Où va la Chine ?

L' association Collectif communiste Polex, qui est à l' initiative de cette rencontre, a pour seul objectif, par des réunions régulières, d' analyser les questions internationales dans une optique anti-impérialiste et anticapitaliste. C' est un besoin : les militants progressistes dans la France d' aujourd' hui sont en manque de l' information et des études nécessaires à l' action.

Nous n' avons pas voulu ce débat pour parvenir à une position unique sur le sujet : le Collectif revendique comme une richesse la diversité de ses adhérents, le refus d' allégeance à quelque organisation que ce soit, parti, groupe ou tendance. Cela n' empêche pas certains d' entre nous d' être adhérents du PCF, y compris parfois responsables, d' autres ne le sont pas, et c' est un choix délibéré.

Nous ne reprenons pas à notre compte le discours sur le « péril jaune » de la télé française. Les fermetures d' usines sont consécutives aux décisions des capitalistes et politiciens français, pas des ouvriers chinois. Qui d' ailleurs commande des textiles en Chine ou investit en Chine en fermant des entreprises françaises ?

Nos interrogations sont celles de communistes à l' égard du pays en train de devenir une des grandes puissances du 21ème siècle (la dernière hausse affichée du PIB est de 16,8% en un an !) et qui est toujours dirigé par un parti communiste. Non seulement ce pays influera sur l' avenir du globe, mais il le fait en se réclamant d' un idéal qui est le nôtre.

Or indéniablement, toutes les informations qui parviennent font qu' un communiste attaché à la suppression de l' exploitation de l' homme par l' homme, a du mal à se reconnaître dans la réalité chinoise.

Mais d' autres constats sont plus inquiétants dans la dernière période. Aux termes des analyses chinoises officielles, on constate un accroissement brutal des inégalités sociales. En 2004, pour la Chine, le coefficient d' inégalité selon l' ONU est plus élevé que pour l' Inde, le Bengladesh et le Japon. Un cinquième de la population se partage 50% de la richesse, le cinquième le plus pauvre dispose de 5% de la même richesse nationale.

Ce qui nous pose problème plus encore, est que cette inégalité sociale explosive (en 2004, 74.000 conflits sociaux recensés par les autorités) n' est pas conjoncturelle mais structurelle : c' est parce qu' il y a aux portes des zones urbaines une « population flottante » de 100 à 200 millions de sans emploi, chassés par la misère des campagnes, prêts à accepter n' importe quel salaire et les conditions de travail les plus dures, que la croissance industrielle est énorme. La Chine devient l' atelier du monde grâce à cette énorme « armée de réserve » de main d' œuvre, selon les termes de Marx et Engels, qui permet de fabriquer à bas prix pour exporter.

Selon les statistiques officielles chinoises, il n' y aurait que 30 millions de ruraux et 20 millions d' urbains justifiant une aide sociale. En fait plusieurs centaines de millions de personnes survivent en Chine avec moins d' un dollar par jour (seuil de pauvreté selon l' ONU). De plus, l' introduction des critères du marché dans le secteur de la santé fait que plus de la moitié des citoyens n' a aucune couverture maladie, surtout à la campagne où les dispensaires collectifs ont été systématiquement démantelés.

Les taux de croissance ne signifient pas grand chose si on ne regarde pas leurs conséquences en termes de classes sociales. Ils étaient très forts aussi dans la France et l' Angleterre des 50 premières années du 19ème siècle, quand Marx et Engels dénonçaient la surexploitation des ouvriers qui lui donnait naissance. En ce sens, on peut se demander si la croissance chinoise actuelle n' est pas la réédition en plus grand du modèle de la révolution industrielle des pays capitalistes d' Europe de 1830 à 1900.

La question est d' autant plus légitime que ce développement laisse de plus en plus de place au secteur privé qui réalise aujourd' hui en Chine plus de la moitié du PIB, et les ¾ des exportations.

Ce qui pose encore question est le constat fait par de nombreux analystes y compris chinois, d' une inversion des classes sociales bénéficiant du cours des choses, depuis la période de la Révolution. L' économiste Israelewicz décrit ainsi cette inversion des rapports de classe : «Au lendemain de la guerre le Parti communiste s' était installé en 1949 à Beijing en s' appuyant sur les paysans pauvres et avait conforté son pouvoir grâce au soutien des ouvriers des grandes entreprises industrielles d' état. Les transformations actuelles frappent de plein fouet ces deux couches sociales, piliers du régime. après avoir profité de la réforme agraire du début des années 80, les 450 millions de paysans que compte encore le pays, ont vu depuis le début des années 90 leur situation se dégrader rapidement… La vente de leur production, à l' état comme sur les marchés libres leur rapportait de moins en moins alors que le coût de leurs achats (engrais, matériel agricole) augmentait. Ils ont été assommés d' impôts et de taxéès de toutes sortes… Les ouvriers des industries d' état sont quant à eux les victimes des restructurations engagées depuis la fin des années 90…Depuis 1998 les entreprises publiques ont licencié 26 millions de leurs salariés au moins. » 

(E. Israelewicz Quand la Chine change le monde Grasset 2005).

Les jeux ne sont pas faits ; les débats, malgré la répression organisée sont nombreux en Chine, y compris au sein du PC. Les enjeux de ces débats nous concernent tous : la montée en puissance du pays se fera-t-elle au profit des travailleurs chinois, paysans et salariés ou sur la base d' une exploitation aussi brutale que dans la France du 19ème siècle ?

Sur le plan international, le rôle de la Chine ne peut que devenir essentiel. Il l' est déjà en partie, même si on le dit trop peu, et d' abord parce que la Chine a un énorme besoin de matières premières.

Ainsi en Afrique, où la Chine est déjà présente en quête de pétrole au Soudan, au Nigeria, au Gabon, au Congo Brazzaville, en Libye, en Algérie, en Mauritanie, au Tchad. Et ce gonflement de la demande du fait de la Chine, en a fait augmenter les prix. Contrairement aux économistes libéraux, nous ne pouvons que nous en féliciter, quand on sait le pillage à bas prix des richesses minérales des pays du Sud par les multinationales occidentales.

De même qu' il est positif que la Chine puisse servir de contrepoids à l' impérialisme américain. Ainsi la compagnie d' état chinoise a investi trois milliards de dollars dans l' exploitation et le raffinage du pétrole soudanais, au détriment des majors US, et prévoit de doubler la mise dans les années prochaines, et cela a certes joué dans le rétablissement de la paix au sud du pays.

En Angola, la Chine a emporté le droit d' exploiter une vaste zone off-shore en contrepartie d' un crédit de deux milliards de dollars, affectés au développement d' industries de transformation.

Cet exemple est très intéressant, car il ouvre des perspectives dont l' avenir dira si elles se concrétisent : nous savons tous que la logique coloniale, liant des pays sous-développés fournisseurs exclusifs de matières premières à bas prix aux métropoles industrielles, s' est perpétuée depuis 1960-70 après les indépendances. La logique impérialiste est de maintenir dans le sous-développement les pays africains ou moyen-orientaux, on a fait même la guerre pour cela, en Egypte, en Irak. Quels que soient les discours de type humanitaire, aucun peuple africain ne sortira de sa misère s' il ne bénéficie pas de développement industriel et agricole.

On peut se demander si, par le biais notamment de la Chine, de nouveaux rapports sud-sud ne pourraient pas inverser le mécanisme impérial actuel, favoriser le décollage industriel et agraire des pays africains, asiatiques, ou latino-américains (C' est ce que Morales, président de Bolivie, est allé demander à Pékin en janvier).

Dans le numéro de février 2006de la revue Afrique Asie, l' économiste Hakim Ben Hammouda formule ainsi notre interrogation : « La Chine est en train de devenir le principal partenaire commercial de l' Afrique. Cette coopération sera-t-elle capable d' aider l' Afrique dans son développement ou épousera-t-elle les contours des schémas classiques de coopération, dans lesquels l' Afrique n' est perçue que comme un gisement de matières premières et un marché d' écoulement des produits chinois. Cela dépendra beaucoup de la capacité des pays africains à imposer une nouvelle philosophie de coopération avec les entreprises chinoises. »