de la santé, de la distribution des revenus et de la sécurité
publique ». C’est le prix de la « stabilité »
— mot utilisé douze fois dans son rapport, dont la version anglaise
comptait quarante- quatre pages. (Cf « China vows to address publics complaints
to maintain social stability », Xinhua, 5 mars 2009).
Les pouvoirs publics sont inquiets, et il y a de quoi. Selon
la Cour suprême du peuple, les conflits du travail ont presque doublé
en 2008, en raison du « retournement de l’économie mais aussi
de la nouvelle loi sur le contrat de travail » (sur le contenu de cette
loi et ses conséquences, lire Inde - Chine, la course du dragon et de
l’éléphant, Fayard, 2008). Plusieurs membres provinciaux
de l’Assemblée populaire ont insisté sur la détérioration
du climat social.
Ainsi, la ville de Guangzhou, l’un des plus gros centres
industriels et commerciaux du pays, a connu une hausse de 10 % des mouvements
sociaux au dernier trimestre 2008, et de 4,4 % au cours du seul mois de janvier.
« La pression est forte (…) et les conflits du travail peuvent encore
grimper à cause des faillites d’entreprises industrielles »,
a expliqué M. Du Ganhong, directeur adjoint du Bureau de maintien de
la stabilité — c’est son vrai nom — de Dongguan. Selon
lui, le mécontentement « n’a pas atteint un degré
apte à provoquer des émeutes à grande échelle. »
Mais tout peut changer.
« La Chine, a rappelé l’économiste
en vogue Li Yinning, membre de l’Assemblée populaire, doit atteindre
une croissance de 8 % pour créer suffisamment d’emploi et assurer
la stabilité sociale. » Or, pour l’heure, le pays tutoie
à peine les 7 %. Pas de quoi créer les 9 millions d’emplois
urbains en 2009, indispensables pour absorber les nouveaux entrants, les travailleurs
en provenance des zones rurales, les chômeurs. « La situation de
l’emploi est grave », a reconnu M. Yin Weimin, le ministre des ressources
humaines et de la sécurité sociale lors d’une conférence
de presse, le 10 mars (« China’s employment situation “grave”
» », Xinhua, 10 mars 2009). D’où la décision
de lancer un deuxième plan de relance de l’économie «
en temps et en heure », ainsi que l’a laissé entendre le
premier ministre.
Certaines fuites, émanant de la banque britannique Standard
Chartered, ont fait état d’un « programme de 8 000 à
10 000 milliards de yuans » — plus de 1 000 milliards d’euros.
Ce qui aurait représenté un tiers des richesses créées
par la Chine ; plus de la moitié de ses réserves. Du jamais vu
à l’échelle mondiale … et qu' on ne verra vraisemblablement
pas à Pékin. Les autorités ont démenti l’existence
d’un tel plan. Il est possible qu' il y ait eu confusion entre les
dépenses d’investissements des entreprises publiques (40 %) et
un éventuel deuxième programme de relance gouvernemental.
Il reste que le pouvoir met les bouchées doubles pour
faire passer dans les faits la relance annoncée en novembre 2008 —
une enveloppe de 4 000 milliards de yuans — 465 milliards d’euros.
Outre les investissements publics déjà programmés (lire
« Un “new deal” à la chinoise »), M. Wen Jiabao
a insisté sur la nécessité d’accomplir des efforts
en direction de deux catégories : les étudiants et les migrants
(ces travailleurs venus de la campagne dans les villes et qui ne disposent pas
de droits identiques à ceux des urbains).
Pour les premiers, le gouvernement a décidé,
entre autres, d’accorder des aides à l’embauche, de rembourser
les études de ceux qui accepteront d’aller travailler dans les
villages ruraux dès qu' ils ont obtenu leur diplôme…
Six millions de jeunes diplômés devraient quitter l’université
cette année, auxquels s’ajouteront ceux qui ont été
licenciés (un million de jeunes qualifiés). Or les débouchés
se restreignent. Cela fait des années qu' au sortir de l’université,
une partie de ces jeunes ne trouve pas d’emploi. 2009 risque d’être
plus difficile encore. Certains experts estiment que 60 % des étudiants
seront sans travail pendant plusieurs mois après la fin de leurs études.
Le taux de chômage des jeunes diplômés pourrait atteindre,
officiellement, 12 % cette année, trois fois plus que le chômage
de l’ensemble des urbains, lui-même en hausse (4,6 % en 2009 contre
4,2 % fin 2008).
Les migrants, eux, ne sont pas répertoriés dans
ces statistiques.Venus des campagnes pour travailler, soit dans les grandes
villes de leur province, soit dans les métropoles de la côte, spécialisées
dans les exportations vers les pays occidentaux, ils n’ont que peu de
droits, même si le système a profondément évolué
ces dernières années (Lire Chloé Froissart, « Le
système du hukou, pilier de la croissance chinoise et du maintien du
PCC au pouvoir », Les Etudes du Ceri, n° 149, septembre 2008). Aujourd’hui,
ils figurent parmi les premiers licenciés ou les premiers à voir
leur contrat non renouvelé. Selon les données gouvernementales,
20 millions de migrants sur 130 millions seraient sans emploi depuis le début
de l’année. Certains sont rentrés dans leur village ou dans
des villes proches de leurs lieux d’origine. Mais il semble qu' une
très grande partie d’entre eux reste sur place. La ville représente
l’espoir d’une vie meilleure, la quitter anéantirait cette
espérance. D’où l’annonce par M. Wen, d’un programme
d’investissements à l’ouest pour « rééquilibrer
le développement » et inciter les migrants à aller défricher
d’autres contrées. Le premier ministre a également dégagé
des fonds pour aider « à la création d’entreprise
individuelle ». Cela sera-t-il suffisant ? Certains craignent la «
clochardisation » de ces migrants et l’apparition de bidonvilles
dans certains quartiers des mégalopoles. D’autres redoutent des
mouvements violents de protestation. A la ville comme à la campagne,
où ceux qui rentrent ne retrouveront pas de terre et auront des difficultés
pour obtenir du travail.
Animés par la peur, ou tout simplement réalistes,
certains dirigeants prennent les devants. A Chengdu (Sichuan), la municipalité
a décidé d’accorder une allocation chômage aux travailleurs
migrants qui n’ont pas trouvé de travail au bout de trois mois
de chômage. Ils la toucheront pendant six mois. Les critères demeurent
donc restrictifs. Toutefois, c’est la première fois en Chine qu' une
telle indemnité est envisagée (cf Xinjingbao cité par la
revue de presse des Ateliers doctoraux de Pékin, février 2009,
Shs-chine.eu). De son côté, le pouvoir central a bien prévu
d’augmenter les subventions pour les allocations chômage (42 milliards
de yuans) mais seuls les travailleurs urbains y ont accès.
De plus, M. Wen a invité les directions d’entreprises,
au nom de la lutte contre le chômage, à « revoir la politique
des salaires, aller vers plus de flexibilité » — un programme
qui ne déplairait guère à Mme Laurence Parisot, la présidente
du mouvement des entreprises françaises (Medef). A Shenzen, l’une
des premières zones franches crées lors de l’ouverture de
la Chine en 1978-1979 et l’un des poumons exportateurs du pays, les dirigeants
d’entreprises ont décidé un gel des salaires en 2009, y
compris du salaire minimum. Certes, créé en 1992, ce dernier a
été multiplié par quatre en seize ans. Mais le gel actuel
est peu compatible avec la volonté affichée de faire de la consommation
un des moteurs de la croissance.
Pour l’heure, le gouvernement met le paquet sur les campagnes,
où le revenu moyen par habitant demeure trois fois moins élevé
que dans les zones urbaines (4761 yuans contre 15 781 yuans) : aides directes
aux agriculteurs, soutien des prix de certaines productions, aides à
l’achat de produits de grande consommation et notamment l’électroménager.
Toutefois, comme je l’écrivais dans le numéro de novembre
du Monde diplomatique, « il ne suffit pas d’accroître le pouvoir
d’achat pour impulser la consommation : aujourd’hui, une partie
de ce qui est gagné part dans l’épargne (le plus haut taux
du monde), les familles mettant de l’argent de côté pour
faire face à la maladie, ou à la retraite. Il faut donc simultanément
continuer à construire un système efficace de sécurité
sociale collective, encore embryonnaire, et augmenter les revenus. »
En conséquence, certains élus ont tout simplement
distribué des bons d’achat comme à Zhenjiang ou dans des
villes moyennes de la province d’Anhui, portant sur des produits précis
: télévision, ordinateurs… Mais ces tickets rappellent les
temps de pénurie et ne semblent pas avoir bonne presse. Dans plusieurs
provinces, des expériences ont été menées de réduction
des taxéès sur certains produits pour les familles rurales à faible revenu
– ce qui, selon les études officielles, aurait entraîné
une augmentation de 40 % de la consommation dans ces zones. Depuis le 1er février
2009, le gouvernement a étendu le principe et 200 000 familles vivant
à la campagne peuvent en bénéficier. Le feront-elles ?
Rien n’est moins sûr.
Car le basculement vers de nouveaux moteurs de développement
passe par la construction d’un système de sécurité
sociale digne de ce nom. Il faudrait, selon la boîte à idée
China Development Research Foundation, y consacrer 5 700 milliards de yuans
(660 milliards d’euros) au cours de la prochaine décennie. Des
chiffres qui ne sont certainement pas à prendre au pied de la lettre
mais qui donnent une idée de l’ampleur de la tâche. Pour
l’heure, le premier ministre propose d’y consacrer 850 milliards
de yuans d’ici 2011.
De toute évidence, le gouvernement chinois veut trouver
en interne les ressorts d’une croissance plus économe en matières
premières et en émission de gaz carbonique et plus dynamique afin
de lutter contre un chômage qui menace — la quadrature du cercle.
C’est pourtant sa seule garantie de maintien au pouvoir. Il est d’autant
plus déterminé, qu' au sein même de l’élite
chinoise s’est instauré un débat sur ce mode de croissance
entièrement tourné vers les exportations, qui permet d’accumuler
des dollars… lesquels servent à financer une Amérique toujours
prompte à donner des leçons de « bonne gouvernance »
et de démocratie.
Ainsi M. Luo Ping, directeur général de la Commission
de régulation bancaire, a t-il lancé devant une assemblée
de financiers, dont des Américains : « Nous vous détestons,
les gars ! (« We hate you, guys ! »). Nous savons que le dollar
va se déprécier (compte tenu de l’ampleur des déficits
américains), mais nous ne pouvons faire autre chose que de continuer
à acheter des bons du trésor américains. » (cf «
China to stick with US bonds », Financial Times, 11 février 2009).
Et d’appeler les autorités chinoises à « favoriser
les fusions et acquisitions » des entreprises chinoises, au lieu d’aider
les canards boiteux étrangers. A coté de ce point de vue plutôt
libéral, d’autres prônent l’utilisation des réserves
pour relever les revenus du bas de l’échelle afin d’augmenter
le nombre de ceux « qui atteignent la petite prospérité
» (que l’on pourrait appeler les couches moyennes) et qui sont le
symbole de la réussite par le travail — et non par la magouille
et les prévarications.
Au moment où sont distribués les 4 000 milliards
de yuans de relance, la question de la corruption n’est pas secondaire.
Publiquement, un avocat shanghaïen Yan Yiming a réclamé auprès
de la Commission nationale chargée du développement et des réformes
(CNDR), une « transparence sur les programmes municipaux et provinciaux
» et la publication d’une liste très précise des travaux
programmés, des sommes versées et leurs destinataires. Ce n’est
par hasard si ses revendications ont été publiées dans
le quotidien de la Ligue de la jeunesse communiste, Zhongguo Qingnian Bao, guère
habitué à marcher sur les plates-bandes de la dissidence. L’avocat
n’a toujours pas reçu de réponse… Mais le problème
demeure.
Un moteur moins médiatisé, l’armée
A noter, la réactivation d’un autre moteur de
la relance, sur lequel les autorités demeurent fort discrètes
: les dépenses militaires. Elles devraient atteindre 480,68 milliards
de yuans (56 milliards d’euros). Soit une hausse de près de 15
% sur l’an dernier qui était déjà en hausse de 17,6
% sur l’année précédente. Deux priorités,
selon les discours officiels : « améliorer le niveau de vie des
soldats », dont les effectifs dans l’armée de terre ont été
réduits ces dernières années et moderniser les équipements,
notamment la marine (lire Olivier Zajec, « La Chine affirme ses ambitions
navales », Le Monde diplomatique, septembre 2008). Or, on le sait d’expérience,
la relance par le militaire n’est jamais efficace. Sans parler de l’explosion
de ces dépenses d’armement dans la région : la Chine occupe
le troisième rang mondial, le Japon le cinquième, l’Inde
le dixième rang mondial (« The 15 major spender countries in 2007
» [PDF]). Une accumulation dangereuse.
L’Asie emportée dans la tourmente
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Pékin
affiche, malgré le ralentissement économique, un excédent
commercial record en janvier 2009 (dernière statistique connue) de 39,11
milliards de dollars contre 34 milliards de dollars en décembre 2008.
Bien entendu, les exportations ont chuté pour cause de récession
mondiale (-17,5 % en un mois), mais les importations ont dégringolé
encore plus (-43,7 %). A cela deux raisons principales.
1. Les lenteurs de la mise en place du plan de relance de novembre 2008, qui
font que la consommation peine à prendre le relais des exportations.
2. La Chine est encore une vaste plateforme d’assemblage de composants
fabriqués ailleurs, notamment à Taiwan, en Corée du sud,
et au Japon. Entre 50 % et 60 % du commerce intra-asiatique termine sa course
sur les marchés américains, japonais et européens. La Chine
vendant moins dans ces contrées, elle achète moins de produits
intermédiaires chez ses voisins. La chute vertigineuse de janvier confirme
d’ailleurs que les entreprises s’attendent à une contraction
de leurs exportations plus forte encore dans les prochains mois.
S’il fallait une preuve supplémentaire des limites
rencontrées par un modèle économique extraverti, ces résultats
en apporteraient une, éclatante. La Chine en supporte les conséquences.
Le Japon plus encore, qui a vu son produit intérieur brut (PIB) reculer
de 12,7 % en un an (dernier trimestre 2008 comparé au dernier trimestre
2007), ses exportations dégringoler de 37 %. Tourné vers les ventes
à l’étranger, le pays du Soleil Levant cumule les difficultés
: il vend moins à l’Occident, comme le montre la baisse de ses
exportations vers les Etats-Unis (-36,9 %) et moins à ses voisins qui,
eux aussi, vendent moins dans les pays développés. En Asie, la
consommation intérieure plonge (comme en Corée du Sud) ou ne décolle
pas (comme en Chine). En conséquence, les ventes nippones dans la région
ont régressé (-36,6 %). Si l’effondrement apparaît
moins prononcé en Corée du sud (le PIB a reculé de 2,4
%), la glissade n’en est pas moins réelle.
Source : http://blog.mondediplo.net/2009-03-11-La-Chine-la-relance-et-la-consommation
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