Solidarité avec la Syrie : des Français témoignent

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publié le : 29 mai 2018

À presque un an de distance, afin d’en constater les évolutions, notre groupe de Français a voulu revoir la Syrie légale, celle reconnue Internationalement et contrôlée par le gouvernement du président Bachar Al Assad.

Comme en avril 2017, notre voyage fut organisé par une petite association humanitaire de Syriens de France. L’objectif du déplacement était de témoigner notre solidarité avec le peuple syrien. Dans ce cadre, il s’agissait de faire parvenir des médicaments aux hôpitaux syriens mais aussi de visiter des victimes civiles et militaires.

Deux faits importants pour la suite du conflit venaient de se produire :

  • les dernières poches des rebelles de la Ghouta, autour de Damas, tombaient. Ces groupes faisaient peser de graves dangers sur la population de Damas en raison de tirs de roquettes à l’aveugle sur la ville.
  • Suite à l’accusation d’utilisation de gaz par l’armée arabe syrienne, les USA, le Royaume-Uni et de la France venaient de lancer des frappes sur la Syrie quelques jours plus tôt sans preuves ni mandat international.

Malheureusement, nous n’avons pas pu nous rendre à la Ghouta encore zone militaire et aucun taxi n’a voulu prendre le risque de nous y conduire. Nous avons essayé de regrouper des témoignages en les recoupant avec les media locaux et russes. Le nombre d’habitants résidant dans cette région fut très fluctuant en fonction des interlocuteurs. On parle de quelque 60 000 personnes « retenues » pour peut-être un total de 2000 à 3000 combattants islamistes. Ces derniers, très schématiquement, se diviseraient en deux groupes dominants. Il y a ceux qui voulaient rejoindre la zone d’Idlib non encore contrôlée par le gouvernement. Nous les appellerons les « pro-Turcs », et ceux qui se regroupent dans le camp de Jarablosles les « pro-Saoudiens ». Dans ce type de négociations, les Russes sont à la manœuvre. Ils appliquent les accords d’Astana du nom de la capitale du Kazakhstan où ont lieu les discussions entre les Russes, les Iraniens et les Turcs. Les Occidentaux ont refusé d’y participer. Ces trois puissances régionales organisent ensemble les « zones de désescalade ». Généralement c’est la police militaire russe, qui a pour interlocuteurs les officiels Onusiens, le CICR et le Croissant Rouge. Ensemble ils organisent les transferts en car des combattants (et de leur famille) qui déposent les armes. Certains, s’ils sont volontaires, peuvent rejoindre le Yémen pour les pro-Saoudiens ou renforcer les milices pro-turques contre les Kurdes de l’YPG.

Ces milices, avec l’aide de spécialistes occidentaux, avaient construit de véritables villes souterraines avec poste de commandement, salles de réunion sécurisées et des hôpitaux avec des galeries où des véhicules automobiles pouvaient circuler. Elles attendaient le moment favorable pour prendre Damas. Les événements de la Ghouta nous ont confirmé que les différentes zones soumises aux milices terroristes n’étaient pas étanches. Les marchandises et les ravitaillements passent. Il suffit à un commerçant de payer au barrage d’une faction de sa région occupée pour rentrer en zone gouvernementale. Certains fonctionnaires, clandestinement, ont pu rejoindre chaque mois leur administration et rendre compte de leur situation afin de pouvoir continuer à toucher leurs salaires. Bien sûr cela demande beaucoup de temps et d’énergie car il faut effectuer de nombreux détours pour éviter que les différentes milices islamistes connaissent votre destination finale.

Déjà, en mars 2017 et suite à la libération de la partie des quartiers Est, nous avions pu entrevoir les dommages de l’appareil productif de la région d’Alep. En avril 2018, avec le concours de la chambre de commerce et d’industrie, nous avons pu visiter l’immense périmètre de 4400 ha qui a représenté la première zone industrielle du monde arabe. Elle est à présent détruite à plus de 90 %. Les machines ont été volées et transportées en Turquie. Le matériel qui n’a pas pu être emporté a été systématiquement et méthodiquement détruit. Cependant nous avons pu noter la grande détermination du patronat local à vouloir reconstruire. Ils nous ont expliqué qu’ils veulent privilégier l’auto-investissement sans attendre des aides extérieures (chinoises ou russes). Ils nous ont affirmé que les banques locales les soutenaient mais nous n’avons aucune information sur leurs réelles capacités financières devant cette tâche qui nous parait immense. Déjà pour redémarrer quelques petites unités comme le textile, la pâte à papier et un peu de métallurgie, les difficultés demeurent grandes. Le pays est soumis à l’embargo de l’ensemble des pays occidentaux et les pièces manquent, notamment sur les systèmes informatiques de pilotage. Les machines étaient Italiennes, suisses, allemandes et parfois turques. Cette concentration industrielle représentait, avant la guerre, 50 000 emplois. Des logements situés dans des cités neuves et bien équipées permettaient aux ouvriers de vivre à proximité des lieux de production. Environ 10 000 employés seraient restés. Ils vivent de manière précaire dans les ruines de bâtiments réparés à la hâte. Les autres auraient pris la direction de la Turquie pour survivre en constituant une main d’œuvre peu chère au service du patronat turc.

A noter qu’à la lisière du quartier kurde d'Alep, nous avons croisé un bataillon féminin des YPG. Manifestement, les relations entre PYD/YPG et les autorités syriennes semblent bonnes ici. L'armée syrienne et les YPG se sont coordonnées pour reprendre ce secteur aux « rebelles syriens » et les YPG jouent dans le quartier kurde le rôle joué ailleurs par les milices locales d'autodéfense. Nous verrons plus loin comment, dans le même esprit, différents partis politiques ou organisations, considérés comme patriotes, ont pu organiser des groupes d’autodéfense autonomes.

Comme l’an passé, nous étions libres de circuler et de parler. Certains participants parlaient l’arabe, ce qui favorisé les échanges. Nous avons emprunté les cars et les taxis locaux, mélangés avec la population syrienne. Les seules restrictions dans les déplacements étaient liées aux risques pour notre sécurité. Partout nous avons pu constater un grand élan patriotique qui nous avait paru bien moins évident l’an dernier. En écho à cela, on nous a expliqué que la corruption avait coûté très cher au pays tout en reconnaissant que le conflit aura eu pour effet de « purger » l'appareil d'état sur ce plan. On évoque au début du conflit des complicités dans des rentrées de matériel militaire par des frontières trop poreuses et des ventes d’armes entre groupes terroristes avec l’enrichissement rapide de certains et la vie très difficile pour les autres. Le meilleur exemple de cette mobilisation de l’ensemble du peuple nous a été montré, au retour d’Alep, dans un village entre Hama et Lattaquié. Là, nous avons visité l'association des « mères de martyrs ». Ce village « mixte » a une population à la fois musulmane, de confessions sunnite, alaouite et des familles chrétiennes orthodoxes mêlées.

Ce comité de veuves, mères ou sœurs de martyrs tombés ou gravement blessés au front, organise des repas pour les soldats, en grande majorité des conscrits puisque l'armée syrienne est une armée de conscription. Cette association cuisine quotidiennement et bénévolement plus de 300 plats pour améliorer la nourriture des mobilisés, en position sur le front d’Idlib distant d’une trentaine de kilomètres.

Le plus dur pour nous fut la visite des parents et des enfants de soldats morts ou disparus. Tous ont montré une grande dignité dans leur peine mais nous avons mesuré par cette démarche le lourd tribut payé par la jeunesse syrienne dans son combat contre le terrorisme et pour l’indépendance nationale. La moindre petite bourgade a sa dizaine de tués. Cela nous est signalé par la photo du disparu bien en évidence et proche de son domicile. Beaucoup de ces morts et blessés sont intervenus en 2013, qui fut visiblement une « année noire » pour l'armée syrienne.

En fin d’après-midi, la milice d'autodéfense locale nous a accueillis dans ses locaux. Elle rassemble les « notables » du village : le député du district, le maire, un prêtre, le directeur de l'école et le responsable militaire. Il y a deux ans encore, ce village était menacé par les groupes armés islamistes. Aujourd'hui, ce danger s’est éloigné, même si une offensive de Daesh, dans les environs peu de temps avant notre arrivée, faisait que les miliciens étaient mobilisés, voire pour partie envoyés en soutien dans des villages voisins plus exposés. Ils possèdent un armement léger et ils sont mobiles grâce à des pickups. Ils se coordonnent à l’échelle régionale avec d’autres groupes armés. L’armée nationale, déployée sur les différents fronts, n’intervient qu’en cas d’incidents graves (une importante infiltration de terroristes) que les groupes locaux ne peuvent contenir. Ainsi tout le territoire syrien est quadrillé dans un maillage serré de barrages et de point d’observation. Tout déplacement suspect est détecté.

En soirée, nous sommes invités à rencontrer le Parti Social National Syrien, un des principaux partis politiques de Syrie (présent aussi au Liban).Il est probablement le second en terme d'influence (après le parti Baath, au pouvoir). Des miliciens du PSNS sont présents en nombre et armés devant le siège du parti. Il a été crée au Liban en 1932 à Beyrouth par Antoine Saada. (Pour plus de précision voir : le Parti social-nationaliste syrien PSNS, sur Wipikédia.).

En présence du député local (baasiste), une réunion est organisée dans leur local. Nos deux principaux interlocuteurs se présentent comme les responsables politiques (pour le premier) et militaire (pour le second) de la section locale du PSNS. Ils nous présentent leur parti, qui milite pour l'unité de la « grande Syrie » (comprenant pour eux le Liban, la Palestine, la Jordanie, l'Irak et... Chypre !). Ils développent l’idée d’un état séculier « laïque », social et multiconfessionnel. Son symbole est la turbulence rouge sur un drapeau blanc. Dans le débat, nous soulevons l'antagonisme passé du PSNS avec le parti Baath et les persécutions politiques dont ils ont été victimes un temps en Syrie et au Liban. Le député baasiste, qui nous accompagne, nous tient en retour un discours très diplomatique et conciliant en guise de réponse. Il nous fait bien comprendre que cette période est révolue, que le PSNS est vu désormais comme un parti « ami » et dont le patriotisme ne donne lieu à aucune discussion. De fait, les autorités syriennes ont laissé ce parti, pourtant concurrent, former sa propre milice et participer directement en tant que tel à l'effort de guerre. Actuellement, dans le cadre de la défense locale, le PSNS a la responsabilité d’un secteur. Ses militants, volontaires et bénévoles, effectuent des patrouilles notamment de nuit pour assurer la sécurité de leur bourgade. Ils nous proposent une cordiale séance photo.

A Damas nous avons pu être reçus au siège du Parti Communiste Syrien. Notre groupe se composait de deux communistes français dont un d’origine libanaise et deux autres personnes de notre groupe intéressées par la rencontre. La discussion fut ouverte et sans langue de bois malgré les difficultés linguistiques pour échanger en arabe et en anglais. Nos deux hôtes (un cadre confirmé et un jeune qui a assisté à l’échange) étaient des responsables aux relations internationales du PCS. Après un rapide historique du PCS, notre interlocuteur analyse les événements en Syrie comme principalement « un complot impérialiste et sioniste contre la Syrie ». Nous lui demandons de nous refaire un historique des événements depuis 2011. En voici un compte rendu que nous avons essayé de rendre le plus fidèle possible.

Pour lui, une des origines principales de la crise provient des réformes de la libéralisation de l'économie du début des années 2000 (couplée à des difficultés agricoles liées à des sécheresses). Tous ces éléments ont créé un mécontentement avec une régression des conditions de vie des milieux les plus modestes alors que d’autres s’enrichissaient beaucoup. Cette défiance vis-à-vis du pouvoir a pu se refléter dans les premières manifestations populaires du début 2011 qui avaient une réelle volonté démocratique. Cependant, pour lui, les forces de gauche étaient trop faibles pour diriger le mouvement et pour avoir un poids réel dans un processus pacifique de négociation avec le gouvernement.

Très vite et en parallèle, des « groupes terroristes » seraient apparus initialement autour de Homs et de Derra (près des frontières libanaise et jordanienne). Notre interlocuteur nous précise qu'ils ont fait dévier des aspirations populaires réelles en leur substituant des revendications réactionnaires sur le plan sociétal comme géopolitique. Ce mécontentement fut habilement exploité et dévoyé par les « Frères musulmans » et les wahhabites. En plus des mots d’ordre religieux et communautaristes, il y a eu des distributions d’argent et de produits de première nécessité aux démunis souvent issus des campagnes suivant des techniques de communication bien rodés comme cela avait été déjà pratiqué en égypte et dans d’autres pays arabes. Le tout s'inscrivant dans un environnement régional hostile aux dirigeants syriens lié au tracé des pipelines et dans le contexte des « révolutions arabes ». Cependant l'agitation n’a pas vraiment pris à Damas et Alep. Elle est restée cantonnée de fait dans les implantations rurales et historiques des « Frères musulmans » et parmi les émigrés syriens dans le Golfe, revenus wahhabites.

Le scénario initial « à l'égyptienne » consistant à renverser le président Bachar al-Assad par un mouvement populaire d'ampleur fut donc un échec. Un « plan B » existait, il consistait à créer un conflit inter confessionnel (principalement alaouite-sunnite) puis à déclencher un coup d'état militaire avec des cadres corrompus et achetés de l'appareil d'état pour « rétablir l'ordre ». Mais ce fut là encore un échec : d'abord, les bourgeoisies sunnites de Damas et d’Alep ne se sont pas laissé entraîner dans cette dérive ; ensuite le gros de l'appareil sécuritaire n'a pas suivi dans leur aventurisme les apprentis putschistes téléguidés.

C'est alors qu’un « plan C » fut enclenché. Ce fut une fuite en avant avec une militarisation du conflit accompagnée d'une ouverture des frontières aux terroristes étrangers. Le tout avec le soutien logistique et financier de nombreux pays étrangers, notamment de la Turquie, du Golfe, les USA jouant le rôle de « chef d'orchestre », avec la volonté de provoquer une implosion de la Syrie. Ainsi, jusqu'à aujourd'hui, les régions d’Idlib et Derra échappent en grande partie aux autorités syriennes.

Le but de guerre des USA en Syrie nous a été comparé, de manière pertinente, au « plan Dayton » en Bosnie-Herzégovine : un plan de partition présenté comme une « fédéralisation », sur fond de « nettoyage » ethno-confessionnel. Heureusement pour faire contrepoids, les Russes ont avancé comme alternative le processus d'Astana, reposant pour l'essentiel sur des « zones de désescalade ». Toutefois, notre interlocuteur se montre réservé, voire critique, à l'égard de ce processus, faisant remarquer à juste titre le risque de finir avec une situation « à la chypriote », où le cessez-le-feu gèle depuis 1974 une situation dans un fait accompli durable.

Par ailleurs, notre camarade syrien ne nous cache pas sa perplexité par rapport au positionnement des Kurdes. Il reconnaît que les Kurdes du PYD et des YPG ont vraiment combattu Daesh et les groupes armés islamistes. Ils ont protégé la population de ville comme Hassaké. Il rappelle toutefois qu'à ce moment-là, le PYD et les YPG ont été fournis en armes par le gouvernement syrien et qu'ils auraient probablement été écrasés sans cette coopération de fait. Depuis, les USA interviennent en leur fournissant des armes lourdes pour les monter contre les autorités légales et les instrumentaliser pour dépecer la Syrie via la revendication de « fédéralisation ». Ils leur promettent de les défendre contre la Turquie, promesse non-tenue au final. Notre interlocuteur exprime l'espoir de voir le PYD se reprendre après Afrin, pour récuser ses accointances avec l'impérialisme US et négocier une autonomie dans le cadre de l'état syrien.

En guise de conclusion :

Nous pensons que notre gouvernement et ceux des pays européens font fausse route en participant aux sanctions et aux punitions envers le peuple syrien. Ces actions sont contre productives pour tout le monde. Plus la Syrie se sentira attaquée et plus sa population fera bloc autour de l’état syrien, de son armée et de ses dirigeants. De nombreux témoignages s’accordent pour pouvoir affirmer que ceux qui étaient, dans les manifestations pacifiques de l’année 2011, favorables aux réformes et à la démocratie, ont très vite compris le dévoiement du mouvement. C'était la société syrienne, dans ses différentes composantes plurielles qui était menacée d’un danger mortel avec son art de vivre et sa laïcité. L’âme d’une nation millénaire était attaquée au plus profond d’elle-même par des barbares manipulés. L'occident et les différents dirigeants français ont fait une grave erreur d'avoir soutenu et utilisé ces gens-là pour faire chuter le régime. Les puissances occidentales ont besoin des dirigeants du Golfe pour leur pétrole et pour leur vendre en retour beaucoup d'armement. Mais tout cela n’est que vue à court terme. A présent, notre influence politique, commerciale et culturelle, déjà faible face au mastodonte anglo-saxon, va disparaître du Moyen-Orient. Les chrétiens, souvent francophones et admirateurs de la France, nous en veulent beaucoup d'avoir soutenu des terroristes et ne comprennent pas nos positions diplomatiques. Pour ce peuple courageux, jamais la Syrie ne sera une Libye ruinée pour une décennie ou un Irak ravagé suite à l'intervention US de G. Bush.

Détruire et faire éclater un état de l’extérieur est criminel, quel que soit son dirigeant car ce sont toujours les plus faibles d’une société qui payent les invasions. Surtout quand les envahisseurs bienfaiteurs ne proposent aucune alternative sérieuse pour l’avenir de ces nations sinon de leur voler leur pétrole ou leur gaz...

Jean François Loubiere, Jihad Wachill

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