Dominique BARI, journaliste à "l'Humanité" Correspondante en Chine de 1988 à 1993

(Le tout début de l'exposé de Mme . Bari n'a pu être enregistré)

Il y a toute une dimension nationaliste qui existe et qui est très profonde et qui est liée à l'histoire du parti communiste lui-même et qui peut expliquer la nature de la montée en puissance de la Chine aujourd'hui qui vise à retrouver une première place sur la scène internationale. Il y a toujours une sensibilité extrêmement exacerbée sur la Chine. Hier c'était le "Péril jaune"; aujourd'hui on a peur de la Chine, on a peur des délocalisations, on a peur des grands trusts chinois qui se développent ici. Le monde est en train de découvrir, avec l'Inde, deux grands géants qui arrivent sur la scène internationale, qui ont été des géants avant que l'Occident ne les occupent et ne les étouffe et qui redemande aujourd'hui leur place. On assiste à de grands bouleversements de la stratégie mondiale. Les grandes questions que se posent aujourd'hui les communistes français sur le communisme chinois sont : " La Chine est-elle encore socialiste? Est-elle en transition vers le socialisme ? Est-elle en transition vers le capitalisme ? "

Questions qui renvoient à ce qui a pu se faire au temps de Mao. Le PC chinois désigne sur le plan idéologique ces réformes sous le nom "stade primaire du socialisme un stade primaire qui doit durer entre 50 et100 ans. Bien entendu cela renvoie à l'histoire longue de la Chine. On n'est pas pressé. C'est quelque chose qui existe dans l'état d'esprit, dans l'analyse du PC chinois et je pense que c'est quelque chose qu'il faut prendre en compte.

Ce développement, ces réformes ont été lancés dans un Etat qui n'était pas en complète explosion, comme cela a été le cas pour les réformes en Russie après l'implosion de l'URSS. Elles ont été lancées d'en haut. Ce sont des réformes qui ont été relativement pensées et les Chinois voient toujours très loin. D'où cette étape primaire du socialisme

On peut toujours débattre sur l'avenir. Moi, je constate effectivement depuis 88, que la Chine a beaucoup changé Ce n'est absolument plus la même Chine, on constate un net enrichissement général mais avec d'énormes disparités entre les urbains, les ruraux et les différentes couches sociales. On n'est pas dans la même Chine. Il y a des Chines. Il y a la Chine côtière qui a toujours été un moteur de développement, qu'on appelait la Chine bleue même à l'époque impériale et la Chine jaune qui est la Chine reculée et qui a toujours été la Chine des paysans affamés .

Mais c'est une situation qui n'est pas bloquée, qui est toujours en évolution avec nombre de débat. Le PC est traversé de débat. C'est un parti extrêmement hétérogène, divisé en tendances. Il y a tout l'éventail des tendances que l'on peut trouver sur le plan politique. Dans la mesure où c'est un Parti unique qui dirige la Chine, il est normal de retrouver toutes les tendances qui renvoient aux différents intérêts qui existent en Chine. L'évolution de la société est aussi très intéressante, la société se bat et elle se bat sur trois grands points : les luttes ouvrières, extrêmement fortes quand il y a eu une restructuration du secteur d'Etat, quand on a fermé les usines le moins compétitives. Il y a eu des grèves, il y a eu véritablement de vraies bagarres de classe qui se sont exprimées en Chine. Maintenant ce sont les paysans qui prennent le relais de cette lutte et tous les jours il y a en Chine des grèves, des mouvements de contestation.

Par exemple, au mois de juillet, dans un petit village au nord de Pékin, je n'ai rencontré que quelques vieillards car tous les villageois étaient allés protester parce que une usine, une déchetterie venait de s'installer. Ils m'ont expliqué qu'ils se battaient depuis des mois et ils ne lâchaient pas le morceau. Cette dynamique de la société chinoise fait penser qu'il y a des possibilités pour la Chine de revenir à une situation plus juste. La nouvelle équipe dirigeante est obligée de repenser le développement .Elle le dit sur l'inégalité; elle est obligée de prendre des mesures pour contrer toutes les disparités qui existent.

Un autre phénomène qui m'a beaucoup frappée est la multiplication des travailleurs non-résidents. Dans une première période, après 88, quand on a eu besoin de faire venir des paysans en ville, notamment des jeunes filles pour travailler dans les usines de textiles, de jouets, cette première génération est venue assez facilement. Elle était contente de quitter la campagne chinoise.

Ces gens percevaient comme une sorte de promotion sociale le fait d'aller travailler en ville, même si l'exploitation était terrible. Ils avaient la possibilité de gagner un peu d'argent, d'envoyer de l'argent aux familles, de se faire un petit pécule, de revenir dans les campagnes pour ouvrir un petit commerce. Cet état d'esprit de première génération a disparu. La nouvelle génération est plus combative. Elle a envie de rester en ville. Et on parle aujourd'hui d'une nouvelle classe sociale, nouvelle classe qui n'a rien à voir avec la clase ouvrière des entreprises publiques. C'est un phénomène intéressant qu'il faudra suivre.

Je pense aussi à la place de la Chine dans le monde. Il ne faut pas sous-estimer les immenses pressions des Américains sur la Chine qui voient en elle un concurrent sérieux. Il y a toute une politique de "containment" de la Chine aujourd'hui qui passe par la crise qui a été déclanchée sur le nucléaire Nord-Coréen, qui passe par le renforcement des liens militaires avec Tokyo, qui passe aussi par un partenariat stratégique avec l'Inde qui va se développer. La Chine fait peur. Et en Chine, on pense aussi qu'il peut y avoir une rivalité très importante avec les EU dans les prochaines années.

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