DE LA BÉTE DU GÉVAUDAN Â NOS JOURS, Mêmes PEURS, Mêmes USAGES

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francis arzalier
le 10 octobre 2021

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La France du Roi Louis XV a connu un épisode calamiteux d'environ trois ans, dont les historiens contemporains s'étonnent encore deux siècles après, notamment ceux d'entre eux férus "d'histoire des mentalités". Ces trois années calamiteuses ont imprimé un nom dans la mémoire nationale, celui de la BÊTE DU GEVAUDAN, qui vient d’être â nouveau racontée le 27 septembre 2021 â la télévision, par le préposé au patrimoine national, Stéphane Bern. Un récit agréable, comme il sait le faire, mais certains puristes pourraient lui reprocher d'avoir parfois mêlé la réalité historique et la légende qui en a surgi, mémé s'il a précautionneusement donné la parole à divers historiens.

En fait, "LA BESTIÔ", comme on disait dans la langue parlée alors dans la région qui l'a subie, n'a concerné directement qu'une petite zone du Royaume de Louis XV, le haut plateau granitique de Margeride. Ce quadrilatère large de 50 à 100 kilomètres au cœur du Massif central, forme aujourd’hui le nord du département de Lozère. Il était alors partie du Gévaudan, un Comté rattaché pacifiquement au Royaume de France depuis le treizième siècle, sous la bonnasse autorité de l'Evéque-Comte de Mende. Une férule seigneuriale-ecclésiastique fort débonnaire, â l'encontre des barons du Gévaudan, Randon, Apchier, et autres prédateurs féodaux:
Les paysans montagnards de Margeride, cultivant le seigle,pour le pain, élevant des porcs pour le jambon et des brebis pour en tisser la laine, n'étaient certes pas riches. Mais affranchis grâce à cette insertion précoce au Royaume Capétien du servage et des excès de l'oppression féodale, ils en ont acquis un attachement fort a leurs communautés villageoises, au culte catholique qui les structurait, et au Roi catholique, si lointain, protecteur tutélaire contre les Barons prédateurs.
Ces hauts-plateaux étaient de cultures maigres, parsemés de forêts peu exploitées, En cette période où l'analphabétisme était majoritaire, les paysans faisaient surveiller leur maigre troupeau, de vaches ou de brebis, par leurs enfants, bergers et bergères. Ces gamins et gamines seront les victimes favorites d'attaques meurtrières ( du 30 juin 1764 au 17 juin 1767, 88 â 124 morts recensés sur les registres paroissiaux, pour environ 120 attaques ) par un animal féroce capable selon les témoins oculaires de tuer, dépecer un cadavre, voire lui arracher la tête ou un membre.
S'agissait il de loups, qui étaient des milliers en Gévaudan alors ? La plupart ne le croyaient pas, car, selon tous les témoignages, ces bêtes forestières n'attaquaient qu'en meute, pour s'emparer en temps de pénurie d'un petit agneau ou d'un veau égaré, jamais â l'homme: il suffisait de cogner ses sabots pour les mettre en fuite. La "BESTIO'" attaquait seule et sans raison plausible, se dressait sur ses pattes arriéré, sa taille et sa dentition étaient terrifiants. Deux siècles plus tard, les historiens respectueux des sources ne savent pas avec plus de certitude qu'à l'époque de quel animal il s'agissait. On peut éliminer les hypothèses farfelues, un serial-killer seigneurial, ou une Hyène importée de contrées tropicales. Reste le plus probable, des croisements monstrueux de loups et de ces molosses de guerre entraînés à égorger que les armées utilisaient depuis longtemps sur les champs de bataille européens. Aucun des écrivains dits des Lumières n'en a traité dans ses ouvrages. Seules des contingences particulières firent connaître cet événement jusqu'au delà des océans.

La première de ces contingences fut à la fois Gévaudanaise et de Cour: l'Évéque-Comte de Mende, De Choiseul-Praslin, qui se trouvait être le parent du Ministre Choiseul, envoya à tous les prêtres du Gévaudan un mandement à lire et traduire en chaire, dans lequel il expliquait que la "Bestiô " était une punition divine de l’effronterie et lubricité de certains paroissiens, et surtout paroissiennes: femmes et filles étaient en effet les plus nombreuses des victimes, et les adolescents(es) qui gardaient les brebis se donnaient parfois du bon temps â l'ombre d'un buisson, malgré les prêches du Curé. Il n'en fallait pas plus pour accréditer parmi les paysans terrorisés la croyance en un fléau diabolique, impossible à combattre, voire â comprendre.
D'autant que les louvetiers spécialistes des chasses royales en forets quadrillées de chemins cavaliers comme â Fontainebleau, ne parvinrent à rien dans les fourrés cabossés de Margeride, sinon â rendre furieux les paysans dont ils traversaient â cheval les récoltes. Des paysans que n'avaient pas tous été convaincus de la nature surnaturelle de la Bête- puisque une petite troupe de fillettes gardant leurs troupeaux sera capable au moins une fois de la repousser et mémé de la blesser.
La deuxième contingence qui fit de la "Bête" un mythe jusqu'au delà des mers était d'ordre géopolitique. La France de Louis XV, grande puissance enviée par les autres monarques, sortait à peine de la féroce et désastreuse Guerre de Sept Ans, contre la Prusse et surtout l'Angleterre, qui avait réussi à lui prendre la plus grande partie de son domaine colonial en Amérique. Les échecs répétés des chasseurs de loups envoyés par le Roi en Gévaudan permirent aux Gazettes, du Royaume de France et des autres, de l'Avignon des Papes aux capitales européennes, et surtout â Londres, de multiplier les récits sur l'incapacité du monarque français de se débarrasser d'une bande de loups. Ces articles et dessins satiriques n'étaient lus que par les minorités cultivées, aristocrates ou bourgeois. Elles étaient néanmoins a l'origine d'une précoce opinion publique, qui n'émanait pas directement des Etats et de l’Église, un premier pas vers les Révolutions bourgeoises de la fin du XVIIIéme siècle.
En fait, après les échecs des battues organisées par les "Chasseurs du Roi", c'est finalement Jean Chastel, un cabaretier local, marginal autochtone, qui réussira semble t'il à tuer la "Bête": En tout cas, la série des attaques sera stoppée par son coup de fusil, celui d'un paysan de Margeride.

Une génération plus tard, l'épisode brutal de 1792 à 94 ( une Révolution française urbaine anti-monarchiste et anti-catholique ) fera une nouvelle démonstration paradoxale de la victoire historique de la paysannerie: Les fils et petits-fils des victimes de la Bête, qui avaient pourtant salué l'abolition des droits féodaux en 1789, prennent les armes contre la République, et contre le chef déchristianisateur Chateauneuf-Randon, Robespierriste et authentique descendant des Barons du Gévaudan ( ! ) , et plus encore contre la mise en vente aux plus offrants de biens de l’Église. Privée de soutiens étrangers qui affluaient en Vendée, cette révolte paysanne anti-révolutionnaire du Gévaudan fut vite réprimée, Mais, paradoxalement, cette révolte villageoise écrasée permit aux paysans de Margeride de devenir au XIXéme siècle des petits propriétaires libérés des seigneurs, assurés d'une certaine autarcie économique grâce aux biens communaux et de manger â leur faim grâce à la nouvelle culture des pommes de terre. Le XIXéme y sera ainsi l'apogée d'une société rurale, patriarcale, de communautés villageoises conservatrices et fort pourvues d'enfants, jusqu'à ce que la " Révolution industrielle" capitaliste en d'autres régions de France, la vident peu à peu de sa substance et de ses fils, avant la grande saignée de 1914 à 1918.

Reste une question: L'histoire de la "Bête" il y a 230 ans â t'elle encore quelque chose à nous apprendre sur la France actuelle? Au delà de l’intérêt anecdotique, peut-elle nous aider à décrypter le présent ?
Un fait, en tout cas, saute aux yeux: Tous les Pouvoirs en difficulté ont toujours su utiliser les peurs collectives à leur profit, l'Évéque-Comte Choiseul avec la Bête malfaisante, le Président Macron et sa cohorte libérale avec le Covid. Dans les deux cas, ils n'en sont pas les inventeurs, mais savent faire fléché de tout bois.. Et le deuxième enseignement pour aujourd'hui de cet épisode historique d'autrefois est que ça ne marche pas â tous les coups ! L'histoire d'un peuple n'est jamais écrite d'avance par ses seuls dirigeants.

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