Pourquoi Bush reste-t-il en Afghanistan?
Catherine-Aimée Roy
Les États-Unis peuvent retirer plusieurs avantages
du positionnement géographique de l’Afghanistan. Sous le prétexte
de la lutte contre le terrorisme, ils cherchent à obtenir un certain
contrôle sur la Russie, l'Iran, le Pakistan, l’Inde et la Chine
et à s’approprier les ressources en pétrole et en gaz de
l’Asie.
Au mois de mars 2003, l’armée des États-Unis envahit l’Irak.
Le président américain, Georges W. Bush, affirme qu' il détient
des informations sûres à propos de la présence d’armes
de destruction massive sur le territoire irakien. Il en fait donc son principal
motif pour déclencher l’offensive. Plusieurs mois plus tard, après
que les marines se soient embourbés dans une guerre civile, on découvre
que Sadam Hussein n’a jamais possédé d’arme de destruction
massive. Dur constat pour l’opinion publique américaine. Jusqu' à
maintenant, le conflit en Irak a fait plusieurs milliers de morts et c’est
sans doute la raison pour laquelle on a oublié toute la polémique
qui tourne autour d’un autre pays qui a goûté à la
cuisine américaine : l’Afghanistan. En effet, à la suite
des évènements du 11 septembre 2001, l’armée américaine
bombarde l’Afghanistan en soutenant que c’est pour lutter contre
la menace terroriste. L’opération Liberté immuable, qui
devait compenser pour les 2986 civils morts lors des attentats des tours jumelles,
est-elle aussi noble qu' on la qualifie dans le feu de l’action ?
Bush a-t-il vraiment largué des bombes sur ce pays pour amorcer sa lutte
contre le terroriste ? Avant même de répondre à cette question,
il faut savoir que l’on ne s’entend pas tout à fait sur la
définition à donner au terrorisme, puisque le concept diffère
d’une société à l’autre. Par exemple, en Occident,
on décrit le terrorisme comme l’« usage systématique
d’actes de violence par une organisation politique, en vue de créer
un climat d’insécurité » [1] . Toutefois, dans les
pays arabes on soutient qu' il s’agit d’une « conception
politico-militaire forgée par l’Amérique elle-même
et la CIA, qui sert de prétexte pour intervenir militairement là
où leur intérêt l’exige » . Il est donc intéressant
de constater que si l’on adopte la pensée orientale, on peut d’ores
et déjà affirmer que la lutte contre le terrorisme, qu' a
lancé le président Bush en bombardant l’Afghanistan, n’est
qu' une façade pour atteindre ses objectifs hégémoniques.
Mais, comme il serait simpliste de s’arrêter à ces explications,
il faudra également s’appuyer sur les causes économiques,
politiques et idéologiques qui entourent la présence américaine
en territoire afghan.
D’abord, à la suite des attentats de New York
en septembre 2001, les pays membres de l’OTAN se sont concertés
afin de voir de quelle manière il fallait répondre à cette
agression sournoise. En effet, 19 membres de l’Organisation du Traité
de l’Atlantique Nord excipent l’article V qui soutient qu' une
attaque dirigée contre un État membre de l’organisation
constitue un assaut contre tous. Ce droit à la réplique défensive
est aussi reconnu par l’article 51 de la charte des Nations Unies. Dans
l’histoire de l’OTAN, on fait appel à cet article pour la
première fois depuis la création de l’association, en 1949.
En tout, 16 des 19 pays adhérents contribuent de différentes façons
à la campagne de l’Afghanistan, bien que celle-ci ne soit pas une
opération officielle de l’OTAN. De plus, la Russie, la Chine et
quelques États du Proche-Orient et de l’Asie apportent une aide
supplémentaire. Bref, on peut penser que l’attaque des forces américaines,
dans un premier lieu, est motivée par la pression politique des États
membres de l’organisation défensive occidentale.
Ensuite, certains experts adhèrent à l’idée
que la lutte contre l’Islam extrémiste, menée par les États-Unis
depuis 5 ans, répond à un besoin d’affrontement idéologique.
En fait, si on se rappelle les principaux combats qu' ont dirigés
les Américains depuis la Seconde Guerre mondiale, cette affirmation est
plausible. D’abord, dans le cadre de la guerre de 1939, on livre une bataille
au régime fasciste au sein des forces alliées. Puis, dans les
années suivantes, on s’appliquera à lutter contre le communisme
pendant la Guerre froide opposant l’Est et l’Ouest. Au début
des années 1990, la suprématie des États-Unis et du capitalisme
cherche en vain une idéologie à combattre pour expliquer sa présence
hégémonique en Europe. C’est dans cette optique que l’utilisation
extrémiste et nihiliste de la religion islamiste, ainsi que son expansion,
justifie le troisième défi totalitaire de l’administration
américaine. Cependant, le président Bush choisit de dire qu' il
fait la guerre au terrorisme, parce que s’il affirmait qu' il a l’intention
de livrer une bataille à l’Islam, cela le mettrait considérablement
en danger. Puis, certains spécialistes arabes vont jusqu' à
affirmer que les États-Unis ont manipulé intelligemment le groupe
Al-Quaïda afin d’obtenir un certain contrôle sur la Russie,
l’Inde et la Chine et ainsi parvenir à s’approprier les ressources
pétrolières de l’Asie.
Puis, l’établissement de forces militaires en
Afghanistan permet aux États-Unis de surveiller les agissements de l’Iran
et éventuellement intervenir rapidement en cas de crise. Plusieurs trouveront
paradoxal le fait que la première puissance mondiale ne coopère
pas avec l’Iran, voisin de l’Afghanistan, qui, d’une part
condamne les attentats du 11 septembre et, d’autre part, souhaite combattre
le régime taliban. En fait, si les Américains refusent de faire
équipe avec l’Iran, c’est simplement parce que ce pays fait
partie de l’axéè du mal établi par l’administration Bush.
Ainsi, cette volonté d’isoler l’Iran régionalement
est apparente depuis quelques années par la hausse de l’influence
des États-Unis dans quelques républiques d’Asie centrale,
par la présence militaire dans la région du Golfe Persique, par
l’amitié américo turque, sans oublier l’exclusion
des intérêts iraniens dans les projets pétroliers de la
Mer Caspienne. Cependant, l’Iran est loin de vouloir se laisser traiter
de cette façon et tente de sortir cet isolement en négociant des
ententes commerciales avec certains États du nord. Par exemple, l’Arménie
et l’Azerbaïdjan sont devenus les principaux partenaires commerciaux
du gouvernement iranien, brisant par la même occasion le mur derrière
lequel les Américains souhaitaient le confiner. Bref, en occupant militairement
l’Afghanistan et l’Irak, les États-Unis encerclent l’Iran
et résistent à la volonté des pays occupés, et maintenant
d’une force non étatique, de les chasser du secteur avoisinant
le Golfe Persique.
Subséquemment, les États-Unis peuvent retirer
plusieurs avantages du positionnement géographique de l’Afghanistan.
En établissant des forces militaires de l’OTAN en sol afghan, ils
ont bien sûr la possibilité d’intervenir rapidement en Iran,
mais également dans d’autres pays qui pourraient s’avérer
menaçants. On parle entre autres du Pakistan et de l’Inde où
les Américains doivent intervenir en 1998 pour éviter que l’on
emploie l’arme atomique, dans le cadre des tensions entourant la région
du Cachemire. Puis, même si la Guerre froide a pris fin avec la chute
de l’URSS, la grande puissance mondiale peut, par son établissement
en Afghanistan, surveiller de près les activités de la Russie
et de ses pays satellitaires. De plus, la montée économique de
la Chine a quelque chose d’inquiétant pour l’Occident. Si
jamais la Chine devenait trop dangereuse, il serait plus facile d’intervenir
à partir de l’Afghanistan. En résumé, l’emplacement
géographique du territoire que les Américains ont entrepris d’occuper,
à la suite du 11 septembre 2001, leur permet de tenir à l’œil
des pays comme l’Iran, le Pakistan, l’Inde, la Russie ainsi que
la Chine.
Enfin, les intérêts américains dans l’opération
Liberté immuable, sont surtout d’ordre économique. En effet,
les finances des États-Unis, en ce début de 21e siècle,
sont principalement basées sur le pétrole . L’Afghanistan
représente donc un endroit stratégique qui sera appelé
à jouer le rôle de voix d’acheminement du pétrole
et du gaz de l’Asie centrale vers l’Océan Indien. D’ailleurs,
les batailles en territoire afghan lors des dernières années de
la Guerre froide n’étaient pas étrangères à
cet enjeu. Puis, depuis 1991, bien qu' aucun accord définitif n’ait
été convenu, la Russie, les États-Unis et l’Iran
se disputent le contrôle de l’acheminement des hydrocarbures de
la Mer Caspienne vers les marchés asiatiques et européens. Les
principaux objets de convoitise dans cette région du monde sont composés
du gaz du Turkménistan, du pétrole de la Mer Caspienne, de l’or
de l’Ouzbékistan ainsi que du coton du Kirghizstan. De plus, il
est à noter que l’on a identifié d’importants gisements
dans d’autres pays de l’ex-URSS, soit en Azerbaïdjan et au
Kazakhstan.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce
ne sont pas tous les pays de cette région riche en hydrocarbures qui
s’opposent à la présence américaine. En fait, l’influence
des États-Unis est même la bienvenue, puisqu' elle sert à
régler quelques litiges et permet de faire certains compromis. C’est
notamment le cas des républiques d’Asie centrale qui, avec le soutien
tactique des Américains, veulent se dégager du réseau qui
traverse la Russie et souhaitent éviter de passer par l’Iran. Il
y a également le cas du Turkménistan qui désire évacuer
son gaz naturel en le faisant transiter par l’Afghanistan. Bien entendu,
pour que cette opération puisse s’accomplir sans anicroche, les
compagnies turkmènes ont besoin de la paix chez leur voisin, l’Afghanistan,
peu importe qui en sera le bénéficiaire. L’intervention
américaine en sol afghan prend alors tout son sens.
On peut donc assurément conclure que l’argument
invoqué par l’administration Bush, à la suite des évènements
du World Trade Center, ne tient pas la route. Étant donné que
le terrorisme est une cible dynamique et insaisissable, il est impossible que
le bombardement d’un pays permette d’éradiquer un tel phénomène.
D’ailleurs, nous sommes à même de constater, 5 ans plus tard
que l’occupation de l’Afghanistan n’a toujours pas permis
de faire diminuer les actes terroristes. Au contraire, on enregistre une recrudescence
des actes de violence à motivation politique dirigés contre des
non-combattants. Il va donc s’en dire que le prétexte de lutte
contre le terrorisme désigné par les États-Unis n’est
qu' une façade et qu' il faut chercher un peu plus loin pour
identifier les réels motifs derrière l’occupation de l’Afghanistan.
Ainsi, comme je l’ai exposé précédemment, on peut
supposer, voire affirmer que ce sont des intérêts politiques, idéologiques,
économiques, géographiques et hégémoniques qui sont
à la base des opérations militaires. Bref, l’article V de
l’OTAN, la lutte idéologique contre l’Islam, l’isolement
de l’Iran, la proximité géographique de certains pays et
la garantie d’approvisionnement en pétrole sont à l’origine
de l’intervention américaine en Afghanistan. L’histoire nous
a démontré une fois de plus, avec les interventions en Irak et
en Afghanistan, qu' il ne faut jamais se contenter des explications fournies
par les dirigeants. Il faut chercher plus loin pour découvrir la vérité
et l’exposer au grand jour.
[1] Antidote RX, 2006
source www.michelcollon.info
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