Des médias aux ouvrages scolaires :
 pas de "Pensée Unique" en Russie.

 


A partir de 1988-89, l 'ouverture partielle des archives en URSS et leur exploitation hâtive ont donné lieu à un raz-de-marée de "révélations" et de dénonciations accablantes pour le régime soviétique. De l'antistalinisme de plus en plus radical des années Gorbatchev, on est passé à l'anticommunisme des années Eltsine. Staline reste particuliérement visé. Mais, plus lourdement encore, le procès médiatique du communisme charge Lénine et les Bolchéviks. La "guerre sacrée" contre le nazisme n'est pas épargnée - étant donné la débacle de 1941, imputée à Staline, et la conduite terriblement meurtrière des combats militaires. Nombre de batailles sont décrites comme des boucheries insensées. Le coût humain de la guerre, nouvellement estimé à 23-26 millions, est le point le plus sensible des controverses. A chaque anniversaire de la Victoire, celles-ci rebondissent. Les opinions s'entrechoquent lors de débats télévisés et d'articles de presse. Le tableau général est rien moins qu'une "Pensée Unique". Au milieu des années 90, d'ailleurs, on observe le mouvement de balancier: après les temps de réquisitoires du passé communiste, la "nostalgie du socialisme" ou-et de l'URSS refait surface, les films soviétiques repassent à la télévision, qui n'affiche plus son "antisoviétisme" avec autant de virulence qu'au début des années 90. Quant aux manuels scolaires, rédigés par des historiens, ils posent sur le passé soviétique des regards ambivalents.
Au tournant de l'an deux mille, alors que le président Vladimir Poutine, lors des 55 ans de la Victoire sur le nazisme, rend hommage "au grand peuple soviétique" (un terme impensable sous Boris Eltsine) et que les drapeaux rouges historiques refont leur apparition lors de c
érémonies officielles, une évolution s'observe dans le champ médiatique. après une douzaine d'années de réquisitoires, on voit réapparaître des ouvrages à tendance patriotique voire stalinienne, en tout cas réévaluant, dans un sens positif, le rôle de Staline comme "commandant en chef des forces arméees", ce qui n'a rien de surprenant. Il est difficile, en effet, de présenter Staline tout à la fois comme un criminel retors, un crétin et…le leader de la puissance qui gagna cette guerre et réussit à établir l'hégémonie de l'URSS sur toute l'Europe centrale et orientale. Une approche "géopolitique" de Staline se fait jour.
La th
èse de la Victoire "malgré Staline" (en 1945) est peu crédible, quels que soient les mérites du peuple et de ses généraux. Il est encore trop tôt pour vérifier si cette "réhabilitation" se traduira dans les manuels scolaires. Mais "l'Histoire racontée aux enfants" est, en Russie, sensiblement différente de celle qu'ont professé les médias libéraux, sans parler de ce qui se publie à son sujet en Occident.

4. L 'Histoire racontée aux enfants:

les nouveaux manuels scolaires russes sur la guerre de 1941-45

(Extraits d'un ouvrage non publié de Jean-Marie Chauvier.2002)


La  doctrine pédagogique à l' ère post-soviétique.

(…)
Dés 1989, les manuels soviétiques sont déclassés.
Ceux qui subsistent n'opèrent que des changements cosmétiques. L"Histoire de l'URSS" devient "Histoire de la Patrie", les grandes lignes sont conservées moyennant des ajouts concernant les faits précédemment dissimulés- principalement les repressions, les crimes de la terreur rouge et la collectivisation stalinienne - ou les personnages de l'Histoire (Trotski, Boukharine etc...) escamotés à l' ère stalinienne et jamais "restitués", malgré la déstalinisation krouchtchévienne, avant la fin des années 80. Mais ces compléments ne modifient pas l'essentiel: une approche "formationnelle" ou socio-économique d'inspiration marxiste, qui organise l'Histoire du monde en général et de l'URSS en particulier dans le schéma de succession des modes de production "primitif" (communautaire, tribal), esclavagiste, féodal, capitaliste, socialiste, communiste... Mais à quel "stade" se trouve-t-on soudainement en 1991 ?
L'avenir programmé se dérobe: le communisme n'est plus au rendez-vous, ce serait plutôt le capitalisme, donc "le socialisme" bascule dans le passé, un passé de pauvreté et de tyrannie s'il faut en croire ce qui se publie en cette période d'agonie de l'URSS, et qu'on oppose à la prospérité et aux libertés du monde occidental, nouveau modèle de l'avenir.
Les enseignants  abandonnent les manuels sous la pression des révélations médiatiques et du débat public dans le pays. Les éditions du Ministère de l'éducation ("Prosvechtchenie") cherchent de nouveaux auteurs, tandis que d'anciens se recyclent. Des Occidentaux sont appelés à la rescousse, principalement le français Nicolas Werth, dont l'"Histoire de l'Etat soviétique" (1992, 50.000 ex, Editions du Progrès, traduit de "Histoire de l'URSS" PUF, 1990) est recommandé dans l'enseignement supérieur et sera fréquemment cité, par la suite, comme nouvelle référence occidentale majeure sur l'Histoire soviétique. Le manuel-modèle du nouvel enseignement, paru en 1992, sous le titre "Histoire de la Patrie 1900-1840), de L.M. Jarova et I.A.Michina.  obéit à la nouvelle doctrine qui s'ébauche: une approche "civilisationnelle" de l'Histoire est censée remplacer celle "des formations" ou "marxiste". C'est une façon de restaurer le lien, tant avec la civilisation occidentale qu'avec le passé de la civilisation russe pré-révolutionnaire. Une manière aussi de réhabiliter la période tsariste (le "miracle économique" du début du siècle et le réformateur Piotr Stolypine) et de dissoudre dans l'alchimie "civilisationnelle" les luttes de classes que privilégiait l'approche soviétique: mouvement ouvrier, insurrections paysannes, rôle moteur du parti bolchévique. Dans la nouvelle Histoire racontée aux enfants et adolescents, les beaux rôles sont désormais tenus par la bourgeoisie entrepreneuriale, les "classes moyennes", les tendances libérales et démocratiques. Le rôle des nationalités non-russes est également passé au second plan.
 Dans les programmes officiels de 2002, la nouvelle doctrine pédagogique est ainsi  définie: "socioculturelle et civilisationnelle" en ce sens qu'elle réintègre l'Histoire russe dans "le système de la civilisation mondiale" tout en tenant compte des "spécificités du développement historique de la Russie". Subtil compromis entre les tenants d'une voie unique de la civilisation allant vers le marché mondial et la démocratie et ceux qui insistent encore sur les "singularités" de la civilisation russe.
Comme quoi ressurgit, dans le nouveau contexte, le vieux débat entre slavophiles et occidentalistes. Refiguré par les adeptes de l'arrimage au monde euro-atlantique et ceux de l'eurasisme.
(…)

L'idéologie des nouveaux manuels scolaires.

L'idéologie prégnante des nouveaux manuels, outre la dite "approche civilisationnelle", est assez conforme aux choix officiels de la "nouvelle Russie". Mais, du début des années 90 aux années 2000, ces choix évoluent.
Sur une trentaine d'ouvrages consult
és, on constate que tous revalorisent le passé tsariste et plus spécialement ses réformateurs. Pierre le Grand, le plus occidentaliste de tous, Catherine la Grande qui poursuit son oeuvre, Alexandre II, qui abolit le servage. Les premiers ministres  d'Alexandre III, Serguei Witte et de Nicolas II, Alexandre Stolypine, apparaissent comme les précurseurs des libéraux, ceux par qui serait venue la prospérité de la Russie s'il n'y avait eu les cataclysmes de la première guerre mondiale et de la révolution. Quelques ouvrages décrivent cependant la dure condition des paysans et des ouvriers sous le régime tsariste, leurs raisons de se révolter.
Mais la révolution de 1917 et la période soviétique apparaissent sous un jour tragique, sinon totalement négatif, un jour qu'on dirait, en langage m
étaphorique, balayé de la tempête de toutes les passions humaines, des plus généreuses aux plus viles, traversé d'éclairs, d'arc-en-ciels d'espoirs et de création dans de nombreux domaines, de feux prométhéens de la modernisation ou de la résistance au fascisme, des ténébres  de la repression, de nouvelles éclaircies puis de crépusculaire "stagnation" avant la dépression finale et, pour l'actualité, de nouveaux temps de troubles, à visibilité très faible quant au futur. Bourrés de clichés pesamment conformistes ou au contraire très ouvertes et d'une grande densité de découvertes et de questionnements, les manuels scolaires donnent à voir, sinon à comprendre, une Histoire russe du 20ème siècle forcément dramatique et riche, mais majoritairement structurée, dans leurs pages, autour de quelques idées dominantes conformes à l'air du temps, mais pas systèmatiquement alignées sur le parti-pris des démocrates. (…)

(suivent les exemples de traitement, dans les manuels, de la révolution, des périodes des années 20 et 30, de l'aprés-guerre, de la période finale de l'URSS. Dont un passage sur la Grande Guerre Patriotique, qui suit)
 
(…)
Dans les relations de la guerre de 1941-45,
une tonalit
é presque "soviétique" ressurgit comme par enchantement, pour dire la justesse de la cause du peuple agressé et se libérant du fascisme génocidaire. L'héroïsme de l'arméee rouge et des partisans tient une place de choix. Mais la victoire n'aurait pu être acquise, remarquent nombre d'auteurs, sans la puissance industrielle édifiée dans les années trente. Implicitement, des "mérites" sont donc reconnus à Staline, bien qu'explicitement c'est "le peuple soviétique" qui se voit loué pour ses efforts et ses exploits qu'on croirait accomplis "malgré Staline".
Seules différences notables avec les manuels soviétiques: l'
évocation de la débâcle de 1941 imputée à Staline, du sort des prisonniers, des déportations de peuples suspects ou "coupables" de collaboration, cette dernière n'étant plus non plus un sujet tabou. Les mouvements ponctuellement ou systèmatiquement alliés aux occupants nazis, telle l'arméee Vlassov en Russie et les formations nationalistes ou SS baltes, ukrainiennes et biélorusses, ne sont jamais réhabilités, mais parfois évoqués avec une certaine "compréhension", notamment dans les républiques (Ukraine, pays baltes, Nord-Caucase) dont les peuples ont eu le plus à souffrir de la politique stalinienne. Le cas ukrainien est rarement évoqué, probablement pour ne pas envenimer les relations avec le grand peuple frère en slavitude: à Kiev, les combattants de l'Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OUN) et de son arméee d'Insurrection (UPA) ne sont-ils pas, en 2002, officiellement réhabilités, alors que leur réputation "fasciste", fermement établie sous le régime soviétique, conserve ses adeptes chez quantité de Russes, d'Ukrainiens...et d'historiens. (…)

Analyse de contenus de quelques manuels.

Ouvrages cités.

(1) Lebedeva. "Histoire de la Patrie". 5ème classe.(année) En couverture: une icone religieuse.
 

(2)G.V. Tugusova, V.A.Skoropospelova, "Histoire de la patrie, des origines à l'époque contemporaine" destinée aux collèges et établissements d'enseignement spécial (professionnel): la couverture est une composition à partir de photos de Youri Gagarine, de la statue de Pierre Le Grand, de la cathédrale du Christe Sauveur reconstruite à Moscou, des églises en bois de Kiji et d'une groupe de militaires allemands et soviétiques à l'époque du pacte de 1939.

(3) L.M.Piatetskaéa. Histoire de la Russie du 20ème siècle. Classes supérieures. En couverture: des tours du Kremlin, la nuit.

 (4)Michina-Jarova. 10ème. Histoire de la Patrie. En couverture: le cheval rouge de Petrov-Vodkine.(peinture)

(5) V.P.Ostrovskii, A.I.Utkin "Histoire de la Russie. Xxème siècle". 11ème classe. Couverture: le drapeau tricolore national.
Un ouvrage très engagé dans le parti-pris anti-révolutionnaire, libéral-conservateur.
 (6) A.A.Danilov-L.G.Kosulina. Histoire de la Russie. Xxe s. Classe de neuvième.
En couverture: les tours de St. Basile et du Sauveur (Place Rouge)
`(7) V.A.Chestakov, M.M.Gorinov, E.E.Vziazemskii "Histoire de la Patrie. XX siècle".
En couverture: une fusée et Gagarine.
 (8) A.A. Levandovskii I.A.Chtchetiknov "La Russie au 20ème siècle".
Classes 10-11. En couverture: le bâtiment du gouvernement russe actuel (ex-parlement bombardé en 1993) sur fond de projet Tatline de Tour-spirale de la IIIéme Internationale)

 (9) V.P. Dmitrenko, V.D.Esakov, V.A.Chestakov "Histoire de la patrie .20ème siècle" 11 classe.  En couverture: le garde rouge blessé de Petrov-Vodkine. (tableau)

résumés des ouvrages cités, sur les thèmes de la Grande Guerre Patriotique. 1941-45.

(1) La dénonciation des agresseurs fascistes n'est pas moins virulente que dans les manuels soviétiques. Ils (les nazis) voulaient le génocide des Juifs et des Tsyganes, et réduire les Slaves en esclavage. La guerre soviétique est qualifiée de populaire de libération. L'accent est mis sur le martyre des petites gens. La guerre achêve la destruction du village qu'avait commencée la collectivisation stalinienne. Elle décime une génération pleine de potentialités.
(2) La politique de pacte de Staline avec l'Allemagne (1939) est expliquée par les concessions des démocraties occidentales à Hitler (Autriche, Munich). La guerre soviétique est bien "de lib
ération" et sa victoire s'explique aussi par "l'amitié des peuples" que les nazis ont vainement tenté de rompre. Etonnant retour de réthorique soviétique dans cet ouvrage très...antisoviétique !
(5) Une attention sp
éciale, ici, au plan de génocide des Slaves et des Juifs,  aux mouvements collaborationnistes russes (Vlassov, Krasnov et ses Cosaques, les SS ukrainiens)
(6) Si tous les ouvrages critiquent le pacte de Staline avec Hitler, celui-ci, que ne fait pas exception, d
éfinit le contexte du déclenchement de la deuxième guerre mondiale sous trois aspects:
- lutte des grandes puissances pour l'h
égémonie.
- fascisme et agressivit
é majeure de l'Allemagne.
- opposition entre capitalisme et socialisme, engendrant l'anticommunisme comme tendance dominante dans la politique des pays démocratiques occidentaux.
L'issue victorieuse de la résistance de l'URSS à Hitler est attribu
ée, doublement, à l'existence du potentiel industriel formé dans les années trente, et "l'unité morale et politique de la société soviétique", y compris dans ses diverses composantes nationales, où les sirênes du collaborationnismes auraient eu finalement peu d'effets.
(7) L'ouvrage est l'un des rares à mettre en relief les ph
énomènes collaborationnistes: "90 bataillons des minorités nationales, de mille hommes chacun, 7 divisions SS composées d'Ukrainiens, de Bielorusses et de Baltes" ont combattu avec les nazis, les collaborateurs de l'administration occupante étaient au nombre d'environ un million.
(8) Les auteurs contestent la th
èse de V.Souvorov (Rezun) sur la guerre prêventive hitlérienne. (Hitler aurait attaqué pour prêvenir une agression de Staline) "Le niveau de préparation des forces arméees ne permettait ni d'agresser ni de repousser efficacement l'agression fasciste.
A propos de l'aide occidentale, elle n'a jamais représent
é que 4% de la production industrielle, militaire incluse, mais certes 10% des tanks produits en URSS, 12% des avions, 50% des véhicules automobiles.

Un point de vue inhabituel: "La Russie est aussi un pays multinational".

Rarement, les nouveaux manuels font place à l'Histoire spécifique des peuples non russes de la Fédération ou de l'ex-URSS. C'est ce qui fait la valeur de l'ouvrage de  AA.Danilov et L.G.Kosoulina  "Histoire de l'état et des peuples de Russie" destiné à la classe de neuvième. (…)
Vu sous l'angle nationalitaire, la guerre de 1941-45 est l'occasion d'
évoquer le "Plan Est" des nazis, qui entraîne l'extermination de "11 millions" de personnes - le génocide des Juifs qui fait partie de cette extermination n'est pas spécialement mentioné , une vieille habitude soviétique de mensonge par omission. Par contre, le livre ne dissimule pas que, suite à la "cruelle politique du pouvoir dans les années d'avant-guerre" , des mouvements nationalistes se forment, profitant de l'avancée allemande pour combattre l'arméee rouge - c'est le cas de l'Organisation des Ukrainiens Nationalistes (OUN), du Comité Musulman de Crimé, des frères Musulmans de Tchétchéno-Ingouchie. Des arméees alliées aux nazis sont formées d'Ukrainiens, de Tatares de Crimée, de quelques peuples du Nord-Caucase. Ces phénomènes étaient très vaguement évoqués dans les ouvrages soviétiques, qui ne pouvaient reconnaître la collaboration de masse, et sont mentionnés sans trop de précision en Occident où l'on se garde de "légitimer" les mesures repressives staliniennes à l'égard d'Ukrainiens (notamment l'Eglise uniate), de Baltes ou de Tchétchènes accusés de "collaboration". La réponse de Staline aux collaborations (réelles,  supposées, suspectées ou inventées) consistera en mesures punitives qui, dans certains cas, ne font aucune distinction entre les vrais auxiliaires du nazisme et les populations auxquelles ils appartiennent. repressions politiques et géopolitiques dans l'ensemble - en Ukraine occidentale et en Biélorussie, ces repressions vont de pair avec des mesures de séduction, comme la "promotion" de ces deux nations à la représentation soviétique à l'ONU et une volonté générale de ne plus parler des faits de collaboration, par contre, en Crimé et au Caucase, on aboutit de facto à des "nettoyages ethniques" de peuples "punis" au profit d'autres qui occuperont leurs maisons et leurs terres.
Ce sera notamment la déportation de masse des peuples accusés de trahison, notamment caucasiens (dont les Tch
étchènes) - entraînant la mort de 144.000 personnes. Ces guerres dans la guerre ne provoquent pas pour autant la dislocation (souhaitée par Hitler) de l'URSS, et l'"unité morale et politique" de la société soviétique multinationale sera même, selon les auteurs, un facteur décisif de la Victoire sur l'Allemagne nazie.
L'ouvrage s'
étend - autre rareté- sur "l'impulsion démocratique" de la guerre, la vague d'espoirs et de revendications, notamment d'une nouvelle Constitution et d'élections à plusieurs candidats - Staline y répondra par un régime à nouveau très repressif, notamment à l'égard des nationalistes des républiques annexées par l'URSS - les pays baltes, par exemple, où sont "punis" de déportation 400.000 Lituaniens, 150.000 Lettons, 50.000 Estoniens.

Une approche socio-politique expérimentale.
Un cas exceptionnel: "la société soviétique" vue par O.V.Volobouiev, historien critique "de gauche".

Un manuel "expérimental pour les écoles secondaires", avec un collectif d'auteurs dirigés par l'historien O.V.Volobouiev, plutôt qu'exposer et commenter les faits, propose une réflexion critique, invitant au débat, centré sur l'expérience soviétique. "Histoire de Russie. La société soviétique. 1917-1991", arborant en couverture un garde rouge et la faucille et le marteau, ne s'inscrit pas du tout dans la démarche "civilisationnelle".(14) L'auteur se positionne comme "observateur-participant" à l'Histoire soviétique dont il interroge les grandes étapes, les tragédies, inscrivant à chaque tournant la problématique des "alternatives", autrement dit des choix entre diverses voies possibles qui se seraient offertes aux soviétiques. L'auteur n'est pas hostile au pouvoir des soviets, ni à la révolution d'Octobre, présentée comme une issue à la crise du "double pouvoir" qui a marqué l'année 1917, alors que les chances du gouvernement provisoire et d'une large alliance socialiste sont épuisées, et  que le pays est en proie au chaos et aux menaces de contre-révolution. Rapidement, les soviets se transforment en instruments du parti unique et, pour O.V.Volobouiev, la "banqueroute politique du bolchévisme" est signée dés 1923. A ce moment, les espoirs de révolution mondiale étant abandonnés, on se dirige vers le "national-communisme" incarné par Staline. Face à cette éventualité, l'auteur marque son intérêt - c'est une exception- envers les analyses de Trotski, qui n'est pas comme c'est l'habitude présenté comme "précurseur de Staline", et cela sans négliger les autres composantes (de droite) de l'opposition au "national-communisme" stalinien.
Le regard sur le bilan stalinien est extr
êmement critique, ce qui n'empêche l'auteur de vibrer à l'unisson soviétique de la résistance antifasciste ni de considérer avec circonspection la chute de l'URSS, qu'il présente non comme une "fatalité", mais comme un choix politique inspiré par la nomenklatura, sa fraction russe eltsinienne en premier lieu. C'est l'un des rares auteurs qui ne saluent pas l'avènement de la nouvelle Russie comme une "libération". Ce qu'on pourrait appeler une vision "de gauche" antistalinienne, denrée rare aujourd'hui sur la place publique en Russie !

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